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Classiques Garnier

Préface Une esthétique primitiviste face à la pluralité des avant-gardes littéraires

  • Publication type: Article from a collective work
  • Collective work: Le Primitivisme des avant-gardes littéraires
  • Authors: Le Quellec Cottier (Christine), Rodriguez (Antonio)
  • Abstract: Le « primitivisme » suscite aujourd’hui des réserves face à un modèle foncièrement asymétrique, même s’il a été un ressourcement pour les avant-gardes qui puisaient dans les marges de l’imaginaire social. Les apports et les écarts du primitivisme littéraire sont à cartographier au xxe siècle, car cette esthétique ne naît pas d’une relation directe à un autre modèle original, « primitif », mais investit une multitude d’objets, de traditions, de styles ou de thèmes, à situer contextuellement.
  • Pages: 7 to 28
  • Collection: Encounters, n° 595
  • Series: Twentieth and twenty-first century literature, n° 46
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406151203
  • ISBN: 978-2-406-15120-3
  • ISSN: 2261-1851
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-15120-3.p.0007
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 09-20-2023
  • Language: French
  • Keyword: Esthétique, darwinisme social, oralité, canon, sources, marges
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Préface

Une esthétique primitiviste face à la pluralité
des avant-gardes littéraires

Le « primitivisme » enrichit le débat actuel sur les arts et la littérature en diverses langues, même sil suscite demblée une réactivité morale et plusieurs réserves face à un modèle avant tout fondé sur une asymétrie. Sans aucun doute, il nous faut désormais considérer cette notion avec une distance contextuelle indispensable, alors quelle continue à sourdre dans les arts contemporains. Elle rassemble dans le temps, lespace ou les groupes sociaux, des approches esthétiques souvent traitées de manière séparée, monographique ou hétérogène. Car la notion se rapporte à une construction de lAutre au sein de lethnocentrisme occidental, dans les milieux de lart et des lettres, tout particulièrement au moment de la seconde vague de mondialisation par la colonisation1, portée par la révolution industrielle. Des visions de la littérature consolident alors lidentité nationale et linfluence impériale. Aussi, afin de construire cet Autre « primitif », les références à des « sources », des « objets », des « traditions orales » se révèlent aussi multiples quhétérogènes, incluant les artefacts et les rites exotiques des colonies (Afrique, Océanie, Amérique précolombienne), des civilisations archaïques hors de la culture classique (Égypte, Sumer par exemple), mais également lart rupestre, les dessins denfants, la sexualité ou encore la fécondité des femmes2. Le primitivisme sinscrit dans un « darwinisme social » qui souligne combien « laltérité artistique était en voie de colonisation, en dehors de lEurope certes, mais 8aussi sur son propre territoire3. » Un tel rapport asymétrique peut être compris aussi bien sous le signe dune ouverture que dune clôture, dune médiation des cultures que dun asservissement des colonies.

La notion de « primitivisme littéraire » offre une réelle opérativité pour considérer les œuvres littéraires modernistes ou davant-garde au xxe siècle, notamment dans une des principales capitales des arts et des lettres : Paris. Afin de lever demblée quelques malentendus, le geste critique fondamental consiste ici à distinguer le « primitivisme » en esthétique de lattribution du terme « primitif » à des œuvres, comme pour les « sculptures primitives », le « cinéma primitif » ou, avec des euphémismes, les « arts premiers ». Le « primitivisme » des écrivains et des artistes ne se confond nullement avec des objets, des œuvres ou des civilisations qui étaient qualifiés alors de « primitifs », mais il sappuie et transforme ces éléments comme des sources dune esthétique singulière. Le terme reste imprégné par lhistorisme romantique du progrès et également par le darwinisme appliqué à la littérature, notamment après lessor des théories de Ferdinand Brunetière4. Lesthétique avec des composantes primitivistes touche différentes avant-gardes sans que le terme apparaisse forcément dans le contexte dorigine5. Cest pourquoi une telle esthétique pourrait parfois ressembler à une « illusion doptique » construite a posteriori6, comme la indiqué Jean Dubuffet. Pourtant, elle met en évidence un élément fondateur et transversal des avant-gardes littéraires occidentales.

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Les objets hétérogènes du primitivisme

Alors que Cendrars ou Tzara optent pour des traditions africaines, Guillaume Apollinaire choisit davantage des sources médiévales, tandis que Max Jacob considère le folklore breton ou la poésie pour les enfants. Daucuns retrouvent ainsi des formes originelles dans des contes, dans des formats littéraires pour grand public comme Fantômas ; dautres dans des arts dits « populaires » comme le cinématographe naissant, le cirque des saltimbanques, le music-hall. Les sources du primitivisme se révèlent nombreuses, mais elles ne divergent pas dune esthétique commune et identifiable. Adopter le pluriel avec « les primitivismes » ne résout pas le faisceau de problèmes de cette notion. Comment en garantir la singularité alors quil existe une pluralité dœuvres, de déterminations différentes ? Au lieu de dire que les sources sont « primitivistes » en tant que telles, nous devons souligner combien elles relèvent dun environnement culturel, dans lequel elles sont considérées comme « primitives ». À partir de là, des artistes et des écrivains transforment ces sources selon une esthétique, que nous qualifions de « primitiviste », et qui instaure une relation particulière. Les créations littéraires primitivistes se distinguent alors de la relation ethnographique, scientifique, face à ces « documents ». Par le choc quelle suscite, cette relation ne se confond pas avec la délectation désintéressée, mais elle implique des actions, des évaluations pour celui qui lexpérimente. 

Afin de mieux définir la notion, nous devrions éviter trois écueils qui sont autant de tentations critiques pour la consolider. Tout dabord, nous devrions éviter dhomogénéiser les objets pour généraliser la notion à partir dun corpus trop délimité : par exemple, prétendre que le primitivisme ne sapplique quaux colonies africaines et océaniennes. La généralisation, ensuite, par des caractéristiques transhistoriques (du « barbare » chez les Grecs à l« appropriation culturelle » aujourdhui) ne permet pas de comprendre dans quelles circonstances précises, dans quels réseaux la notion elle-même a pris une ampleur esthétique (début, développement et fin éventuelle). Dernier point, la notion se consolide dans des situations et des imaginaires géographiques et sociologiques : dans notre cas, les milieux littéraires au contact des 10milieux artistiques, à Paris principalement, comme dans dautres capitales impériales.

Les œuvres littéraires primitivistes adoptent plusieurs types de « ressourcement ». Si elles se tournent systématiquement vers ce qui est primordial ou premier, elles le font à partir de cinq modalités principales, que nous pouvons dégager de nos études. Elles sappuient parfois sur un imaginaire spatial (comme les colonies, les nouveaux mondes, les espaces extrêmes, les utopies), mais aussi sur un imaginaire social (par le biais de la sociologie et de lethnologie), un imaginaire historique (pour retrouver les sources par-delà la lignée, avec un caractère archaïque), un imaginaire esthétique ou médiologique (les genres littéraires, les formes, les arts populaires) ou encore à partir de catégories logiques qui sopposent à lidentité rationnelle. Lors de nos recherches collectives, nous avons tenté de rassembler les termes associés à nos objets pour parvenir à un ensemble de mots. Le tableau ci-dessous, non exhaustif, montre justement autant de termes de différentes époques, que les rédacteurs du présent volume ont pu considérer dans leurs études.

À partir de ce lexique, des sources différentes sont mobilisées et produisent des œuvres en apparence bien hétérogènes. Pourtant, derrière cette multiplicité se tient une forme de « primitivisme littéraire » qui instaure une relation esthétique particulière7, tant pour les auteurs que pour les lecteurs. Ces principes se trouvent enrichis dun contexte non seulement historique, mais également géographique et institutionnel. En effet, la création littéraire adepte du primitivisme est fortement associée aux réseaux artistiques, voire au marché de lart. Une telle esthétique se trouve alors valorisée par des peintres, des sculpteurs, des musiciens, mais aussi par des collectionneurs dart et dobjets tribaux. Si Paris occupe une place déterminante pour cette esthétique en peinture et en littérature, il ne faudrait pas oublier la forte circulation qui a lieu entre les capitales impériales à ce moment-là. La littérature en français participe ainsi à des mouvances plus larges, polycentrées, dont les liens aux arts visuels ont été déjà souvent commentés. Tout comme les objets pluriels du primitivisme, les contextes gagnent alors à être traités plus subtilement.

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Imaginaire spatial

Imaginaire social

Imaginaire historique

Imaginaire esthétique

Imaginaire logique

Afrique

Colonies

Cosmopolite

Désert

Exotisme

Grand Nord

Grand Ouest

Océanie

Orient

Extrême-Orient

Nouveau Monde

Transatlantique

Ur

Utopie

Amérindiens

Amulette

Animisme

Bohème

Bretagne

Chaman

Cosmique

Démiurge

Enfance

Esprits

Exorcisme

Femme

Folie

Folklorique

Foule

Magie

Mysticisme

Noir/« Nègre8 »

Orphisme

Paysan

Populaire

Religion

Rite

Sauvage

Sexualité

Vaudou

Adamique

Aède

Anti-tradition

Archaïque

Barbare

Barde

Non canonique

Commencement

Édénique

Moyen Âge

Originel

Premier

Précolombien

Préhistoire

Primitif

Primordial

Rupestre

Source

Arts décoratifs

Brut (art brut)

Collage

Cinéma

Conte

Corps

Cri

Danse

Épopée

Idéogramme

Légende

Masque

Manuscrit

Matière

Oralité

Performance

Poupée

Sculpture

Statuette

Voix

Alogisme

Altérité

Bestialité

Débilité

Décentrement

Élémentaire

Fragmentaire

Imaginaire

Inconscient

Instinctif

Intuitif

Juxtaposition

Marge

Naïveté

Palimpseste

Préréflexif

Pulsion

Pureté

Renversement

Spontanéité

Vitalisme

Tab. 1 – Liste de termes fréquemment associés au primitivisme littéraire.

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Un écart vers le primordial 

Longtemps constitutive dune relation aux arts plastiques qui la cantonnait à une fonction d« archaïsme salvateur9 », la notion de primitivisme gagne à être pensée en tant quécart au début du xxe siècle, que celui-ci soit dordre culturel ou chronologique, pour reprendre une terminologie utilisée par Lovejoy et Boas dès 193610. Le philosophe et lanthropologue qualifiaient le primitivisme de culturel pour désigner les expressivités extra-européennes et de temporel pour les cultures populaires, rurales, archaïques, mais aussi préhistoriques mises au jour en Europe. Cependant, le lien au « primordial » a des formes multiples et ne cesse de traverser temps et espace, sans que la remontée du temps soit un attribut nécessaire : il importe parfois de regarder autour de soi, autrement. Lattrait artistique pour un monde premier, ou supposé tel, souligne une volonté de distanciation des référents canoniques qui imposent une lecture figée des valeurs artistiques, celles fondées en Occident par le goût séculaire de la figuration réaliste11. Par contraste, le détournement du regard, orienté vers des créations « considérées comme des œuvres primitives12 » – quil sagisse dun folklore européen ou dune statuaire souvent africaine – a généré des métamorphoses dans la mesure où les artistes ont été transformés par les productions quils découvraient : le primitivisme est un processus qui engage un mouvement dinteraction, mouvement de translation qui met à mal le « mythe fondateur de lart moderne » bâti sur lidée que les musées 13dethnographie « recelaient des trésors dont leurs gardiens étaient inconscients jusquà ce que les artistes, puis, guidés par eux, marchands et collectionneurs, en découvrent la valeur13 ». La critique du mythe nannule pas le processus de découverte mais le réoriente, car elle oblige à tenir compte de limpact de la rencontre, en tant que modification de chacun des acteurs, tant lartiste que lobjet projeté dans un nouveau circuit de sens. Pour lanthropologue Philippe Descola, il sagit dun processus de « re-connaissance14 » mutuelle, bien quinégale, ce que le philosophe S. Bachir Diagne soutient quand il évoque les artistes en tant que médiateurs, ayant accompli un « geste de réciprocité » grâce à une forme de « traduction » qui ne pouvait, de fait, « combler lécart entre équivalence et adéquation totale15 ».

Ainsi, reconnaissons lécart comme générateur de représentations symboliques qui animent les modalités de création, quil sagisse de motifs ou de formes poétiques. Les esthétiques littéraires primitivistes ne sont pas une forme redondante des créations picturales dont la naissance a souvent précédé celle des fictions. La démarche littéraire procède avec un autre scénario, car elle na pas de relation directe avec des créations littéraires dites primitives, notamment lorsquelles sont extra-européennes. Laspect anti-mimétique se manifeste donc dès lorigine de la relation : linspiration littéraire primitiviste se fonde sur une projection qui nest pas liée à une source originelle, puisque celle-ci était souvent inaccessible ou reconstituée par des savants ou des missionnaires. De fait, les formes de la création littéraire sont sa force même, aniconique, et son agencement se perçoit par les spécificités de sa composition16. Nous postulons donc, à linverse de Dagen, que la figure de style ne dégrade pas la figuration17, car la rhétorique est, dans le cas du primitivisme littéraire, une 14invention chaque fois renouvelée – une figuration nouvelle – et non la reprise dun motif ou dune forme supposée « primitive ».

Dès lors, quen est-il dun « primitivisme littéraire » ? La relation à une esthétique dite primitiviste convoque les traditions populaires orales – folkloriques (chants, contes) – que ce soit en Europe, en Afrique ou sur dautres continents – dans un mouvement qui cumule primitivisme culturel et chronologique. La transmission orale séculaire a été convertie en transposition écrite par les détenteurs dun savoir ethnographique : laccès à une prétendue primitivité de lexpression et de la langue est donc dépendant dun filtre savant. Si Picasso peut déclarer « Tout ce dont jai besoin de savoir sur lAfrique se trouve dans ces objets18 », la source textuelle pour lauteur rend caduque ce contact immédiat : il ny a pas daccès direct à un écrit primitif au même titre quaucune langue nest en soi primitive. Cet écart, créé par la saisie scientifique dune culture jugée décadente, en Europe, et primitive, hors des métropoles occidentales, place immédiatement les sources dans une situation de « défaillance » puisquelles ont le statut de réécritures et recyclage dun matériau alors inaccessible. Les auteurs ont conscience de ce palimpseste, et à leur tour vont composer en ne cherchant nullement une adéquation à un supposé référent réaliste ou mimétique19 : lécriture fictionnelle et poétique conforte une mise à distance du réel, motivée par les sources fabriquées. De fait, le processus créatif rejoue lécart reconnu entre signifiant et signifié, propre à lécriture. Larbitraire du signe est rejoué par labstraction de la figuration.

Dans le cas du modèle extra-européen, comme la démontré Jehanne Denogent20, les écrivains souvent associés à des mouvements « per15turbateurs » se sont révélés de patients érudits passant des heures en bibliothèques pour recopier des contes, des récits, des chants, quils ont ensuite souvent transformés : lacte primitiviste savère bel et bien un rapport transmédial. Cest en ce sens que Denogent a proposé le terme « palimpsestes africains » pour évoquer la relation particulière à cet ailleurs spatial et culturel, une « Afrique de papier » construite à partir de sources ethnographiques ou de représentations fantasmées du continent décrit de longue date comme une altérité absolue, avant de devenir lespace nécessaire à une réinvention de soi. Le primitivisme littéraire est ainsi à définir a contrario de lexotisme, caractérisé par un « imaginaire préconstruit où la représentation de laltérité obéit à des structures fantasmatiques collectives21 » ; lexotisme se veut une altérité positive « dans le contexte de lexpansion européenne » cautionnée en fonction dune hiérarchie des peuples, devenue « synonyme dartificialité » dès la fin de la Première Guerre mondiale, avant que Lévi-Strauss ne le désigne comme une « scorie de la mémoire22 ». La diversité des pratiques se matérialise au sein dun réseau et de sociabilités23 où le goût pour une création marginale favorise des appartenances et des reconnaissances transversales ; ainsi, comme a pu lécrire Henri Meschonnic, le primitivisme est bel et bien une part constitutive de la modernité24.

Les textes primitivistes du début du xxe siècle, temps des avant-gardes historiques, ont conscience de générer un écart et se veulent transgressifs par le choix de leurs motifs et celui de leur expressivité : leurs modèles alternatifs renvoient autant au monde rural, archaïque, quà celui des fous et celui des enfants, à la préhistoire quau monde extra-européen. Lintérêt esthétique pour ce dernier est en 1900 perçu 16comme « une provocation25 », car la statuaire puis les récits « nègres26 » glissent du statut dartefacts à celui darts27. Les écrivains davant-garde qui semparent dun objet primitif, conscients des usages discursifs pour fabriquer des imaginaires et des formes, inventent des motifs et des esthétiques. Diverses pratiques ont été explorées, qui toutes ont valorisé lexpressivité contre la représentation : loralité, la performance et la contestation de la structure de la langue fondent une relation sensible au langage. Les auteurs sapproprient avec jouissance et ironie les traits caractéristiques des sociétés extra-européennes dites « pré-logiques » et donc « primitives » quun Lévy-Bruhl sévertuait à décrire28. Ce monde artistique européen affirme une altérité pour transformer le système axiologique, sans pour autant quune forme concrète dengagement politique soit présente29. LOrientalisme, par Edward Saïd, puis LInvention de lAfrique par Valentin Mudimbe30, ont mis en évidence les présupposés structurels, tant idéologiques et philologiques, dune époque de domination impériale. Mais face à la violence et au mépris, les poètes nont pas toujours pris leurs distances ; leur engagement saffirme par leurs choix esthétiques, valorisant des objets, sans lien avec ceux qui les avaient générés, des « sujets ». Le primitivisme littéraire, parce quil 17ne réfère à aucune réalité tangible ou accessible, est une adresse de lEurope à lEurope.

Une recherche internationale
sur le primitivisme : état des lieux

La notion de primitivisme mobilise désormais de nombreux chercheurs issus de contextes culturels différents. Ce « retour » dune notion à laquelle restent attachés des « prémisses et présupposés racistes et colonialistes31 » savère significatif dun temps où la légitimité des discours se négocie souvent en fonction des appartenances des uns et des autres : il importe cependant déviter les anachronismes et les amalgames, car parler d« appropriation culturelle » pour qualifier la relation des artistes de lavant-garde historique à ces productions mérite discussion32. Les travaux récents qui ont aussi nourri nos recherches participent à cette réévaluation, en contextualisant une dynamique créative qui sest souvent voulue émancipatrice et engagée. Ce postulat marque une distance avec la lecture primitiviste des arts plastiques qui sest appliquée à décontextualiser les productions extra-européennes pour les intégrer à un marché de lart, en les détachant de tout enjeu politique ou social33. Le tournant du xxie siècle peut être retenu comme moment de ré-émergence et de questionnement – dans la sphère française et francophone – dun rapport à lautre dans les sociétés européennes, pointant des inégalités et des hiérarchies implicites, des sources de tension : celles-ci, politiques et sociales, ont impliqué un regard rétrospectif pour faire face aux écueils historiques qui les ont 18générées. Louvrage collectif Retour du colonial ?, paru en 2008 sous la direction de Catherine Coquio, en est à ce titre un exemple saisissant, permettant de lire en filigrane les conséquences du modèle assimilationniste français et, par contraste, les enjeux dune politique de la diversité culturelle. En 2007, lessai de Benoît de LEstoile, Le Goût des Autres. De lExposition coloniale aux arts premiers, met au jour les fondements idéologiques, culturels et politiques de lExposition de 1931, à Paris, en analysant les discours qui traversaient le monde colonial : lun, évolutionniste, soutenant la hiérarchie des peuples, lautre, primitiviste, valorisant la différence pour rompre avec les valeurs occidentales bourgeoises. Lauteur analyse les mises en scène de lexposition et discute de limprégnation primitiviste34, en remontant dans le temps : « Dès la fin du xviiie, des artistes saffirment “primitifs” afin de contester le modèle de lAntiquité classique []. Cest effectivement au xviiie siècle que sest mis en place un récit de lhistoire de lhumanité où les peuples de lAntiquité et les peuples sauvages sont mis en parallèle35 ». Les plus récents ouvrages Discours sur le primitif36 et Les Savoirs des barbares, des primitifs et des sauvages37, en associant plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, du xviiie au xxe siècle, permettent de saisir ce phénomène dans toute sa diversité.

Lactualisation du « débat primitiviste » en littérature – incluant une « renaissance de larchaïsme38 » quand il sagit de commenter les inspirations régionalistes – a été marquée par lessai fondateur de Jean-Claude Blachère, Le Modèle nègre. Aspects littéraires du mythe primitiviste au xxe siècle chez Apollinaire, Cendrars et Tzara39, paru en 191981, dont nos réflexions ont hérité à propos des poètes modernistes. Lintérêt sest renouvelé en 1992 avec Primitivismes, numéro spécial de la Revue des Sciences humaines dirigé par Bernard Mouralis, où plusieurs études abordent le succès de la figure du primitif parmi les écrivains de la fin du xixe siècle, alors que parallèlement sérige en Europe la hantise de la « dégénérescence », jugement de valeur dune société conservatrice récusant léclectisme de modes de vie dits sauvages, dont les écrivains seraient les complices40. En 1995, le dictionnaire de Joachim Schutze, Wild, irre und rein : Wörterbuch zum Primitivismus der literarischen Avantgarden in Deutschland und Frankreich zwischen 1900 und 1940, présente la notion comme un « champ sémantique, rassemblant une pluralité de motifs (le sauvage, le barbare, le fou, lenfant, mais aussi les idées de “pureté” et dauthenticité) qui circonscrivent une relecture éminemment moderne du mythe du bon sauvage, une sorte de miroir renversé et de paradis perdu par une société occidentale égarée par lindustrialisation, le matérialisme et la foi aveugle dans le progrès41 ». Ce spectre très large prend source avec Rimbaud dont la trace est suivie jusquà la Seconde Guerre mondiale : les figures du sauvage et du barbare y sont partie prenante de la société européenne qui les dénonce, ou les revendique, selon des enjeux esthétiques et politiques divergents.

La diversité du modèle primitiviste est au cœur des essais majeurs de Philippe Dagen, Primitivismes. Une invention moderne (2019) et Primitivismes II. Une guerre moderne (202042) où la césure éditoriale est motivée par le surgissement de la Première Guerre mondiale, confrontation violente des sociétés, des individus et des cultures, point de bascule dune relation à soi et aux autres. Proposée au pluriel, la notion de primitivisme ne doit pas, selon Dagen, être restreinte au domaine des arts plastiques, mais bel et bien être envisagée dans sa pluralité, à 20la fois politique, sociale, philosophique et littéraire, afin de mettre à nu les tensions qui cristallisent les sens et les enjeux transversaux dune perception de lhomme et de ses origines, source de cette « passion du primitif43 ». Le primitivisme – dans toute sa diversité, puisque les catégories de Schutz et de LEstoile sont appliquées44 – est ainsi constitutif de la modernité techniciste, réactif puissant qui oblige à se définir a contrario. Les analyses – qui dans le premier volume se concluent sur la quête des primitifs, mélanésiens ou bretons, par Gauguin – amplifient celles proposées dans le volume Le Peintre, le Poète, le Sauvage. Les voies du primitivisme dans lart français dont lorientation, en plaçant Gauguin en amorce de la réflexion, ciblait principalement les arts visuels. Ainsi, vingt ans après cet essai incontournable, Dagen propose un cheminement pour comprendre les « circonstances intellectuelles des primitivismes45 » et, grâce à lanalyse de sources nombreuses, perçoit les primitivismes comme « un ensemble darrachements ». Pour les artistes qui manifestent leur détachement du monde rationnel en remettant en question une perception univoque du monde, ce « renversement du regard » vise à « se détacher dune civilisation moderne dont ils mesurent combien elle sépare lêtre humain de la nature, de sa nature, de lui-même donc46 ».

En questionnant cette orientation dans le monde germanique, Nicola Gess a proposé dans son dernier essai, traduit en anglais en 2022, Primitive Thinking47, une réflexion fondée sur la dialectique primitiviste pour en dégager les enjeux philosophiques au début du xxe siècle, à partir des écrits de Carl Einstein et Max Weber48. Elle met en évidence quatre points de convergence qui modifient la relation au monde des intellectuels et artistes. Ceux-ci admettent la présence de « forces » perturbant la maîtrise du temps, et donc dun devenir dont le contrôle est inopérant. Le 21primitivisme, alternative à la désillusion, prend ainsi corps à la fois en un récit de lorigine, en un outil discursif pour une critique de civilisation, en une utopie littéraire et un diagnostic du temps présent. Ce dernier point fait la jonction entre lutopie archaïque et le temps vécu, impliquant le caractère politique de cette pensée primitiviste dans le champ allemand, où Carl Einstein affirmait en 1919 que la reconnaissance de lart primitif signifie « un refus de lart inféodé au capitalisme49 ». Cet engagement politique qui caractérise les avant-gardes germaniques50 se lisait déjà en 1908 dans lessai de Wilhelm Worringer, Abstraktion und Einfühlung « pour lequel lhomme est aujourdhui, par rapport à limage du monde, aussi perdu et impuissant que lhomme primitif51 ».

Les recherches récentes se consacrent aux formes des discours et des représentations symboliques, indépendantes de lhistoire de lart : lhétérogénéité du primitivisme a élargi la recherche vers des « figurations » arbitraires, des discours formels plutôt que des motifs. Ceux-ci avaient été saisis dès 2006 par Isabelle Krzywkowski, dans lindispensable essai comparatiste « Le Temps et lEspace sont morts hier ». Les Années 1910-1920. Poésie et poétique de la première avant-garde, qui a postulé lexistence et la spécificité dun primitivisme littéraire nétant ni un exotisme, ni une forme de retour au primitif : « Le primitivisme ne saurait être réduit à lexotisme, mais on ne peut nier que son développement dans les années 1910-1920 saccompagne dun nouvel essor de la littérature de voyages, qui peut faire lobjet de réalisations très diverses : reportages desprit 22cosmopolite, romans daventures, récits coloniaux, poèmes en vers ou en prose se rapprochant volontiers chez certains du projet dépopée moderne quavaient relancé les années 1905-191052 ». La démarche de la chercheuse sest concentrée sur les créations formelles des poètes, sous-tendues par la quête dune langue première qui « nest ainsi pas celle qui est à lorigine des langues, mais celle qui origine la langue poétique53 ». De fait, cette quête implique un détachement de lindiscuté, car « les langues européennes, perverties par “luniversel reportage”, comme par une approche du langage fondée sur la signification et la représentation, ont perdu cette richesse plastique qui est aussi puissance illocutoire54 » privilégiant lexpression, grâce aux sons et aux rythmes. Ainsi, létrangeté prend forme avec la poésie sonore, le bruitisme, le photomontage, la performance corporelle et la déclamation ; gestes qui mettent à mal la structure de la langue. Les expressivités corporelles sont perçues comme une autre langue, instinctive, à associer aux mots connus ou inventés, car la littérature doit redevenir une forme de vie, partie prenante dune spiritualité et dune liberté que les institutions méconnaissent : en 1902, déjà, René Ghil offrait « Le Pantoun des pantoun » ; en 1916, Hugo Ball proposait la « poésie des mots inconnus » et tant Cendrars que Tzara fabriquaient ou traduisaient des « poèmes nègres ».

Cette présence dun primitivisme littéraire est lenjeu discuté par Ben Etherington dans Literary Primitivism, paru en 2018, dont le postulat innovant est que le primitivisme nest pas un projet spécifique à lOccident. Etherington étudie le primitivisme littéraire en tant que fiction contestataire opposée à limpérialisme capitaliste55. Il présente historiquement les traces de ce quil nomme un « philo-primitivisme » – dès le xviie siècle dans la littérature anglo-saxonne – repérable à la présence dun « motif » primitiviste, par exemple le noble sauvage, déjà porteur d« enjeux narratifs critiques vis-à-vis de la conquête coloniale de lOccident56 ». Mais cette stratégie contestataire devient un « pri23mitivisme emphatique » avec la montée de limpérialisme capitaliste à la fin du xixe siècle : les avant-gardes européennes font de la quête du « primitif » un leitmotiv expressif et poétique, et celui-ci dépasse selon Ethrington tout clivage racial : ainsi le Cahier dun retour au pays natal est perçu comme un acte primitiviste, historiquement situé et engagé par un sujet écrivant. De façon inattendue, lanalyse dEtherington récuse une lecture décoloniale de la notion associée encore souvent à un principe actif de domination structurelle. Dun point de vue intersectionnel, le chercheur déplace les critères de référence en éliminant celui de la race au profit de la classe, et poursuit lanalyse dune pratique primitiviste hors du référent chronologique des avant-gardes historiques57. Cette analyse transculturelle noue des liens avec « lensemble darrachements » considéré par Dagen, en proposant la lecture située dune notion connotée. Dans cet essai, quil sagisse de D. H. Lawrence, Césaire ou Damas, la création littéraire est un accès alternatif au plaisir dêtre primitif.

Le primitivisme littéraire savère une dynamique transculturelle, internationale et cosmopolite dont les expressions ont essaimé dans toute lEurope au début du xxe siècle, en Russie aussi bien, comme le montre avec force le collectif Les Primitivismes russes de la revue Slavica Occitana, paru en 2021. Les poètes russes caractérisés par ce goût primitiviste, bien quattentifs aux cultures dAfrique subsaharienne, ont un lien plus puissant avec le monde paysan et toutes les formes de traditions populaires intérieures à cet empire dont laltérité se trouve dabord en allant vers lest, en « Extrême-Orient ». Le constat archaïsant – proche de lidiot dada – conforte des expressivités qui valorisent le simple, linnocent, lenfantin, non limité à un temps colonial. Cette caractérisation esthétique – impliquant formes et motifs – reconnaît aussi un primitivisme littéraire hors du temps des avant-gardes historiques, puisquil implique un rapport au monde qui se lit telle une phénoménologie, une relation au monde sensible58 qui dépasse tout carcan chronologique.

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Le développement dune civilisation occidentale, fondée sur son pouvoir national, colonial et par lessor conjoint de lindustrie littéraire, de la recherche, de léducation tout comme des institutions culturelles et muséales, amène à sinterroger sur les fondements dun primitivisme fait par les mots, par le papier bien souvent, ou par des performances. En quoi les mots, par-delà la peinture, la musique ou la sculpture, renouvellent-ils la capacité de raconter, de décrire ou dévoquer ? Le primitivisme sinscrit face au développement sans précédent des sciences de lesprit (psychologie, psychanalyse, phénoménologie), des sciences sociales (sociologie, ethnologie) et des sciences naturelles (physique, chimie). Les écrivains reflètent à travers les avant-gardes les doutes permanents dune société soumise au fonctionnalisme, à la rationalité instrumentale et à un capitalisme industriel particulièrement violent59. Les avant-gardes, quelles soient révolutionnaires ou non, adoptent le primitivisme comme un moyen de contester les valeurs institutionnalisées et de proposer un ressourcement de la société. En littérature, lhybridation passe par les contes, les fables, les comptines, les récits populaires, mais aussi par un traitement du cirque, de la danse, du cinéma, de la chanson ou de la presse. En somme, les textes littéraires prennent appui sur une intertextualité et un ensemble de discours, de mises en forme préexistantes. Ces sources renvoient souvent à dautres lieux ou à dautres époques, comme si lhorizon temporel de lévolution sinscrivait dans une géographie projetée sur dautres continents : les temps passés se retrouvent au même moment, mais ailleurs dans lespace. Pourtant, au lieu de comprendre lasymétrie comme une faiblesse, les écrivains tout comme les artistes y trouvent une énergie nouvelle de création. Les sociétés impériales occidentales semblent scinder cette énergie au nom de la raison, de lexploitation, mais aussi des canons littéraires et de lhéritage traditionnel à reproduire.

Dans le primitivisme des avant-gardes se trament des innovations littéraires qui ont marqué lhistoire littéraire du xxe siècle pour différents genres : les premiers élans de la poésie sonore, loralité dans le roman, la narration à la première personne, les techniques de dialogue à outrance, 25les temporalités simultanées, la superposition des voix, les cris chez Artaud sont autant déléments qui donnent un relief singulier à la notion de primitivisme en littérature et en font un outil indispensable pour mieux comprendre le modernisme. Et quand Henri Michaux sadresse avec amitié à la figure de Charlot, celui qui « suit toujours son idée » et « fait triompher poétiquement son principe de plaisir », il nhésite pas à reconnaître le primitif au cœur de la projection cinématographique : « Charlie, pour tous, tu es notre frère. / Charlie simple, primitif. / Un chapeau melon et une badine, et voilà Charlie. [] / Ô simplicité60 ». La quête du primitif nest plus une provocation ou un propos décentré, elle occupe le cœur des formes et figures du renouvellement des arts. Il sagit dune performance qui englobe toutes les formes dexpressivité, spécialement celles dissociées des arts occidentaux canoniques au début du xxe siècle, tels que le music-hall, le cirque, la danse, le cinéma.

Mais la spécificité du primitivisme littéraire sobserve dans sa production même : il se constitue à partir dune lecture approfondie de sources scientifiques, avec la conscience de linexistence dun « référent primitif » et en savourant sa propre capacité à créer un décentrement initiatique.

Le primitivisme à lère du livre

Notre recherche a été soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique61. Elle a permis dengager divers travaux sur le primitivisme littéraire, notamment deux thèses de doctorat62 et cet ouvrage collectif. Les cadres de ce projet étaient concentrés sur la ville de Paris, de 1898 (avec les premiers textes dApollinaire) à 1924 26(la naissance du surréalisme). Mais lobjectif de ce volume dépasse un ensemble détudes sur cette période. Le cadre historique sétend en effet du milieu du xixe siècle (avec Walt Whitman et sa réception européenne) jusquà la fin du xxe siècle (avec les poèmes-actions de Julien Blaine). Ce déploiement temporel met en évidence lesprit sans cesse renouvelé davant-gardes qui ont créé ou rediscuté la nécessité dun ressourcement primitiviste. Bien que tenant compte de la situation dans la capitale française, les chapitres ne cessent de souligner les ramifications entre capitales européennes, occidentales, tout en englobant par limaginaire le monde entier. Nous avons en effet pu nous concerter pendant une semaine dans les Alpes suisses, à Leysin, afin délaborer cet ouvrage dépassant lalignement détudes multiples. Cela a permis de montrer la nécessité théorique, les fondements historiques et les maillages sociologiques qui sous-tendent une telle esthétique littéraire. La transversalité de la notion, par les disciplines, les langues et les médias, y est valorisée afin que les lecteurs puissent sortir de cet ouvrage avec une notion probante, des outils opératoires pouvant être déployés avec de multiples sources.

Les études qui composent ce volume63 sorganisent en deux parties : lune sur les usages, les définitions et les paradoxes de la notion ; lautre comme autant détudes de cas dans lhistoire contemporaine. En ouverture de la première partie, les analyses dIsabelle Krzywkowski montrent que le primitivisme littéraire cherche à sortir du temps linéaire, par son appel constant à un ailleurs spatial et temporel. Elle observe cette extraction au sein des avant-gardes historiques, tout en contextualisant les usages du terme « primitivisme ». La relation à lespace est quant à elle au cœur du propos dAntonio Rodriguez qui met en évidence la participation décrivains modernistes au réseau international du marché de lart, avec une volonté de briser par le primitivisme la « lignée nationale » de la littérature et dintéresser les collectionneurs, puis un plus large public. Cette tentation du primitivisme, comme lobserve Émilien Sermier, se retrouve chez les poètes modernistes des années 1920, métamorphosés en conteurs de récits vocalisés, où loralité sassocie aux cultures extra-européennes ou aux terroirs proches. Les auteurs modernistes installés dans les villes – Paris dans le cas le plus fréquent des études présentées – découvrent aussi les possibilités primitivistes dans lintermédialité : dès 27les premières années du xxe siècle, le cinématographe naissant, avec des projections animées et populaires, devient une source, dont Nadejda Magnenat explore limpact sur les textes poétiques. Christine Le Quellec Cottier considère les ambivalences de cette « présence primitiviste » au milieu des années 1920, lorsque les « arts industriels » affirment leur esthétique par un utilitarisme et un retour à lordre bien éloignés dun ressourcement initiatique. Ces écarts de réception sont actualisés dans lentretien que nous a accordé Souleymane Bachir Diagne à propos des intentions des avant-gardes historiques, à Paris, ainsi que de leur réception dans notre monde contemporain.

Dans la deuxième partie, les études de cas emblématiques associent plusieurs périodes du primitivisme et plusieurs continents. Bacary Sarr met en perspective ce que lon peut considérer comme des médiations, avec Carl Einstein, Blaise Cendrars et Léopold Sédar Senghor. Néanmoins, à laune de Cheikh Anta Diop, un palimpseste européen porteur dune axiologie spécifique ne peut être négligé. Cet écart interprétatif est envisagé par Jehanne Denogent sur le travail dérudition de Tristan Tzara tout comme sur la construction éditoriale posthume du recueil Poèmes nègres, source dun « mythe » primitiviste. Lambiguïté de linterprétation des actes et des créations primitivistes se joue aussi à propos de la réception américaine de Longfellow et Whitman, comme le montre Delphine Rumeau, en relevant la distance entre lidéal du noble sauvage et le cri de la révolte. Et, bien quéloigné de la « sauvagerie » américaine, le monde rural est privilégié dans les romans de C. F. Ramuz que Laura Laborie perçoit comme une phénoménologie qui enrichit la portée de cette œuvre. Parmi ces études de cas, il nous a paru essentiel daccorder une place aux créations primitivistes conçues par des femmes. Larticle dEstela Ocampo, paru en espagnol en 2015 et traduit pour ce volume, est centré sur des œuvres textuelles, picturales, photographiques et des performances féminines. Il tisse un lien entre la femme et les primitifs, dabord perçus comme des figures consubstantielles, puis transformé par un retournement primitiviste, lorsque les artistes féminines prennent elles-mêmes en charge, en tant que sujets créateurs, cette association afin de dénoncer un statut de minorité et de subalternité. Le surgissement du féminin primitiviste, dès les années 1920, a gagné sa pleine expressivité durant le siècle, au fur et à mesure que les voix féminines européennes se sont fait entendre. Cette ouverture chronologique se retrouve dans 28létude de Serge Linarès consacrée à trois écrivains « scripteurs » (Michaux, Dotremont et Blaine) dont laction première consiste à questionner les fondements de lalphabet, source de la langue écrite. Une telle démarche lie des temps – lorigine des lettres – et des espaces – celui des supports –, en confortant notre compréhension du primitivisme littéraire. Ainsi, cette notion ne constitue pas une mouvance explicite, un groupe défini, mais traverse les imaginaires et les esthétiques contestataires, spécifiquement durant le premier quart du xxe siècle. Nous associons à ces esthétiques des pratiques plus tardives, réactives à lair de leur temps, usant dautres stratégies64. Cette mobilité ouvre selon nous un registre et un lexique de profusion, signes de diverses esthétiques primitivistes liées à la mondialisation culturelle depuis lOccident.

Les ressources visuelles rattachées aux différents articles de ce volume se trouvent sur le site www.primilitt.ch.

Christine Le Quellec Cottier
et Antonio Rodriguez

Université de Lausanne

1 Voir Christian Grataloup, Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde, Paris, Armand Colin, 2011.

2 Comme la récemment montré Philippe Dagen dans Primitivismes. Une invention moderne, Paris, Gallimard, 2019 ; Primitivismes II. Une guerre moderne, Gallimard, 2020. Ces ensembles sont commentés dans des traités dépoque, tel que celui de G.-H. Luquet : LArt primitif, Paris, G. Doin et Cie, coll. « Encyclopédie scientifique », 1930.

3 Baptiste Brun, Jean Dubuffet et la besogne de lArt Brut. Critique du primitivisme, Paris, Les presses du réel, 2021, p. 16.

4 Ferdinand Brunetière a publié Évolution des genres littéraires en 1890 (Paris, Pocket, 2000). Voir à ce propos : Béatrice Grandordy, Charles Darwin et « lévolution » dans les arts plastiques de 1859 à 1914, Paris, LHarmattan, coll. « Sciences et société », 2012.

5 La formule na jamais été une auto-désignation dauteurs se reconnaissant dans un cénacle primitiviste, à Paris ou en Europe. Mais le volume collectif Primitivismes russes met en évidence que cette appellation était revendiquée par des poètes davant-garde russe (Les Primitivismes russes, Slavica Occitana, C. Gheerardyn et D. Rumeau (dir.), no 53, 2021, p. 21). Par contraste, le « Manifeste du primitivisme » paru à Toulouse en 1909 – imprégné de valeurs conservatrices et nationalistes par ses attachements à la terre et ses fondements originels – est une réaction au « Manifeste du futurisme » de Marinetti.

6 « Je crois pour tout dire que cette notion de “primitivisme” ne répond à rien sinon à une illusion doptique », lettre de Jean Dubuffet à Françoise Choay, [11 fév. 1961], Prospectus et tous écrits suivants,t. II, Paris, Gallimard, 1967, p. 335.

7 Jean-Marie Schaeffer, LExpérience esthétique, Paris, Gallimard, coll. « NRF essais », 2015.

8 Dans ce volume, principalement consacré aux pratiques en langue française, le terme « nègre », comme dans les expressions « art nègre » ou « contes nègres », a été utilisé contextuellement. Nous employons ce terme entre guillemets afin de rendre compte de la distance historique et idéologique qui nous sépare des propos dépoque.

9 Philippe Dagen, Le Peintre, le Poète, le Sauvage. Les voies du primitivisme dans lart français, Paris, Flammarion-Champs, 1998, p. 247.

10 Cité dans lintroduction du collectif Les Primitivismes russes, op. cit., p. 24. Il sagit dune référence au célèbre volume : Primitivism and Related Ideas in Antiquity, Baltimore, Johns Hopkins Press ; London, Oxford University Press, 1935.

11 Tel que W. Rubin la explicité dans son ouvrage fondateur Primitivism in 20th century art : affinity of the tribal and the modern, New York, Museum of Modern Art, Boston, 1984 ; éd. française : William Rubin, Jean-Louis Paudrat (dir.), Le Primitivisme dans lart du xxe siècle. Les artistes modernes devant lart tribal, Paris, Flammarion, 1991. Éléments discutés par Isabelle Krzywkowski dans « Le Temps et lEspace sont morts hier ». Les Années 1910-1920. Poésie et poétique de la première avant-garde, Paris, LImproviste, 2006, p. 193-214.

12 Introduction par C. Gheerardyn et D. Rumeau du collectif Les Primitivismes russes, op. cit., p. 16.

13 Benoît de LEstoile, Le Goût des autres. De lExposition coloniale aux Arts premiers, Paris, Flammarion, 2007, p. 32.

14 Philippe Descola, Les Formes du visible, Paris, Seuil, 2021, p. 630.

15 Souleymane Bachir Diagne, De langue à langue. Lhospitalité de la traduction, Paris, Albin Michel, 2022, p. 102.

16 Philippe Descola use du terme « agence » (op. cit., p. 45) en se référant à « agency » selon Alfred Gell (Art and Agency, 1998). Il spécifie la figuration aniconique par les mouvements de symétrie et inversion, de translation et de rotation.

17 À propos de la rhétorique, Dagen considère que sa pratique est tel un effet demprunt et non dobservation, donc une dégradation (op. cit., 1998, p. 91).

18 Cité par Benoît de LEstoile, ibid., p. 324.

19 Il faut dailleurs relever quaucun auteur ne maîtrise une langue parlée dans les pays colonisés et leurs lectures se font principalement à partir du français, de lallemand et de langlais. Le voyage en Afrique subsaharienne, tel quil était pratiqué en Orient au xixe siècle, nest pas une activité commune. Le peintre Emil Nolde a accompagné une expédition ethnographique en Nouvelle-Guinée (1912-1913) à louest de locéan Pacifique. Max Jacob, quant à lui, naît et passe son enfance à Quimper en Bretagne, territoire considéré comme archaïque depuis la capitale, mais il ne maîtrise pas parfaitement le breton et a certainement demandé laide dun spécialiste pour traduire vers le breton ses poèmes de La Côte, parus en 1911.

20 Jehanne Denogent,Palimpsestes africains. Le Primitivisme littéraire et les avant-gardes (Paris 1901-1924), thèse issue du projet FNS Le Primitivisme dans les avant-gardes littéraires (1898-1924), soutenue à lUniversité de Lausanne le 24 juin 2022.

21 Jean-Marc Moura, Lire lexotisme, Paris, Dunod, 1992, p. 44.

22 Anaïs Fléchet, « LExotisme comme objet dhistoire », Paris-Sorbonne, Hypothèses, 2008-1, p. 15-26 : https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2008-1-page-15.htm (consulté le 16/07/2022). Voir p. 19-20. La « Poétique du divers » de Segalen, auteur de Stèles (1912), voulant revaloriser le terme exotisme, est présentée ici comme un échec inévitable.

23 À ce propos, se référer à : Anna Boschetti, Ismes. Du réalisme au postmodernisme, Paris, CNRS éditions, 2014 ; Anthony Glinoer, La Bohème. Une figure de limaginaire social, Montréal, Presses de lUniversité de Montréal, coll. « Socius », 2018 ; Jehanne Denogent, « Portrait de famille. Les Poupées de Marie Vassilieff et le primitivisme », Les Primitivismes russes, op. cit., p. 209-224.

24 Henri Meschonnic, « Le Primitivisme vers la forme-sujet », Modernité modernité, Lagrasse, Verdier, 1988, p. 273.

25 Philippe Dagen,Primitivismes. Une invention moderne, op. cit., p. 133.

26 Comme indiqué en note de notre tableau lexical, nous reprenons le terme en usage au début du xxe siècle, en le plaçant entre guillemets pour signaler la distance avec ce mot aux connotations raciales et racistes. Lexpression « art nègre » est utilisée en 1912 dans lessai du critique André Warnod, Le vieux Montmartre, mais lexpression est proposée une première fois par F. Regnault en 1896 dont le « critère de jugement est limitation naturaliste » (Ph. Dagen, op. cit., 2019, p. 78). Il est aussi une construction occidentale. Cest en 1913 que Paul Guillaume et Guillaume Apollinaire fondent la « Société des Mélanophiles ». Voir : Dada Africa, catalogue dexposition, musée dOrsay et de lOrangerie, Paris, Hazan, 2017, p. 78.

27 Nous nous référons aux propositions de James Clifford dans Malaise dans la culture. Lethnographie, la littérature et lart au xxe siècle (trad. Marie-Anna Sichère), Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, coll. « Espaces de lart », 1996 [1988].

28 Les recherches du sociologue et anthropologue Lucien Lévy-Bruhl aboutissent en 1922 à la publication de lessai resté célèbre La Mentalité primitive, où il distingue les peuples pré-logiques et logiques.

29 Cest en 1931, lors de lexposition coloniale, que le groupe des Surréalistes prend position contre cette démonstration de force et crée une contre-exposition. Paru en 1902, Ubu Colonial, dAlfred Jarry, semble un cas rare de satire littéraire et politique, au début du siècle.

30 Edward Saïd,Orientalisme. LOrient crée par lOccident, Paris, Seuil, 1980 [1978] ; Valentin-Yves Mudimbe, LInvention de lAfrique, Gnose, philosophie et ordre de la connaissance, Paris, Présence africaine, 2021 [1988].

31 Introduction au collectif Les Primitivismes russes, op. cit., p. 9-10.

32 Voir supra linterview de S. B. Diagne. Dans son essai De langue à langue, le mouvement de transfert de forces, dû à lincorporation des objets dart africains par les artistes et lélan vital que ceux-ci ont produit dans leur « terre demprunt », est considéré comme un geste « décolonial » (op. cit. p. 102).

33 Jean-Luc Aka-Evy cite Apollinaire à propos des « objets » qui doivent être « en quelque sorte déracinés, flottants et dépouillés de leur histoire », Créativité africaine et primitivisme occidental, Paris, LHarmattan, 2018, p. 54.

34 « Le primitivisme nest pas directement présent à lexposition, sinon par quelques tableaux de Gauguin exposés dans la “rétrospective de lart colonial”, aux côtés de Matisse et Delacroix ; mais son influence y est perceptible de façon diffuse. » Benoît de LEstoile, Le Goût des Autres. De lExposition coloniale aux arts premiers, Paris, Flammarion, 2007, p. 58-59.

35 Ibid., p. 313-314.

36 Fiona McIntosh-Varjabédian (dir.), Villeneuve dAscq, Université Charles-de-Gaule – Lille 3, coll. « UL 3 Travaux et recherches », 2002. La dernière partie de louvrage est consacrée au xxe siècle, sur plusieurs aires géographiques.

37 Françoise LeBorgne, Odile Parsis-Barubé, Nathalie Vuillemin (dir.), Les Savoirs des barbares, des primitifs et des sauvages. Lectures de lAutre aux xviiie et xixe siècles, Paris, Classiques Garnier, 2018. De riches chapitres consacrés au lexique et sa portée permettent ensuite dorganiser les parties du collectif.

38 Lorientaliste Raymond Schwab cité (1936) par Benoît de LEstoile, op. cit., p. 324.

39 Paru aux Nouvelles éditions africaines à Abidjan et Lomé.

40 Le best-seller de Max Nordau, Dégénérescence, traduit de lallemand dès sa parution en 1882, associe les écrivains, par leur « hallucinations pathologiques », à un groupe dangereux et barbare.

41 Hubert Roland, « Le “primitivisme littéraire” à lheure de la modernité. Contribution à une grammaire des avant-gardes historiques », Plurilinguisme et avant-gardes, Franca Bruera et Barbara Meazzi (dir.), Bruxelles, Peter Lang, 2011, p. 385-400, p. 387. Lauteur se réfère à Joachim Schultz,Wild, irre und rein : Wörterbuch zum Primitivismus der literarischen Avantgarden in Deutschland und Frankreich zwischen 1900 und 1940, Lahn-Giessen, Anabas, 1995.

42 Les deux volumes ont paru aux éditions Gallimard.

43 Phillippe Dagen, op. cit., 2019, p. 47.

44 Ce que Dagen développe dans le chapitre « Le système du primitif », op. cit., 2019. Les primitifs sont ainsi techniquement inférieurs (le sauvage et le préhistorique), socialement limités (le paysan ou berger européen) ou encore nont pas un développement abouti (lenfant et le fou).

45 Ibid., p. 326.

46 Idem, p. 132 et 177.

47 Nicola Gessa dirigé en 2013 le collectif Literarischer Primitivismus (Berlin/Boston, De Gruyter) et vient de faire paraître : Primitive Thinking. Figuring Alterity in German Modernity (Translated by Erik Butler and Susan Solomon), Berlin,De Gruyter, 2022.

48 Dialectique marquée par les contrastes entre centre et marge, attrait et répulsion. Lauteure présente son essai dans la vidéo disponible sur notre site http://primilitt.ch/.

49 Carl Einstein, « Sur lart primitif », publié pour la première fois en français dans Carl Einstein et les primitivismes, Gradhiva, Isabelle Kalinowski et Maria Stavrinaki (dir.), Musée du quai Branly, 2011, p. 185.

50 Particulièrement berlinoise avec Huelsenbeck, Gross, Jung et Hausmann (revues Die Aktion & Revolution), selon le catalogue DadaAfrica, op. cit., p. 35.

51 Catalogue Dada Africa, op. cit., p. 35. I. Krzywkowski met aussi en évidence que Worringer « en proposant de considérer les arts byzantins et médiévaux ou non occidentaux, non comme des arts antérieurs et inférieurs, mais comme le fruit dun choix esthétique, dune approche particulière des relations de lart et du réel, celui-ci rend possible un nouveau regard sur les arts “premiers” qui, renforçant le rejet des codes de représentation réalistes amorcé par le symbolisme, accompagnant le passage dune convention fondée sur la perception visuelle à la conceptualisation, sera lun des éléments sur la voie de labstraction ». Isabelle Krzywkowski, « Le Temps et lEspace sont morts hier ». Les Années 1910-1920. Poésie et poétique de la première avant-garde, Paris, Éditions LImproviste, 2006. Le chapitre « Le primitivisme dans la poésie des avant-gardes historiques » est disponible en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00634798/document (consulté le 16/07/2022), voir p. 6-7.

52 Ibid., p. 4.

53 Ibid., p. 16.

54 Ibid., p. 13.

55 Ben Etherington,Literary Primitivism, Stanford, Stanford University Press, 2018. Cet axe anti-capitaliste est sans doute à nuancer parmi les écrivains français des années 1920, par exemple chez Apollinaire ou Cendrars au Brésil.

56 Nadejda Magnenatet Jehanne Denogent, Décoloniser le primitivisme, compte rendu du volume dEtherington, 2020 : https://www.fabula.org/lodel/acta/document12628.php (consulté le 18/07/2022).

57 Premier quart du xxe siècle où les voix colonisées nétaient pas encore entendues. Le Cahier de Césaire date de 1939.

58 Cest ce qua défendu Laura Laborie dans sa thèse intitulée Aspects du primitivisme littéraire aux xxe et xxie siècles. C. F. Ramuz, Claude Simon, Richard Millet, soutenue à luniversité de Toulouse et publié en 2023 chez Minard, Paris.

59 Ils préfigurent en cela bon nombre de constats menés en 1948 sur la rationalité instrumentale. Voir : Theodor W. Adorno, Max Horkheimer, La Dialectique de la Raison : fragments philosophiques (trad. Éliane Kaufholz-Messmer), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1974.

60 Maire-Annick Gervais-Zaninger, « Façon didiot/Face didiot chez Henri Michaux », Bêtise et idiotie(xixe-xxie siècle), Marie Dollé et Nicole Jacques-Lefèvre (dir.), Paris-Nanterre, RITM 40, 2011, p. 188 et 189. Sur les liens entre primitivisme et cinéma, voir Nadja Cohen, Les Poètes modernes et le cinéma (1910-1930), Paris, Classiques Garnier, 2013 et la thèse en cours de Nadejda Magnenat, issue de notre projet FNS et consacrée aux liens entre poésie moderniste et cinéma des premiers temps.

61 Notre site www.primilitt.ch est consacré à cette recherche FNS, et sy trouvent des ressources visuelles associées à ce volume collectif.

62 Par Jehanne Denogent, op. cit. et Nadejda Magnenat, op. cit.

63 Les résumés des contributions sont placés au terme louvrage.

64 Peut-être au risque dune usure du processus, du fait dun recyclage, comme la relevé Émilien Sermier : « [] dabord valorisé en tant que forme “sauvage” ou “barbare”, nest-il pas progressivement condamné à lusure en sinstitutionnalisant, en se “désensauvageant” et en tournant malgré lui en “pittoresque” ? », « Le Sacre du primitif. Musiques russes et imaginaires littéraires », Primitivismes littéraires, op. cit., p. 193-207, p. 206. Le volume collectif Paradoxes de lavant-garde. La modernité artistique à lépreuve de la nationalisation [Thomas Hunkeler (dir.), Paris, Classiques Garnier, 2014] offre un cadrage significatif de ces ambiguïtés, au début du siècle. Dun point de vue contemporain, le recyclage marqué dun prétendu retour aux sources est ce que dénonce avec virulence lanthropologue Jean-Loup Amselle dans son essai Rétrovolutions. Essai sur les primitivismes contemporains[Paris, Stock, 2009], en évoquant un imaginaire éculé et récupéré.