Aller au contenu

Classiques Garnier

L’écriture à rebours Michaux, Dotremont, Blaine

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Le Primitivisme des avant-gardes littéraires
  • Auteur : Linarès (Serge)
  • Résumé : La modernité poétique de langue française, jugeant le système alphabétique trop arbitraire et abstrait, se forge volontiers un imaginaire des écritures archaïques. En attestent trois cas distincts : Michaux dont l’activité graphique doit beaucoup à l’utopie d’une « préécriture pictographique » ; Dotremont croit encore aux possibilités de travailler l’alphabet au corps ; enfin, Blaine se garde de réduire la performance à l’époque contemporaine et l’arrime aux prémices de l’écriture.
  • Pages : 263 à 285
  • Collection : Rencontres, n° 595
  • Série : Littérature des xxe et xxie siècles, n° 46
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406151203
  • ISBN : 978-2-406-15120-3
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15120-3.p.0263
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 20/09/2023
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Alphabet, calligraphie, écriture, geste, idéogramme, performance
263

Lécriture à rebours

Michaux, Dotremont, Blaine

On sait combien lexemple de Gauguin, parti pour Tahiti, puis pour les Marquises se retremper aux sources vives de peuples en sursis, soumis à une occidentalisation rampante, mais alors incomplète, entraîna à sa suite une chaîne dinfluences sur lEurope des arts. Dans le domaine des lettres, les tableaux et les textes du peintre provoquèrent une fièvre contagieuse, affectant des personnalités aussi éloignées poétiquement et géographiquement que Segalen en France ou Ball en Allemagne. Informé de la présence de Gauguin en Polynésie par Remy de Gourmont ou encore Saint-Pol-Roux, Segalen consulte sur place les archives de lartiste dès après sa mort en 1903, visite sa case à Hiva-Oa, rencontre les témoins de sa vie, acquiert certaines de ses productions. Depuis lexposition de Weimar en 1905 et la publication de la monographie de Jean de Rotonchamp à cette occasion, lœuvre de Gauguin voit son retentissement croître dans les milieux davant-garde germaniques. Selon Giovanni Lista, le terme « dada », promis à la désignation du mouvement de 1916, pourrait trouver son origine dans une citation de Gauguin donnée par Rotonchamp dans son essai, une décennie plus tôt1. Le même Lista range Ball au nombre des lecteurs fervents de Gauguin, dont le fac-similé du manuscrit autographe dAvant et Après est publié à Munich en 1914. En tout cas, lascendant du peintre détermine assurément le caractère océanien du primitivisme plastique de peintres comme Heckel, Kirchner et Nolde. Et il jouit dune incontestable autorité sur les sensibilités de poètes – de Ball à Hausmann – en litige avec lévolution contre-nature de la modernité industrielle et urbaine.

Cela dit, il est une limite à cette modélisation de lœuvre de Gauguin. À notre connaissance, il nest pas tenu compte dune de ses leçons : sa fascination pour lécriture polynésienne la plus ancienne. Et pour cause ! 264Le portrait intitulé Merahi metua no Tehamana (1893), dont la partie supérieure est ornée de glyphes dorés quinspirèrent des tablettes découvertes sur lîle de Pâques en 1864 et présentées à lExposition Universelle de 1889, fut très peu exposé au tournant des deux derniers siècles2 : en 1893 à la Galerie Durand-Ruel, en 1895 à lHôtel Drouot, en 1901 à la Société des Beaux-Arts de Béziers. On peut déplorer ce rendez-vous manqué avec la postérité, laquelle aurait pu sinstruire de lattirance de Gauguin pour les vestiges dune écriture originelle et prospecter dans son sillage les possibilités dun primitivisme scriptural. En vérité, ce rendez-vous aurait-il alors été fructueux ? Dans leurs rapports aux signes linguistiques, nombre davant-gardes historiques donnèrent la priorité aux recherches phoniques. Ainsi, lors de la « soirée expressionniste » du 12 mai 1915 au Harmoniumsaal de Berlin, Huelsenbeck déclame des « poèmes nègres » dont chaque vers est ponctué de la tonitruante formule : « Umba ! Umba3 ! ». Du côté des futuristes italiens, le travail sur la matérialité de lécrit privilégie la notation alphabétique, qui vise à représenter les sons dune langue. Dans un manifeste traitant de lAlphabet à surprise de Cangiullo (1916), Marinetti tient notre mode décriture pour absolu : « Lalphabet contient aujourdhui toutes les significations, tous les symboles, tous les rapports spirituels, toutes les sensibilités artistiques et toutes les idéologies que de nombreux siècles de pensée humaine y ont condensées4. » En définitive, lexploitation figurale de la lettre pratiquée par Cangiullo ne conteste nullement lattribution, alors courante, dune supériorité à lalphabet occidental sur tout autre système. Dans ce type dexpérimentations, le phonétisme saccommode sans mal dune plasticité littérale qui nébranle pas fondamentalement ses fonctions verbales et qui en consacre même la prétendue suprématie culturelle.

Il en va tout autrement avec un poète comme Michaux qui, des années plus tard, aspire à une échappée hors de la sphère de pensée dont il a hérité. Pas plus que ses prédécesseurs, il na connaissance du tableau de Gauguin – peintre pour lequel aucune de ses publications ne 265témoigne, dailleurs, dintérêt tangible. Mais, sa vie durant, il poursuit une aventure ontologique qui le conduit sans cesse à tenter des sorties hors du carcan linguistique, dont le caractère rationnel et désincarné le rebute. Le fait est que sa quête existentielle lentraîne à élaborer un imaginaire des écritures archaïques à contrevoie des attributs de lalphabet, et à en nourrir un univers de graphismes délibérément privés darticulation vocale. Il nen faudrait pas conclure que le goût pour les écritures venues du fond des âges va forcément de pair avec une totale désaffection pour lalphabet. On en veut pour preuve le cas de Dotremont, dont lintérêt pour les langues les plus datées nentre pas en conflit ouvert avec la conversion phonétique du français. Son itinéraire poétique est jalonné de manifestations de curiosité pour les traditions idéogrammatiques comme pour les transcriptions alphabétiques ; il débouche sur des essais toujours recommencés dexpressivité calligraphique qui repoussent les limites du prononçable. Lexercice de la performance, dont on connaît la filiation dadaïste, serait-il contraire à linclination pour les prémices de lécriture ? Julien Blaine apporte un démenti à cette conclusion. Sa sollicitation des ressources de lorganique et du pulsionnel ne fait pas léconomie dune archéologie du signifiant visuel. Blaine entend marier dicible et scriptible sur lautel du primitivisme. Plus généralement, à travers ces trois exemples, il sagira de montrer quil arrive à la poésie moderne sous ses formes graphiques, calligraphiques ou performées déprouver les capacités matérielles du signe et du geste en se ménageant un arrière-plan rétrospectif, constitué dun réseau de sources matricielles.

Michaux ou la pictographie gestuelle

Jamais entamée au fil de ses voyages et de ses expériences, lobsession de Michaux pour les démonstrations doralité linguistique aurait dû, en bonne logique, le prédisposer à célébrer lalphabet, dont la figuration phonématique constitue la visée fonctionnelle. Dans Un barbare en Asie (1933), il juge très volontiers des langues sur leurs acoustiques – depuis le malayalam ou le tamoul du sud de lInde jusquau javanais, en passant 266par le cinghalais et le japonais5. En pleine maturité créatrice, il soumet le lexique et la syntaxe dun poème comme « Iniji » aux combinatoires sonores : « Si tu vas Nje / Nja va da / Si tu ne njas / njara ra pas6 ». Dailleurs, la tentation dune vocalité préverbale, proche du babil le plus élémentaire, saccommode ici dun régime décriture capable de visualiser la parole ; elle en vérifie lefficacité grâce à la restitution graphique de néologismes à portée phonique, plus que sémantique. Il nen demeure pas moins que Michaux met lalphabet en procès. La raison politique nest pas à exclure. Lalphabet, en tant que système scriptural en usage parmi les puissances occidentales, peut apparaître comme le bras armé de leurs entreprises colonisatrices. Dès Ecuador (1929), Michaux professe son dégoût de « la civilisation moderne, leuropéenne7 », et dans Un barbare en Asie, il oppose volontiers lHindou à lOccidental ou à lAnglais au détriment de ces derniers8. Encore convient-il de nuancer : cest à lalphabet latin que sen prend le poète. Pour preuve, il nest pas avare de compliments pour les langues orientales usant de syllabaires, telles que le sanscrit9. Il est aussi une cause ontologique à la mise en accusation de lalphabet. À lautre extrémité de lœuvre, dans Par des traits (1984), la diatribe de Michaux contre les langues constituées réserve un sort particulièrement rude au code abécédaire, dont il fait le « stade final de labstrait » et le lieu dexercice « du pouvoir déliminer la réalité et le concret10 ». La transcription phonographique est, à ses yeux, le point daboutissement dune démarche rationaliste, rompant tout lien avec le monde comme avec le palpable et, par là, privant lhomme de naturel comme de liberté.

Toutefois, Michaux na pas la naïveté de croire en la totale négativité de la médiation alphabétique. Dans un poème en prose dÉpreuves, exorcismes (1945), il relate sa vision des « approches de la mort » et, au plus fort de son éloignement du monde des vivants, ne parvient à conserver deux quun semblant de lettres dessinées : « Ils samenuisèrent et se 267trouvèrent réduits à une sorte dalphabet, mais à un alphabet qui eût pu servir dans lautre monde, dans nimporte quel monde11. » Menacé par la perte de son univers, Michaux envisage son système de signes le plus familier comme un recours : les caractères, non contents de devenir les traces ultimes dune réalité en voie danéantissement, se changent en instruments potentiels de communication absolue au point dêtre les porteurs dun espoir dexpression pleine et entière. Les illustrations accompagnant le texte dans Peintures et dessins (1946) en concrétiseront les contours sous la forme de caractères anthropomorphes ou zoomorphes, logés dans des cases qui paraissent organiser une sorte de casse calligraphique à disposition de la plume12. Quoi quil soit, la mélancolie du poète dans ces lignes, en tant que symptôme dun fantasme de complétude, trahit la persistance de ses ambitions de totalité à légard du langage écrit. Son récit de cauchemar laisse poindre un rêve de graphie absolue. Aussi convient-il de regarder sa critique de lalphabet comme le pendant dune déception à lendroit des emplois et des possibilités réservés aux graphèmes existants, et de considérer sa recherche de systèmes de substitution – supposés ou réels – comme le double effet dune résistance à la désillusion linguistique et dune incapacité au renoncement littéraire.

Tel est bien le fond sur lequel senlève la problématique du primitivisme scriptural chez Michaux. Le deuil de sa croyance dans les capacités de lalphabet latin ne vaut pas pour renoncement à son idéal de plénitude langagière, quil déporte du côté des écritures inventées ou originelles. Cest ainsi quen envisageant, dans un album graphique de lannée 1942, les « arbres des Tropiques » comme une forêt de signes, il ne se livre pas à une simple projection métaphorique de son mode dexpression, mais donne corps à sa chimère de graphie végétale, enracinée dans la terre nourricière, au cœur du milieu matriciel. Le texte de présentation des dessins conçoit les arbres exotiques comme des orateurs, des mystiques ou des prophètes à la parole exaltée (« arbres au style naturellement dramatique et déclamatoire. / Arbre blasphémateur. Arbre après la transe. [] / Arbre hurleur, tripes dehors, tripes de la lamentation13. »), et leur anthropomorphisation culmine avec lidentification au mouvement 268corporel (« Il faut voir larbre à part, son geste. Il est tout geste14. »), soit avec le rêve dun système verbal complètement incarné. Lorsque les signes sont animalisés, par exemple convertis en esquisses doiseaux pour dhypothétiques augures, ils se résorbent dans une parfaite indicialité. Ainsi, au terme du « Portrait des Meidosems », quillustre la lithographie dune nuée dindéchiffrables tracés15 : « Des ailes sans têtes, sans oiseaux, des ailes pures de tout corps volent vers un ciel solaire [] qui lutte fort pour le resplendissement, trouant son chemin dans lempyrée comme un obus de future félicité16. » Comment mieux dévoiler son espérance dune écriture organique et spontanée quà travers cette vision dune aurore de signifiants se détachant avec énergie de la page blanche, transfigurée par limage dune voûte céleste en cours dillumination ?

Cette mystique du signe, voilée de nostalgie, parfois de dépit, oriente à tel point la pensée de Michaux quelle donne lieu à une spéculation sur les fondements de la parole et de la graphie. Lessai conclusif de Par des traits cède à limagination de leur genèse, à la faveur dun récit des origines monté de toutes pièces par Michaux pour la satisfaction de son tropisme scriptural :

On ne rencontre pas de langues inachevées – à moitié faites, abandonnées à mi-parcours (ou bien avant).

Combien pourtant il a dû y en avoir, laissées en arrière, des avant-langues, à jamais inconnues. Commencements don ne savait quoi encore, distractions dun moment… loisirs de la chasse pendant les heures dattente, jeux quand les mondes comptables nétaient pas nés.

… des jeux où plus tard sintroduisirent les hommes portés à lordre, du type dirigeant, futurs organisateurs de la planète [].

Le passager, le surprenant du spontané, du momentané, allait disparaître, éliminé. []

Les menottes des mots ne se relâcheront plus.

Nulle part elles ne manquent []. Toutes arrêtent, chacune en son genre semparant du monde. Il faut que tout devienne tissu, leur tissu, que larbre devienne tissu, que la brise passagère, que le lointain aussi bien que le proche devienne tissu, et loiseau en plein vol, et lâme bousculée et le sang lui-même, que le sang qui coule devienne tissu et ennui et esclavage et chose commune, quelconque, monotone17.

269

Outre quelle blâme ouvertement la communication verbale, la fiction proto-linguistique de ces lignes fustige en creux la naissance du texte en jouant sur létymologie latine textus (« trame ») et en évoquant larbre et loiseau, éléments du paysage assimilables, comme on a vu, à des signes pré-sémantiques par anticipation. À laune dune pareille utopie rétrospective, tous les systèmes décriture sont jugés antinaturels et liberticides, même si les plus archaïques présentent le mérite dune antériorité historique qui leur épargne la sophistication. De façon significative, Michaux préfère considérer le vieux perse, plutôt que le sumérien, comme « le langage clef18 » qui, en dépit de son usage du cunéiforme, aurait arrêté toute progression de lhumanité, sans doute parce que ce dialecte, devenu la norme de lEmpire achéménide par décision du roi Darius Ier, est venu sceller lunion de lautoritarisme politique et de larbitraire linguistique.

Selon les étapes de son histoire, le chinois fait aussi lobjet de niveaux destime différenciés dans lessai tardif de Michaux sur les idéogrammes. Les caractères les plus anciens entraînent davantage son adhésion que les suivants, moins conformes au monde dont ils fournissent lécho énonciatif. Leur « lisibilité primitive » reposait sur leur capacité à « montr[er] plutôt que choses, corps ou matières, montr[er] des groupes, des ensembles, expos[er] des situations19 ». Par la suite, ces « archaïques caractères qui émouvaient le cœur20 », « penchés sur la réalité21 » dans toute son étendue, subirent, selon Michaux, lassaut confiscatoire des mandarins dont les intentions élitistes affectèrent leur naturalité en augmentant leur degré dabstraction. Comme pour le cunéiforme, laction de la classe dirigeante se montre fatale, dans lesprit de Michaux, à la survie dun rapport de motivation entre le donné et son commentaire. Et ce serait, dans un troisième temps, la redécouverte de ces « caractères dautrefois22 » sur les monuments, les vases et les « os divinatoires23 » des époques reculées qui aurait irrigué la pratique de la calligraphie et, ce faisant, redonné de lélan à lincarnation des signes. En tout cas, la racine pictographique des 270idéogrammes chinois (comme des hiéroglyphes égyptiens), si éloignée soit-elle de ses dérivés idéographiques, suffit à susciter chez Michaux un retour de croyance dans les vertus de la graphie. Et le poète de lâcher la bride à son lyrisme, plusieurs vers durant, malgré la dominante de prose de son essai dès quil est question du tracé artistique des caractères24.

Sa production plastique ne saurait, dans ces conditions, se regarder déliée dun espoir décriture régressive. Perplexe quant aux possibilités calligraphiques de lalphabet, Michaux entend explorer le champ strictement visuel, nullement verbal, des « mouvements » et des « gestes25 ». Il cherche à saisir les rythmes de son « être fluidique26 », en deçà de son identité parlante, ce qui se solde par des tentatives pour renouer avec la sensation et limpulsion dun tracé sans visée énonciative, doté, à la rigueur, dune intention figurale. Comme il le déclare lui-même, il escompte former des « [s]ignes / [] / non darchives et de dictionnaire du savoir / mais de torsion, de violence, de bousculement / mais denvie cinétique », des « [s]ignes surtout pour retirer son être du piège de la langue des autres », des « [s]ignes pour retrouver le don des langues27 ». Son horizon demeure lécriture, mais une écriture qui, nétant pas attestée ni abstraite, proposerait, selon son mot, une « image mimique28 », une sorte de pictographie gestuelle29. Certes, la peinture offrirait, à ses yeux, un périmètre plus accueillant au « primitif », au « primordial », « nétant point partie dun langage organisé, codifié, hiérarchisé30 ». Et Michaux ne manqua pas den sonder les facultés émancipatrices dans le pan le plus coloré et le moins délinéé de son œuvre plastique. Mais il sobstina, tout au long de sa carrière de dessinateur, à user du trait noir – dans Mouvements (1951), Parcours (1967), Par la voie des rythmes (1974), Saisir (1979) comme dans Par des traits (1984). Cest bien que jamais il ne se résolut à délaisser le geste dinscription, quitte à donner à son public 271le spectacle répétitif, voire compulsif de « [l]ignes, seulement lignes », réinventant une « écriture » « [d]aucune langue » « [s]ans appartenance, sans filiation31 », cest-à-dire aussi primaire quimaginaire.

Dotremont, ou lidéographie alphabétique

À la différence de Michaux, Dotremont renonce à la pratique exclusive des arts plastiques après quelques essais ponctuels et infructueux32. Sil se montre plein dinitiative et dallant lors de collaborations avec des peintres – par exemple durant lexécution de peintures-mots dès 1948 avec Asger Jorn ou encore, peu avant son décès en 1979, avec Michel Mineur – cest bien que son action graphique porte sur lalphabet et, respectant les prérogatives des partenaires successifs, sait se tenir aux confins du lisible et du visible. Reste que le maintien dans lexpression littéraire et le système phonographique se fait au prix dune démarche involutive, censée favoriser lépanouissement gestuel du sujet lyrique. Linvention du logogramme en 1962 – sorte de calligraphie automatique dun texte soumis aux associations de hasard et dimagination comme aux impulsions de la main et aux états du papier – résulte dune hostilité à limprimé et dun retour au manuscrit. Pour Dotremont, ériger lautographe en finalité absolue de lœuvre littéraire, non plus en état transitoire avant composition et reliure, est un acte assumé de régression technologique. Dès 1950, il confie son sentiment dêtre nié dans son corps et dans sa sensibilité par la mise au net, puis par lédition de ses textes :

Imprimée, ma phrase est comme le plan dune ville ; les buissons, les arbres, les objets, moi-même nous avons disparu. Déjà lorsque je la recopie, et me fais ainsi contrefacteur de mon écriture naturelle, elle a perdu son éclat touffu ; ma main est devenue quelque chose comme le bras dun pick-up ; []33.

272

Une fois acquise la maîtrise de son langage manuel, Dotremont attente volontiers à la typographie dans certains logogrammes improvisés sur des journaux. Un périodique finlandais de lannée 1965 sert ainsi de support à la rédaction sur le vif dun poème à trois temps qui, non content de jouer sur les déclinaisons visuelles de la lettre A (A, Æ, Ä) pour inaugurer chacune de ses divisions sur une singularité optique, donne le spectacle dune déstructuration complète de sa graphie34. Deux états chronologiques de lécriture sont ici confrontés au profit du plus ancien. Contre toute logique de consécution historique, les cursives tracées à la craie noire, par leur aspect conquérant, remisent limprimé à larrière-plan et soffrent comme un avenir pour la représentation rétinienne de la parole. En 1971, ce nest pas sans esprit de provocation joyeuse que Dotremont fait paraître Typographismes I, un catalogue de caractères pour « imprimerie imaginaire », dont lutilité professionnelle reste pour le moins sujette à caution : tout y est donné en reproduction de manuscrit.

Au fil de son parcours créatif, Dotremont se propose de vivre une autre forme de rétrogradation, fût-elle plus fantasmée que fondée. Historiographe de lui-même, il fait le récit de sa révélation de liconicité des lettres latines dans le numéro dautomne 1950 de la revue Cobra. Une erreur de manipulation dun brouillon autographe laurait conduit à regarder une de ses phrases par transparence, à lenvers et à la verticale :

Je maperçus alors que sans le savoir, puisque je lavais tracée horizontalement, javais « écrit » une phrase fort mystérieuse, où dominaient les caractères chinois, mongols peut-être, arabes aussi (mais si lon va de gauche à droite au lieu daller de haut en bas) [] je me trouvais au-delà de ma propre écriture ; et jeus limpression davoir été, en traçant quelques mots de français, le scribe aveugle dun écrivain que je ne connaissais pas encore ; un médium ignorant de son pouvoir. []

Je maperçus dailleurs en « lisant » avec la même méthode tout mon manuscrit ou presque, puis dautres de mes manuscrits, que jécrivais toujours chinois []35.

La valeur fondatrice de ce moment pour Dotremont réside moins dans lorientalisation de lécriture – évoquée au demeurant avec une distance 273humoristique – que dans lémergence dune forme didéographie au sein du système alphabétique. Dotremont sait-il alors que lalphabet grec était, pour partie et par ricochet, issu de certains hiéroglyphes empruntés à légyptien antique par son modèle phénicien ? En tout cas, il ne se résout pas à lemploi de signes qui transcriraient exclusivement des unités phonétiques jusquà larbitraire, et il entend y injecter un peu du fonctionnement des idéogrammes, qui bénéficient à la fois de lantériorité historique et de la capacité à nouer un rapport de proximité mimétique ou conceptuelle avec le monde. Soustrait à la tentation pictographique dont Michaux nest pas exempt, le logogramme alphabétique de Dotremont se rapproche, sans sy confondre, de lidéographie de deux façons. Tout dabord, il revêt en amont une dimension calligraphique par où transite la gestuelle du scripteur comme dans les traditions extrême-orientales, même si sa portée représentative se borne à relayer sur le papier la dynamique physique et impressive de la subjectivité en action. Ensuite, il dispose en aval dune apparence idéogrammatique qui, sans être vérifiable dans le contenu, nen demeure pas moins suggestive pour le récepteur, du moins à la première vision. Gageons que Dotremont espère de son lecteur que face à ses productions au pinceau, il soit porté à connaître le déplacement historique et lexotisme linguistique dont il se dit lobjet devant des « textes égyptiens, ou chinois » indéchiffrables : « Je les comprends, en fait : lorsque je “lis” une page décriture chinoise, je suis dans les rues de Pékin36 ».

Le choix du terme « logogramme » pour désigner ses démonstrations dencre est, de la part de Dotremont, un abus de langage. Aucun des caractères tracés ne contient à lui seul une notion ou un lemme comme dans lécriture idéographique. Encore Dotremont prend-il soin demployer le mot au singulier pour chaque réalisation. Il dénomme ainsi un ensemble, et non ses composantes isolées, comme pour donner momentanément le change sur sa nature linguistique. Il lui confère, par là, un horizon extra-occidental de pure hypothèse qui fait, comme on la vu, travailler limagination, ainsi quun ancrage archéologique des plus reculés, qui lui suppose une filiation pré-alphabétique. Car le logogramme est lapanage des modes décriture les plus anciens, depuis les hiéroglyphes jusquaux sinogrammes. Pour autant, Dotremont se 274nourrit aussi dexemples ancestraux liés à linscription phonographique. Peu après lexécution des premiers logogrammes à lencre de Chine, il apprend des rudiments « de langue et décriture gaéliques37 » à Dublin, intéressé par létrangeté graphique de glyphes connus pour adorner de somptueux manuscrits médiévaux. Nétant pas dextraction latine, lalphabet runique ouvre davantage les écluses de son inspiration. Son unique roman, La Pierre et lOreiller (1955), procure un champ daction notable à ce système disparu auquel il a été initié par Raoul Ubac et quil associe à la femme aimée, la Danoise Bente Wittenburg (Ulla dans le livre), native du pays où se trouvent conservées les plus anciennes inscriptions. Une pierre runique devient ainsi le centre magnétique de la passion du narrateur pour Ulla, qui le rejoint au Danemark à compter du chapitre xii. Dès le suivant, un inquiétant rituel de séparation entre les amants sachève aux abords du vestige, qui apparaît comme un point de stabilité : « Nous nous disions au revoir ou adieu tous les jours. Jemportais cet au revoir à travers la ville aux maisons basses, je mappliquais à garder allumée le plus longtemps possible la cigarette allumée encore chez Ulla, je ne la jetais quen vue de la pierre runique38 ». À croire que cette pierre, première dans le titre de louvrage, aimante et oriente les agissements du narrateur qui lui prête obscurément le pouvoir de désamorcer son destin, voué à la catastrophe.

Dans la plaquette intitulée Fagnes (1958), il est un passage où la pierre écrite, recueillant « le texte définitif », concentre le monde dont elle fournit le discours et la représentation : « [] la pierre est la saga dun village / dherbes dinsectes de brins / [] le ciel est lagrandissement / de la pierre et son éparpillement39 ». Cette pierre, dont on peut supposer par association didées avec le roman quelle est chiffrée dinscriptions runiques, captiverait-elle à ce point le poète si elle nétait le témoignage des temps archaïques ? Le recueil se clôt sur lalliance fantasmatique de la préhistoire et de lhistoire40. Et le roman prétend que « [l]homme moderne cherche une pierre préhistorique où poser la tête » et que « Paris 275est tout entier hostile à lhomme préhistorique qui se lève déjà des ruines de lhistoire41 ». Moyennant une distorsion paradoxale de la notion de « préhistoire », période précédant lapparition de lécriture, Dotremont appelle de ses vœux un renouvellement de lhumanisme au sortir des horreurs de la guerre qui passerait par la réconciliation avec notre passé primitif, notamment par le moyen du tracé scriptural, antérieur à lâge de notre civilisation technicienne. Cest précisément le thème dun de ses derniers logogrammes, qui joint le geste calligraphique à la parole idéaliste. En voici quelques extraits significatifs :

Ô Préhistoire, bonjour, notre utopie te réveille, doit te réveiller [] pour rêver à plus de réel [] notre utopie ne peut pas être [] retour trop rêveur à toi, recommencement illusoire de toi, ô préhistoire. [] mais notre utopie a besoin de quelque chose de toi qui nest plus, de quelque chose de nous qui était chez toi comme elle a besoin même de quelque chose qui na pas encore été [] ô préhistoire que notre utopie doit réveiller pour ne pas être seulement une perspective écrasée du [réel] daujourdhui dans une planification floue davenir, pour ne pas être seulement une perspective, mais un rythme surprenant de toutes fraîcheurs et chaleurs du temps42.

Contre la tyrannie aliénante de limmédiat, Dotremont préconise à ses contemporains de se ressaisir de lentièreté historique de laventure humaine depuis les origines et, conjuguant rétrospection, actualité et prospective, de connaître lépiphanie du vivant en pensée comme en expérience. Lapparence de ce logogramme de 2,18 m sur 1,81 m, démesuré, touffu, à la fois fluide et syncopé, sen veut lillustration en acte. Prêchant dexemple, il montre une pensée en instance de formation et de formulation, qui spécule sur labolition sensible du temps tout en réinventant graphie et syntaxe sous les effets réunis du regard et du geste.

Lecteur assidu de lHistoire de lécriture de James Février43, Dotremont fut sans doute marqué par deux passages en phase avec ses conceptions. 276Lun rappelle que la pyroscapulomancie (la lecture divinatoire des écailles de tortue) présida à la naissance de lécriture chinoise44. Acteur décisif de linvention, le support naturel pouvait servir à confirmer la validité de la « notion de matière imageante, [] et non seulement imaginée45 », développée par Gaston Bachelard, un des maîtres déclarés de Dotremont. Lautre moment de létude à faire son effet sur le poète fut assurément la partie de lintroduction qui attribuait à la préhistoire les débuts, très embryonnaires, de la lecture : les empreintes des animaux dans la neige auraient fait des chasseurs magdaléniens les premiers déchiffreurs de signes. Comment Dotremont naurait-il pas été ému par une hypothèse qui le confortait dans sa fascination pour les espaces enneigés et pour leur pouvoir de révélation ? Car il ne concevait le logogramme quen rapport direct ou remémoré avec le paysage lapon, découvert durant lhiver 1956-1957 et parcouru, onze autres fois, jusquen 197846. Son inclusion participative à ce territoire septentrional consista alors à exécuter des logoneiges et des logoglaces, soit des écritures à même le sol, bâton en main. À son retour, il pouvait, disait-il, « avoir le sentiment », en traçant un logogramme, « dêtre un Lapon en traîneau rapide sur la page blanche, et de saluer la nature comme au passage, par la forme même de [s]on cri ou de [s]on chant ou des deux tout ensemble47 ». Son attrait pour le primitif, à la source de ses calligraphies spontanées, était donc fondé sur un effort de régression temporelle aussi bien que sur une expérience dimmersion spatiale, dont il ne se lassa pas, jusquà la mort, de relancer lintensité, séjour après séjour, tracé après tracé.

277

Blaine, ou la phonographie réincarnée

Blaine, quant à lui, ne bannit pas de son œuvre la question de linscription des signes. Sa pratique de la performance entre 1962 et 2005 ne chasse pas de son esprit les réalités de lalphabet, quil na de cesse dinterroger et de réviser. Blaine est redevable à la typographie expressive de sa relation scopique à lécriture. Auteur dun Cours minimal sur la poésie contemporaine en 2009, il y réserve une place centrale aux recherches avant-gardistes sur la plasticité des caractères. Si le trajet de cet ouvrage débouche sur la poésie de performance, dont Blaine se veut un des principaux acteurs, il prend pour point de départ les propositions de Mallarmé (du Coup de dés au projet du Livre) et na de cesse de jalonner dexpérimentations typographiques le récit de la geste des pionniers, quil évoque les mouvements futuristes et dadaïstes, ou des individualités comme Pierre Albert-Birot et Michel Leiris. Reproduire certaines notes du Livre mallarméen permet demblée de suggérer et de légitimer la convergence entre présentation textuelle et représentation scénique de la poésie48. Dans les deux cas, il y a sollicitation du volet palpable des signes et, ce faisant, ramification sensible de leur compréhension sémantique. En outre, Blaine tend à mettre laccent sur limage lorsquil évoque linvention de lalphabet, à la traverse du phonocentrisme dominant49. Dans un des 13427 Poèmes métaphysiques, lassociation des préfixes « idéo », « photo », « picto » et du radical « gramme », puis leur convergence commune vers le terme « Écriture50 » apportent la démonstration du caractère visuel de la transcription, quitte à mobiliser, de façon anachronique, le langage propre au cinéma. Voilà qui insinue déjà une dimension spectaculaire dans la genèse de lacte décrire, et favorise la circulation du poème entre le papier et la scène. De même, dans le poème « Photographie », 278la référence à loralité (« Vocalises-tu51 ? ») va de pair avec lexpressivité de la typographie et le rappel de létymologie du titre (« écriture de la lumière »), comme si lapparition de la lettre était plus un phénomène optique que phonique. Haptique aussi, car il arrive à Blaine de se montrer sensible à la progressivité de la manuscription. L« itinéraire », mentionné dans un de ses poèmes métaphysiques, renvoie ainsi au tracé du point-virgule, reproduit au cœur de la composition52.

Toutefois, Blaine ne considère pas lalphabet comme un horizon unique et indépassable pour la poésie. Parmi les « moments forts de lavant-garde53 » signalés dans son cours, il reproduit sous une forme typographique lUrsonate de Kurt Schwitters, partition de « sons primitifs54 », tout en lassortissant dun extrait de la préface où lauteur pointe les insuffisances de la transposition phonographique (« Naturellement, lutilisation courante des lettres de lancien alphabet romain ne peut donner quune indication très incomplète de la Sonata parlée »). Aussi Blaine met-il parfois tous ses soins à reprendre à neuf le système alphabétique, à se saisir par limagination de la démarche qui le fit naître. Désireux dincarner lécriture, il se propose, dans un opuscule aux allures dalbum, de « repren[dre]la ponctuation à zéro55 », soit de sapproprier par la plume la genèse des ponctèmes (point, point dexclamation, point dinterrogation ou point-virgule, quitte à en inventer tels le « point dironie » et le « point de poésie »). À la lecture dun tel fascicule, le lecteur a le sentiment dassister à la germination de signes à partir dun point matriciel. Si lon en croit Cheng Yao-tien, que cite Isabelle Maunet dans sa postface au recueil Bimot, « poser un point » (comme poser un mot) en peinture chinoise, « cest semer un grain : celui-ci doit pousser et devenir56 ».

De fait, lorsque Blaine est amené à calligraphier en public, il se réclame du Qi, cette philosophie chinoise de lénergie vitale, dont le 279souffle universel traverserait lanimé et linanimé et dont toute matière serait la condensation. Son primitivisme nest pas alors culturel, étant inspiré par une tradition de haute époque, mais ontologique. Il sen explique dans un entretien avec Agnès Olive :

Cest une discipline chinoise où tu te mets en suroxygénation. Tu respires tellement que tu es plein doxygène, et au bout dun moment tu as tellement doxygène dans le sang que tu perds un peu la tronche… Et là, je pousse un cri et en même temps je fais une trace, une espèce décriture, le noyau de lécriture, le plus sec et le plus pur, le plus radical, comme ça sur une toile57 !

La finalité de Blaine nest pas alors de délivrer un texte lisible58, ni même un mot identifiable, mais déprouver de la jubilation à rapporter laction décrire à la dynamique du corps, mais de vivre la joie physique dune inscription rythmée qui ébranle la conscience de lêtre, devenu sur linstant à la fois même et différent. Lillisibilité de ses Chi ne les prive pas de toute filiation avec lécriture, dont ils conservent, sinon la visée référentielle, du moins la portée indicielle.

Cependant, il convient de ne pas étendre à toute lœuvre de Blaine linfluence chinoise. Dans son Cours minimal sur la poésie contemporaine, il évoque bien le Qi à propos des poètes Tang59, mais il multiplie les modélisations possibles de sa pratique poétique avec le rappel des oracles de la Pythie, des croyances des Indiens Hopis et Zuñis comme de la religion des Bamiléké60. Balançant entre primitivisme et exotisme sans démarcation toujours nette, il dresse linventaire du « patrimoine de la poésie en chair et en os61 » dans le temps le plus long et lespace le plus large. Quand il y intègre « la spiritualité des Bamileke » du Cameroun (mais ce pourrait être, selon les « penchants » de chacun « telle ou telle autre culture africaine première naturelle62 », elle aussi frappée de plein fouet par la colonisation européenne), il en traduit la conception cosmogonique dans un poème aux consonances rituelles à dessein de 280changer notre rapport au monde, de le rendre, non pas religieux, mais moins conceptuel et plus réceptif à laltérité comme à la nature63. Toute son entreprise dans cet ouvrage à vocation plus militante que réellement pédagogique consiste à raccorder les recherches avant-gardistes avec les civilisations premières ou menacées, au risque demprunter les voies de la téléologie et de lépique, nétaient les traits dhumour. Blaine a ainsi beau jeu de rappeler le goût de Marcel Duchamp pour les poupées amérindiennes des Pueblos dAmérique du Nord avant de faire des ready-mades des « Kachinas modernes et occidentales64 ». Dailleurs, il ne recule devant aucun transfert culturel dès quil sagit desquisser une anthropologie des religions polythéistes et dopérer leur rapprochement avec la création expérimentale. Il établit, par exemple, un schéma déquivalences entre « la mythologie delphique » et la philosophie chinoise, en associant « CHI », « PNEUMA », « TANG » et « PYTHIE65 », après avoir reproduit le texte de sa performance La Pythie claustrophobe (1969).

Ce comparatisme décomplexé vise, somme toute, à « RE-fabriquer notre mémoire réduite en cendres par les chiens de Dieu66 », comprendre les suppôts des différents monothéismes, coupables davoir liquidé, avec les paganismes, toute possibilité déchapper à lanthropocentrisme et au dualisme. Blaine na pas de mots trop durs à lencontre du christianisme, quil accuse davoir causé un « génocide67 » sur les Indiens mais également, à compter de lInquisition, sur les traditions ésotériques de lOccident médiéval. En 1965, il pousse lattaque contre les « sectes monothéistes juives, chrétiennes et musulmanes68 » jusquà publier dans un périodique Le Livre, faux récit des origines qui prétend faire pièce aux religions abrahamiques. En filigrane, celles-ci sont rappelés à leur finitude et à leur cruauté, car elles trouvent un équivalent dans cette prétendue croyance qui se serait éteinte après six millénaires de dogmes et de crimes, et qui reposerait sur la résurrection de cadavres 281à des fins belliqueuses. Si lesprit de ce texte mythologique hésite entre pastiche et parodie, il connaît une réalisation éditoriale qui en magnifie les versets avec le concours dencadrés et de blancs, en dépit dun format réduit. Le passage dune parution en revue69 à une mise en livre en 2019 permet au titre, par un effet de réflexivité, de renvoyer à son état douvrage imprimé, prédisposant le lecteur à la fétichisation de lobjet. Du reste, l« avertissement » nous invite à ne pas prendre cette « bible70 » nouvelle à la lettre, mais à privilégier une approche sélective, morale et esthétique, inaccessible aux aveuglements de la piété : « Lisez Le Livre (“Je sors de là”) mais ne prenez à votre profit que ce que vous estimez juste et beau71. » En sous-main, lécriture se voit aussi célébrée : elle naît dun rapport magique à la nature, à savoir de la lecture dune écorce parcourue de sillons72, et saccompagne de peintures rupestres73.

Plus généralement, lhomme primitif suscite la fascination de Blaine, qui sen inspire pour ses propres réalisations. Nombre de ses performances tendent à manifester le fond de sauvagerie de lêtre, dépouillé, autant que possible, des codes sociaux et des attributs civilisationnels. Elles peuvent contrarier, contre toute vérité scientifique, la notion saussurienne darbitraire du signe comme en écho à dancestrales croyances dans le cratylisme. Par exemple, dans Ecfruiture, Blaine prend au sens littéral les formules « Lécriture cest le pied » et « Écrire comme un pied » en écrasant sur une bande de papier une série de fruits quil nomme dune voix âpre à chaque piétinement74. On le croirait alors céder à une théorie naturaliste du langage. Bien plus, sa vision de lécriture se fonde sur un imaginaire des origines. Inscrivant sa pratique poétique dans « lhistoire de lhomme, lhistoire de lanimisme », il sempare de la période de laurignacien supérieur qui vit lhomme écrire « au fond des grottes75 », pour en tirer leçon76. Sinspirant à lévidence de lillustration choisie par Georges Bataille pour la section de son essai 282sur Lascaux consacrée aux « signes inintelligibles77 », il compose un « poème métaphysique » à motif de grille intitulé « Préhistoire78 ». En 1986, il se livre à une performance dénommée Les mains négatives : poëme en chair et en os. Il se montre surtout aimanté par le motif primitif de la vulve, prégnant dans les inscriptions pariétales, quil apparente à une « espèce décriture originelle79 ». Lentrée dans ce type de cavernes ne sapparente pas seulement, daprès lui, à une régression utérine, mais aussi à une remontée aux principes de lécriture.

À cette focalisation sur le motif génital, on peut trouver une explication de nature mythographique. Optant pour le prénom demprunt Julien en remplacement dun nom de baptême – Christian –, marqué par ce monothéisme catholique quil voue aux gémonies, Blaine semble le questionner par voie détournée dans la performance intitulée U : rébus/rebut. Celle-ci trahit lobsession de Blaine pour la lettre « U », au cœur du mot « Julien », autant sur le plan des phonèmes (à commencer par le jeu de mots du titre) que sur celui des graphèmes : la capitale U fait lobjet dun montage de reproductions et dun dessin de couture qui permet, daprès le texte, de révéler « la beauté de limage/ et du caractère », de décupler « la force du texte80 ». Le dispositif conduit surtout à précariser laffirmation de la lettre, à lui associer à la fois le terme « lié » (« En fait ce devait être la lettre/ qui serait à moitié liée à (?), / pas tout à fait attachée, / pas tout à fait retenue… ») et la lettre « j » (à la fois visible dans la découpe du U et audible dans la formule : « Comme un j dont la cruelle prononciation sest prolongée, a dérivé »). La performance lâche ainsi la bride à une variation phonique et graphique sur le prénom Julien au point de suggérer les flottements de lidentité auctoriale, dont le sort est la marginalité (« la mise au rebut ») et le cryptage (« la mise au rébus »). Dans ces conditions, on comprend mieux les variations de Blaine sur la lettre « U » qui, dans lalphabet latin, sécrit « V ». Linterrogation du pseudonyme lui permet ainsi de nourrir son imaginaire de la figure vaginale, et sa passion pour laurignacien supérieur se révèle travaillée par une interrogation de fond sur son existence dhomme et dartiste.

283

La personnalisation des héritages primitifs, décelable chez Blaine, est à la vérité une constante de la relation des poètes modernes et contemporains au passé le plus archaïque. Dailleurs, le cours de l« Aurignacien-contemporain » (comme se désigne Blaine) plaide pour la cristallisation des identités créatrices en mentionnant les autres auteurs de notre corpus : « chacun doit prolonger sa bouche ou développer / sa langue et modifier son écriture. / Ainsi Tristan Tzara, ainsi Henri Michaux, / ainsi Pierre Albert-Birot, ainsi Michel Leiris, / ainsi Christian Dotremont, ainsi… / et beaucoup dautres, encore81. » Et il est vrai que bien des individualités pourraient allonger la liste. Pour autant, il y a fort à parier quelles ne contreviendraient pas à létat desprit général qui gouverne, comme on la vu avec nos trois exemples, lattitude des écrivains face à la variété des modèles ancestraux. Sans grands scrupules historiques ni principes différentialistes marqués, ces artisans du renouvellement littéraire procèdent, débarrassés de toute dévotion patrimoniale, à des collages référentiels promouvant la pensée analogique au détriment de lintelligence déductive, et ils élèvent les facultés associatives propres à chacun en méthode de création. Leur quête primitiviste signe la rencontre de lhistoire et de limagination. Cétait déjà le cas avec Gauguin. Dans Noa Noa, il commente la scène qui donna lieu au tableau intitulé LHomme à la hache (1891), et notamment lapparence de feuilles mortes de pandanus. Il accorde alors toute liberté à son rêve dalphabet élémentaire : « Sur le sol pourpre de longues feuilles serpentines dun jaune de métal, tout un vocabulaire oriental – lettres (il me semblait) dune langue inconnue mystérieuse. Il me semblait voir ce mot originaire dOcéanie : Atua, Dieu – Taäta ou Takata, celui-ci arrivant jusquà lInde se retrouve partout ou dans tout (Religion du Boudha) []82. » Gauguin le montrait déjà : le primitivisme, mêlant montages savants et préoccupations privées, est une des voies daccès à létat de voyance.

Serge Linarès

Université Sorbonne Nouvelle

284

Bibliographie

Agnès Olive rencontre Julien Blaine, Marseille, Éditions La Belle bleue, 2009.

Alechinsky, Pierre, Dotremont. Jécris pour voir, Paris, Buchet-Chastel, coll. « Les cahiers dessinés », 2004.

Bataille, Georges, La Peinture préhistorique. Lascaux ou la naissance de lart[1955], Genève, Skira, 1994.

Blaine, Julien, 13427 Poèmes métaphysiques, Paris, Les Éditeurs Évidant, 1986.

Blaine, Julien, Bamileke, Riva San Vitale, Giona Éditions, 1994.

Blaine, Julien, Bimot, Marseille, Al Dante, 2011.

Blaine, Julien, Cours minimal sur la poésie contemporaine, [Limoges], Al Dante, 2009.

Blaine, Julien, Introduction à la performance, Dijon, Les Presses du réel, « Collection Al Dante », 2020.

Blaine, Julien, Le Livre, Dijon, Les Presses du réel, « Collection Al Dante », 2019.

Blaine, Julien, Partitions, [Paris], Manuella éditions, 2017.

Blaine, Julien, Reprenons la ponctuation à zéro, Ventabren, Édition Nèpe, coll. « Xéros 2600 », [circa 1980].

Blaine, Julien, Sortie de quarantaine (Chi ou Qi), Galerie J. & J. Donguy, 1994.

Cheng, François, Vide et plein, Paris, Seuil, 1977.

Christian Dotremont. Les développements de l œil, Michel Draguet (dir.), Paris, Hazan, 2004.

Christin, Anne-Marie, LImage écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, coll. « Idées et Recherches », 1995.

Dotremont, Christian, Cobraland, Bruxelles, La Pierre dAlun, coll. « La Petite Pierre », 1998.

Dotremont, Christian, Grand Hôtel des valises, présentation de Jean-Clarence Lambert, Galilée, 1981.

Dotremont, Christian, Jécris, donc je crée[1978], réédition en fac-similé, Bruxelles, Didier Devillez Éditeur, 2002.

Dotremont, Christian, Œuvres poétiques complètes, Michel Sicard (éd.), préface dYves Bonnefoy, Paris, Mercure de France, 1998.

Dotremont, Christian, La Pierre et lOreiller[1955], Paris, Gallimard, coll. « Limaginaire », 2004.

Dotremont, Guy, Christian Dotremont. 68°37 latitude nord, Bruxelles, Didier Devillez, 2008.

Février, James G., Histoire de lécriture, nouvelle édition entièrement refondue [1re édition en 1948], Paris, Payot, 1959.

285

Gauguin, catalogue de lexposition aux Galeries nationales du Grand Palais (10 janvier – 24 avril 1989), Paris, RMN, 1989.

Lista, Giovanni, Dada libertin et libertaire, Paris, Linsolite, 2005.

Lista, Giovanni, Futurisme. Manifestes. Documents. Proclamations, Lausanne, LÂge dHomme, 1973.

Michaux, Henri, Œuvres complètes, Raymond Bellour avec la collaboration dYsé Tran (éds.), 3 tomes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, 2001, 2004.

1 Giovanni Lista, Dada libertin et libertaire, Paris, Linsolite, 2005, p. 33-34.

2 On en trouvera notamment la reproduction dans le catalogue de lexposition Gauguin aux Galeries nationales du Grand Palais (10 janvier-24 avril 1989), Paris, RMN, 1989, p. 289.

3 Voir ibid., p. 35.

4 Filippo Tommaso Marinetti, Manifeste de lAlphabet à Surprise[1916], Futurisme. Manifestes. Documents. Proclamations, Giovanni Lista (éd.), Lausanne, LÂge dHomme, 1973, p. 154.

5 Voir Henri Michaux, Un barbare en Asie[1933], Œuvres complètes, Raymond Bellour avec la collaboration dYsé Tran (éd.), tome I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1998, respectivement p. 341, 344, 407, 350-351, 389-391.

6 Henri Michaux, Vents et poussières. 1955-1962[1962], Œuvres complètes, t. III, op. cit., 2004, p. 192.

7 Henri Michaux, Ecuador[1929], Œuvres complètes, t. I, op. cit., p. 181.

8 Voir Henri Michaux, Un barbare en Asie, op. cit., par exemple p. 294-297.

9 Voir ibid., p. 293.

10 Henri Michaux, Par des traits [1984], Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 1281.

11 Henri Michaux, « Alphabet », Épreuves, exorcismes[1945], Œuvres complètes, t. I, op. cit., p. 785.

12 Voir Henri Michaux, Peintures et dessins[1946], ibid., p. 931 et 933.

13 Henri Michaux, Arbres des Tropiques[1942], Œuvres complètes, t. I, op. cit., p. 724.

14 Ibid., p. 725.

15 Henri Michaux, Meidosems[1948], Œuvres complètes, t. II, op. cit., 2001, p. 258.

16 Henri Michaux, La Vie dans les plis[1949], ibid., p. 223.

17 Henri Michaux, Par des traits, op. cit., p. 1280-1281.

18 Henri Michaux, Vents et poussières (1955-1962)[1962], Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 200.

19 Henri Michaux, Idéogrammes en Chine[1975], ibid., p. 819.

20 Ibid., p. 823.

21 Ibid., p. 825.

22 Ibid., p. 827.

23 Ibid., p. 825.

24 Voir ibid., p. 827-831.

25 Henri Michaux, « Mouvements », Face aux verrous[1954], Œuvres complètes, t. II, op. cit., p. 438-439.

26 Henri Michaux, Peintures et dessins, op. cit., p. 859.

27 Henri Michaux, « Mouvements », op. cit., p. 440-441.

28 Henri Michaux, « Chronique de laiguilleur », ibid., p. 11.

29 « Faute de mieux, je trace des sortes de pictogrammes, plutôt des trajets pictographiés, mais sans règles. », précise Michaux dans Émergences, résurgences[1972], Œuvres complètes, t. III, op. cit., p. 546.

30 Henri Michaux, ibid., p. 550.

31 Henri Michaux, Moments. Traversées du temps[1973], ibid., p. 731.

32 Quelques dessins de Dotremont à lencre de Chine, datés de 1961, sont reproduits par Pierre Alechinsky dans Dotremont. Jécris pour voir, Paris, Buchet-Chastel, coll. « Les cahiers dessinés », 2004, p. 17-21.

33 Christian Dotremont, « Signification et sinification » [1950], Cobraland, Bruxelles, La Pierre dAlun, coll. « La Petite Pierre », 1998, p. 102.

34 Christian Dotremont, Avancements dun phoque[1965], Christian Dotremont. Les développements de lœil, Michel Draguet (dir.), Paris, Hazan, 2004, p. 167.

35 Christian Dotremont, « Signification et sinification », op. cit., p. 100-101. On trouvera ce manuscrit intitulé « Train Mongol » reproduit à la page 100.

36 Ibid., p. 101.

37 Christian Dotremont, Jécris, donc je crée[1978], réédition en fac-similé, Bruxelles, Didier Devillez Éditeur, 2002, [n. p.].

38 Christian Dotremont, La Pierre et lOreiller[1955], Paris, Gallimard, coll. « Limaginaire », 2004, p. 205.

39 Christian Dotremont, Fagnes[1958], Œuvres poétiques complètes, Michel Sicard (éd.), préface dYves Bonnefoy, Paris, Mercure de France, 1998, p. 332.

40 Voir ibid., p. 333.

41 Christian Dotremont, La Pierre et lOreiller, op. cit., p. 63.

42 Christian Dotremont, Ô Préhistoire, bonjour[1978], reproduit dans Christian Dotremont. Les développements de lœil, op. cit., p. 171. Le texte est repris dans Œuvres poétiques complètes, op. cit., p. 526-527.

43 Une photographie dAlechinsky, prise le 23 mars 1971 (reproduite dans Jécris pour voir, op. cit., p. 130), atteste que lHistoire de lécriture de James G. Février était un des livres de chevet de Dotremont (nouvelle édition entièrement refondue [1re édition en 1948], Paris, Payot, 1959).

44 Ibid., p. 71.

45 Christian Dotremont, Grand Hôtel des valises, présentation de Jean-Clarence Lambert, Galilée, 1981, p. 104.

46 Le détail de ces voyages est relaté dans Guy Dotremont, Christian Dotremont. 68°37 latitude nord, Bruxelles, Didier Devillez, 2008.

47 Christian Dotremont, Jécris, donc je crée, op. cit.

48 Voir Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, [Limoges], Al Dante, 2009, notamment p. 16.

49 On sait quAnne-Marie Christin a bâti son œuvre critique sur la contestation de cette conception strictement phonétique de lalphabet et a conçu la notion de « pensée de lécran » pour sy opposer (voir notamment LImage écrite ou la déraison graphique, Paris, Flammarion, coll. « Idées et Recherches », 1995).

50 Julien Blaine, « Écriture », 13427 Poèmes métaphysiques, Paris, Les Éditeurs Évidant, 1986, p. 28.

51 Julien Blaine, « Photographie », ibid., p. 258.

52 Ibid., p. 240.

53 Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 18.

54 Ibid., p. 20.

55 Julien Blaine, Reprenons la ponctuation à zéro, Ventabren, Édition Nèpe, coll. « Xéros 2600 », [circa 1980], [non paginé].

56 Isabelle Maunet reprend cette formule de Cheng Yao-tien citée par François Cheng dans Vide et plein (Paris, Seuil, 1977) ; voir « Une traversée des Bimots de Julien Blaine », Julien Blaine, Bimot, Marseille, Al Dante, 2011, p. 452.

57 Agnès Olive rencontre Julien Blaine, Marseille, Éditions La Belle bleue, 2009, p. 24.

58 On trouvera des reproductions de ce type dœuvres dans 13427 Poèmes métaphysiques (op. cit., p. 303) ou dans le catalogue dexposition Sortie de quarantaine (Chi ou Qi), Galerie J. &  . Donguy, 1994 (n. p.).

59 Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 35-36.

60 Ibid., p. 33-39.

61 Ibid., p. 31.

62 Ibid., p. 38.

63 Voir ibid., p. 38-39. Le poème est issu de Bamileke, Riva San Vitale, Giona Éditions, 1994.

64 Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 36.

65 Ibid., p. 33.

66 Ibid., p. 35.

67 Ibid., p. 34.

68 Julien Blaine, « Lavertissement », Le Livre, Dijon, Les Presses du réel, « Collection Al Dante », 2019.

69 Dans le numéro 6 de la revue Ailleurs, daté de mars 1965.

70 Le mot est employé en quatrième de couverture pour désigner Le Livre.

71 Julien Blaine, « Lavertissement », op. cit.

72 Julien Blaine, Le Livre, op. cit., p. 37.

73 Ibid., p. 48.

74 Voir Julien Blaine, Partitions, [Paris], Manuella éditions, 2017, [non paginé].

75 Agnès Olive rencontre Julien Blaine, op. cit., p. 14.

76 « Je suis un artiste aurignacien ou magdalénien ou azilien, un artiste dhui qui date de 30 000 ans. », note Blaine dans son Introduction à la performance (Dijon, Les Presses du réel, « Collection Al Dante », 2020, p. 52).

77 Voir Georges Bataille, La Peinture préhistorique. Lascaux ou la naissance de lart[1955], Genève, Skira, 1994, p. 90-91.

78 Julien Blaine, « Poème no 0 préhistorique », 13427 Poèmes métaphysiques, op. cit., p. 23.

79 Ibid., p. 52.

80 Julien Blaine, « U : Rébus/rebut », repris dans Partitions, op. cit.

81 Julien Blaine, Cours minimal sur la poésie contemporaine, op. cit., p. 77-78.

82 Gauguin, op. cit., p. 337.