Résumés

Pierre Civil et Corinne Lucas Fiorato, « Articulations des temporalités. Nouveaux passés, nouveaux présents vers le futur »

La Modernité des xvie et xviie siècles se pense en un présent de ruptures, restaurations et projections ouvert sur le devenir des mondes. La « revisitation » des passés actualise les procédures d’action sur le présent et renouvelle la transmission des savoirs et des idées. Ce second volume sur Le Présent fabriqué aborde tour à tour la mise en œuvre de nouveaux passés, la coexistence de temporalités discordantes, l’évolution de régimes d’historicité orientant le présent vers de nouveaux futurs.

Susanna Gambino Longo, « Les origines obscures du présent. L’homme primitif dans les commentaires italiens sur Vitruve »

Deux commentaires du livre II du De architectura de Vitruve, ceux de C. Cesariano (1521) et D. Barbaro (1556), mènent une réflexion sur les temps premiers de la civilisation humaine d’où se dégage une vision nouvelle du progrès de l’homme. Par le prisme de l’origine de l’édification, ils développent le discours de Vitruve sur la société humaine, par l’apport d’autres sources matérialistes (Cesariano) et par la confrontation avec l’actualité des découvertes géographiques (Barbaro).

William J. Connell, « L’Éternité du monde et la révolution historiographique de la Renaissance »

La thèse artistotélicienne de l’éternité du monde bouleversa le rapport qu’entretiennent le temps historique et le temps universel dans la doctrine chrétienne. Les humanistes italiens, après avoir lu les historiens grecs qui, contrairement aux historiens latins, décrivaient un passé bien plus long que le passé tel que conçu dans la Bible, abandonnèrent le providentialisme et ranimèrent une écriture de l’histoire calquée sur celle des Anciens.

Christophe Giudicelli, « L’a-contemporanéité des barbares. Les Indiens et la temporalité coloniale (Amérique espagnole xvie-xviie siècles) »

La conquête inattendue de l’Amérique exigeait qu’on l’arrime à une temporalité globale. La conceptualisation générique des « Indiens » déboucha sur des typologies non seulement descriptives mais se déployant sur un axe temporel. Si les empires préhispaniques furent assimilés à une lointaine antiquité, les barbares des confins furent relégués dans un hors-temps primitif et menaçant. Ce rejet prépare les opérations d’incorporation de ces Indiens au présent hétéronome de la conquête. 

Tania Rispoli, « Il lavoro dell’imitazione. Natura e storia tra Lucrezio e Machiavelli »

Machiavel accorde une grande importance à l’imitation pour comprendre le passé et en tirer des leçons pour le présent. Il se réfère à la conception du temps chez Lucrèce tenant compte des variables possibles et des événements régis par un clinamen aléatoire : la nature humaine varie en positif ou en négatif, selon les changements culturels. Il n’y a jamais de répétition mécanique, chaque situation du passé n’est reproductible qu’en fonction des variations de la culture et de l’histoire.

Jean-Louis Fournel, « Entre origine et prophétie. La vérité du présent chez Tommaso Campanella »

La conception du temps chez Campanella s’appuie sur une priorité conférée au présent en tant qu’il est le plus immédiat des temps donc le plus manifeste, le plus proche de la Création, sans nécessité d’une médiation humaine pour le saisir. Son évidence le rend indiscutable,malgré l’importance des questions de l’origine et de la prophétie car tout ce qui fut comme tout ce qui sera est constitutif d’une exigence d’intervention dans le présent et n’existe que pour conditionner ce dernier.

Pauline Renoux-Caron, « Création ou restauration ? La question de l’ancienneté de l’Ordre de Saint-Jérôme dans l’historiographie hiéronymite »

Au xve siècle, l’Ordre de Saint-Jérôme entreprend d’écrire son histoire. Créé au xive siècle, favorisé par la monarchie et les élites nobiliaires, il entend 345fixer sa mémoire et son identité. Le processus implique ainsi les Hiéronymites dans la course à l’ancienneté dans laquelle s’implique la plupart des ordres monastiques. Cette recherche d’ancienneté contribue à modifier le rapport au temps, rattachant l’époque fondatrice de l’ordre à celle de son lointain patron, saint Jérôme, mort en 419.

Laurey Braguier, « Le temps religieux à l’épreuve des beatas de Castille (1450-1600) »

Cet article interroge la réactivation des mouvements spirituels féminins d’essence laïque et leur rapport au temps dans la Castille des xve et xvie siècles. Au travers des pratiques des emparedadas et des beatas originellement rattachées aux vierges consacrées du christianisme primitif, notre étude se propose d’explorer les évolutions de ces communautés en quête d’une foi plus personnelle et leur émancipation progressive dans leur relation au temps religieux. 

Sarah Voinier, « Variations de temporalité dans les oraisons funèbres en l’honneur des Habsbourg d’Espagne »

À partir d’un tissage de temporalités multiples, le prédicateur fait entendre, au-delà de la commémoration attendue du roi défunt, un discours édifiant, miroir tout autant politique que spirituel adressé à l’héritier du trône. Pour tenter de saisir les mécaniques de ces temporalités et leurs projections sémantiques, l’analyse portera sur quatre sermons dédiés à Charles Quint et ses successeurs, depuis différents espaces de la Monarchie hispanique et de France.

Alexandra Merle, « Les temps présents dans la réflexion politique des jésuites espagnols à la fin du règne de Philippe II »

L’actualité des dernières années du règne de Philippe II, marquées par les échecs et les difficultés, suscite les réflexions de deux célèbres jésuites espagnols, Ribadeneyra et Mariana. Si tous deux évoquent, à propos du désastre de l’Armada en particulier, les desseins de la Providence, cette explication, usuelle chez l’un, est plus exceptionnelle chez l’autre. De significatives nuances existent dans leur analyse de la situation de la monarchie et dans leurs recommandations pour l’avenir.

Paloma Bravo, « Temporalité(s) politique(s) et sacrée(s) dans la Numancia de Cervantès »

L’article propose une étude de la portée politique de la pièce. Celle-ci s’exprime à travers un télescopage temporel qui fait de la ville pré-chrétienne une préfiguration de l’Espagne catholique. La résistance héroïque de la Numance celtique prépare et annonce la destinée impériale de la Monarchie hispanique : sa chute et sa mort (comparable à la passion du Christ et des martyrs chrétiens) rendent possible l’apothéose de l’Espagne de Philippe II.

Élise Leclerc, « Fabriquer le présent pour construire l’avenir. Le Tumulte des Ciompi dans les livres de famille florentins (xive-xve siècles) »

À travers l’analyse des récits du Tumulte des Ciompi (1378) présents dans les livres de famille florentins, du moment des faits au milieu du xve siècle, il s’agit d’étudier comment – entre présent, mémoire et histoire des familles et de la cité – les élites ont progressivement construit sur le terrain des représentations le statut « charnière » que ces événements ont acquis dans l’histoire politique et sociale de Florence.

Laurent Baggioni, « Temps individuel et temps collectif chez Coluccio Salutati. Droit, morale et religion »

Coluccio Salutati (1331-1406) n’a cessé de penser les malheurs publics de son temps et leurs remèdes à la lumière de l’enseignement des Anciens. Au-delà de l’aspiration au renouveau, l’examen de sa production intellectuelle révèle la complexité de sa compréhension du présent, dramatisé autour de la nécessité d’une remise en adéquation du temps individuel et du temps collectif. Trois temps forts de son œuvre sont analysés pour définir les traits de son écriture du présent et ses apories.

Carlo Alberto Girotto, « Modernité, progrès, répétition. Perceptions du sens de l’histoire au milieu du xvie siècle »

L’article propose une réflexion sur les concepts de temps et de modernité dans les ouvrages de quelques poligrafi de la Renaissance italienne, de Giorgio Vasari à Anton Francesco Doni, et les écrits de Francesco Guicciardini et de Niccolò Machiavelli. On y souligne les différentes visions de la temporalité 347et un tournant culturel du milieu du xvie siècle à partir duquel le temps et le progrès commencent à être perçus comme des formes de répétitions de certains modèles de l’histoire.

Françoise Crémoux, « La querelle du patronage entre saint Jacques et sainte Thérèse (xviie siècle). Passé et présent des cultes »

Au début du xviie siècle, la décision des Cortes de Castille de désigner sainte Thérèse comme co-patronne de l’Espagne, en association avec saint Jacques, déchaîne une « guerre de plumes » posant de façon conflictuelle et variée la question de la temporalité des cultes. Cette bataille interroge, sur le temps long, l’adaptabilité et l’actualisation des dévotions, et oppose, dans une perspective politique et religieuse, des « cultes du passé » à des cultes identifiables au présent… et à l’avenir.

Pierre Civil, « Mythes urbains et construction du présent. Le cas de Tolède au Siècle d’Or »

Aux xvie et xviie siècles, se développent en Espagne les écrits chorographiques, ces constructions chronologiques des histoires de villes. À Tolède, les ouvrages d’Alcocer (1554) et Francisco de Pisa (1605) ravivent les mythes de fondation comme autant de projections depuis le présent, affirmant le prestige et l’orthodoxie religieuse de la cité. Le Laocoon et la Vue et plan de Tolède du Greco proposent une méditation sur l’image de la ville impériale dans le jeu signifiant des temporalités.