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Classiques Garnier

[Introduction à la quatrième partie]

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CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE

Y a-t-il donc eu, en définitive, un effet LICA sur l’ensemble de l’opinion juive française relativement à l’Italie dans les années 1933-1935 ? Si l’on se fie aux idées et à l’attitude de la frange conservatrice et modérée, l’on serait tenté de répondre par la négative. Deux effets indirects mais essentiels peuvent toutefois êtres recensés. L’action tonitruante menée par les ligueurs juifs contribua d’une part à modifier l’image du judaïsme au sein de l’opinion juive et de l’opinion française en général, mais surtout, les attaques lancées par la LICA contre les tenants du judaïsme officiel amenèrent d’autre part ceux-ci à sortir quelque peu de leur réserve, à répondre et à présenter leur propre vision de la situation du monde juif, notamment en Italie. La LICA étoffa ainsi l’opinion juive et la renforça, en entraînant, du fait de la controverse, une richesse inédite des prises de position. Selon Pierre Milza, « on peut considérer […] que, jusqu’au milieu des années trente, seule une minorité fortement politisée à gauche manifeste à l’égard de Mussolini et de son régime une hostilité militante1 », schéma parfaitement valable pour les Juifs de France, à la différence toutefois que, quelques individualités comme Edmond Bloch ou Waldemar-George mises à part, l’on trouvait difficilement de véritables sectateurs du régime fasciste, tout au plus des admirateurs « intégraux » de l’Italie. Mais cette minorité de gauche dont parle l’historien n’évoluait pas en vase-clos et ne se juxtaposait pas simplement aux autres tendances chez les Juifs ; elle tentait de changer le regard que celles-ci portaient sur l’Italie de Mussolini et de les fédérer à l’opposition. L’influence des plus progressistes dépassait de loin le nombre des sympathisants de cette tendance politique.

L’exacerbation des tensions au sein du judaïsme sur la question du fascisme traduisait les multiples incertitudes caractérisant l’attitude des Juifs. Toutes les convictions volaient en éclats, sur ce qu’était véritablement le fascisme dont l’importation – fantasmée – en France troublait l’image, sur l’attitude de Mussolini ou même sur le sort des Israélites 272transalpins. Chaque événement en contredisant un autre, la perplexité conduisait les uns vers des réactions parfois outrancières, les autres vers l’indétermination et l’attentisme. Les années 1933-1935 furent ainsi celles d’une transition de l’attitude des Juifs face à l’Italie.

C’était donc une judaïcité déchirée et en perte progressive de repères relativement à l’Italie qui devait affronter l’inquiétante montée des périls. Certains ne se résignèrent cependant pas facilement.

1 Pierre Milza, Mussolini, Paris, Fayard, 1999, p. 625.