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Classiques Garnier

Un hommage à Michel Rousse, urbi et orbi

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Le Jeu et l’Accessoire. Mélanges en l’honneur du professeur Michel Rousse
  • Pages : 9 à 14
  • Collection : Rencontres, n° 20
  • Série : Civilisation médiévale, n° 1
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812443640
  • ISBN : 978-2-8124-4364-0
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4364-0.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 01/12/2011
  • Langue : Français
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Un hommage à Michel Rousse,
urbi et orbi

Après le bel hommage à Michel Rousse qui ouvre la belle collection de ses articles, parue sous le titre La Scène et les Tréteaux, aux éditions Paradigme en 2004, où Jean Dufournet présentait une évocation professionnelle et personnelle de l’apport de Michel Rousse aux études du Moyen Âge français, tout semble dit peut-être ; en même temps, ses travaux, rendus plus aisément accessibles, ont permis à toute une générations de médiévistes travaillant sur le théâtre de découvrir la cohérence d’une pensée, la nouveauté d’un regard qui a irrigué et renouvelé leurs propres approches. Depuis la parution de ce beau choix de travaux, les collègues, élèves et amis ont droit à la parole, pour honorer Michel Rousse, bien évidemment, mais aussi pour essayer de donner un contexte et un sens à ses travaux dans toute la largeur de leurs occupations personnelles.

C’est ce qui justifie ce volume ; hommage spontané, à l’initiative d’une génération qui ne l’avait pas toujours rencontré dans les colloques, hommage auquel ses amis se sont joints évidemment, ceux qui connaissaient ses travaux et voulaient saluer l’homme. D’où les deux facettes de cette introduction, qui saluent non seulement le collègue attentif à la vie de l’institution et à la qualité de l’enseignement, mais aussi le chercheur et le transmetteur. Elles se recoupent parfois, mais il n’a pas semblé nécessaire d’élaguer dans cette gerbe, tant elles se complètent.

Urbi

Dans sa vie à l’université de Rennes 2, où Michel Rousse a mené l’essentiel de sa carrière universitaire, plusieurs éléments apparaissent.

D’une part, la discrétion : ce mot renvoie à cette présence silencieuse, à cette efficacité exercée à tous les niveaux de responsabilité, dans le département ou l’UFR. C’est lui qui a été, lors d’une des restructurations

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majeures de notre maison, le fondateur du Service d’Enseignement à Distance, lui qui a mis en place les structures de l’actuelle UFR Arts Lettres Communications et qui y a obtenu la création de postes administratifs spécifiquement dévolus à la recherche ; dans chacune de ces fonctions, sans se mettre en avant, mais avec toujours une attention aiguë au bien du service public, Michel Rousse a mis en place des structures efficaces et souples, dont on ne mesure qu’à l’usage l’intelligence et l’adaptabilité.

Cette attention aux petites choses qui font la différence se retrouvera dans diverses initiatives, comme il y a plus de vingt ans, la mise en place de cours d’ancien français appuyés sur l’informatique, dont Michel Rousse a été un des premiers à percevoir les enjeux pour les études médiévales et l’enseignement. De même, il a été un des fondateurs de l’association Mémoires qui visait à diffuser les travaux exceptionnels de certains étudiants : ainsi ont été rendus disponible la préface du Sydrac dans l’édition de M.-L. Steiner et quelques journées du Mystère de Valenciennes, dans l’édition de C. Guérin. Actuellement, Michel Rousse se retrouve activement impliqué dans diverses associations de promotion de la musique, où son efficacité et son sens de l’organisation sont toujours largement sollicitées.

D’autre part, la disponibilité, malgré ses responsabilités dans le département puis à l’UFR. Il y a un art à savoir garder la porte de son bureau ouverte, à être capable d’accueillir les demandes des uns et des autres avec la même sérénité, à passer de questions logistiques à des questions pédagogiques, à supporter les foucades et les démarrages enflammés dont notre profession, si elle n’en a pas le monopole, se fait souvent une bien rhétorique spécialité. En même temps, après ces tempêtes de verre d’eau, Michel Rousse savait discerner dans les objections impétueusement formulées les éléments constructifs, et en tenir compte. L’université de Rennes a donc eu dans sa personne un administrateur efficace, pragmatique en même temps que sans compromissions ; composant avec la réalité, mais jamais avec ses exigences morales et intellectuelles. Par ailleurs, plusieurs d’entre nous ont le souvenir d’échanges plus paisibles mais aussi attentifs, sur un moment de recherche difficile, sur une étape humaine, professionnelle ou intellectuelle où sa perspicacité jamais en défaut pointait une question et ouvrait les moyens d’une solution qu’il nous restait à choisir ; disponibilité discrète, sans hégémonisme ; exemplaire.

En même temps, dupée peut-être par le soin que Michel Rousse mettait à l’accomplissement de ces responsabilités ingrates, l’université

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n’a pas toujours pris en compte le chercheur exceptionnel qu’elle avait dans ses murs ; d’autres figures plus clinquantes ont souvent fait oublier l’apport de ses travaux, et ces travaux eux-mêmes ne sont qu’une partie de ce dont ses amis et collègues ont pu profiter.

Bradygraphe, et c’est peut-être le seul reproche que l’on puisse lui adresser, Michel Rousse n’a jamais publié qu’à regret quelques travaux qui ne lui semblaient pas tout à fait aboutis et que les contraintes calendaires et les pressions amicales le forçaient à abandonner avant leur accomplissement à ses yeux. Ce dont il n’était pas satisfait force encore notre admiration, et l’on se prend à regretter une exigence et une hauteur qui l’ont empêché de produire davantage.

En quelques années, La Scène et les tréteaux est devenu une référence évidente, et tous ceux qui travaillent sur le théâtre savent combien est éclairant et synthétique l’ensemble de ces publications qui, loin d’être aussi modestes que certains titres le laissent supposer, parviennent toujours à éclairer efficacement le général à partir d’exemples particuliers. Ce volume a contribué à mieux faire connaître une partie de ses travaux, celle qu’il a consacrée au théâtre, celle où ses apports sont les plus remarquables. Mais il ne faut pas perdre de vue l’arthurien rigoureux et perspicace, qui s’est attaché au détail de l’œuvre de Chrétien de Troyes dans des traductions exemplaires, ni le médiéviste passionné et attentif, curieux de l’ensemble de son domaine de recherche

C’est ce qui rend précieuse la chance qu’ont eue ceux qui ont pu le côtoyer, ses étudiants ou ses collègues, pour la générosité avec laquelle il écoute, échange, discute, apporte de précieuses informations, suggère des pistes de recherche, apporte des éclairages précis.

Cette disponibilité s’associe enfin à une égale bienveillance : tous les étudiants qu’il a dirigés ou aux soutenances desquels il accepte toujours volontiers de venir, tous les collègues avec lesquels il a pu échanger dans le cadre des séminaires du CETM restent marqués par l’attention, la générosité avec laquelle non seulement il sait reconnaître l’excellence des travaux, mais aussi les points forts de travaux moins aboutis. Il y a de plus à saluer, dans toutes ces interventions, au-delà de ces qualités de simplicité, de disponibilité, une merveilleuse élégance, et l’on ne parle pas là du nœud papillon qu’il porte naturellement, ni de son goût raffiné pour les thés les plus rares ; évoquons plutôt la hauteur de vue, la distance qui permet une meilleure compréhension et une plus grande indulgence. Davantage, ses interventions placent toujours ses interlocuteurs dans des perspectives dynamiques et nourrissent la réflexion. C’est en quelque

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sorte de cette dynamique qu’est né ce volume, qui est un témoignage d’amitié, mais aussi un hommage scientifique ; la complémentarité de ces deux dynamiques devait être soulignée.

Orbi

Ce recueil d’articles porte un titre clair et spécifique : Le jeu et l’accessoire. Par là, il met l’accent sur l’importance de Michel Rousse dans le domaine de l’étude du théâtre médiéval et sur ce qui a été au cœur de ses préoccupations, et sur les voies qu’il a ouvertes. Dans de multiples articles et interventions, il s’est penché sur l’essence et la nature du jeu ainsi que sur la fonction dialogique. De cette manière, il a su rendre compte de la continuité entre la performance jongleresque et le théâtre de la fin du Moyen Âge. Par ses recherches sur l’archéologie du phénomène farcesque, il a permis de nouvelles approches d’un théâtre trop souvent confiné dans un modèle évolutionniste, les balbutiements médiévaux n’étant souvent étudiés que pour souligner la plénitude de l’âge classique.

On n’exagèrera pas en affirmant qu’il a définitivement changé l’étude du théâtre médiéval en France. Pionnier en de nombreux domaines, novateur sur le plan des méthodes de recherche aussi bien que sur celui de la juste interprétation de données – et de la mise en question de la « donnée » même, Michel Rousse a été pendant de longues années une présence déterminante dans toute discussion sur ce théâtre. Là où il était, on admirait la justesse de ses interventions ; là où il n’était pas, le recours à son érudition et à sa sagesse se faisait aussitôt sentir.

Il a eu une place spéciale dans les débuts du dialogue franco-anglais au sujet du théâtre médiéval, organisé à Leeds par la regrettée Lynette Muir, dialogue qui allait aboutir à la création de la Société Internationale pour l’étude du Théâtre Médiéval (SITM) en 1977. Une approche comparative s’imposait, selon lui, et il y a toujours apporté son meilleur. L’histoire orale et notre mémoire, faisceaux d’anecdotes et de savoir, sont là pour le souligner : ceux qui l’ont entendu se souviennent des questions, des informations qui tantôt renforçaient l’hypothèse audacieuse d’un jeune chercheur, tantôt modalisaient les affirmations controuvées ; tout cela sur la base d’une connaissance précise, d’une mémoire attentive des documents et de leurs apports.

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Le travail d’archives, la lecture des « traces », la conscience que le théâtre du Moyen Âge était bien du théâtre, l’enseignement qu’il tire de sa lecture dramaturgique des textes – comment jouer cela ? – la conscience également que ce théâtre participe d’une notion de théâtralité bien présente dans d’autres textes, dans d’autres genres, voire dans l’infrastructure de la vie littéraire de l’époque, voilà ce qui marque l’apport de Michel Rousse à la discipline. Par là, il est arrivé à « faire parler » toute une documentation restée muette dans l’histoire du théâtre. Cela explique également son statut incontesté parmi ses collègues comme l’un des plus fins connaisseurs de ce théâtre.

Par ses travaux sur les manuscrits, sur les chansons dans la farce, sur le rapport entre le narré et le joué, il a mis au programme de la recherche des questions de médialité qui ne deviendraient actuelles au sens large que bien plus tard. Il a bien montré qu’au-delà du texte et en deçà des sources directes, il reste une réalité du jeu à découvrir.

Une ambiguïté a toujours subsisté. Michel Rousse n’est pas l’homme des grandes publications – on regrette toujours que sa thèse n’ait pas été publiée et l’on reste nostalgique de l’histoire du théâtre médiéval qu’il n’a pas écrite, n’a pas voulu écrire sans doute, alors que se produisent tant de livres moins indispensables. Il a toujours cherché cependant une stratégie appropriée à ce qu’il avait à dire, un sens de la perfection et, pourquoi ne pas appeler un chat un chat : un certain chic.

Nous sommes beaucoup à toujours avoir été très petits devant la hauteur de la vue et l’efficacité de la conceptualisation de la discipline dont il témoignait. En même temps, dans chaque article, dans chaque intervention, on sentait toujours la masse documentaire et la vue développée qui les soutenaient. C’est bien lui, qui, par des études ponctuelles sur le statut du manuscrit La Vallière de Pathelin – à partir d’une analyse technique, sur Pathelin comme première comédie – à partir d’une analyse littéraire pleine de bon sens, sur l’accessoire dans la farce du Cuvier, a relancé des débats importants. Ce sont paradoxalement d’autres qui en ont fait leur beurre. C’est bien lui qui, par des formules de choix comme « la farce est un théâtre de l’accessoire » ou « une tradition dont nous sommes censés tout ignorer », se trouve cité, se retrouve l’inspirateur premier de bien des publications des dernières décennies. C’est lui aussi qui, par ses réflexions sur le dispositif scénique, a au bout du compte refait le livre de Gustave Cohen sur la mise en scène du théâtre religieux pour le théâtre profane. L’ouvrage de Cohen a été traduit à plusieurs reprises ; Michel s’est abstenu de couler son savoir dans le moule d’un

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ouvrage sous forme de livre. L’influence qu’il a eue sur la réflexion n’en a pas été moindre.

Michel Rousse a été autre chose que le grand spécialiste de la farce, la farce dont il s’était fait une spécialité, la farce qu’il a en quelque sorte restituée à sa place naturelle. De cette rencontre, ni la farce ni Michel n’auront toutefois trop à se plaindre. Non seulement a-t-il pris cette étude dans toute sa largeur, par des analyses du Jeu de saint Nicolas de Jean Bodel, du Jeu de la Feuillée d’Adam de la Halle, mais encore a-t-il assuré des traductions de Chrétien de Troyes, de Pathelin. En outre, il a publié des éditions de farces, sous format plus ou moins confidentiel, qui ont en partie été rendues accessibles au site de l’Université de Rennes.

Laissons cependant la parole aux collègues qui ont voulu s’associer à cet hommage sous forme de Mélanges. Ce volume est là pour que les collègues et amis puissent, à leur manière, dire l’apport de Michel Rousse dans leur petit coin de notre discipline commune, tout en sachant que Michel lui-même a toujours vue ces coins comme un grand ensemble, humain et littéraire, d’art et d’imagination. Nous nous sommes organisés pour lui témoigner, de la manière, de notre admiration et de notre gratitude. Notre collègue Graham Runnalls a manifesté un grand enthousiasme devant l’initiative de composer un tel recueil d’articles. À cause de la détérioration de son état de santé, il n’a pu y contribuer ; à cause de son décès il n’en verra plus l’aboutissement. En même temps, nous tenons à remercier plus spécialement Darwin Smith pour son aide précieuse pendant la préparation de ce volume et la manière dont il a, dès la première idée jusqu’à la rédaction finale, pu nous secourir.

Les éditeurs