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Classiques Garnier

Formes et fonctions au sein des avant-gardes littéraires Un paradoxe primitiviste au début des années 1920 ?

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Le Primitivisme des avant-gardes littéraires
  • Auteur : Le Quellec Cottier (Christine)
  • Résumé : La sensibilité primitiviste des artistes ne semble plus un cadre de pensée performant au début de 1920. Le primitivisme incarne le rejet des normes, mais il est aussi, par « la pureté et la netteté » de ses formes, une voie empruntée par le fameux retour à l’ordre qui va marquer tant les idéologies que les arts industriels. Cette dualité en forme de paradoxe – arrachement et neutralisation – sera interrogée afin d’en dégager des enjeux littéraires, en relisant l’œuvre primitiviste de Cendrars.
  • Pages : 121 à 144
  • Collection : Rencontres, n° 595
  • Série : Littérature des xxe et xxie siècles, n° 46
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406151203
  • ISBN : 978-2-406-15120-3
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15120-3.p.0121
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 20/09/2023
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Arts décoratifs, forme, fonction, esprit nouveau, technique, utilitarisme
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Formes et fonctions au sein
des avant-gardes littéraires

Un paradoxe primitiviste au début
des années 1920 ?

Un dilemme

Questionner les formes et les enjeux dun primitivisme en littérature – spécifiquement dans le champ français – implique la reconnaissance de pratiques et de représentations qui, au début du xxe siècle, ont côtoyé celles des artistes plasticiens dont le regard posé sur des artefacts extra-européens en a transformé la saisie et la réception. Ces pionniers ont refusé la mimesis et ses codes, ils ont emprunté et approprié des référents étrangers à la culture européenne, ou encore intégré à leur production ce quune élite institutionnelle considérait folklorique, « sans culture », tels les codes dun régionalisme archaïque ou la spontanéité expressive des fous et des enfants, pour reprendre les grandes catégories associées à cet univers primitiviste1.

Dans le cadre de notre réflexion sur lusage et la perception des formes et des fonctions, en littérature, nous considérons le référent « nègre » comme emblématique du renversement des valeurs quHenri Meschonnic a qualifié de « transformation du regard2 ». Ce primiti122visme a pleinement joué la carte dun autre rapport à lesthétique et celle-ci a participé à la « nouvelle sensibilité » faisant de lartiste un démiurge, celui qui expérimente la « toute-puissance des idées », selon la formule de Philippe Dagen à propos des écrits de Freud sur les artistes3. Nous considérons cependant que, significativement au début des années 1920, cet absolu esthétique et créatif sest transformé au risque dun retour à lexotisme, sous le poids du Zeitgeist de laprès-guerre, mais surtout par lattrait nouveau des arts industriels. Il sagit donc denvisager la co-présence paradoxale de deux primitivismes, le second associé à un modernisme techniciste qui neutralise les forces spirituelles du poète-démiurge au profit de lénergie et lintensité de lhomme moderne, désormais coupé dune intériorité élémentaire et fondatrice4. La création cendrarsienne primitiviste est, à ce titre, exemplaire dun dilemme que la dualité « formes et fonctions » va nous permettre dexemplifier. Celle-ci nous paraît explicite dès 1921 ; il ne sagit donc pas de suivre une ligne conduisant au « point culminant » de la mode nègre en 1925-1930 comme la proposé Steins il y a déjà longtemps5, mais denvisager des articulations qui sopposent et se superposent. Il ny a pas un aboutissement mais un émiettement – qui contraste avec lélan davant la Première Guerre et durant celle-ci – du « monde nègre » perçu comme mode daccès aux forces primordiales, à un esprit libéré.

Lartiste, le poète est celui qui accède à des forces nommées magiques par Freud, le plaçant ainsi facilement hors des codes et des normes, ce que le médecin allemand Max Nordau avait qualifié de « dégénérescence » dans son best-seller homonyme de 18926. Traversant psyché et sacré, le poète et le peintre expérimentent des transmutations, comme le formulait le psychanalyste autrichien dans Totem et Tabou en 1913 :

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Lart est le seul domaine où la toute-puissance des idées se soit maintenue jusquà nos jours. Dans lart seulement il arrive encore quun homme, tourmenté par des désirs, fasse quelque chose qui ressemble à une satisfaction ; et grâce à lillusion artistique, ce jeu produit les mêmes effets affectifs que sil sagissant de quelque chose de réel. Cest avec raison quon parle de la magie de lart et quon compare lartiste au magicien7.

Cet enjeu « magique » du début du xxe siècle se décline en de multiples voies et semble se condenser à propos des créations dites primitives. Quil sagisse de Freud, de Carl Einstein ou dethnologues, chacun explique « lart nègre » par la dimension mystique et magique de sa fonction, donc intimement liée à des pratiques spécifiques réservées à des initiés. Cette interprétation invite à considérer lartiste davant-garde comme porteur dune clef daccès à la spiritualité, à des perceptions élémentaires. Ainsi, a contrario de Nordau, sont valorisés des « comportements mentaux » éliminés « partout ailleurs par les progrès de la rationalité8 ». Cet ailleurs de la pensée permet au primitivisme dêtre non pas un retour dans le temps mais, bel et bien, un nouveau point de départ esthétique, comme laffirmaient les peintres futuristes : « noi siamo invece i Primitivi di una nuova sensibilità completamente trasformata9. » Celui-ci se manifeste par un nouveau rapport au réel, le fameux surréalisme dApollinaire incarné par lesprit nouveau – en 191710 – mais aussi en écho à la célèbre proposition du philosophe Georges-Henri Luquet, en 1913, qui définissait deux formes de réalismes, afin de « situer » la créativité artistique : pour lui, le réalisme intellectuel est la représentation de ce que lesprit « sait », tandis que le réalisme visuel reproduit ce que lœil voit11.

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Le goût primitiviste des avant-gardes a donc impliqué le refus dune compréhension des artefacts en tant que produits dartisans, habiles ou malhabiles selon les commentaires des ethnologues, mais leur a reconnu une inventivité formelle qui a défini leur statut et leur valeur au sein du marché de lart, celui quApollinaire na eu de cesse de convoquer pour assurer leur représentation. La démarche valide donc une intentionnalité créatrice qui dépasse celle dune fonction assignée ; elle peut être nommée, comme le propose Dagen, « déclarative12 » et sapplique autant à la statuaire quaux productions orales, transcrites et transmises par les missionnaires, les administrateurs ou encore les scientifiques quont lus les artistes du temps.

Dans lœuvre de Cendrars, cette fonction déclarative est à lœuvre parmi les poèmes « Les grands Fétiches13 », composés à partir des photographies de statuaire reproduites dans Neger Plastik de Carl Einstein, en 191514. Bien que publiés en 1922, ces poèmes ont été envoyés à Gherardo Marone – directeur de la revue La Diana à Bologne – en mai 191715 et leur date, « février 1916 », fait de ces textes les premiers écrits de Cendrars après la perte de sa main décriture survenue en septembre 1915 dans les tranchées de la Somme16 ; ils sont véritablement le signe dun « nouveau départ », tel que décrit pour ce premier primitivisme des avant-gardes : comme la relevé Jean-Claude Blachère en 1981, chaque quatrain est une description qui rend compte « de la sensibilité de Cendrars au dynamisme des objets17 » convertissant le fameux réalisme visuel – observation des statues reproduites dans le livre dEinstein – en un réalisme intellectuel, celui dune prise de distance permettant la création :

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VIII

Jai voulu fuir les femmes du chef

Jai eu la tête fracassée par la pierre du soleil

Dans le sable

Il ne reste plus que ma bouche

Ouverte comme le vagin de ma mère

Et qui crie18

Les poèmes nont pas fonction dêtre des cartels dexposition, mais racontent une histoire, tel ce « grand fétiche » dont la voix, un « je », est devenue un cri après sa métamorphose : son corps masculin est désormais contenu dans sa bouche, organe féminin. Cette captation poétique de la sculpture na plus de lien direct avec les photographies proposées dans le volume dEinstein. Celles-ci sont le repère visuel dun ressenti et, dès lors, sources dun processus de création dans la langue, en jouant de degrés de représentation, fantasques et suggestifs19. Les observations de Blachère appuient ce constat à propos de « Continent noir » qui se « présente comme un simple enregistrement en apparence objectif de divers propos sur lAfrique », mais savère un « dictionnaire de la bêtise » permettant, par le cumul de « perles », une lecture au second degré20. La conscience dun usage des stéréotypes ou de celle dune liberté dinterprétation permet daffirmer que la démarche esthétique nest nullement un calque imitatif. Il sagit dune mise en relation qui peut être lue comme une prémisse postcoloniale21 ou comme une translation offrant un accès à lautre, non pas une appropriation mais lacceptation que les objets agissent sur les artistes et participent à un renouvellement des formes, comme le met en évidence Souleymane 126Bachir Diagne dans son dernier essai De langue à langue : « [] Cest pourquoi les avant-gardes qui sincorporèrent les objets dart africains, en manifestant ainsi les racines que ceux-ci avaient créées dans leur terre demprunt, ont également accompli un geste de réciprocité, un geste, disons le mot : décolonisateur. Il ny a nulle naïveté à en juger ainsi22. »

Cette mise en relation se vérifie avec Anthologie nègre dont la collation des contes sest faite en bibliothèque entre 1919 et 1920, pour une publication en 1921, grâce à la récupération de sources coloniales libérées de tout péritexte ou critère de classement ethnologique. Lanthologie offre un monde autonome débutant avec des récits cosmogoniques et aboutissant à des contes dits « modernes » destinés à des lecteurs français. Cet ensemble au cheminement aléatoire est indifférent aux savoirs scientifiques européens et dans la courte préface qui laccompagne, cest la « loi de constance intellectuelle » – reprise du maître à penser Remy de Gourmont – qui fait foi. Celle-ci conteste tout évolutionnisme en affirmant que chaque peuple vit avec son temps et son espace, donc en phase avec des contextes qui nont pas à subir la comparaison. Une telle prise de position de Cendrars, alors que les artistes restent majoritairement « captifs de stéréotypes fantasmatiques de type colonial23 », conforte lidée que lécrivain choisit un univers extra-européen lui donnant les moyens de rejeter une société qui la leurré. Laprès-guerre est, à ce titre, sans concession et, avec le recul, il semble peut pertinent dévaluer cette démarche à laune dune érudition mal maîtrisée, comme lavait fait Jahnheinz Jahn en 1966 :

Cendrars matelot, jongleur, soldat de la Légion étrangère, journaliste et poète, a picoté quelques raisins secs dans les travaux des chercheurs et les a transposés en français. De plus, il a mélangé les traditions de différents peuples en une cosmogonie de son cru qui, par larbitraire du choix, reste bien superficielle24.

Le constat dune appropriation filtrée par la « bibliothèque coloniale » est valide, puisquau début de la décennie, Cendrars nest jamais allé en Afrique et, par exemple, ne commente pas la publication de Batouala 127en 192125, pas plus quil ne se lie aux jeunes intellectuels africains qui se font connaître sous le signe de la « négritude » dès le début des années 1930 à Paris26. Il sagit pourtant de la valorisation dune perception du monde et Cendrars, avec les artistes davant-gardes, participe activement à ce primitivisme esthétique qui prend aussi forme en littérature. Défini par Dagen comme « lensemble des créations et des comportements par lesquels de petits groupes dEuropéens tentent dans leur art de se détacher dune civilisation moderne dont ils mesurent combien elle sépare lêtre humain de la nature, de sa nature, de lui-même donc27 », ce primitivisme inaugural rend compte dune disponibilité et dun intérêt pour des créations qui offrent une alternative aux valeurs dune société qui sest autodétruite durant la guerre. De fait, il y a donc une véritable motivation à « mélanger » et affirmer un « arbitraire ».

Le cri des poètes

La volonté de reconnexion avec un Soi, monde subjectif dont le primitivisme est partie prenante, est significative dun temps que lessayiste et romancier Jean Epstein, surtout connu en tant que réalisateur de cinéma, a synthétisé dans son essai La Poésie daujourdhui. Un nouvel état dintelligence, paru aux éditions de la Sirène en 1921. Il y affirme que les lettres modernes veulent « reproduire les mouvements profonds de la vie intérieure » et pour cela pratiquent diverses techniques privilégiant lexpressivité plutôt que le sens. Il valide la « pensée-association » plutôt 128que la « pensée-phrase » et explicite loxymore du « cri intellectuel28 » des écrivains, incarné par la métaphore coupée du contexte, répondant à lémotivité du moment. Il sagit dune immersion subjective qui ouvre à la richesse plastique de la langue, en tant que « puissance illocutoire », selon la proposition dIsabelle Krzywkowski qui constate que le langage joue dun détachement de la signification au profit de lexpression pour contrer « luniversel reportage29 ». La poésie, telle que perçue par Jean Epstein, na rien à voir avec un mimétisme descriptif – ce que la lecture des « grands Fétiches » de Cendrars a déjà confirmé – mais elle nempêche pas une saisie profonde de ce qui lenvironne :

[] la connaissance instinctive, brute, poétique, rapide, quils prennent de la chose nest pas si loin quon le croit, de la connaissance scientifique30.

Ainsi, ce cri des poètes permet dannuler les plans du discours et les strates de temporalité car la « métaphore est instantanée » :

Pourquoi sétonner si deux idées qui ne sétaient encore jamais frôlées sans exploser, sont accouplées dans la même image. Il ne sagit pas de dire ce qui est toujours ou même par habitude. Il sagit de surprendre lattitude dune seconde. Poème de circonstance, la seule véritable poésie. [] Linventeur est illuminé par une analogie ou une évidence soudaine. [] Newton fut illuminé par une image, une monstrueuse analogie. Il fut, au moins un instant, un poète31.

Cette compréhension abolit les différences et « il ny a plus danachronismes32 », ce que Carl Einstein affirmait déjà en1915 dans Neger Plastik en considérant que les sculptures absorbent le temps « puisquen tant que formes elles expriment et les manières de voir et les lois de la vision ; elles imposent justement une connaissance qui demeure la sphère du donné immédiat33 ». Si Le Temps est mort hier, titre de lessai fondateur dIsabelle Krzywkowski, cest bien parce que linstantané 129seul existe, dans sa matérialité – la voix, le corps – pour « générer le vivant34 », ce quEpstein identifie dailleurs comme simplification de la syntaxe produisant des « tournures grammaticales trop animistes35 ».

Brisure nette et ligne dacier

Jean Epstein, fervent admirateur de Cendrars, dédie son texte au poète et y insère la postface quil lui a demandée en 192036. Dans cette lettre, Cendrars salue la mise au point du critique mais ouvre son propos en contestant la nouveauté présentée :

Jean Epstein, vous tracez la psychose générale dune fin de génération plutôt que celle plus évoluée de quelques-uns dentre nous qui ont déjà franchi létape que vous indiquez. Vous nous voyez de dos, []. Marquez-vous bien la fin de lancienne crise et le début de la nouvelle ? [] Brisure nette. Nouveau départ sur ligne dacier37.

Pour Cendrars, ce début de décennie se place sous le signe dune nouvelle crise concentrée en une « brisure nette » que délimite une « ligne dacier ». En prenant Cendrars au mot, nous postulons que malgré une présence très forte de limaginaire de lailleurs et la création renouvelée de textes dont les effets confortent le cri intellectuel analysé par Epstein38, le primitivisme inaugural nest plus laboutissement dun renouveau alternatif, même utopique, mais se trouve engagé sur une voie souvent commentée par les mots « netteté et pureté » qui créent dautres enjeux :

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Il ny a pas de « solution de continuité entre lesthétique nouvelle de la pureté et de la netteté pratiquée par les décorateurs modernes et lintersection des plans ou la modulation exacte des couleurs des néo-impressionnistes : sculptures nègres, machines, possibilités du ciment armé, architecture navale, architecture des avions [] et le fameux : “tout est cylindres, cônes et sphères”, tout contribua à modifier profondément notre sensibilité en nous donnant le goût des formes arrêtées39.

Cette tirade du critique Guillaume Janneau, publiée le 1er novembre 1924 dans Le Bulletin de la Vie artistique40, cite pour les faire siens les propos tenus en 1921 par le peintre mexicain Ángel Zárraga, celui-là même qui avait illustré lédition originale de Profond Aujourdhui de Blaise Cendrars, en 191741. Le critique postule une esthétique nouvelle marquée au sceau de la pureté et de la netteté dont les maîtres sont les « décorateurs modernes ». Cet art « déco » est en rupture avec les repères de la fin du xixe siècle et les « formes arrêtées » résonnent avec la « ligne dacier » évoquée par Cendrars. Mais le processus qui a conduit à ce goût des formes fixes est édifiant par sa diversité : sy juxtaposent les propos de Cézanne anticipant le cubisme en 190442 (« tout est cylindres, cônes, sphères »), les techniques industrielles de construction et les représentations primitivistes extra-européennes. Cette liste hétéroclite ne pose aucun problème temporel ou spatial, tant à Zárraga quà Janneau : les éléments cités appartiennent au même « moment » et font sens dans le même espace.

Signe des transformations en cours, à Paris – après Milan, Rome et Turin – la tendance esthétique est aux Arts décoratifs et industriels. La 131grande exposition qui se tient du 28 avril au 30 novembre 192543 avait été initialement prévue en 1916, mais la guerre a rendu lévénement international impossible. Lexposition de 1925 met sur le devant de la scène, en contraste avec les Beaux-Arts, les artsindustriels caractérisés par une reproduction mécanique, tels lameublement, la céramique, lorfèvrerie, la joaillerie et les textiles44 ; les formes identifiées comme africaines sont, à ce moment-là, intégrées à tous les domaines dits décoratifs : il y a assimilation et non pas transmutation ou exorcisme. Les sculptures « nègres » sont pleinement associées à la modernité techniciste, elles font parties dune logique qui ne différencie pas art et artefacts. Est-ce là lintégration de lart dans le quotidien prôné par les avant-gardes ? Peut-être, mais de quelle « fonction » – en tant que rôle, impliquant une motivation et un usage – sagit-il ? En 1921 toujours, voici ce que le peintre André Derain confie à André Breton :

Il faudrait avoir intimement pénétré la vie des choses quon peint. La forme pour la forme ne présente aucun intérêt. [] la peinture ne peut prétendre à aucune ressemblance. La forme doit renseigner sur la fonction45.

Laffirmation de Derain maintient un lien fort à la vie – ce que les avant-gardes ont toujours revendiqué en plaçant lart au cœur de lexpérience humaine – mais la fin de lénoncé reste ambiguë, ce qui paraît conforter la « crise » déjà évoquée, non pour définir une ligne nette de partage mais, au contraire, considérer que des perceptions et des volontés se juxtaposent sans cesse. En effet, « la forme doit renseigner sur la fonction » peut être compris en tant que la création est au service de la fonction, elle sadapte à une nécessité, une utilité ; mais elle peut aussi être saisie, a contrario, comme la forme rend compte de la fonction, cest-à-dire que 132la fonction nexiste que grâce à la forme esthétique imaginée. Au milieu des années 1920, cette double compréhension des liens entre forme et fonction me paraît au cœur de dilemmes significatifs – esthétique et utilitarisme – dont le primitivisme des avant-gardes fait les frais.

La création est-elle donc au service de la fonction ou arrive-t-elle, comme le voulaient les avant-gardes du début du xxe siècle, à être le noyau qui génère une fonction qui ne préexiste pas à sa composition ? Mon postulat est quaprès la Première Guerre les deux options se superposent du fait du succès des arts industriels. Le lien avec un pouvoir surréel ou surnaturel de créations associées à des cultures autres est souvent oublié, pour ne pas dire négligé, telles les déclarations de Cocteau et Picasso dans la rubrique « Avis sur lart nègre » de la revue Action en avril 1920 : « La crise nègre est devenue aussi ennuyeuse que le japonisme mallarméen » pour Cocteau, et Picasso : « Lart nègre ? Connais pas46 ! »

Ainsi, une mode nouvelle provoque des propos cyniques ou indifférents, alors que les artistes davant-garde ont expérimenté un renouvellement personnel grâce à cette altérité. Parallèlement, Cendrars prend ses distances davec les catégories présentées par Epstein47 puisque dans sa postface il affirme avoir « franchi létape » analysée : « Vous nous voyez de dos [] Marquez-vous bien la fin de lancienne crise et le début de la nouvelle48 ? ».

À lire comme une réponse immédiate au propos de Cendrars, Epstein enrichit, dès mai 1921, ses propositions avec un article conséquent « Le phénomène littéraire », paru en cinq livraisons49 dans LEsprit nouveau récemment fondé par Le Corbusier et Amédée Ozenfant : après une première partie intitulée « Les conditions nouvelles du phénomène littéraire » – où se côtoient vitesse, cosmopolitisme et cinéma – Epstein propose « Une littérature nécessaire et suffisante » qui, malgré son titre, reprend les catégories de la première étude sans véritable modification de point de vue. Une formule significative est, cependant, à associer à un second primitivisme, toujours en lien avec lœuvre de Cendrars :

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Cest que Monsieur Cendrars a renouvelé la nature mieux quune époque géologique, la vie mieux quune révolution, lhomme davantage quune guerre. [] Autour de lui et de nous, circule une beauté fraîche, une beauté utile, quotidienne, servante, robuste, qui se fait et se défait à chaque heure50.

Tant lidée dune « littérature nécessaire » que la « beauté utile » détonnent des propositions contenues dans La Poésie daujourdhui paru un mois plus tôt. Autour de 1921 se cristallisent des tensions quant à la « fonction » des arts et de la littérature : ce qui était désiré au sein des avant-gardes en tant que nouvelle saisie du réel et de la vie où les « formes et les fonctions [des] objets indiquent la transition ou la continuité entre les mondes51 » seffrite : la formule de Derain, celle de Zárraga, le second texte dEpstein et la lettre de Cendrars mettent à nu un détachement de la figure du démiurge et une immersion dans ce qui peut sembler une adaptation au réel moderniste, à une idéologie « progressiste » sappuyant, pour citer Barillon, sur « une philosophie universaliste de lhistoire qui enchaîne suivant une spirale vertueuse différents types de progrès : scientifique, technique, économique, social, politique, moral52 ». Ce qui était une poétique des « arrachements53 » – des codes, ces croyances, des normes – devient une modalité de neutralisation.

Arrachement ou neutralisation

Ce second primitivisme met la forme au service de la fonction et les arts industriels en sont le premier lieu daboutissement, artefacts en phase avec lordre, la pureté et la netteté dont le fameux retour à lordre – nationaliste et idéologique – saura se nourrir dans les années 1930. 134Mais celui-ci est anticipé dans la revue LEsprit nouveau de Le Corbusier dont le premier numéro (1920) annonce clairement que lordre « cest la loi du monde sensible : le besoin dordre est le plus élevé des besoins humains, il est la cause de lart lui-même54 ». Dès lors, la revendication de la pureté des lignes et leur usage – Le Corbusier a aussi participé à la grande exposition de 1925 et était lui-même collectionneur dart africain – sassocie à une mécanique fonctionnelle qui exploite le discours scientifique et évolutionniste que les artistes avaient rejeté au début du siècle. LEsprit nouveau proposé – alliant la défense de la construction, de lordre et lascétisme – est fort éloigné de la proposition dApollinaire en 1917, lui qui, parmi les premiers, a réagi contre les « fonctions » attribuées aux objets extra-européens, lui qui a dénoncé un exotisme paternaliste :

Jusquà présent on na guère admis les œuvres dart issues de ces pays que dans les collections ethnographiques où elles ne sont conservées quà titre de curiosité, de documents, pêle-mêle parmi les objets les plus vulgaires []55

Il sest dressé contre lincapacité à percevoir laltérité selon la loi de constance intellectuelle, et en cela les propos de Carl Einstein, dans Sculpture nègre paru aussi en 1921, prolongent ce refus dun regard qui ne fait que transposer les perceptions et fantasmes européens :

Lexotisme nest souvent quun romantisme infécond, un alexandrinisme dorigine géographique. [] Cependant la valeur de lart africain nest pas diminuée par lincapacité de gens sans importance. Je ne considère guère lart africain sous langle de lactuelle activité artistique ; non pas pour livrer un truc (un nouveau trésor de formes) aux improductifs à laffût dune stimulation, bien plutôt pour souhaiter que lon commence à étudier en histoire de lart la sculpture et la peinture africaines56.

Ce que dénonce Einstein est lusage dune culture et de ses formes afin de pallier à un manque de créativité individuelle. Le référent extra-européen, 135« nègre », nest dans ce cas-là quun pis-aller, un modèle creux : sa fonction unique étant de stimuler un malheureux improductif ! Ce qui est dénoncé est le retour à un exotisme qui intègre le « primitif » au décor européen en validant une distance tant géographique que temporelle, ce que les artistes davant-guerre avaient annulé. Comme le rappelle Barillon, « en paraphrasant Joseph de Maistre, lOccidental ou lethnographe peut rencontrer de Kwakiutls, des Yanomanis, des Mnong Gar, des Navajos, des Pygmées, des Kung, des Inuits, des Papous, etc., jamais il ne croisera des primitifs57 », alors que la mode des arts industriels et le modernisme techniciste réinscrit cet exotisme au cœur des années 1920. Le renversement du regard analysé par Meschonnic à propos du premier primitivisme a fait long feu. Cest ainsi que peut être lu le Manuscrit trouvé dans une poche. Chronique de la conversion de Bodor Guila publié en 1924 par Eddy du Perron, un oublié de lépoque selon Anouck Cape, dont la parodie moderniste et primitiviste touche autant Cendrars, Epstein, Jacob que Tzara… Au terme de sa « conversion à la poésie moderne qui lui fait perdre la raison », le personnage parodie le primitivisme littéraire :

[]

le premier homme et la première femme

ne connaissaient pas le féminisme

homme force

femme soumission câline

ngouc wic wic ngouc ngououh mh mh mh

wic wic bien bien sois tranquille

rrgh

grogner est contentement

fin de poésie primitive58

Le débat semble clos, linspiration spirituelle éteinte, les effets phoniques et non sémantiques ridiculisés, lAfrique lointaine. Sans doute que le surgissement du monde noir américain, après la guerre, a accentué ce décalage ; les figures de musiciens de jazz, des boxeurs, et bien évidemment de Joséphine Baker au Théâtre des Champs-Élysées59 en 1925, 136achèvent de renvoyer les démarches des poètes – dès 1915 – à un temps révolu et dépassé, loin de lefficacité et de lutilitarisme revendiqués par les États-Unis60 ; lAmérique offre une parade volontariste au désespoir de laprès-guerre en Europe, ce que Cocteau – passionné par les boxeurs noirs américains – associe dailleurs à un « nouvel exotisme » : « Blaise Cendrars est de nous tous celui qui réalise le mieux un nouvel exotisme. Mélange de moteurs et de fétiches noirs61 ».

Si le primitivisme est « lhistoire de linvention des arts primitifs par le discours esthétique occidental » quand se substitue « au regard exotique et au savoir ethnographique une amorce purement esthétique, voire même métaphysique62 », il faut reconnaître que cette démarche na plus les mêmes intentionnalités ni la même réception au début des années 1920. Ce que Cocteau nomme un « nouvel exotisme » ne correspond plus à lidée que les « artistes sintéressent aux objets africains pour leur étrangeté et leur puissance dexpression, [ce] que Guillaume Apollinaire qualifie dévocation poétique63 ». Sa performativité nest plus magique mais intensité et énergie, en phase avec le monde moderne, promesse dun renouvellement motivé par le besoin dune autre réalité après la guerre.

Au cœur de ces ambiguïtés et juxtapositions lexicales, la création cendrarsienne, entre 1916 et 1930, va adhérer à « lesthétique nouvelle de la pureté et de la netteté » mais très vite lécrivain sera convaincu que son « goût des formes arrêtées », telles que véhiculées par Zárraga et Janneau, ne nourrit pas la sensibilité, tant corporelle que spirituelle.

137

Formes et fonctions cendrarsiennes

Dans lœuvre de Cendrars, Anthologie nègre rend compte du dilemme en proposant une très brève introduction prenant acte des langues dAfrique – ce qui sest justement perdu avec les transcriptions coloniales – et pose la loi de constance intellectuelle qui réfute lomnipotence européenne. À cette maigre préface qui laisse la voie libre à de multiples contes organisés par chapitres thématiques, lécrivain a ajouté au terme du volume une énorme bibliographie, souvent erronée et imprécise, qui ne rend pas compte des volumes réellement consultés pour la constitution de son recueil64. Aucune trace explicite, ni repérable parmi les archives de lécrivain, ne permet de laffirmer mais cette partie semble un ajout, celle dune érudition déphasée de lorganisation du volume. Elle peut être saisie comme un geste « utilitariste », de circonstance. Cette logique est renouvelée au Brésil en 1924 à loccasion dune « Conférence sur la littérature des nègres » qui sans cesse se réfère aux linguistes et anthropologues pour évoquer lorigine des langues et des hommes, tout en précisant que 11 821 volumes lui ont été nécessaires à la composition de son Anthologie.

En 1924, année de la liste de Janneau, Cendrars écrit « Le Principe de lutilité » à propos du Brésil et de la monoculture, devenu en 1926 le chapitre « Nos randonnées en Amérique » du roman Moravagine65. De façon symptomatique, le poète fait rimer le principe de lutilité et la loi de constance intellectuelle, mettant ainsi sur le même plan les « moteurs et les fétiches » chers à Cocteau, ladaptabilité des uns et des autres. La fonction pratique prime sur la « fonction déclarative » quand il considère que « ce machinisme intensif fait penser à lindustrie prodigieuse des hommes de la préhistoire66 » et que la technique, productrice de ces « lignes dacier » évoquée dans la lettre à Epstein, deviennent une nouvelle poésie : « Cest un ensemble nouveau de lignes et de formes, une véritable œuvre plastique67 ». Ce que nous pourrions considérer comme 138un renoncement à la « magie » de lartiste et son pouvoir de démiurge se recompose selon des stratégies nouvelles. Dans Moravagine toujours, une liste aussi singulière que celle de Zárraga se lit simultanément selon nos deux options primitivistes :

[] Sur le carrelage blanc des salles, baignoires, ergomètres, percolateurs apparaissaient comme sur un écran, avec cette même grandeur sauvage et terrible quont les objets au cinéma, grandeur dintensité, qui est aussi léchelle de lart nègre, des masques indiens, des fétiches primitifs et qui exprime lactivité latente, lœuf, la formidable somme dénergie permanente que contient chaque objet inanimé68.

Cette description faite par le narrateur Raymond, se remémorant la clinique du Dr Stein où il exerçait en tant que médecin psychiatre, met sur le même plan, dun point de vue pragmatique et factuel, lart nègre, les masques indiens et les fétiches avec des installations sanitaires aux accessoires techniques : les objets dégagent tous la même intensité. Mais cette mise en parallèle est simultanément perçue sur un mode poétique où lintensité et lénergie se découvrent grâce à des rythmes binaires et ternaires, avec des effets de gradation et de reprise qui favorisent les allitérations et les assonances ; lintensité et lénergie sont rythmiques et phoniques, elles découlent de la poétique à lœuvre et non dun usage objectif des objets. La création disotopies favorise les équivalences entre les objets, parce quelle fabrique des réseaux danalogies : la fonction nexiste que grâce à la forme esthétique proposée.

La double lecture offerte par les textes de Cendrars, au début des années 1920, illustre de façon explicite la transformation du primitivisme littéraire durant la décennie. En phase avec leur temps, quil sagisse de sy inscrire ou de sen détacher, les artistes négocient sans cesse entre formes et fonctions, lutilitarisme nétant pas une fin en soi. Quand Cendrars fait paraître Les Petits Contes nègres pour les enfants des blancs (1928 et 1929), dans une collection pour enfants, le recueil surprend. Ce qui devrait rendre compte dune fonction, une morale à valeur générale pour chaque conte69, est, en effet, perdu de vue et Cendrars précise en amorce que seuls les enfants sont aptes à capter la portée des récits : 139ainsi, la création associée au monde des enfants – dautres primitifs – est privilégiée par le poète, en instaurant une connivence qui le place au cœur de leur monde. La fabrique poétique – donc la forme – construit un imaginaire dont la fonction – la morale du conte – ne préexiste pas à la lecture quen font lenfant et le poète, tous primitifs. Ladulte raisonnable na pas sa place au cœur du processus70.

Le dilemme de cette relation au monde de lart et à lintégration du « monde nègre » dans des productions littéraires françaises, autour des années 1920, se découvre de façon assez étonnante à lorigine de lœuvre de Cendrars71. En effet, le choix de son pseudonyme décrivain est discuté dès 1911 et, à cette époque, celui qui se nomme encore Frédéric Sauser annonce à son frère Georges quil a trouvé son nouveau nom – Blaise Cendrart – mais celui-ci le trouve ostentatoire et lui conseille vivement de changer : ce sera Blaise Cendrars. La clausule « ars » du nouveau patronyme active lorthographe latine du mot « art » en déployant des usages multiples. De fait, « ars » désigne autant les savoirs, les arts que les métiers et jusquà la Renaissance, lartiste et lartisan sont regroupés sous le même terme72. Le poète se place ainsi sous le signe de la techné, de la fabrication, et il perçoit son art comme un savoir-faire, humble et populaire, en lien avec la communauté. Cela se vérifie quand il justifie dans une lettre, en 1913, le titre de son poème Prose du Transsibérien :

Pour le mot Prose ; je lai employé dans le Transsibérien dans un sens bas-latin de « prosa », « dixtu ». Poème me semblait trop précieux, trop fermé. Prose est plus ouvert, populaire73.

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Ainsi, dès 1912, Cendrars négocie sa propre représentation dartiste, imprégnée de ses lectures de Remy de Gourmont qui place lartiste hors du monde commun, tout en récusant le monde littéraire, jugé précieux et déphasé : les propos souvent acerbes de Cendrars sont tournés contre les coteries, préférant le monde populaire et lexpérience de la vie. Cette articulation est dailleurs à lœuvre quand il publie en 1927 « Poésie = Publicité ». Il ne sagit pas de transformer lune en lautre, mais de reconnaître que chacune a besoin de lautre ; la forme rend ainsi possible la fonction.

Un paradoxe primitiviste

Sous cet angle peut se comprendre le maintien des références aux « arts nègres » durant cette décennie qui a neutralisé leur dimension sacrée, les a intégrés à la société techniciste en valorisant leurs « lignes » et leurs fonctions inspiratrices. Il y a là une négociation qui tend pour certains – Le Corbusier ou Cocteau par exemple – à privilégier lusage mais qui, pour dautres tels Cendrars et Soupault, maintient le pouvoir dexorcisme qui avait tant motivé leurs choix primitivistes74. Si cette sensibilité primitiviste réussit à perdurer, cest bien parce que lartiste a conscience du cul-de-sac utilitariste, devenu idéologie violente au début des années 1930. Cendrars en rend compte, dès 1929, à propos de son roman Dan Yack dont le héros – une brute – va entre autres déconstruire, lors de ses expéditions, les fantasmes exotiques de son temps :

La modernité a tout remis en question.

Notre époque, avec ses besoins de précision, de vitesse, dénergie, de fragmentation de temps, de diffusion dans lespace, bouleverse non seulement 141laspect du paysage contemporain, mais encore, en exigeant de lindividu de la volonté, de la virtuosité, de la technique, elle bouleverse aussi sa sensibilité, son émotion, sa façon dêtre, de penser, dagir, tout son langage, bref, la vie.

Cette transformation profonde de lhomme daujourdhui ne peut pas saccomplir sans un ébranlement général de la conscience et un détraquement intime des sens et du cœur : autant de causes, de réactions, de réflexes qui sont le drame, la joie, lorgueil, le désespoir, la passion de notre génération écorchée et comme à vif75

Cette sensibilité individuelle a été fondatrice pour la création dun primitivisme littéraire qui appartient de fait à la modernité ; mais les arts industriels des années 1920 – en accentuant la tension entre formes et fonctions – ont « bouleversé la vie », lêtre intime. Ainsi, la génération dartistes qui était vue « de dos » en 1921 est désormais « à vif », éreintée dun paradoxe primitiviste que la syntaxe cendrarsienne avait su, pourtant avec brio, anticiper. La forme reste la clef dinterprétation, car lhomme, pour Cendrars, nest jamais objet de sa propre vie, primitive ou pas :

« La machine moderne dont lhomme sait se passer76. »

Christine Le Quellec Cottier

Université de Lausanne

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1 Nous nous référons aux récents volumes de Philippe Dagen,Primitivismes. Une invention moderne, Paris, Gallimard, 2019 et Primitivismes II. Une guerre moderne, Paris, Gallimard, 2021, ainsi quà Philippe Sabot, « Primitivisme et surréalisme : une “synthèse” impossible ? » Methodos, no 3, 2003 : http://journals.openedition.org/methodos/109 (consulté le 28/01/2022). Mais il faut citer le numéro précurseur de la Revue des Sciences humaines paru en 1993, Primitivismes, dirigé par Bernard Mouralis.

2 Henri Meschonnic, « Le Primitivisme vers la forme-sujet », La Licorne, no 14, 2011 [1988] : http://licorne.edel.univ-poitiers.fr/index.php?id=5095&format=print (consulté le 28/01/2022).

3 Philippe Dagen, op. cit., 2019, p. 123.

4 Plus quune « succession » de formes primitivistes (pour Dagen, la deuxième vague primitiviste arrive après la Première Guerre, op. cit., 2021, p. 79), nous postulons une simultanéité de tendances contradictoires.

5 Martin Steins, Blaise Cendrars bilans nègres, Paris, Minard, coll. « Lettres modernes », no 169, 1977, p. 20. À cette époque, les archives de lécrivain nétaient pas disponibles. Steins, souvent critique, a effectué un travail précurseur.

6 Max Nordau, Dégénérescence, trad. française par E. Dietrich, Paris, Alcan, 1894. Cette traduction est publiée alors que le titre original Entartung connaît sa quinzième édition depuis 1892.

7 Cité par Philippe Dagen, op. cit., p. 123-124.

8 Ibid., p. 124.

9 Cité par Isabelle Krzywkowski, « Le primitivisme dans la poésie des avant-gardes historiques », Le Temps et lEspace sont morts hier. Les Années 1910-1920. Poésie et poétique de la première avant-garde, Paris, LImproviste, 2006, p. 193-214 : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00634798 (consulté le 28/01/2022), p. 8.

10 Le substantif « surréalisme » apparaît pour la première fois en mars 1917 dans une lettre de Guillaume Apollinaire à Paul Dermée : « Tout bien examiné, je crois en effet quil vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme que javais dabord employé. Le mot “surréalisme” nexiste pas encore dans les dictionnaires, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé par MM. les Philosophes. » Voir : Adam Biro & René Passeron, Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Fribourg, Office du livre et Presses universitaires de France, 1982, p. 28.

11 Cité par Dagen,op. cit., p. 95.

12 Philippe Dagen, op. cit., p. 140.

13 Ces brefs poèmes font désormais partie de lensemble « Poèmes nègres », constitué en 1944 pour la première édition des Poésies Complètes chez Denoël.

14 Voir Christine Le QuellecCottier, « Blaise Cendrars et Carl Einstein : lalternative africaine dun début de siècle », Blaise Cendrars et le monde germanique, Birgit Wagner (dir.), Feuille de routes–Bulletin de lAIBC, no 52, 2014, p. 49-63.

15 Élément attesté par G. Lista,De Chirico à lavant-garde, 1983, p. 140-141. Cité dans le dossier de lédition : Blaise Cendrars, Anthologie nègres et autres contes, Paris, Denoël, TADA 10, 2006, p. 375.

16 Cendrars nétait pas au British Museum en février 1916, mais se remettait de son amputation à lhôpital Lakanal de Sceaux, avant une seconde opération.

17 Jean-Claude Blachère, Le Modèle nègre. Aspects littéraires du mythe primitiviste au xxe siècle chez Apollinaire, Cendrars, Tzara[1981], Dakar, Nouvelles éditions numériques africaines, 2013, p. 170.

18 Blaise Cendrars, « Les grands Fétiches », Poèmes nègres[1916], Paris, Denoël, TADA 1, 2001, p. 121.

19 A contrario des propos de Ph. Sabot qui considère, en se référant pourtant à Blachère, de façon déceptive, ces « poèmes descriptifs de Cendrars [] dont lobjet est immédiatement accessible par la description qui en est faite », « Primitivisme et surréalisme : une “synthèse” impossible ? », op. cit., note 64.

20 Jean-Claude Blachère, op. cit., p. 140.

21 Souleymane Bachir Diagne, « Cultural Mediation, Colonialism & Politics. Colonial “Truchement”, Postcolonial Translator », The Political Economy of Everyday Life in Africa. Beyond the Margins, Adebanwi, Wale (éd.), Boydell & Brewer, 2017, p. 308-317 [en ligne] et Bacary Sarr « Blaise Cendrars “en Afrique” : genèse dune identité postcoloniale ? », Aujourdhui Cendrars, M. Boucharenc et Ch. Le Quellec Cottier (dir.), Paris, Champion, CBC 12, p. 155-166.

22 Souleymane Bachir Diagne, De langue à langue. Lhospitalité de la traduction, Paris, Albin Michel, 2022, p. 102.

23 Philippe Dagen, op. cit., p. 165.

24 Cité par Jean-Claude Blachère, op. cit. p. 130 : J. Jahn, Manuel de littérature néo-africaine. Du xvie siècle à nos jours [1966], trad. G. Bailly, Paris, Éditions Resma, 1969, p. 80.

25 Roman emblématique de René Maran qui obtint le prix Goncourt en 1921 ; sa préface est une première attaque directe du système colonial. Cendrars relève ce titre dans son propre volume de lAnthologie, faisant un ajout dans sa bibliographie finale, en vue dune nouvelle publication (Fonds Blaise Cendrars des ALS, Berne).

26 Notre propos naborde donc pas les liens proposés par Ben Etherington dans son récent Literary Primitivism (Stanford, 2018) qui lenvisage comme expression dune lutte anti-capitaliste repérable chez des auteurs occidentaux mais aussi chez des poètes subsahariens et antillais dès les années 1930. En 1919, Carl Einstein affirmait : « Lart primitif : refus de la tradition artistique inféodée au capitalisme. » [Sur lart primitif], voir : Carl Einstein et les primitivismes, I. Kalinowski& MStavrinaki (dir.), Gradhiva, Paris, 2011, p. 185.

27 Philippe Dagen,op. cit., p. 177.

28 Jean Epstein, La Poésie daujourdhui, un nouvel état dintelligence, Paris, La Sirène, 1921, p. 107, 100, 116.

29 « Universel reportage » tant décrié par Mallarmé ; voir : Isabelle Krzywkowski,op. cit. [en ligne], p. 11.

30 Jean Epstein, op. cit., p. 116.

31 Ibid., p. 133-134 et 137-138.

32 Ibid., p. 147.

33 Car Einstein, La Sculpture nègre[1915], Les Arts dAfrique, prés. & trad. par Liliane Meffre, avec Jean-Louis Paudrat, Arles, Actes Sud & J. Chambon, 2015, p. 20.

34 Isabelle Krzywkowski, op. cit. [en ligne], p. 19.

35 Jean Epstein, op. cit., p. 14.

36 Epstein écrit à Cendrars au début de 1920 pour lui présenter son étude, avec le plan composé. Voir : Joanna Zurowska, « La Lettre de Blaise Cendrars sur La Poésie daujourdhui de Jean Epstein », Blaise Cendrars au vent dEst, Henryk Chudak & Joanna Zurowska (dir.), Varsovie, PUV, 2000, p. 159. La lettre est datée de « Nice, mai 1920 ». Anthologie nègre paraît en juin 1921.

37 Blaise Cendrars dans Jean Epstein, op. cit., p. 213. La lettre est annoncée sur la couverture du volume comme un prolongement du titre, avec la même typographie.

38 Isabelle Krzywkowski a montré dans ses divers travaux et les anthologies constituées que ce « cri » est présent dans les littératures de langue allemande, anglaise, italienne, russe. Lanalyse comparatiste atteste dune crise internationale.

39 Cité par Rossella FroissartPezone, « Le Bulletin de la Vie artistique. Un réseau moderniste autour de la galerie Bernheim-Jeune », Les Revues dart. Formes, stratégies et réseaux au xxe siècle, R. Froissart Pezone & Y. Chevrefils Desbiolles (dir.), Rennes, PUR, 2011, p. 221.

40 Dans son tome II, Primitivismes. Une guerre moderne (2021), Ph. Dagen fait remarquer que Janneau, dans le Bulletin du 1er février 1925, est le seul qui relève « limpropriété » du mot nègre, raciste, dans un compte rendu dexposition, mais sa « tentative de réforme de la langue », en proposant « artiste noir », reste vaine (op. cit., 2021, p. 91).

41 Cendrars a ensuite intégré cette prose poétique à son recueil Aujourdhui paru en 1931.

42 Selon la lettre que Cézanne adresse à Émile Bernard le 15 avril 1904 : « Dieu ou la nature ont étalé un spectacle devant nos yeux, dont nous voyons une section. Létendue est donnée par les lignes parallèles, la profondeur par les lignes perpendiculaires. [] Tout dans la nature se modèle selon le cylindre, la sphère, le cône []. Il faut sapprendre à peindre sur ces figures simples. On pourra ensuite faire tout ce quon voudra [] », Conversations avec Paul Césanne, Édition critique présentée par P.-M. Doran, Paris, Macula, 1978, p. 26.

43 LExposition internationale des Arts décoratifs et industriels se tient à Paris, sur lEsplanade des Invalides, les quais rive gauche et rive droite et les alentours du Grand Palais et du Petit Palais, du 28 avril au 30 novembre 1925. Lexposition programmée en 1915, repoussée à 1916, ajournée pour cause de guerre à 1922, puis en 1924, eu finalement lieu en 1925. À partir de cette Exposition, les arts décoratifs tournent définitivement le dos aux fioritures de lArt Nouveau du début du siècle.

44 Lartiste Sonia Delaunay était très active dans ce domaine, en ayant sa propre boutique de décoration dès son retour dEspagne puis du Portugal, en 1924 à Paris. Robert Delaunay peint aussi un décor pour lExposition. Cassandre, affichiste, devient un symbole de ce temps avec la création de son caractère typographique Bifur.

45 André Breton cité par Philippe Dagen, Le Peintre, le Poète, le Sauvage. Les voies du primitivisme dans lart français, Paris, Flammarion, 1998, p. 542.

46 Cité par Martin Stein, Blaise Cendrars. Bilans nègres, Paris, Minard, coll. « Archives des lettres modernes », 169, 1977, p. 13.

47 Lessai dÉmilien Sermier propose des analyses en résonance avec les affirmations dEpstein : Une saison dans le roman. Explorations modernistes : dApollinaire à Supervielle (1917-1930), Paris, José Corti, 2022.

48 Cendrars dans Jean Epstein, op. cit., p. 213.

49 Joanna Zurowska, op. cit., p. 165.

50 Cité par Joanna Zurowska, op. cit., p. 168.

51 Thémélis Diamantis, « Freud, lart moderne et les “misérables cannibales nus” : une perspective décalée sur le destin des pulsions », Topiques, no 104, Paris, LEsprit du temps, 2008, p. 144 : https://www.cairn.info/revue-topique-2008-3-page-127.htm (consulté le 28/01/2022).

52 Michel Barillon, « De la nécessité de sortir du faux dilemme primitivisme/progressisme », Écologie et Politique, Lormont, éd. Le Bord de leau, no 53, 2016-2, p. 53 : https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2016-2-page-29.htm (consulté le 28/01/2022).

53 Philippe Dagen, Primitivismes. Une invention moderne, op. cit., 2019, p. 132.

54 François-René Martin, « La France éternelle dans LEsprit nouveau. Questions dhistoriographie et de nationalisme », Les Revues dart, op. cit., p. 229.

55 Guillaume Apollinaire, « Sur les musées » [Le Journal du soir, 3 octobre, 1909], À propos dart nègre, Toulouse, Toguna, 1999, p. 5.

56 Carl Einstein, Les Arts de lAfrique, prés. et trad. Liliane Meffre, op. cit., p. 179. La conscience de ce paradoxe – entre les formes et les fonctions – est très forte chez Einstein et fut cause dun déséquilibre personnel « qui atteignit parfois un point paroxystique », Gradhiva, op. cit., « Introduction », p. 20.

57 Michel Barillon, op. cit., p. 44.

58 Eddy du Perron, Manuscrit trouvé dans une poche. Chronique de la conversion de Bodor Guila, Anouck Cape (éd.), Paris, Cambourakis, 2010, p. 9 et p. 55-56.

59 Dans ce même théâtre avait été présenté en 1923 La Création du monde par la troupe des Ballets suédois, à partir dun conte de lAnthologie nègre.

60 Quand Cendrars fait la promotion de la « Création du monde », son ballet « nègre » de 1923, auprès de son agent américain A. Bradley, il précise quil sagit dune « fresque globale » et quil ne « faut pas prendre tout cela pour du jazz » [lettre inédite]. Toujours à propos de ce ballet, dans le magazine Vanity Fair, à Paris, le critique G. Seldes décrit une œuvre d« une beauté concentrée » qui permet d« échapper à la confusion entre Afrique et Alabama » (Jay Bochner, « Bradley, un agent américain et ses réseaux », conférence AIBC-UMR Thalim Sorbonne Nouvelle, 3 juin 2022). Les spectacles du monde noir américain, déplacés en Europe, sont perçus comme des divertissements, simulacres de Broadway à Montparnasse, sans enjeu esthétique, ce qui confirme la transformation des orientations primitivistes des avant-gardes, ici parisiennes.

61 Formule extraite de son article « Jazz band » [Paris-Midi, 4 août 1919], cité par Martin Steins, op. cit., p. 3. Lauteur reprend régulièrement cette formule pour critiquer le primitivisme cendrarsien.

62 Jean-Luc Aka-Evy, Créativité africaine et primitivisme occidental. Philosophie esthétique, Paris, LHarmattan, 2018, p. 48.

63 Ibid., p. 54.

64 Blaise Cendrars, Anthologie nègre et autres contes, Paris, Denoël, TADA 10, 2005, p. 479. Voir la « Préface » à ce volume pour les sources consultées, p. xx.

65 Mais il a aussi paru cette année-là dans la revue Navire dargent, revue parisienne des intellectuels américains expatriés, sans doute peu amateurs des valeurs de la monoculture.

66 Blaise Cendrars,Moravagine [1926], Paris, Denoël, TADA 7, 2003, p. 135.

67 Ibid., p. 141.

68 Ibid., p. 21-22.

69 Les contes sont « fabriqués » à partir de plusieurs récits déjà récoltés pour lélaboration dAnthologie nègre dans la « bibliothèque coloniale », notion proposée en 1988 par Valentin Y. Mudimbe dans The Invention of Africa : Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge (trad. française par L. Vannini, Paris, Présence africaine, 2021).

70 Par contraste, ce constat peut faire comprendre le caractère paternaliste du recueil Comment les Noirs sont danciens blancs, paru en 1930, où la magie et limaginaire disparaissent au profit dhistoires narrant lorigine de la domination des Blancs, par leur choix fonctionnels et utilitaires.

71 Le primitivisme littéraire est peu présent dans la somme proposée par Ph. Dagen, y compris concernant ces années 1920 discutées dans le second tome de Primitivismes. Si Tzara le surprend parce quil prolonge ses productions et son attrait pour ce qui est nommé la « mode nègre », alors « quon sattend à ce quil sen éloigne » (op. cit., 2021, p. 351), cest justement parce quil ny a pas succession mais co-présence de primitivismes dont les formes esthétiques se superposent pour faire sens, comme je le montre ici à propos de textes de Cendrars.

72 Voir : Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Barbara Cassin (dir.), Paris, Le Robert – Le Seuil, 2005, p. 108.

73 Blaise Cendrars, « Lettre à Alexandre Smirnov, Paris 23.12.1913 ». Voir : Miriam Cendrars, Blaise Cendrars Inédits secrets, Paris, Club français du livre, 1969, p. 371.

74 Dans son article, op. cit., Philippe Sabot interroge dans les années 1930 les ambiguïtés du groupe surréalisme envers le primitivisme. Philippe Dagen réserve au groupe de nombreux commentaires et analyses dans son volume Primitivismes II. Une guerre moderne (op. cit.). La constance de cet intérêt primitiviste et ses usages multiples se découvre aussi dans une lettre de Cendrars à Jean Giono, datée du 15.02.1929, qui le remercie de lenvoi de Colline en associant le monde provençal à une primitivité porteuse dun essentiel à valoriser : « [] Cest rudement fort davoir su écrire ce livre, chez vous, sans un cliché, aux antipodes du classicisme, en pleine communion avec le nègre. [] » [Lettre inédite Fonds Giono – Exposition du MUCEM, Marseille, 2020. Merci à Jean-Yves Laurichesse de cette référence].

75 Blaise Cendrars, Dan Yack[1929], Paris, Denoël, TADA 4, 2002, p. 292.

76 Blaise Cendrars dans Jean Epstein, La Poésie daujourdhui, op. cit., p. 214.