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Classiques Garnier

Conclusion de la troisième partie

241

LES JUIFS DE FRANCE, L’ITALIE
ET LA DÉFENSE DU MONDE JUIF :
DEUX VISIONS, DEUX ATTITUDES

À la fin de l’année 1933, quarante-trois publications juives américaines élurent Mussolini parmi les douze plus grands défenseurs du judaïsme à travers le monde1. Les Juifs de France auraient-ils voté de même ? Sans doute à une importante majorité, mais non à l’unanimité, comme cela aurait pu être le cas une décennie auparavant. C’est qu’en cette période de crise pour le judaïsme, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières françaises, deux attitudes s’observaient parmi les Israélites français : les uns cherchaient à alarmer leurs coreligionnaires ainsi que leurs compatriotes sur la dégradation de la condition juive en Europe ; les autres voulaient entretenir la flamme de l’espoir en se cramponnant à leurs illusions. Beaucoup répétaient ainsi que l’Italie apparaissait comme un Éden à plus d’un titre pour le peuple juif et même comme l’un des plus ardents défenseurs de la cause d’Israël à travers toute l’Europe. Pour Pierre Milza, les années 1932-1935, celles qui sont précisément étudiées ici, marquent d’ailleurs l’« apogée » des relations favorables entre Mussolini et les Juifs2 ; Meir Michaelis n’hésite pas pour sa part à parler de « lune de miel » à cette époque entre les Juifs et les fascistes3.

Une partie de l’opinion juive évoluait en fait dans un sens a priori inattendu. Elle ne retenait plus, comme pour se convaincre, que les aspects positifs de l’attitude transalpine face à la question juive, en oubliant de pointer les failles éventuelles, comme on put le faire par le passé, et en taisant surtout, comme on l’a vu, les rapports entre la sœur latine et les mouvements fascistes français, agents de l’antisémitisme. Cette évolution de l’opinion juive pouvait s’expliquer aussi par le fait que l’on s’intéressait moins à la question juive en Italie même qu’à 242l’attitude transalpine face à l’antisémitisme européen. En d’autres termes, les Israélites français se focalisaient sur les aspects où s’exerçait le plus la propagande fasciste, soucieuse de véhiculer la meilleure image possible de l’Italie. Quant à la LICA, elle restait fidèle à sa posture traditionnelle et dénonçait ce qu’elle assimilait à une comédie italienne ; d’autres Israélites que ceux issus de ses rangs se rangeaient à une semblable position. Pour la première fois, ces deux visions ouvraient sur deux types d’action, ou plutôt sur l’inaction pour les uns, comme à l’accoutumée, et l’action pour les autres, au sein d’un combat interne et externe d’une extrême âpreté.

Les Israélites qui louaient l’Italie se montraient-ils réellement convaincus par leurs propres arguments ou triaient-ils les informations afin de présenter l’Italie comme amie et soutien des Juifs ? Le discours sur l’Italie peut-il être considéré comme un argument déployé contre les antisémites français se réclamant parfois du modèle transalpin ? Si beaucoup présentaient le gouvernement italien comme un allié de choix, ils se révélaient toutefois plus avares d’éloges concernant leurs coreligionnaires d’outre-monts. Il y avait là une clé pour comprendre la réalité de la situation.

Les métamorphoses de l’image philosémite de l’Italie

L’on distinguait difficilement la part de la sincérité, de l’idéologie, et celle de l’intérêt dans la défense italienne d’Israël.

Mussolini et les Italiens contre l’antisémitisme

Dans le domaine des représentations, les mots valent parfois plus que les actes. Et lorsque certains souhaitent se convaincre d’une vérité, contre toute évidence parfois, cela est encore plus vrai. Une déclaration faite par Mussolini à l’historien juif allemand Emil Ludwig suffit ainsi à répandre dans l’opinion internationale l’image d’un Duce philosémite4. 243Le public français put découvrir l’ensemble des Entretiens avec Mussolini (traduction française des fameux Colloqui con Mussolini) en 1932. Ludwig y aborda longuement la question du racisme et de l’antisémitisme avec son hôte. Il commença par lui poser la question suivante :

Croyez-vous vraiment qu’il y ait encore des races à l’état pur en Europe, comme certains savants en font circuler le bruit ? Que l’unité de la race soit vraiment caution d’une force nationale plus grande ? Et ne courez-vous point le danger que les apologistes du fascisme […] propagent sur la race latine les mêmes sottises que les professeurs nordiques sur la « noble race blonde » et que, par là, ils développent les sentiments belliqueux5 ?

Ludwig rapporta la colère de Mussolini dont la gêne provenait en la matière des excès de certains fascistes, puis retranscrivit la réponse de son hôte, selon lequel le concept de race était inepte : « Naturellement, dit-il, il n’y a plus de races à l’état pur. Même les Juifs ne sont pas demeurés sans mélange. Ce sont justement des croisements heureux qui ont souvent produit la force et la beauté d’une nation. La race, c’est un sentiment, non une réalité. Le sentiment y entre pour quatre-vingt quinze pour cent. Je ne croirai jamais qu’on puisse faire la preuve biologique qu’une race est plus ou moins pure6 ». Engageant Mussolini sur le terrain juif, l’historien allemand notait que les antifascistes italiens exilés à Paris accusaient Mussolini d’antisémitisme ; le Duce s’en défendit avec virulence, en prononçant sa célèbre profession de foi :

L’antisémitisme n’existe pas en Italie, fit Mussolini. Les Juifs italiens se sont toujours bien comportés comme citoyens et bravement battus comme soldats. Ils occupent des situations éminentes dans les universités, dans l’armée, dans les banques. Il y en a toute une série qui sont généraux7.

Ce texte marqua profondément les Israélites français qui s’en firent largement l’écho. En octobre 1932, les Archives Israélites rapportèrent les propos d’Emil Ludwig réaffirmant que Mussolini éprouvait de l’admiration pour les Juifs8. Quelques mois plus tard, en janvier 1933, Janine Auscher, de L’Univers Israélite, obtint une entrevue avec l’historien allemand à qui elle demanda d’exposer la situation des Juifs italiens sous le fascisme ; celui-ci répondit : « Elle est fort prospère, nulle différence 244n’est faite entre eux et les autres citoyens. Certains occupent même des postes officiels », termes approchant de ceux employés par Mussolini. Ludwig poursuivit avec un vibrant éloge de la Méditerranée, dont les Juifs faisaient partie intégrante9.

Au moment où le fascisme français suscitait l’inquiétude, de telles déclarations de la part du chef des fascistes avaient tout pour rassurer les Israélites français, d’autant qu’elles n’étaient pas isolées. Le Duce, ne manquait-on pas de noter, multipliait les signes de soutien à Israël. L’opinion juive française accueillit ainsi favorablement les récriminations de l’Italie à l’égard de l’antisémitisme allemand ; l’on notait que la question juive constituait l’une des principales causes de la méfiance de Mussolini envers Hitler, ce qu’ont démontré plusieurs historiens, dont Meir Michaelis en replaçant le problème de l’antisémitisme dans un contexte plus général10. Dès 1932, L’Univers Israélite résumait comme suit la substance des propos tenus par la presse italienne : « Persécuter les Juifs est une bien vieille chose ; le fascisme, lui, veut reconstruire la vie sur des bases nouvelles. Sous le régime fasciste, les Juifs jouissent de tous les droits, alors que le hitlérisme leur veut enlever ceux qu’ils ont péniblement acquis11 ». Après l’avènement d’Hitler, les organes communautaires juifs n’épargnèrent à leurs lecteurs aucune manifestation italienne d’hostilité à l’antisémitisme allemand : Paix et Droit soulignait que « M. Mussolini a exprimé l’espoir que cette situation pénible cesserait bientôt pour faire place à un état de choses normal12 ». Face aux excès allemands, l’Italie renforça de fait sa ligne philosémite et chercha à rassurer les Juifs italiens. Mais dans quel but ? L’Univers Israélite reproduisit une déclaration rassurante prononcée par Mussolini, lequel rappela que « l’Italie n’a jamais connu l’antisémitisme, et même aujourd’hui le peuple italien ne professe aucun préjugé à l’endroit des Juifs » ; le journal ajoutait que « le chef du gouvernement italien, M. Mussolini, a maintes fois réaffirmé qu’une grande injustice a été commise contre les Juifs en Allemagne13 ». Preuve selon les Juifs français 245qu’il ne s’agissait pas là de simples effets de manche, l’Italie n’hésitait pas à faire savoir à ceux qui étaient parfois ses alliés politiques son rejet du racisme – c’était toutefois oublier un peu vite l’épisode de Montreux : après avoir critiqué la thèse allemande sur la pureté de la race au cours d’un débat sur la question juive à la Société des Nations14, l’Italie adressa aux fascistes anglais, qui prônaient l’antisémitisme, un vif avertissement ; les mouvements se proclamant fascistes ne devaient pas s’aligner sur le modèle nazi, qui trahissait la nature et les objectifs du véritable fascisme :

Plusieurs organes italiens – interprétant les sentiments du gouvernement – lui [à Mosley] ont dit que le fascisme créé par Mussolini ne reconnaît à aucune race le droit d’opprimer une autre race, que le fascisme ignore les conflits d’ordre religieux et qu’en imitant les méthodes instituées par Hitler en Allemagne, on risque de rejeter son pays dans l’obscurité de la préhistoire15.

Il n’était donc pas étonnant que, dans ces conditions, l’on célébrât en France l’attitude italienne : lors d’une séance publique du Comité français pour la protection des intellectuels juifs persécutés, le 10 mai 1933, le député François Piétri, louant l’esprit latin de tolérance, se livra à un éloge passionné de Rome, ouverte à l’Autre depuis les Césars, et salua l’attitude responsable de l’Italie, proche des grandes démocraties par son refus du racisme16. Ce fut avec satisfaction que les Israélites français évoquaient le mécontentement allemand après la réprobation italienne : une nouvelle fois, certains organes hitlériens accusèrent Mussolini d’être juif, ce à quoi la presse italienne répondit que si Mussolini avait été juif, le peuple d’Israël n’en aurait eu que plus de valeur ; s’ensuivit de la part des organes fascistes un éloge d’Israël et du caractère cosmopolite de l’Italie17. Dans les faits, l’Italie accueillit des Juifs en provenance des pays de persécution : en Hongrie, la langue italienne fut introduite dans certaines écoles juives afin de faciliter l’intégration des éventuels candidats à l’émigration vers l’Italie18. Plus décisif encore fut l’accueil très officiel des réfugiés allemands dans la péninsule :

246

Le consulat d’Italie à Berlin annonce que le gouvernement italien ne voit pas d’inconvénient à ce que les Juifs allemands, désireux de transférer leurs capitaux en Italie, s’y établissent en profitant de l’autorisation des autorités allemandes d’exporter 30.000 Rentenmarks en virement sur une banque italienne.

Un délégué du Hilfsverein se rendra prochainement en Italie pour discuter avec les autorités les conditions de l’admission des Juifs allemands. On croit qu’un millier de familles juives iront prochainement s’établir en Italie19.

Il ne faut pas s’y tromper. Parmi les Juifs, l’on insistait bien moins sur le bénéfice retiré en Italie par l’arrivée de Juifs allemands fortunés que sur le secours porté aux malheureux dans un contexte angoissant et sur la tradition d’accueil italienne : en juin 1935, 1 100 réfugiés allemands avaient gagné l’Italie20.

Mussolini aurait-il pu réagir autrement, se demandait-on ? Beaucoup répondaient par la négative : les hiérarques fascistes ne pouvaient pas s’éloigner du sentiment populaire. L’opinion italienne se montrait touchée par le sort réservé aux Juifs allemands et suivait l’évolution des événements avec attention21. Toutes les tendances de l’opinion transalpine se montraient attristées par la situation en Allemagne, disait-on au sein du judaïsme français, au point que certains protestèrent publiquement, tel Giovanni Papini, qui voyait dans le racisme allemand une traduction de l’esprit germanique ; Papini ajoutait que le peuple allemand était loin d’être « pur » et que les plus grands esprits produits récemment par l’Allemagne furent ceux d’Einstein et de Freud22. Le caractère accueillant de l’Italien ne se démentait pas et nombre de Juifs, y compris les immigrés, ne craignaient d’ailleurs pas de choisir sans risque la sœur latine pour destination de voyage23.

Dans ce concert d’éloges, se faisaient toutefois entendre certaines fausses notes. Derrière les déclarations rassurantes se cachaient d’inquiétants agissements, clamait-on ça et là. Grande nouveauté : les critiques n’étaient plus le seul fait des Juifs d’extrême gauche ; alarmées par l’évolution de la conjoncture française et européenne, des voix de plus en plus nombreuses, transcendant les clivages de l’opinion juive, faisaient preuve de vigilance. La LICA se trouvait la mieux placée pour assurer la fonction d’opposante à la pensée commune. Le Droit de Vivre remarquait ainsi 247que, malgré des signes bienveillants, aucune manifestation de soutien aux victimes du nazisme ne fut organisée en Italie ; le journal de la LICA publiait in extenso la déclaration de la Ligue italienne des Droits de l’Homme (LIDU), alertant l’opinion française :

La Commission Exécutive de la Ligue Italienne des Droits de l’Homme, en présence des persécutions de la dictature fasciste allemande contre les Juifs,

Signale que de tous côtés se lève la protestation des esprits libres, tandis qu’en Italie aucune manifestation de solidarité envers les victimes de la haine antijuive ne saurait être tolérée, parce que le régime fasciste considère comme un crime tout appel aux droits de l’homme et du citoyen : droits que le fascisme a supprimés en Italie avant que l’hitlérisme les supprimât en Allemagne,

Affirme que le peuple italien, mis dans l’impossibilité de proclamer son sentiment d’indignation, est solidaire avec le monde civilisé contre ceux qui rétablissent les méthodes du Moyen-Âge ; et que la complicité assumée par les journaux italiens avec les mesures brutales du gouvernement hitlérien, n’exprime pas, mais trahit et offense la véritable conscience des Italiens24.

Certes, tous les membres de la LIDU n’adoptaient pas, on l’a vu, un comportement univoque à l’égard des Juifs25, mais s’organisait une convergence des mouvements de gauche antifascistes, juifs et non juifs, rapprochement à même de poser les jalons d’un combat commun. Le but de la LICA, comme celui de la LIDU, revenait à montrer que le philosémitisme était voué à un avenir menacé, du fait de la nature même du fascisme. En janvier 1934, Le Droit de Vivre publia ainsi une fine analyse formulée par l’antifasciste Francesco Nitti, qui donnait sa vision de la condition juive en Italie : « L’État nationaliste doit être nécessairement racial, et par conséquence antisémite. Hitler veut supprimer les Juifs ; le Fascisme italien, plus intelligent, les a pratiquement annulés dans la vie nationale26 ». Étonnamment, Nitti estimait que les Juifs portaient une part de responsabilité dans la recrudescence de l’antisémitisme car ils se présentaient comme un peuple, parfois comme une race ; l’Italien n’en ajoutait pas moins que le sort d’Israël était ignoble et immérité27. Notons que la rédaction du Droit de Vivre publia le texte sans commentaire.

Même s’ils n’allaient pas jusqu’à s’allier à la LICA, certains Juifs modérés et conservateurs nuançaient eux aussi le tableau de l’Italie, 248mais se livraient à des analyses toutes différentes de celles des ligueurs juifs. B. Colombo, un lecteur de L’Univers Israélite ne partageant pas les vues de ce journal, lui adressa un courrier dans lequel il expliquait que si Mussolini s’érigeait en défenseur de la cause juive, la raison provenait de ce que cela servait ses intérêts du moment : bien qu’elle fût indemne d’antisémitisme, l’Italie, craignant que les ambitions allemandes ne vinssent entraver ses desseins extérieurs, avait instrumentalisé la question juive pour témoigner son opposition à Hitler. Si jamais l’intérêt de Mussolini le portait vers l’Allemagne, le Duce n’hésiterait pas à faire volte-face : « Il ne viendra jamais à l’esprit du gouvernement italien de miner sa politique extérieure, qui est liée à celle de l’Allemagne, pour être agréable au judaïsme28 ». Ceux qui s’intéressaient à la mise en place d’une « Internationale fasciste » et au Congrès de Montreux pouvaient glaner comme on l’a vu des arguments supplémentaires pour étayer leurs assertions. Sans être aussi pessimiste, Alfred Berl soutenait lui aussi que la politique de l’Italie n’était plus ce qu’elle avait été. Titrant « L’alerte en Italie », en avril 1934, le rédacteur en chef de Paix et Droit, après avoir rappelé la situation heureuse de ses coreligionnaires sous le ciel transalpin, écrivait : « Et voilà que, soudain, au cours du mois dernier, cette précieuse harmonie a été mise en question par un incident d’ordre secondaire, et plus encore par les commentaires dont il fut le prétexte29 ». Berl faisait référence à l’arrestation d’éminentes personnalités antifascistes israélites suspectées d’antifascisme :

Les polémiques qui suivirent cette mesure ne laissèrent pas de provoquer une pénible émotion dans les milieux juifs de la péninsule et aussi de l’Europe Occidentale. Certains journaux – dont le Tevere – s’avisèrent d’exploiter cette affaire – qui n’eût jamais dû sortir du domaine judiciaire – dans un sens et en des termes tels qu’était impliquée l’intention formelle d’amorcer une campagne antijuive30.

En des termes approchants, Aimé Pallière écrivait : « Une bouffée d’air suspecte à tendances antisémitiques a soufflé ces temps derniers. Le journal le Tevere, organe de faible diffusion heureusement, a publié des articles qui n’ont pas été sans inquiéter l’opinion publique juive31 ». Ni 249Berl ni Pallière ne pensaient que l’agitation des extrémistes fascistes pût entraîner un revirement de l’Italie, où le gouvernement avait mis énergiquement fin à la controverse :

L’incident est clos définitivement, et, selon toute vraisemblance, l’antisémitisme ne deviendra pas un article d’importation en Italie32

Nul doute que le judaïsme italien ne continue à jouir de la tranquillité que tant d’autres pays lui envient33.

S’agissait-il de certitudes ou de vœux ardents ?

Rares furent ainsi ceux qui perçurent clairement l’évolution de la situation : même ceux qui fustigeaient l’Italie ne considéraient pas à sa juste mesure l’ampleur du bouleversement qui s’engageait et qui visait à marginaliser les Israélites en les évacuant peu à peu de la vie publique34. Un facteur expliquait cette sous-estimation : le regain d’intérêt pour le sionisme manifesté par les Italiens, qui occultait les questions intérieures à l’Italie dans l’opinion juive.

L’argument sioniste

L’incertitude du climat international des années 1930 amena l’Italie à se ménager plusieurs ouvertures en Méditerranée. Mussolini considéra ainsi la Palestine comme un sérieux débouché pour les intérêts de son pays, attitude déjà amorcée lors de la précédente décennie ; selon l’état de ses relations avec l’Angleterre et avec l’Allemagne, l’Italie freinait ou accélérait son rapprochement avec les sionistes35. Les Israélites français percevaient bien le caractère intéressé de la nouvelle politique mussolinienne mais peinaient à en déceler le sens et la portée ; il n’était pas rare que les journaux israélites livrassent à leurs lecteurs des informations brutes, parfois tirées d’autres revues, sans commentaire les éclairant. Premier journal à faire allusion à cette réorientation, les Archives Israélites citaient un article du Temps, texte plus tard repris à l’identique par L’Univers Israélite. Le papier original s’étonnait du revirement brutal de l’Italie qui considérait, de manière inédite, le sionisme comme seule 250issue du problème juif, si bien que s’esquissait un lien entre sionisme et essor de l’antisémitisme. L’attitude de l’Italie à l’égard du sionisme était présentée en ces termes aux lecteurs juifs français :

L’instinct de tolérance qui caractérise l’Italien, la conciliation avec l’Église, le tout uni au sens de l’équité romaine que le Duce a rendue à la politique de son pays, conf[èrent] à l’action de l’Italie en Palestine les meilleurs moyens pour affronter et résoudre l’un des problèmes les plus ardus de notre époque36.

Les considérations diplomatiques et géopolitiques n’étaient pas loin et les journaux juifs notaient que plusieurs personnalités sionistes de premier plan, mécontentes des Britanniques, s’étaient rapprochées des fascistes auxquels elles voulaient que fût transmis le mandat sur la Palestine37. De la sorte, Mussolini pourrait jouer la carte palestinienne dans sa relation avec l’Angleterre, ce que notera plus tard sans détour l’hebdomadaire Samedi qui classait l’Italie « parmi les puissances qui ont intérêt à faire régner le trouble dans le Proche-Orient38 ». L’éventualité prise au sérieux de la transmission du mandat palestinien à l’Italie expliquait aux yeux de l’opinion juive que Mussolini réservât un chaleureux accueil aux sionistes défilant à Rome. Après que Chaïm Weizmann, président de l’Organisation sioniste mondiale, se fut entretenu avec le Duce, L’Univers Israélite souligna que ce dernier s’était montré « vivement intéressé » par l’œuvre accomplie en Palestine39. En novembre 1934, ce ne fut qu’un laconique entrefilet du même journal qui rendit compte de la visite de Nahum Goldmann, président du comité exécutif du Congrès juif mondial, au Palazzo Venezia40, une discrétion qui ne manque pas d’étonner quand on sait que Mussolini avait déclaré à son hôte : « Je suis 251sioniste41 ». Ce ton circonspect marquait en fait tous les propos relatifs à l’attitude transalpine face au sionisme. Quelques jours après la visite de Goldmann, les deux principaux journaux juifs français prenaient acte de la confirmation de cette politique pro-sioniste et notaient en des termes froids, sans doute repris d’un communiqué officiel : « Le gouvernement italien s’efforce d’introduire la culture italienne en Palestine42 ». Pour ce faire, Aldo Sorani, un Juif italien, avait été chargé par le gouvernement fasciste « d’organiser en Palestine des manifestations littéraires et artistiques italiennes43 », en liaison avec l’Université hébraïque de Jérusalem. Plus symbolique mais significative apparaissait la décision prise par la compagnie maritime italienne Lloyd Triestino de débaptiser l’un de ses navires pour le nommer Tel-Aviv ; « c’est un hommage que la compagnie rend aux passagers israélites qui constituent le contingent le plus important de son trafic44 ». Cela mettait en relief l’importance des intérêts italiens en Palestine. Le Droit de Vivre, désireux de pointer le cynisme fasciste s’intéressait particulièrement à cet aspect ; à la fin de 1933, à l’occasion de la Foire du Levant, à Bari, le journal de la LICA pensait que la Palestine pourrait jouer un rôle central dans la nouvelle carte commerciale du Proche-Orient et rapportait l’attitude de l’Italie qui profitait de la faiblesse allemande :

Le boycott considérable des marchandises allemandes, qui se fait de plus en plus puissant depuis quelques mois, ouvre de grandes perspectives devant la pénétration du commerce italien sur le marché levantin. Chaque jour, les consulats, les banques et les chambres de commerce reçoivent des commandes de produits italiens destinés à remplacer les marchandises qui jusqu’à présent ont été importées d’Allemagne45.

Les questions économiques et commerciales n’intéressaient cependant pas les autres organes de l’opinion juive et cette allusion du Droit de Vivre constituait le seul article du corpus relatif à cet aspect.

Comment expliquer ce ton distant et réservé sur les rapports entre fascistes et sionistes ? La gravité des autres sujets d’actualité en 1933 252et 1934, qui faisait passer cette question à un plan secondaire, peut assurément être avancée. De même que le caractère flou de la politique méditerranéenne de l’Italie elle-même, dont les contours ne sont pas encore définitivement fixés à cette date46. Mais il ressort également de cette attitude une part d’incompréhension, une crainte, de la part de nombreux Juifs de France, ou tout au moins une volonté de ne pas se prononcer. Reconnaître que le sionisme constituait l’issue du problème juif allait contre tous les idéaux de l’opinion juive française47. À part pour la LICA, critiquer l’attitude de l’Italie était inenvisageable car susceptible de s’aliéner l’un des derniers alliés présumés d’Israël en Europe. En fait, une hypothèse peut être échafaudée : les Israélites français se rendaient de plus en plus compte de ce que Mussolini instrumentalisait non seulement la question sioniste, ce que l’on avait clairement compris de longue date, mais surtout la question juive en général. D’où de multiples inquiétudes quand à la solidité et à la durée de cette politique. Examiner les réactions des Israélites italiens enrichissait davantage la réflexion.

Le timide investissement des Juifs italiens
face à la persécution de leurs frères

Tandis que le vent des persécutions s’amplifiait, une grande partie des Juifs, souvent de gauche, critiquait ses coreligionnaires qui ne s’investissaient pas suffisamment pour aider les Israélites en proie à l’antisémitisme, et ce depuis la fin des années 192048. Le judaïsme italien s’attirait-il les mêmes critiques ? S’investissait-il, ou plutôt, pouvait-il s’investir ? L’attitude des Juifs italiens, vivant sous un régime proche de celui d’Hitler et muselés comme le reste des citoyens, ne témoignait-253elle pas d’une certaine dégradation de leur condition ? Pour le savoir, il fallait distinguer le verbe de l’action.

Un soutien verbal

Dès l’orée des années 1930, des Israélites italiens avaient œuvré contre l’antisémitisme qui sévissait à l’extérieur des frontières de la péninsule. En France, l’on reçut par exemple l’écho du projet de lutte contre l’antisémitisme élaboré par le professeur Tedeschi : celui-ci prônait l’établissement d’une convention patronnée par la SDN qui fixerait une législation uniforme pour lutter contre le racisme. Enthousiastes, les Archives Israélites saluèrent le projet et précisaient : « Toutes nos félicitations à notre éminent coreligionnaire pour son Kiddouch Hachem49 ».

Tout laissait penser que cette attitude se poursuivrait après l’avènement d’Hitler. Or, sur ce point, les Israélites français semblaient quelque peu déçus. Certes, ils n’omettaient pas de rapporter les prises de position de leurs coreligionnaires italiens sur l’antisémitisme allemand, telle celle du grand-rabbin Sacerdoti à Mussolini :

Le grand-rabbin de Rome a été reçu par M. Mussolini qu’il a informé des sentiments d’amertume que ressentent les Juifs italiens du fait de la grave situation où se trouvent leurs coreligionnaires d’Allemagne. Il a présenté au chef du gouvernement italien un ordre du jour approuvé à ce sujet par l’Union des communautés juives d’Italie50.

Dans Paix et Droit, l’on pouvait lire précisément cet ordre du jour : l’Union des communautés juives d’Italie appelait de ses vœux un retour à la normale en Allemagne et invitait toutes les « nations civilisées » à empêcher les menées hitlériennes et à venir en aide aux Juifs persécutés51. Une partie de l’opinion juive française, conservateurs et progressistes confondus, trouvait cependant de telles réactions nettement insuffisantes. Quelque temps plus tard, Madeleine Israël, rédactrice à L’Univers Israélite, le signifia d’ailleurs directement au grand-rabbin Sacerdoti, de qui elle obtint une entrevue à Rome : « À tort ou à raison, disait-elle au rabbin, certains avaient cru pouvoir penser qu’étant donné la situation politique de l’Italie, le judaïsme italien n’avait pas protesté (ou tout au moins avec 254suffisamment de vigueur) contre l’attitude antisémite du gouvernement allemand52 ». Désireux de se justifier, l’éminent rabbin énuméra les protestations auxquelles s’étaient livrées les Israélites de son pays, réactions qui allaient des déclarations publiques à la participation à des conférences internationales. La journaliste renchérit et demanda pourquoi aucune réunion analogue ne s’était tenue en Italie ; « M. le grand-rabbin sourit finement », précisait Madeleine Israël53. Angelo Sacerdoti se contenta d’expliquer que les réunions où trop de questions étaient abordées en public n’avaient plus cours en Italie. Interdiction de la part des fascistes ou autocensure de la part des Israélites ? Le rabbin ne donna aucune réponse précise mais chercha à rassurer son interlocutrice.

De l’avis de tous, une gêne nettement perceptible se dégageait du comportement des Juifs italiens ; il fallait en chercher la cause dans les récentes agitations dont l’Italie avait été le théâtre54. Comme plusieurs journaux transalpins accusaient, tout comme dans les années 1920, les Juifs italiens sionistes de ne pas être complètement italiens55, l’ensemble du judaïsme italien cherchait à contrer de tels arguments : « Nombre d’individualités et de collectivités juives s’émurent devant cette incrimination et répudièrent avec énergie tout ce qui pouvait porter ombrage au patriotisme italien56 ». Moins critique, Aimé Pallière, tout en regrettant ces accusations, jetait la faute sur certains juifs trop politisés, même s’il n’y avait rien de comparable au cas français :

Des interventions maladroites de certains Juifs italiens ont produit, m’a-t-on dit, une assez fâcheuse impression. Il y a des gens dont les démarches, quoi qu’ils fassent, trahissent toujours les intentions. Mais du moins l’Italie n’a pas, comme notre Paris, des éléments inassimilés dont l’agitation inconsidérée, les manifestations tapageuses, finissent par agacer le public et préparent de dangereuses réactions57.

255

Sans doute la timidité des réactions italiennes à l’antisémitisme allemand s’expliquait-elle, d’après l’opinion juive française, par la volonté de combattre le discours de la presse italienne : la marge de manœuvre des Israélites d’outre-monts paraissait faible.

Le choix de l’inaction

Les Israélites français ne souscrivaient donc pas aux propos des hauts dignitaires juifs italiens suivant lesquels la communauté transalpine s’était massivement investie pour venir en aide aux Allemands persécutés. Une observation de l’action réellement menée en fournissait la confirmation.

Le premier indice qui s’offre à l’analyse est le faible nombre d’articles relatifs à l’action proprement dite par rapport à ceux rapportant les seules déclarations, dans la presse juive. L’on observe toujours la même tendance que précédemment : l’investissement de la communauté juive italienne connut un net ralentissement après 1933. L’année précédente, les Archives Israélites rendaient hommage à l’action du judaïsme italien concernant l’intégration des réfugiés juifs : « Les communautés italiennes font beaucoup pour les étudiants juifs qui ont quitté les universités inhospitalières de leurs pays pour continuer leurs études à Bologne, à Milan, à Rome. On veut coordonner l’action en faveur de ces étudiants immigrés58 ». Selon les mêmes observateurs, l’entrain des Israélites italiens – leur liberté pourrait-on dire – subit un net fléchissement après l’avènement du nazisme. Le mode de secours apporté aux Juifs allemands changea lui aussi : il s’était réduit à une forme de philanthropie. Ainsi, les journaux juifs français ne parlaient plus de programmes d’aide complets en Italie, mais ne faisaient plus référence qu’à des aides financières, et ce, seulement pour l’année 1934, moment qui correspond à la dégradation des relations italo-allemandes59. Faisant état d’une aide de 400 000 lires destinées à faciliter l’émigration des Juifs allemands vers la Palestine, L’Univers Israélite notait : « Une autre somme sera employée à secourir les réfugiés allemands se trouvant en Italie même et notamment les étudiants juifs, chassés des Universités allemandes, qui poursuivent leurs études 256dans les Universités italiennes60 » ; Angelo Sacerdoti confia à la même revue qu’1 600 000 lires furent en tout récoltées par les communautés juives d’Italie61.

En des heures sombres, toute contribution à l’amélioration du sort des Juifs allemands, quelle qu’elle fût, était saluée par la presse juive française. Or, plusieurs documents figurant dans les archives de l’Alliance israélite universelle permettent de lire les événements de l’époque selon un éclairage différent, car les informations qu’il contiennent n’étaient pas destinées à la diffusion publique. Il s’agit de lettres adressées par le grand-rabbin de Rome Angelo Sacerdoti au grand-rabbin de France Israël Lévi et à l’Alliance israélite universelle ; à cette dernière il écrivait :

Je compte […] beaucoup sur votre aide et sur vos qualités éminentes politiques pour réussir dans ma mission.

Vous pouvez comprendre la grande délicatesse de ma mission en vous rappelant que j’ai eu une longue entrevue avec le chef du Gouvernement à propos de la situation de nos confrères d’Allemagne62.

Angelo Sacerdoti exposait à son homologue français Israël Lévi le sens de cette mission :

Par l’Union des Communautés Juives d’Italie je suis chargé de venir à Paris pour voir les plus éminentes personnalités du monde Juif de France et d’Angleterre afin de les informer de ce que nous avons fait jusqu’à ce moment pour les juifs allemands et de ce que nous nous proposons de faire, et pour expliquer quelles possibilités politiques nous avons pour venir en leur aide, et connaître ce [qui] a été fait ou en passe de faire [sic] par les autres et quelles possibilités il y a dans les pays de France et d’Angleterre63.

Il prévenait Israël Lévi de sa participation à une réunion à Genève et indiquait qu’il viendrait lui rendre compte en personne des discussions ; le rabbin Sacerdoti entendait également s’adresser aux dirigeants du Consistoire et de l’Alliance israélite universelle, et participer à diverses séances de comités pour l’émigration. Il clôturait sa lettre comme suit : « Je n’ai aucun doute que vous serez convaincu de la nécessité d’une action 257concordée entre les juifs des grands pays64 ». Ces documents permettent de cerner la nature de l’aide effective apportée par les Juifs d’Italie : il n’y avait pas d’engagement massif de la part de la population juive italienne dans ce mouvement de soutien car celui-ci se réduisait en fait à une aide officielle, organisée par les seuls responsables communautaires – sans doute afin d’éviter tout débordement ou toute critique de la part du gouvernement ou de la presse – et strictement encadrée par le gouvernement fasciste65. Frappantes apparaissent également les multiples références de Sacerdoti à l’aide apportée par les Juifs italiens : sans qu’il soit ne nécessaire de trop forcer l’interprétation, ces propos sonnent comme des justifications de l’absence d’un mouvement massif de soutien66. Il fallait montrer à l’opinion juive française, très active pour secourir les Juifs en proie à la persécution, que les Israélites italiens se mobilisaient eux aussi. Les Juifs français avaient donc, quant à eux, bien perçu, sans toutefois l’évoquer clairement, l’évolution de la condition de leurs coreligionnaires transalpins.

Les organes de l’opinion juive progressistes ne se prononcèrent pas sur cette question, mais un fait traduit leurs idées. Quand, en juin 1935, des Juifs, au premier rang desquels Maurice Vanikoff et Henri Volf, proches de la LICA, organisèrent une Conférence des anciens combattants juifs, à Paris, ils n’invitèrent pas d’organisations d’anciens combattants italiens67. À l’ordre du jour de cette conférence l’on aborda la défense des Juifs et la montée des périls68, dans le but d’alerter l’opinion sur le sort des Juifs allemands69. La LICA semblait se cantonner à une analyse traditionnelle 258voyant dans les Israélites italiens de fidèles soutiens au fascisme et ne percevait pas l’instabilité de leur nouvelle condition.

Analyser un vaste corpus amène nécessairement à mettre en relief des voix dissonantes, qui appellent la nuance. L’avantage est de pouvoir dater les premiers frémissements d’une évolution des images traditionnellement admises, ce qui permet de ne pas conclure à des retournements soudains et brutaux mais de comprendre comment s’effectuent les transitions dans l’histoire des représentations. L’écueil dont il faut se préserver serait d’amplifier la force véritable des idées allant à rebrousse-poil de la majeure partie de l’opinion. À cela s’ajoute la lenteur avec laquelle évoluent les images traditionnelles. Tous ces éléments amènent donc à conclure qu’entre 1933 et 1936, l’Italie demeurait aux yeux d’une écrasante fraction du judaïsme français un rempart contre l’antisémitisme, « une sorte d’oasis où il fait bon vivre : en tout cas pour les Juifs », pour reprendre une expression de Maurice Rajsfus interprétant le sentiment général70. C’est pourquoi l’on peut parler d’un tournant inconscient. Bien plus, l’on n’analysait plus les relations entre l’Italie et le monde juif qu’en termes idéologiques, ce qui ouvrait la voie à la partialité la plus totale : les uns gommaient les points susceptibles de ternir l’image d’une Italie philosémite, les autres ne retenaient que les traits les plus sombres. Une impression générale se dégage cependant : l’enthousiasme semblait peu à peu quitter relativement les plus optimistes des Israélites français. Effet d’une époque trouble ? Pas seulement. La réaction des Israélites modérés au combat contre le fascisme lancé par leurs coreligionnaires de gauche apportait une réponse éloquente.

Porter son regard sur l’opinion publique ne revient pourtant pas simplement à retracer un éventail de réactions diverses face à un événement, à un sujet donné. Il s’agit également, afin d’avoir l’idée la plus précise de son objet d’étude, d’analyser la manière dont les perceptions ouvrent sur l’action. De fait, le regard porté sur un phénomène entraîne une prise de position, laquelle décide de l’attitude à adopter.

Comment fallait-il agir, à la lumière de l’ensemble des impressions que suscitait l’Italie, face au fascisme ? Cette question constitua l’un des principaux sujets de crispation paralysant le judaïsme français des années 1930 et fit l’objet d’affrontements nombreux et acerbes. Les Juifs de France, qui développaient deux Weltanschauunge radicalement 259opposées, ne s’affrontaient ainsi pas seulement sur le seul mode verbal. Les Juifs de gauche, autour de la Ligue internationale contre l’antisémitisme ou de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), soutinrent qu’il était nécessaire d’agir pour s’opposer au fascisme et mirent en place une rhétorique ainsi qu’un plan de combat – pacifique – contre deux cibles distinctes : d’abord contre le fascisme, et partant contre l’Italie et ses satellites, mais aussi, de façon indirecte, contre le reste des Juifs français accusés de passivité bienveillante à l’égard de ceux que l’on jugeait ennemis d’Israël et de la liberté. Irrités et gênés par l’attitude des Israélites progressistes, leurs coreligionnaires modérés et conservateurs, en mal de repères par ces temps incertains, se sentaient obligés de répondre aux attaques tout en restant fidèles à un impératif suprême : la prudence, afin de ne pas réveiller ou attiser l’antisémitisme. Une telle réaction jugée inappropriée, ne fit que galvaniser davantage le camp progressiste.

Les thèmes, les méthodes et les objectifs de ce combat étaient-ils clairs ? Luttait-on contre tous les fascismes ou simplement contre les antisémites parmi eux ? S’engageait-on d’abord en tant que Juif, comme membre d’une tendance politique ou au contraire, si cela était possible, en défenseur de la liberté, loin du carcan imposé par des clivages paraissant ineptes à l’heure où grondait le péril fasciste ?

Les querelles idéologiques eurent raison de tous les appels à l’union dans les années 1930. Sur la question de l’Italie et du fascisme, la scission du judaïsme, déjà affaibli par les débats autour de la question immigrée, se confirma et se durcit inéluctablement.

La division des Juifs de France sur l’attitude à adopter face au fascisme : vers une lutte fratricide

Tandis qu’ils s’engagèrent dans la lutte contre le fascisme, les Juifs de gauche tentèrent de rallier leurs coreligionnaires d’autres sensibilités politiques à leur cause. Les oppositions, si solidement ancrées en chacun, étaient pourtant trop tenaces. L’on peut bien sûr légitimement se demander si, dans les faits, la majorité de la population juive ne demeurait pas en marge du combat contre le fascisme, en accordant tout au plus ses sympathies à l’une ou l’autre tendance. Sans qu’il ne soit possible 260de déterminer combien d’entre eux s’engagèrent dans cette cause, l’on peut en revanche soutenir que celle-ci éveillait un intérêt de plus en plus large parmi les Juifs.

L’opposition montante entre Juifs modérés et progressistes

Dans ses souvenirs, Pierre Lazareff note : « En vérité, les Juifs français étaient aussi divisés sur la question de la politique à suivre vis-à-vis de l’Allemagne que tous les autres Français71 ». Cette observation, relative à l’année 1938, pourrait parfaitement s’appliquer à l’Italie pour les années 1933-1935. Tout confirme la véracité d’une telle impression, car, sur l’ensemble des sujets relatifs à l’attitude à adopter face au fascisme, les opinions du judaïsme de gauche constituaient l’exact contrepoint de celles des Israélites modérés et conservateurs. Chaque tendance de l’opinion juive apparaissait en cohérence avec elle-même et s’en tenait à ses idées traditionnelles.

Ceux qui engagèrent le combat les premiers furent les Juifs de gauche, LICA en première ligne, même si celle-ci n’était affiliée à aucun parti. La ligue, pour s’inscrire dans le paysage juif français et compter dans ses rangs des enfants d’Israël, tentait, à commencer par son fondateur Bernard Lecache, de donner à son combat une aura dépassant le cadre communautaire. La lutte contre l’antisémitisme, son principal cheval de bataille, semblait plus généralement la manifestation d’un danger plus vaste, représenté par le fascisme et l’extrême droite72. Dès 1932, elle prit ainsi part au mouvement Amsterdam-Pleyel, puis, un an plus tard, au Cartel de la liberté, tandis que Bernard Lecache était l’un des fers de lance du Front commun aux côtés de Gaston Bergery. Après le 6 février 1934, elle ne ménagea pas ses efforts pour œuvrer à la naissance d’une coordination antifasciste, et en mars de la même année vint gonfler les rangs du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA), puis du Comité d’unité d’action antifasciste (CUAA)73. Très rapidement, les ligueurs avaient compris que fascisme et nazisme n’étaient que deux mots renvoyant à un même phénomène : « Un seul fascisme, un seul 261ennemi », titrait en 1936 Bernard Lecache dans Le Droit de Vivre74. Combattre l’antisémitisme passait dès lors par la lutte contre le fascisme75.

Tel n’était pas l’avis du judaïsme officiel et des conservateurs. Fidèles au comportement qu’ils avaient toujours adopté, ils en appelaient au calme, tandis que les hautes instances juives s’interdisaient encore toute action – a fortiori politique76 –, sauf contre l’antisémitisme77, ce qui, compte tenu des images positives du temps, devait exclure l’Italie de la sphère de combat. Bien au contraire, l’on soutenait qu’il fallait œuvrer à la conservation de l’Italie dans le camp de la paix, sans quoi elle basculerait sans tarder dans l’orbite nazie, situation pouvant s’avérer funeste pour la France. Tout en demeurant vigilant sur l’évolution de la sœur latine, il fallait proscrire toute réaction outrancière. En dehors de ces débats, une prise de position de Julien Benda fait réfléchir quant à l’attitude publique observée à l’époque face aux pays étrangers. Dans ses écrits, cet illustre intellectuel n’était pas avare de critiques à l’égard de certains régimes et États, dont l’Italie, mais, à un colloque sur l’avenir de l’Europe tenu à la SDN, Benda manifestait une position nette quand il s’agissait d’émettre des critiques dans le champ politique et diplomatique : « Les convenances nous interdisent de porter ici le blâme sur des nations qui ne sont pas les nôtres ; mais nous pouvons le porter sur la nôtre78 ». Si l’on revient dans le cadre communautaire, l’on comprend dès lors l’idée que le seul effet d’une union politique ouverte des Juifs de France contre le fascisme serait de donner raison aux antisémites qui pensaient que judaïsme et bolchevisme se confondaient et qui voyaient dans le peuple juif une force puissante tenant tous les leviers de l’État79.

La polémique enfla et les Juifs de gauche ne masquèrent pas leur exaspération, en optant pour la surenchère : « Le Judaïsme ne court pas de risque en se politisant », affirmait le ligueur Georges Zérapha80. Quant 262à Pierre Paraf, lui aussi membre de la LICA, il pensait que c’était faire honneur à la France, et non honte au judaïsme, que d’engager une lutte contre les adversaires de la liberté :

Et qu’on ne nous dise pas [que] nous allons réveiller ici l’antisémitisme, ou que nous, les ligueurs de France, nous manquons à la mesure, au tact, en honneur sous le ciel de Paris. Il faut, au contraire, que ce soit de notre grand pays que parte la protestation et que nous dénoncions les ennemis d’Israël qui sont aussi les siens81.

Ainsi, lutter contre le fascisme, fauteur d’antisémitisme, c’était défendre la paix et assurer le salut de la France82. Cependant, à la LICA même, certains n’acceptaient pas que la ligue s’associât trop étroitement à la gauche française et en reprît les thèmes ; par conséquent, ils manifestaient leur mécontentement, tel Fernand Corcos, proche de la ligue comme du Consistoire, qui pensait que le devoir d’une ligue juive devait être de rassembler les Israélites plutôt que de se lancer dans une croisade contre le fascisme83. L’appel de Corcos demeura lettre morte. Prenant acte de ce que leurs coreligionnaires s’emmuraient dans la prudence et la réserve, de nombreux Juifs progressistes se livraient à une violente critique des tenants du judaïsme officiel, si bien que le combat livré contre le fascisme dévia et en vint incidemment à viser également certains Juifs. Pour certains, le judaïsme officiel cherchait à se protéger : ils y voyaient une marque d’égoïsme et un instinct de classe84 ; les appels à la paix et les condamnations verbales ne leur suffisaient pas. L’idée se diffusait que quiconque ne combattait pas fermement et activement le fascisme tendait, involontairement ou non, à le soutenir. Les attaques verbales contre tous ceux qui demeuraient neutres ou bienveillants à l’égard du fascisme fusèrent.

Les Juifs modérés et conservateurs n’étaient pas les seules cibles, le débat apparaissait bien plus vaste. Beaucoup s’étonnaient de ce que leurs compatriotes athées ou de toute foi, même à gauche, s’enfermassent dans l’attentisme et l’illusion alors que l’actualité venait chaque jour démentir les arguments des porteurs d’espoir. Giacomo-Abramo Tedesco, un Italien antifasciste délégué international à la propagande de la LICA, faisait ainsi part de sa perplexité :

263

On peut s’étonner que certains de nos éléments de gauche, non des plus timides, se refusent à accepter la notion de deux blocs européens dressés l’un contre l’autre par des idéologies opposées. Comme s’il leur appartenait de conjurer le péril en niant l’évidence !

Mussolini à Milan après Ciano à Munich vient de les rappeler vertement à la réalité85.

Membre de la Ligue des Droits de l’Homme, Émile Kahn adressait ses reproches sans distinction de foi : « Véritable trahison des clercs, des intellectuels renient l’intelligence, et souscrivent au sacrifice de la pensée indépendante86 ». Il ne fallait pas craindre selon lui de blâmer les fascismes extérieurs, sans quoi ceux-ci en profiteraient pour exporter leurs méthodes en France : « On ne combat pas le fascisme chez soi, en l’approuvant – ou en l’absolvant – chez les autres87 ».

En un sens, il ressort de ces évocations l’idée que les Juifs n’étaient pas moins courageux que d’autres, mais cela ne consolait guère les accusateurs. Le fascisme étant antisémite, le Juif, plus qu’un autre, devait tenter de le défaire. Or, pour cela, la solidarité juive était de mise, mais elle paraissait inatteignable. Amarti, de la revue Samedi, bien qu’il ne partageât pas les vues de la LICA, regrettait avec amertume : « Les Juifs eux-mêmes ne s’intéressent plus aux Juifs. Ce sont surtout nos intellectuels qui nous dédaignent88 ». Bernard Lecache, sur un tout autre ton, renvoyait dos à dos ses coreligionnaires partisans de la neutralité et ceux qui avaient des sympathies pour les mouvements fascistes en France :

On n’aime pas en France, les trembleurs. Les Consistoriaux se sont déshonorés aux yeux de tous. À droite on se gausse d’eux. À gauche, c’est la colère. […] Et toutes ces larves d’Israël qui se traînent dans les officines racistes méritent qu’on les écrase tranquillement89.

Léon Blum, qui inscrivait ses impressions dans une perspective historique, comparait, selon la rhétorique de classe, l’attitude des Juifs face au fascisme à celle qu’ils adoptèrent lors de l’Affaire Dreyfus :

264

Tout compte fait, pour reprendre une vue exacte de l’état d’esprit que j’essaie de décrire, il n’y a qu’à regarder aujourd’hui autour de soi. Les Juifs riches, les Juifs de moyenne bourgeoisie, les Juifs fonctionnaires avaient peur de la lutte engagée pour Dreyfus exactement comme ils ont peur aujourd’hui de la lutte engagée contre le fascisme90.

Ces accusations sévères étaient-elles fondées ? Amplifiaient-elles la réalité pour les biens de la propagande ou répondaient-elles à une conviction sincère ? De fait, l’historiographie traditionnelle du judaïsme a elle aussi retenu ces aspects et conclu à une frilosité de l’opinion juive modérée ; c’est en particulier le cas de David Weinberg et, d’une manière plus nuancée, de Paula Hyman. D’autres comme par exemple Simon Epstein ou, plus récemment Muriel Pichon, ont montré comment plusieurs Juifs célèbres ont tenté diverses actions, mais toujours dans le respect des grandes orientations diplomatiques du gouvernement français, et de manière feutrée91. Les cartes se brouillaient dans le cas de l’Italie qui, ne l’oublions pas, n’était pas la préoccupation première des Juifs de France : l’on ne voyait que peu de raisons de s’opposer à l’Italie chez les modérés et conservateurs ; on verra cependant que même après 1938 d’aucuns chercheront des circonstances atténuantes à la sœur latine. Il n’a jamais existé, comme face au nazisme, d’unité de rejet pour le fascisme italien parmi les Juifs. Plus que jamais, l’unité d’action ne pouvait être qu’un mirage pour les plus décidés qui s’employaient donc à agir seuls.

« Le fascisme ne passera pas ! » : Raisons et moyens du combat
des Juifs de gauche contre le fascisme

Les organes juifs de gauche, contre l’avis de leurs coreligionnaires modérés et conservateurs, déployèrent une intense propagande contre le régime de Mussolini et le fascisme français. Agissaient-ils avant tout pour le bien de leurs frères juifs ou par réflexe politique ? On peut se le demander, comme on peut s’interroger sur l’écho réel qu’ils étaient susceptibles de rencontrer et les moyens à leur disposition en vue d’atteindre un objectif pour le moins difficile.

L’idée qu’un danger fasciste imminent menaçait la France se trouvait largement répandue parmi les progressistes. Si cette crainte se vérifiait, 265tous les Français auraient à en souffrir, pensait-on. C’était donc faire œuvre citoyenne et non pas simplement combattre l’antisémitisme que de s’élever contre le fascisme. Il se trouvait seulement que les valeurs d’Israël, comme les idées de gauche ajoutait-on, se révélaient en tout point contraires à celles que portait le fascisme. Par conséquent, si l’on était juif ou de gauche, encore plus si l’on cumulait les deux appartenances, se ranger derrière une attitude laxiste serait funeste. Pour Jacques Rozner, laisser le fascisme proliférer conduirait à la barbarie :

Tel est d’ailleurs bien le but que poursuit le Fascisme. À nous d’en prendre conscience afin de le vaincre. Il n’y a plus une minute à perdre : une grande bataille est à engager, il faut l’accepter, sinon se résigner à subir la politique des matraques. L’heure est à l’action : quiconque recule est lâche, mais quiconque hésite est criminel, car la force du Fascisme n’est faite que de notre seule faiblesse. Aussi, disons-nous bien que si nous hésitons un instant, les Puissances du Mal sauront profiter de notre indécision, pour faire retomber le Monde dans l’Esclavage le plus abject et le plus odieux92.

Georges Zérapha faisait chorus : « Antifascistes, que l’expérience italienne vous serve, il ne suffit pas de crier contre le fascisme, il faut le combattre en actes93 ». L’appel était clair et s’adressait à tous les Français attachés aux valeurs de la démocratie et de la liberté.

Pour autant, la LICA ne repoussait pas toute référence à la foi et plaçait parfois son combat sous la bannière du judaïsme. S’ils poursuivaient des buts universels, c’était bien en tant que Juifs que certains ligueurs entraient dans l’antifascisme et dans l’affrontement. En filigrane, poignait l’idée que livrer combat contre le fascisme permettrait d’assurer le salut d’Israël et de donner une image glorieuse du peuple juif, loin des représentations traditionnelles le présentant comme un éternel persécuté. Notons qu’il s’agissait d’un revirement dans l’histoire des perceptions du judaïsme, et dans la manière dont une partie des Juifs considéraient leur propre identité. Bernard Lecache se voulait clair et précisait son objectif, mêlant judéité et engagement :

J’écris ici […] en Juif clairvoyant qui sait le prix des fautes commises par ses frères d’origine. L’indifférence, la résignation, coûtent plus cher que la fière résistance […] Sans tomber dans l’excès dangereux d’un racisme juif, j’affirme que c’est aux Juifs, d’abord, de confondre leurs adversaires94.

266

Aux Juifs donc d’organiser leur défense. En des termes analogues, c’est comme une injonction spirituelle qu’invoquait Pierre Paraf ; Israël semblait investi d’une mission aux accents divins : « Qu’il travaille à instaurer cette Jérusalem nouvelle, foyer de démocratie et de paix, face à la Rome du fascisme et du Vatican95 ». Il n’est pas anodin de remarquer que cette image mêlant en un sens judéité et antifascisme était profondément ancrée dans les esprits, parfois même hostiles aux Juifs. Charles Maurras, dans L’Action Française, évoquait ainsi ce nouveau lien en des termes proches de ceux employés par Pierre Paraf : « Je suis sûr que l’Empire juif n’aura pas à combattre contre la seule Rome temporelle, son messianisme attaquera à angle droit la Rome spirituelle du Vatican96 ».

Que la connexion instaurée par la LICA entre judaïsme et antifascisme marquât une frange de l’opinion française et certains antisémites, scellait une première victoire pour les Juifs progressistes, car le combat se livrait également sur le plan des idées et des représentations, mais déplaisait à leurs frères modérés. Et les critiques émergèrent de toutes parts : le Comité de Vigilance, proche du judaïsme officiel, soulignait, en parlant de la LICA, qu’elle « n’a évidemment aucune qualité pour se faire le champion des israélites français97 ». Inversement, au sein de la Ligue des Droits de l’Homme, certains membres juifs se voyaient reprocher d’agir mûs avant tout la judéité, ce qui ne correspondait pas à la conception de l’antifascisme de la ligue ; les personnes incriminées tentèrent de se défendre mais l’accusation demeurait98. Opérer un lien entre judaïsme et antifascisme gênait ainsi à la fois des Juifs et des antifascistes, ce qui, tout en instaurant des frictions et des ambiguïtés parmi les ennemis des fascismes, n’entrava en rien le combat, qui revêtit plusieurs formes, pour cette cause comme pour d’autres.

Qu’ils fussent membres de la LICA, de la LDH, d’autres groupes de gauche, à base confessionnelle ou non, les Juifs antifascistes ne recherchaient pas le combat armé, ce qui serait revenu, pensait-on, à adopter les méthodes des ennemis, mais la lutte pacifiste, par divers moyens. Les 267incertitudes des termes se retrouvaient dans les actes ; la cible « fasciste » n’était pas toujours clairement identifiée et renvoyait indistinctement tant aux mouvements français qu’allemand et italien.

Les réunions publiques – ou « meetings » – constituaient une première manière de s’opposer en masse aux agissements fascistes. Cette méthode fut souvent critiquée ou tournée en dérision, de l’aveu même des ligueurs, qui rétorquaient : « Nous avons des raisons de croire que ces cris de conscience ne sont pas inutiles, qu’ils soulagent les victimes et font peur aux bourreaux99 ». Autre méthode : la manifestation, contre le fascisme français et extérieur, comme celle organisée en 1933 conjointement par la LICA et le Comité d’Aide aux Victimes du Fascisme italien100 ; Ilex Beller se souvenait quant à lui des jours suivant le 6 février 1934 :

Le 9 février, sur le mot d’ordre : « Le fascisme ne passera pas ! » se déroule une puissante contre-manifestation qui regroupe des centaines de milliers de participants.

Avec mes camarades, je prends part à toutes les actions contre le fascisme. Nous aidons même les habitants de Belleville à dresser les barricades. Je ne comprends que trop bien que même dans le pays de la Liberté, la menace fasciste est présente, réelle et qu’il faut être très vigilants101.

Ces actions n’avaient cependant qu’une portée limitée aux frontières françaises ; c’est pourquoi le boycott des pays fascistes, en l’occurrence de l’Italie, semblait le plus à même d’entraîner un résultat tangible. Georges Zérapha réclamait ainsi, après l’invasion d’Éthiopie, le concours le plus large possible :

Aujourd’hui, tous les citoyens des 50 nations sanctionnistes boycottent l’Italie.

Faisons nos vœux pour le succès du boycottage. […]

Si le boycottage des produits italiens abat Mussolini, les antifascistes, loin de se féliciter, auront à se reprocher de n’avoir pas boycotté plus tôt102.

Plusieurs associations juives, notamment celles tenues par les immigrés, se prononcèrent elles aussi en faveur d’un boycott des nations fascistes103 et renforcèrent l’action de la LICA. Ces actions sont à replacer dans un 268contexte plus général de lutte contre l’Allemagne. À la même époque en effet, des personnalités juives de renom, proches ou non de la sensibilité de la ligue, appelèrent à s’opposer à Hitler, par des moyens allant du boycott à la réclamation d’une politique stricte. Citons parmi elles l’historien Jules Isaac, membre du CVIA, René Cassin, représentant des anciens combattants à la SDN et partisan de la fermeté face à l’Allemagne et à l’Italie, ou encore Robert de Rothschild, membre du Consistoire qui appela sans succès dès 1934 au boycott des produits allemands par cette institution104.

Tous ces objectifs furent-ils atteints ? Si la LICA put s’enorgueillir du concours de personnalités éminentes, israélites ou non, comme Édouard Herriot, Léon Blum, Édouard Daladier, Sigmund Freud, Maxime Gorki ou George Bernard Shaw, et, pour un temps, d’Henry de Jouvenel, Jean Luchaire, Jacques Doriot, Marcel Déat, Gaston Bergery ou André Maurois105 et parvint à rassembler 30 000 adhérents106, le principal effet de son action se réduisit à l’évidence à alerter l’opinion française sur le danger italien ; sa force de mobilisation paraissait plus importante sur d’autres sujets comme l’antisémitisme français. Quant aux intellectuels qui émirent des critiques publiques à l’égard de l’Italie, ils parlaient avant tout en leur nom propre et l’on ne sait combien de Français, fils d’Israël ou non, se retrouvaient dans leurs propos et actions. À aucun moment, il ne semble que l’action anti-italienne n’eût de véritable effet hors de France, même si de vagues échos parvinrent sans doute aux oreilles de Mussolini. En agissant, l’on pouvait entraîner des mutations sur le reste de l’opinion, en influant très difficilement sur le cours de la politique française à l’égard de l’Italie : l’exemple de René Cassin, qui jouissait d’un poste prestigieux à la SDN et de l’écho que pouvait lui prodiguer la présidence de l’Union fédérale des Anciens combattants (UFAC), et ne parvint pas à faire valoir ses vues sur la question de la lutte contre l’Allemagne, et dans une moindre mesure l’Italie, est l’un des plus criants107.

269

Après 1933, l’avènement du nazisme et le renforcement de la sphère fasciste à travers l’Europe, l’opinion juive française se scinda et avança à deux vitesses. Aux actifs, somme toute les moins nombreux, dont les idées évoluaient rapidement et qui prônaient la lutte contre le fascisme, s’opposait une majorité plus ou moins silencieuse, plus passive en tout cas, qui mettait longtemps à revenir sur des jugements hérités des décennies précédentes. Pour autant, un indice paraît donner le ton de la mutation à l’œuvre dans l’esprit des Israélites modérés et conservateurs : ceux-ci ne ripostèrent plus aux arguments des progressistes en invoquant, comme à l’accoutumée, des principes généraux de paix et de concorde. Rares étaient ceux qui défendaient clairement l’Italie, encore moins le fascisme. Il ne semble pas que cela fût imputable à la propagande mise en œuvre par la LICA, mais bien à l’attitude de l’Italie elle-même, que l’on avait, en dépit d’étourdissantes déclarations d’espoir, de plus en plus de mal à justifier. Les profonds clivages divisant l’opinion juive face à l’Italie commençaient à légèrement s’émousser. Du fait de divisions qui dépassaient de loin la seule perception du péril fasciste et touchaient à tous les enjeux se présentant au judaïsme, l’on ne trouverait néanmoins aucun terrain d’entente sur une action commune à mener contre le fascisme, et ce jusqu’à la guerre. Les querelles internes, ravivées après 1933, auraient le dernier mot.

1 John P. Diggins, Mussolini and Fascism. The View from America, Princeton, Princeton University Press, 1972, p. 202.

2 Pierre Milza, Mussolini, Paris, Fayard, 1999, p. 751.

3 Meir Michaelis, Mussolin and the Jews. German-Italian Relations and the Jewish Question in Italy (1922-1945), Oxford, The Clarendon Press, 1978, p. 48.

4 Pierre Milza insiste particulièrement sur la force de persuasion du Duce en présence de l’historien allemand : « Pourtant familier de ce genre de prestation, Ludwig – qui était on le sait juif, pacifiste et qui dut s’exiler en Suisse après l’avènement du nazisme – ne sut pas percevoir tout ce qu’il y avait de sciemment fabriqué dans les attitudes et dans les propos de son interlocuteur » (Pierre Milza, op. cit., p. 620).

5 Emil Ludwig, Entretiens avec Mussolini, Paris, Albin Michel, 1932, p. 83-84.

6 Ibid., p. 84.

7 Ibid., p. 85.

8 « Un message de l’historien Ludwig », Archives Israélites, 20 octobre 1932.

9 Janine Auscher, « Quelques instants avec Emil Ludwig », L’Univers Israélite, 6 janvier 1933.

10 Meir Michaelis, op. cit. ; ouvrage que l’on peut compléter avec Walter Rauscher, Hitler e Mussolini. Vita, potere, guerra e terrore, Rome, Newton & Compton editori, 2004. Voir également le chapitre précédent.

11 « Le fascisme désavoue le hitlérisme », L’Univers Israélite, 14 octobre 1932. Même opinion, plus nuancée toutefois, dans René Assael, « De Mussolini à Hitler », Le Droit de Vivre, septembre-octobre 1933.

12 « L’antisémitisme allemand », Paix et Droit, avril 1933.

13 « Déclaration philosémite », L’Univers Israélite, 19 octobre 1934.

14 « Un grand débat sur la question juive à la Société des Nations », L’Univers Israélite, 13 octobre 1933.

15 « Le fascisme anglais contre le judaïsme », L’Univers Israélite, 16 novembre 1934.

16 François Piétri, dans Comité français pour la protection des intellectuels juifs persécutés, La Protestation de la France contre les persécutions antisémites, Paris, Lipschutz, 1933, p. 19.

17 « Si Mussolini était d’origine juive », L’Univers Israélite, 22 mars 1935.

18 « Hongrie : l’italien dans les écoles juives », L’Univers Israélite, 29 juin 1934.

19 « Des Juifs vont s’établir en Italie », L’Univers Israélite, 13 décembre 1935.

20 Renzo De Felice, Storia degli ebrei italiani sotto il fascismo, Turin, Einaudi, 1993 (1961 pour la première édition), p. 134.

21 « La question juive et l’opinion italienne », L’Univers Israélite, 6 octobre 1933.

22 « Giovanni Papini contre le racisme allemand », L’Univers Israélite, 4 janvier 1935.

23 Cf. Léon Poliakov, Mémoires, Paris, Grancher, 1999, p. 53.

24 « La Ligue italienne des Droits de l’Homme », Le Droit de Vivre, mai 1933.

25 Sur ce point, Éric Vial, « Les antifascistes italiens en exil en France face aux lois antisémites mussoliniennes de 1938 », Cahiers de la Méditerranée, no 61, décembre 2000, p. 236 sqq.

26 Le Droit de Vivre, juin 1934. Même opinion dans Jacques Rozner, « Fascisme et antisémitisme », Le Droit de Vivre, juillet-août 1933.

27 Ibid.

28 B. Colombo, « L’Italie et le problème juif », L’Univers Israélite, 8 septembre 1933. L’historien Meir Michaelis écrit pour sa part : « Si Mussolini ne voulait pas s’opposer aux Juifs pour Hitler, il ne voulait également pas s’aliéner Hitler pour les Juifs » (Op. cit., p. 49).

29 Alfred Berl, « L’alerte en Italie », Paix et Droit, avril 1934.

30 Ibid.

31 Aimé Pallière, « En Italie », L’Univers Israélite, 27 avril 1934.

32 Alfred Berl, « L’alerte en Italie », art. cit.

33 Aimé Pallière, art. cit.

34 Cf. Michele Sarfatti, Gli ebrei nell’Italia fascista. Vicende, identità, persecuzione, Turin, Einaudi, 2007 (2000 pour l’édition originale), p. 94 sqq. Mussolini commençait à écarter les Juifs de son entourage.

35 Pour une vue générale, on pourra se reporter à Furio Biagini, Mussolini e il sionismo, 1919-1938, Milan, M & B, 1998.

36 Le Temps, cité sans date dans Archives Israélites, 28 septembre 1933 ; même article repris plus tard dans « La question juive et l’opinion italienne », L’Univers Israélite, 6 octobre 1933.

37 Ibid. Cf. Alberto Bianco, « Les sionistes révisionnistes et l’Italie : histoire d’une amitié très discrète (1932-1938) », Bulletin du Centre de recherche français de Jérusalem, no 13, automne 2003, p. 25.

38 « Menées italiennes en Palestine », Samedi, 26 septembre 1936.

39 « Le Dr Weizman chez M. Mussolini », L’Univers Israélite, 2 mars 1934. Sur cette entrevue, voir Sergio I. Minerbi, « Gli ultimi due incontri Weizmann-Mussolini (1933-1934) », Storia contemporanea, vol. V, no 3, p. 466 sqq. ; Pierre Milza, op. cit., p. 622. Lors de cette entrevue, Weizmann invita Mussolini à s’ériger en « barrière contre la barbarie » et à se rapprocher des démocraties ; Mussolini pour sa part déclara à son invité qu’il était favorable à la création d’un État juif en Palestine et ajouta que Jérusalem ne devait pas devenir une capitale arabe.

40 « M. N. Goldmann chez le Duce », L’Univers Israélite, 23 novembre 1934.

41 Marie-Anne Matard-Bonucci, L’Italie fasciste et la persécution des Juifs, Paris, Perrin, 2007, p. 120.

42 « La culture italienne en Palestine », L’Univers Israélite, 23 novembre 1934 ; même article dans Archives Israélites, 29 novembre 1934.

43 Ibid.

44 « Le “Lloyd Triestino” donne à un de ses navires le nom de Tel-Aviv », L’Univers Israélite, 16 mars 1934.

45 Le Droit de Vivre, septembre-octobre 1933.

46 Cf. Renzo De Felice, Il fascismo e l’Oriente. Arabi, ebrei e indiani nella politica di Mussolini, Bologne, Il Mulino, 1988, p. 146-150 ; ainsi que Romain H. Rainero, La Politique arabe de Mussolini pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Publisud, 2006, p. 29.

47 Notons que les Israélites français ne rejetaient plus aussi massivement qu’auparavant la cause sioniste du fait de la dégradation de la condition juive en Europe. Catherine Nicault, La France et le sionisme, 1897-1948. Une rencontre manquée ?, Paris, Calmann-Lévy, 1992, p. 173-178.

48 Bernard Lecache, Au pays des pogromes : quand Israël meurt, Paris, Éditions du Progrès civique, 1927, p. 4 ; Joseph Fischer, « Organisons-nous davantage et mieux », La Terre Retrouvée, 15 novembre 1937.

49 « La lutte contre l’antisémitisme », Archives Israélites, 14 avril 1932. Cf. « Le projet du professeur Tedeschi », L’Univers Israélite, 22 juillet 1932. Le « Kiddouch Hachem » désigne la sanctification du nom de Dieu à travers une bonne action.

50 « Le grand-rabbin de Rome chez M. Mussolini », L’Univers Israélite, 28 avril 1933.

51 « L’antisémitisme allemand », Paix et Droit, avril 1933.

52 Madeleine Israël, « L’Italie et les Juifs : déclarations de M. Sacerdoti, grand-rabbin de Rome », L’Univers Israélite, 19 octobre 1934.

53 Ibid.

54 Cf. supra. Voir Alessandra Minerbi, « Tra solidarietà e timori : gli ebrei italiani di fronte all’arrivo dei profughi ebrei dalla Germania nazista », dans Alberto Burgio (a cura di), Nel nome della razza. Il razzismo nella storia d’Italia, 1870-1945, Bologne, Il Mulino, 1999, p. 309-319.

55 On remarquera ici le maintien de la dichotomie fasciste entre un gouvernement très favorable au sionisme hors des frontières d’Italie et une presse lançant l’assaut contre ceux des Juifs qui étaient favorables à cette doctrine.

56 Alfred Berl, « L’alerte en Italie », art. cit.

57 Aimé Pallière, art. cit.

58 Archives Israélites, 4 août 1932.

59 Comme l’écrit Philippe Foro, « la germanophobie de Mussolini est alors à son comble » (L’Italie fasciste, Paris, Armand Colin, 2006, p. 155). Mussolini s’était à plusieurs reprises posé en partisan de l’indépendance autrichienne. Une première rencontre entre Mussolini et Hitler se tint le 14 juin 1934 à Venise, mais après le 25 juillet et le coup d’État visant à rattacher l’Allemagne de l’Autriche, l’Italie renouvela son appui au nouveau chancelier autrichien Schuschnigg. À Bari, le 6 septembre, Mussolini prononça un violent discours contre le nazisme.

60 « Pour les réfugiés allemands », L’Univers Israélite, 23 mars 1934.

61 Madeleine Israël, art. cit.

62 AIU, Italie VI – B 32, Rome. Lettre du grand-rabbin Angelo Sacerdoti à Jacques Bigart, secrétaire de l’Alliance israélite universelle, de Rome, le 4 juin 1933.

63 Ibid. Lettre du grand-rabbin Angelo Sacerdoti au grand-rabbin de France Israël Lévy, de Rome, le 4 juin 1933.

64 Ibid.

65 Hypothèse confirmée dans Michele Sarfatti, op. cit., p. 110. Toute initiative de la part des dignitaires juifs italiens devait être au préalable autorisée par Mussolini.

66 À plusieurs reprises dans les années 1920, des comités italiens avaient fait part de leur impossibilité d’apporter leur soutien aux grandes causes juives, comme l’aide aux persécutés de Russie. Ces comités en explicitaient généralement les raisons mais faisaient allusion au sentiment général des Juifs italiens qui dans l’ensemble étaient frappés par le sort de leurs coreligionnaires. Il est intéressant de remarquer, par contraste, qu’il n’est fait aucune allusion à l’opinion juive italienne dans les propos du grand-rabbin Sacerdoti ; celle-ci était comme mise en silence et toute action devait être approuvée par l’Union des communautés juives d’Italie, afin de ne pas déplaire au gouvernement. Cf, à titre de comparaison, AIU, Italie II – B 21, Livourne. Lettre du comité de l’Alliance israélite de Livourne au rabbinat et à l’Alliance israélite universelle de Paris, 27 avril 1922 ; AIU, Italie II – B 16, Florence. Lettre du Président l’Université israélite de Florence au Président de l’Alliance israélite universelle à Paris, le 5 mai 1922.

67 Philippe-E. Landau, Les Juifs de France et la Grande Guerre : un patriotisme républicain, 1914-1941, Paris, Éditions du CNRS, 1999, p. 227.

68 Cf. Jacob Kaplan, « Le patriotisme des Juifs », sermon du 17 juin 1935, dans Les Temps d’épreuve : sermons et allocutions, Paris, Éditions de Minuit, 1952, p. 45-52.

69 Le Volontaire Juif, juin 1935.

70 Maurice Rajsfus, Sois juif et tais-toi ! 1930-1940. Les Français « israélites » face au nazisme, Paris, EDI, 1981, p. 192.

71 Pierre Lazareff, De Munich à Vichy, New York, Brentano, 1944, p. 87.

72 Richard Millman, La Question juive entre les deux guerres. Ligues de droite et antisémitisme en France, Paris, Armand Colin, 1992, p. 202. Emmanuel Debono, « Le Front populaire et le militantisme antiraciste : l’exemple de la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA) », dans Gilles Morin, Gilles Richard (dir.), Les Deux France du Front populaire, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 224.

73 Toutes ces informations figurent dans Emmanuel Debono, art. cit., p. 224.

74 Bernard Lecache, « Un seul fascisme, un seul ennemi », Le Droit de Vivre, 24 octobre 1936. Cf. Giacomo-Abramo Tedesco, « Deux méthodes et un seul but », Le Droit de Vivre, 7 novembre 1936.

75 Voir Jacques Rozner, « La lutte contre l’antisémitisme implique la lutte contre le fascisme », Le Droit de Vivre, juillet-août 1933 ; Pierre Créange, Épîtres aux Juifs, Paris, Albert Messein, 1937, p. 161.

76 Cf. Archives Israélites, 8 juin 1933 ; L’Univers Israélite, 6 mars 1936.

77 Ruben Blank, « L’antisémitisme », L’Univers Israélite, 11 mars 1932.

78 Julien Benda, dans L’Avenir de l’esprit européen, SDN-Institut de coopération intellectuelle, Paris, Stock, 1934, p. 201.

79 Cf. Ralph Schor, L’Antisémitisme en France pendant les années trente. Prélude à Vichy, Bruxelles, Complexe, 1992, p. 211.

80 Georges Zérapha, La Conscience des Juifs, mai 1936. Cité par Paula Hyman, De Dreyfus à Vichy. L’évolution de la communauté juive en France, 1906-1939, Paris, Fayard, 1985, p. 308.

81 Pierre Paraf, « Pour la paix dans les peuples et la paix dans les âmes », Le Droit de Vivre, mars 1932.

82 Pour tuer l’antisémitisme, Paris, Éditions de la LICA, 1931, p. 11.

83 David. H. Weinberg, Les Juifs de Paris de 1933 à 1939, Paris, Calmann-Lévy, 1974, p. 129.

84 Cf. Maurice Rajsfus, op. cit., p. 13.

85 Giacomo-Abramo Tedesco, art. cit.

86 Émile Kahn, Cahiers des Droits de l’Homme, octobre 1934, repris dans Id., Au temps de la République. Propos d’un Républicain, Paris, Ligue des Droits de l’Homme, 1966, p. 45.

87 Ibid., p. 48.

88 Amarti, « Judaïsme et politique », Samedi, 5 septembre 1936.

89 Bernard Lecache, « Défendons-nous ! », Le Droit de Vivre, 20 juin 1936. Sur l’impact de telles attitudes dans l’opinion juive, voir entre autres Pierre Lazareff, op. cit., p. 89.

90 Léon Blum, Souvenirs sur l’Affaire, Paris, Gallimard, 1935, p. 43-44.

91 Simon Epstein, Les Institutions israélites françaises de 1929 à 1939 : solidarité juive et lutte contre l’antisémitisme, Thèse de doctorat en sciences politiques sous la direction de Pierre Birnbaum, Université Paris-I, 1990, p. 132 ; Muriel Pichon, Les Français juifs, 1914-1950. Récit d’un désenchantement, Toulouse, Presses univeritaires du Mirail, 2009, p. 108 sqq.

92 Jacques Rozner, « Fascisme et antisémitisme », Le Droit de Vivre, juillet-août 1933.

93 Georges Zérapha, « Vous qui boycottez Mussolini, qu’attendez-vous pour boycotter Hitler ? », Le Droit de Vivre, 30 novembre 1935.

94 Bernard Lecache, « À l’assaut du racisme », Le Droit de Vivre, 11 avril 1936.

95 Pierre Paraf, Israël 1931, Paris, Valois, 1931, p. 292.

96 Charles Maurras, « L’Empire juif », L’Action Française, 21 août 1937. Cité par Sandrine Diallo, Le Judaïsme à travers l’Action Française de 1933 à 1939, Mémoire de maîtrise d’histoire sous la direction de Ralph Schor, Université de Nice, 1989, p. 102.

97 AIU, Comité de Vigilance, boîte 6, dossier 16. « Pour un Groupement National et Républicain des Israélites de France en vue d’enrayer les dangers d’un mouvement antisémitique », 1er juillet 1936. Cf. « Position de la Lica », Samedi, 6 décembre 1936.

98 Voir par exemple la polémique entre Albert Dubarry et Victor Basch. Emmanuel Naquet, La Ligue des Droits de l’Homme : une association en politique (1898-1940), Thèse de doctorat d’histoire sous la direction de Serge Berstein, IEP Paris, 2005, p. 761 sqq.

99 Pierre Paraf, art. cit.

100 Diane Afoumado, Conscience, attitudes et comportements des Juifs en France entre 1936 et 1944, Thèse d’histoire sous la direction de Jean-Jacques Becker, Université Paris-X, 1997, p. 738.

101 Ilex Beller, De mon shtetl à Paris, Paris, Éd. du Scribe, 1991, p. 76. Cf. également Victor Basch, Le Fascisme ne passera pas, Paris, Bibliothèque des Droits de l’Homme, 1935.

102 Georges Zérapha, art. cit.

103 Paula Hyman, op. cit., p. 312.

104 Muriel Pichon, op. cit., p. 96 sqq.

105 Richard Millman, op. cit., p. 204-205.

106 Chiffre pour l’année 1934. Emmanuel Debono, Militer contre l’antisémitisme en France dans les années 1930 : l’exemple de la Ligue internationale contre l’antisémitisme, 1927-1940, Mémoire de DEA d’histoire sous la direction de Serge Berstein, IEP Paris, 2000, p. 65.

107 Muriel Pichon, op. cit., p. 103 sqq. L’auteur rappelle d’ailleurs la thèse d’Antoine Prost selon laquelle la judéité de René Cassin aurait fragilisé l’action de ce dernier auprès des anciens combattants. Antoine Prost, Les Anciens combattants et la société française, 1914-1939, Paris, Presses de la FNSP, 1977, p. 181-184 (cité p. 104).