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Classiques Garnier

Panorama historique et historiographique des émotions médiévales

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Panorama historique
et historiographique
des émotions médiévales

Prélude

Le champ détude des émotions connaît depuis une vingtaine dannées un large succès dans toutes les disciplines quil peut convoquer, des sciences psychanalytiques et neurobiologiques à la philosophie et à lhistoire surtout. Lépoque médiévale na pas été oubliée dans ce mouvement dappropriation de lhistoire des émotions. Un nombre toujours plus important dhistoriens se sont penchés sur cette entité significative des dynamiques et réalités médiévales. Le développement de la recherche historique a aussi offert un tremplin à une réflexion littéraire autour des émotions mises en scène dans les textes du Moyen Âge. Une telle approche, si elle a jusquà présent fait moins démules que celle qui a été proposée dans le champ historique, revêt de grands intérêts. Loin du détail narratif auquel on a eu tendance à la cantonner, lémotion témoigne de logiques essentielles de lanalyse littéraire, propres à la trame du récit, aux ambitions auctoriales ou au genre littéraire dans lequel elle sinscrit. Lémotion révèle et opère ainsi à une échelle souvent bien plus vaste que celle de la précision narrative. Elle se construit à la lueur de codes spécifiques, qui viennent redoubler ceux qui lentourent déjà au niveau sociétal, au-delà de celui que porte lui-même le langage qui vient la manifester.

Cest à la croisée de ces influences que nous approcherons, au fil de cette étude, lobjet émotionnel dépeint dans la littérature française médiévale et les jeux auxquels il y est soumis. Nous voudrions observer les enjeux auxquels lémotion vient répondre dans ce triple contexte 8de mise en scène et surtout les manipulations auxquelles elle doit se prêter pour y parvenir. Les jeux dans lesquels les émotions peuvent sintégrer nous paraissent symboliques de dynamiques particulières. Ils se rattachent à tout un modèle affectif et comportemental révélateur du système idéologique médiéval et de celui construit dans les textes qui les dépeignent. Ils illustrent limportance conférée au corps et aux apparences, dans lexpression des émotions comme dans le rapport obsédant à la sphère publique qui anime la société médiévale, et le débat quune telle considération de leurs symptômes physiques sous-tend dans la représentation des émotions entre corps et âme. Ils jouent aussi de la tension indissoluble entre vérité et mensonge questionnée tout au long du Moyen Âge, selon des paramètres qui savèrent très proches de ceux de lémotion elle-même. Ils permettent ainsi de repenser lassociation entre manifestation corporelle et sincérité et dinterroger sur cette base les codes dexpression de lémotion sous leurs facettes multiples des normes culturelles, de limpératif dintercompréhension, mais aussi du risque dhypocrisie. Nous souhaiterions de cette manière tenter de mieux appréhender lentité émotionnelle dans la littérature médiévale, en cerner les particularités, les effets et les ressorts dans la perspective ludique, si ce nest feinte, dans laquelle elle peut sintégrer.

Les analyses que nous voudrions livrer au fil de cette étude doivent beaucoup aux analyses nombreuses et si enrichissantes qui ont été proposées jusquà présent dans tous les champs détude de lémotion. Notre exposé débutera par une présentation des bases de réflexion qui se sont révélées essentielles à lélaboration de notre propre perspective de recherche. Nous nous attacherons dans un premier temps à un relevé historiographique qui nous permettra dexplorer les conceptions diverses développées autour de lémotion, toutes disciplines confondues. Nous pourrons nous arrêter sur les notions et les théories les plus marquantes de lhistoriographie des émotions, mais surtout sur celles qui pourraient savérer les plus pertinentes pour notre analyse. Ce panorama des études consacrées aux émotions, médiévales avant tout, pourra nous fournir de nombreuses pistes de lecture, de multiples indications et références à lhistoire des émotions, à ses principaux tournants et phénomènes. Elles auront été des guides précieux dans notre approche de linstance affective, dans lappréhension des difficultés qui lentourent et des solutions indispensables à son étude. Nous orienterons bien vite notre propos dans 9la direction la plus porteuse pour nos propres recherches, par le biais des études historiques surtout et littéraires plus encore bien sûr. Si elles restent plus rares encore que celles qui relèvent dautres champs disciplinaires de la médiévistique, elles témoignent déjà de dynamiques essentielles à notre appréhension du jeu des émotions. Nous pourrons affiner la compréhension de notre sujet danalyse à la lueur détudes peut-être plus connexes à la réflexion sur les émotions elles-mêmes, dédiées aux problématiques corporelles et rusées quelles peuvent aussi impliquer dans ce contexte. Le grand dynamisme de la recherche autour des émotions médiévales aura été autant un atout quune gageure. Il nous aura permis de gagner en efficacité dans la prise en compte des paramètres essentiels dune telle analyse, mais il nous aura aussi imposé de restreindre notre perspective de travail. Nous aurions pu gagner à consulter plus largement les études développées dans le champ historique hors de la période médiévale, ou dans la discipline de lhistoire de lart par exemple, elle aussi riche en analyses dune grande finesse de linstance affective, ou encore dans les littératures dautres horizons linguistiques ou chronologiques. Face à la masse bibliographique quil convenait dintégrer pour inscrire nos réflexions dans ce champ de recherche, nous avons dû nous limiter aux études qui correspondaient le mieux aux thématiques que nous avions nous-même décidé dinterroger. Le corpus danalyse sur lequel nous nous sommes arrêtée na fait que renforcer cette exigence, par son ampleur et par lampleur bibliographique quil dictait lui aussi. Ces choix présentent naturellement des faiblesses certaines, mais ils révèlent surtout toute la richesse du champ détude des émotions que nous avons ainsi voulu circonscrire en introduction de nos propres réflexions.

À la lueur des références indispensables, mais aussi des résultats manifestes déjà produits dans létude des émotions médiévales, sajoute la question de sa terminologie. Une telle réflexion savère essentielle à lappréhension de linstance affective comme objet danalyse. Elle permet surtout déclairer, si ce nest de combler, le fossé entre les systèmes de représentation contemporains et médiévaux de lémotion. Elle servira en outre de base de réflexion méthodologique. En accord avec les nombreux appels lancés dans ce sens1, nous voudrions fonder notre 10compréhension de lémotion dans le vocabulaire et les définitions qui en sont proposées à lépoque médiévale. La perspective littéraire qui est la nôtre dicte la plus grande proximité avec les textes médiévaux, leur analyse ne pourrait trouver meilleur appui que létude du lexique qui y met en scène lémotion et les sources, même si parfois implicites, qui les influencent. Ainsi, cet exposé terminologique servira de transition entre cette première réflexion épistémologique et celle que nous souhaitons dédier aux théories médiévales des émotions.

La présentation des théories médiévales des émotions offrira une base de réflexion solide et adéquate à notre analyse des jeux qui peuvent les entourer. Nous ny consacrerons cependant quun exposé assez succinct. Notre objectif nest pas de livrer un tableau détaillé de la conception de lémotion chez les penseurs, philosophes et théologiens influents au Moyen Âge, mais simplement de poser les fondements de nos réflexions à venir. Cette présentation prétend avant tout offrir un tremplin vers nos analyses de la notion émotionnelle, en centrant avant tout notre propos sur la perception des affects et les prescriptions qui sy rapportent. Nous en reviendrons pour ce faire aux grands philosophes antiques dont les réflexions imprègnent le système de pensée médiéval. Nous pourrons ensuite observer le poids des représentations chrétiennes dans la considération de linstance affective, dabord chez les Pères de lÉglise qui en posent les premiers jalons, puis chez les penseurs les plus influents du Moyen Âge. Nous pourrons mesurer limportance de la pensée affective développée aux alentours du xiie siècle tant dans les monastères que dans les universités qui viennent sen faire lécho. Nous percevrons ainsi lobsession de contrôle qui pèse sur linstance affective, avec toutes les implications quelle peut avoir dans la mobilisation et dans la manifestation des émotions que nous voudrions interroger dans leur mise en scène littéraire.

À la lumière de ces avertissements et de ces lignes directrices, nous pourrons fonder notre propre compréhension de lobjet détude, vaste, pluri-forme, voire ambigu, de lémotion médiévale. Nous voudrions sur ces bases mettre en exergue nos propres objectifs de travail, les lignes dinfluence essentielles de notre réflexion et ses objets exacts. Nous pourrons ainsi présenter de manière plus explicite les ambitions de cette étude du jeu des émotions, ensuite le corpus auquel elle sest dédiée et finalement ses logiques de construction tout au long des six chapitres qui la constituent.

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Approches des émotions médiévales

Panorama historiographique

Létude des émotions a sa propre histoire, révélatrice des points de tensions quelle cristallise et de ses enjeux. Elle connaît un long préambule, rythmé par un changement radical de représentation, essentiel à son appréhension dans le champ historique puis littéraire. Suivant lexemple des historiens des émotions, nous voudrions rapidement revenir sur ces premières phases dappropriation scientifique de lémotion, mais nous nous concentrerons surtout sur les avancées notables des dernières années dans le domaine de la médiévistique en particulier. Cette présentation historiographique sera loccasion de nous situer dans le champ de recherche riche et fructueux des émotions médiévales. Nous pourrons ainsi mieux définir nos propres objectifs et mettre en exergue les outils qui ont été développés et qui pourront nous aider à les poursuivre au mieux.

Une première phase de réflexion autour des émotions médiévales se formule déjà au début du xxe siècle, dans les ouvrages incontournables de Johan Huizinga, LAutomne du Moyen Âge (1919), et de Norbert Elias, Le processus de civilisation (1939). Ceux-ci proposent une conception dite hydraulique des émotions, comprises comme un flux incontrôlé et irraisonné. On la retrouve encore chez le philosophe Robert C. Solomon (2007). Cette théorie témoigne dune attention certaine accordée au Moyen Âge, que Norbert Elias dépeint comme lenfance de lhumanité, située hors de tout contrôle de la raison, en amont de ce quil nomme la civilisation. Elle se fonde donc sur une opposition entre raison et émotion qui fut longtemps – et qui le reste encore par bien des aspects – influente. Mais en naturalisant et reléguant lémotion à un rang inférieur, elle empêche toute réelle approche de lémotion comme objet historique.

Un changement de paradigme2 sopère aux alentours des années 1950-1960. Lévolution tient avant tout à la remise en cause de la 12dichotomie entre raison et émotion. Limpulsion en est donnée par les neurosciences qui démontrent lenracinement des émotions dans le cerveau. La réflexion sarticule alors autour de deux courants, cognitiviste dune part et constructionniste de lautre. La psychologie cognitiviste, développée dès les années 1960 et menée à son apogée dans les années 1980, propose un schéma de lémotion comme un processus à lorigine de connaissances et dès lors de décisions. Lémotion se voit investie dune valeur proactive et tout aussi influente que la raison, qui nest plus lunique source de réflexion et daction. De son côté, la théorie socio-constructionniste, élaborée dans les années 1970-1980 par les anthropologues, sattaque au présupposé universaliste. Elle défend la part culturelle et construite du phénomène émotionnel, par opposition à une conception biologique et innée des émotions. Ces réflexions, dordre avant tout neurobiologique, psychologique et anthropologique, offrent une nouvelle place à linstance affective, libérée de sa conception de « parent pauvre » de la raison3 et hissée ainsi au centre des attentions dans de nombreux champs détude.

Ces théories offrent une contribution évidente au développement de lhistoire des émotions. La valorisation de lémotion comme objet de cognition et objet culturel se révèle indispensable à son entrée dans le domaine historique. Les réflexions menées au sein de lÉcole des Annales viennent, dans cette optique, soutenir les apports cognitivistes et constructionnistes, sous limpulsion essentielle de Lucien Febvre. Son article fondateur, La sensibilité et lhistoire, paru en 1941 dans les Annales, défend lintérêt de lémotion comme objet historique4. Son appel nest cependant pas immédiatement entendu, et cest seulement aux alentours des années 1980 que se concrétise le tournant émotionnel, selon lexpression de Damien Boquet et de Piroska Nagy5. Les premières études historiques des émotions portent la trace de linfluence constructionniste. Cest le cas de celle de Carol Z. et Peter N. Stearns, véritables pionniers de lhistoire des émotions6, qui prennent la pleine 13mesure de leur dimension culturelle. Dans ce sens, ils mettent au point, dans leur étude de 1985, la notion démotionologie pour décrire les normes qui régissent linstance affective et ses manifestations7. Cette tendance à considérer les logiques de construction des émotions anime également les travaux de Barbara H. Rosenwein. Avec son volume Angers Past (1998)8, elle amorce la période la plus intense détudes consacrées aux émotions médiévales. Elle y consacre la majorité de sa carrière et de ses recherches et développe pour ce faire des outils et des concepts précieux tels que celui de communauté émotionnelle, traité en particulier dans son ouvrage Emotional Communities in the Early Middle Ages (2006)9. Au fil de ses études, elle met en lumière le processus de construction culturelle à la base des émotions et de leurs manifestations, variables selon les communautés géographiques, temporelles, sociales ou religieuses, sans pour autant en ôter le potentiel authentique. En écho aux théories cognitivistes, lhistorien William M. Reddy développe la notion demotive dans son ouvrage Navigation of Feeling (2001). Construite à linstar de celle de performative de John Austin, elle lui permet de mettre en exergue la part active et influente de lémotion10.

À la lumière de ce double héritage mis à contribution de manière si efficace, les historiens se passionnent pour les émotions. Depuis une vingtaine dannées maintenant, cet intérêt va croissant, offrant une profusion détudes qui témoignent de la légitimité et de la maturité gagnée par ce champ de la recherche. Les points de vue se multiplient au fil des ouvrages parus depuis lors, avec la thèse de Piroska Nagy qui interroge la mystérieuse conception religieuse du Don des larmes (2000)11 ; létude des instances de contrôle de lémotion de lAntiquité au Moyen Âge de Richard Sorabji dans Emotion and Peace of Mind (2000)12 ; lanalyse du 14rire médiéval de Jean Verdon (2001)13 ; celle de la peur et de la honte par Nira Pancer (2001)14 ; la publication de Daniel Lord Smail, The Consumption of Justice (2003), consacrée aux questions publiques et légales de lémotion15 ; louvrage du philosophe Simo Knuuttila, Emotions in Ancient and Medieval Philosophy (2004) qui retrace lhistoire de la réception philosophique antique au sein de la pensée chrétienne16 ; ou encore celui de Damien Boquet, Lordre de laffect (2005), qui propose lui aussi un très beau panorama de cette histoire émotionnelle, axé sur sa réception cistercienne avec lanalyse quil y propose de la pensée dAelred de Rievaulx17. Première preuve du succès de ce domaine détude, des colloques et des ouvrages collectifs commencent à rassembler ces chercheurs autour des représentations médiévales de lémotion. Citons pour exemple louvrage collectif coordonné par C. Stephen Jaeger et Ingrid Kasten, Codierungen von Emotionen im Mittelalter (2003) qui regroupe diverses réflexions sur lexpression et la manifestation démotions, et leur codage dans une perspective qui insiste sur lémotion comprise comme objet culturel18. Cest aussi le cas des volumes Les passions antiques et médiévales (2003)19 ou Emotions in the Heart of the City (2005)20. Le dynamisme des études médiévales dans le champ francophone doit beaucoup aux historiens Damien Boquet et Piroska Nagy, fondateurs du groupe de recherche EMMA en 2006 et organisateurs de nombreuses rencontres depuis lors. Cest ainsi que paraissent sous leur tutelle un numéro de la revue Critique consacré aux émotions médiévales (2007)21, tout comme les actes de colloque mis 15sur pied autour de lHistoire de la vergogne (2008)22, du Sujet des émotionsau Moyen Âge (2008)23, des Politiques des émotions au Moyen Âge (2010)24 et de La chair des émotions (2011)25. Lensemble de ces réflexions collectives les ont menés à la publication dune véritable synthèse de lhistoire des émotions, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans lOccident médiéval (2015)26. Cet ouvrage incontournable témoigne du succès et de la plénitude de lhistoire des émotions et participe dun élan marqué par lannée 2015, qui voit paraître plusieurs ouvrages de cette ampleur : Generations of Feeling de Barbara H. Rosenwein27, Haben Gefühle eine Geschichte de Rüdiger Schnell28 et The History of Emotions par Jan Plamper29. Ces publications démontrent la place acquise par les émotions dans la pensée historique et la maturité de cette réflexion, menée ainsi à son apogée par ces historiens qui proposent des synthèses de leurs années de recherches. Le succès ne sest jamais démenti depuis. En 2015 parurent aussi dautres ouvrages collectifs dimportance, comme Passions et pulsions à la cour30 ou Ordering Emotions in Europe31. Ces titres laissent entendre la place que conserve la perspective constructionniste dans les réflexions des historiens des émotions. La conception normée des émotions a été portée à un degré tout particulier chez Gerd Althoff, principal révisionniste de la théorie élasienne32. Il perçoit ainsi la spontanéité et la violence émotionnelles médiévales, pointées du doigt par Norbert Elias, comme pure politique. Il exacerbe au contraire la fonction sociale et communicative des émotions33. De ce point de vue, 16il tend à adopter une position extrême inverse pour ne plus considérer que la part rituelle, réglée et manipulatrice des émotions médiévales, le conduisant à négliger la question de leur authenticité. Mais il témoigne ce faisant dun intérêt important pour la portée publique et rituelle des émotions, au cœur de la plupart des études proposées depuis lors. Cest aussi le cas de louvrage de Laurent Smagghe, Les émotions du prince (2012), qui interroge le poids des normes émotionnelles en particulier pour les figures princières34, ou des analyses de Bénédicte Sère qui envisage la ritualité inhérente des représentations émotionnelles des souverains35. La monographie de Kate McGrath (2019)36 ou celle de Peter A. Jones (2019)37 sinscrivent toujours dans cette réflexion autour du lien tissé entre affect et pouvoir. Le potentiel performatif des émotions doit lui aussi être interrogé dans ce contexte, comme latteste le volume Performing Emotions in Early Europe (2018)38. Il renvoie également à la question du corps, essentielle dans la compréhension médiévale des émotions. Lanalyse de Béatrice Delaurenti (2016) du système de contagion émotionnelle offre un bel exemple de lattention que requièrent les données physiologiques de linstance affective39. La place acquise par les émotions dans lhistoire culturelle se propage toujours, comme en témoigne par exemple louvrage Engaging the Emotions in Spanish Culture and History (2016)40. Elles gagnent en importance en se comprenant au cœur de phénomènes multiples et variés comme celui des croisades41 ou même de léconomie42. La sphère religieuse, essentielle dans laffectivité médiévale, inspire de nombreuses 17réflexions, à commencer par celles déjà citées de Piroska Nagy par exemple43, mais aussi auparavant déjà de Jean Delumeau qui pose le lien entre peur et péché dans son analyse de la culpabilisationenOccident (1983)44. Les travaux de Carla Casagrande et de Silvana Vecchio sont représentatifs de cette association prégnante dans la pensée chrétienne médiévale entre émotions et péchés, puisque leurs études des péchés semblent les avoir ensuite conduites à celles des passions45. Citons également les ouvrages de Miri Rubin (2009) qui étudie la place essentielle de Marie dans la pratique dévotionnelle46, ou de Naama Cohen-Hanegbi (2017) qui envisage le rôle des émotions dans les soins de lâme47. Les efforts de prise en compte de lémotion se multiplient ainsi dans de nombreuses directions et donnent lieu à la parution dautres ouvrages de références encore, comme celui de lHistoire des émotions (2016)48, de Tears, Sighs and Laughter consacré à lexpression des émotions (2017)49, de Genealogies of Emotions dAnn Brooks (2018)50, de The History of Emotions de Rob Boddice (2018)51, ou du très ample A cultural History of the Emotions (2019)52. Létude des émotions en vient à rencontrer celle, tout aussi actuelle, des études genre, notamment pour interroger lémotion de la honte ou de la pudeur, alors appelée vergogne. Nous pouvons mentionner à ce niveau les études de Mary C. Flannery, Practising Shame (2019)53 ou de Damien Boquet, dont le dernier ouvrage 18vise à cerner toute la subtilité de cette émotion ambiguë (2020)54. Cette année a dailleurs vu paraître un nombre toujours important détudes consacrées à lhistoire des émotions, avec notamment un véritable guide des sources et méthodes de lhistoire de lémotion55, un ouvrage voué à une plus large diffusion de Barbara H. Rosenwein56, ou le résultat des réflexions conjointes de Rob Boddice et de Mark Smith, révélatrices de la richesse de cet objet détude à la croisée des champs disciplinaires57, ou encore de celles menées autour des émotions collectives58, un objet de recherche en plein développement.

Le champ détude des émotions semble de prime abord moins circonscrit chez les spécialistes de la littérature médiévale que chez les historiens : le nombre douvrages consacrés à linstance affective savère bien plus réduit, et nulle synthèse de référence na à ce jour livré de regard global sur la représentation littéraire de laffectivité médiévale. Ceci nexclut bien sûr pas la parution de plusieurs monographies et articles dune grande richesse. On note dailleurs un intérêt ancien déjà pour linvestissement émotionnel dans les études littéraires, avec celles de Jean-Charles Payen, Le motif du repentir dans la littérature française médiévale (1967), qui témoigne dune considération essentielle des émotions dans lunivers religieux59, de Jacqueline Picoche du vocabulaire psychologique chez Froissart (1984)60, ou de Jacques Merceron autour de la mauvaise humeur (1998)61. Mais les spécialistes de la littérature se font aussi lécho du tournant émotionnel. Ils emboitent le pas des historiens pour défendre le rôle des émotions dans la trame narrative et dans le chant poétique. Citons par exemple les analyses de Gérard Le Vot 19consacrées à lexpression lyrique des émotions (2003)62, de Kataryna Dybel qui envisage les paramètres du bonheur dans la littérature arthurienne (2004)63, ou encore celles de Bernard Ribémont dédiées à la peur épique (2008)64. Directement intégré dans la mouvance des études historiques, Andrew Lynch, directeur du projet australien « ARC Centre of Excellence for the History of Emotions », promeut ce sujet de recherche dans la discipline littéraire. Il est à lorigine, avec Michael Champion, dun ouvrage collectif intitulé Understanding Emotions in Early Europe (2015), qui rapproche des contributions dordre aussi bien historique que littéraire65. Il a également participé au recueil Emotions in medieval Arthurian literature (2015), qui offre une preuve éclatante de la hausse dintérêt des spécialistes de la littérature pour lintégration de linstance émotionnelle66. En cette année tout aussi productive chez les historiens que chez les littéraires, on peut aussi noter la parution de Cultivating the Heart qui se fait lécho des réflexions dédiées à linvestissement émotionnel requis dans la pratique religieuse67. Mais il nous faut surtout présenter les parcours des trois chercheuses qui ont le plus contribué à lessor des études littéraires des émotions médiévales, à commencer par Jutta Eming. Parfaite représentante de cette attention croissante accordée à linstance affective, elle est membre dun autre projet important « Languages of Emotion » créé à Berlin en 2007. Dès cette année, elle publie une monographie éclairante des dynamiques dexpression des émotions dans la littérature allemande quelle étudie, Emotion und Expression (2007)68. Elle approfondit son analyse du corpus tristanien dans un second volume, Emotionen im « Tristan », paru en cette 20riche année 201569. Ces ouvrages, tout comme lensemble de sa bibliographie, accordent une place importante aux modalités de lexpression des émotions, dans leur portée corporelle et ainsi même stylistique et performative. Elle interroge leur orientation culturelle et leur intentionnalité dans le contexte littéraire dans lequel elles sinscrivent. Brînduşa Grigoriu porte à un haut degré de raffinement les analyses littéraires qui peuvent être faites des émotions. Bien loin des détails narratifs auxquels elles ont pu être cantonnées, elle révèle quelles prennent une place essentielle dans les codes narratifs autant que dans les codes culturels décryptés par les historiens. Brînduşa Grigoriu cherche ainsi à mettre en lumière lémotionologie particulière des émotions littéraires dès son premier ouvrage consacré au Talent et au Maltalent (2012)70. Elle poursuit ses réflexions en confrontant les codes sociaux de lhonneur à lémotion à haute valeur poétique quest lamour dans le corpus, révélateur de cette tension, des romans tristaniens (2013)71. Elle adopte la même posture dans son étude des fabliaux et souligne le rôle des émotions dans les parcours initiatiques et transgressifs mis en scène dans ces récits (2015)72. Elle offre ainsi un modèle méthodologique dune grande richesse, alliant les résultats des historiens, les notions quils mettent sur pied, aux enjeux de lanalyse littéraire qui gagne en force et en nuances au gré de la prise en compte des schémas émotionnels qui la sous-tendent. Tout aussi significatifs de la finesse des analyses littéraires des émotions, les travaux de Sif Ríkharðsdóttir envisagent la place des émotions dans la tradition norroise (2017)73. Ils offrent une belle démonstration du pouvoir révélateur des émotions et des dynamiques narratives dans lesquelles elles peuvent ainsi sinscrire. Attentive aux contextes dans lesquels les émotions apparaissent, Sif Ríkharðsdóttir témoigne de la richesse des codes auxquels elles viennent répondre, les nuances dont elles se parent face à eux et dont elles teintent ainsi le récit. Inspirées par ces exemples 21et selon le modèle des historiens médiévistes, des rencontres sont organisées pour rassembler les spécialistes de littératures qui se consacrent à létude des émotions. Ainsi, un colloque vient envisager la description de linstance affective entre les littératures narrative et scientifique du Moyen Âge74. Un autre a pour ambition demboîter le pas aux études développées dans les autres champs de la médiévistique pour défendre la place des émotions comme objets littéraires75. En participant nous-même à certains de ces colloques, nous avons pu constater la vivacité des études littéraires des émotions médiévales. Un nombre croissant de jeunes chercheurs y consacrent leurs réflexions, suivant les exemples inspirants déjà offerts pour mettre en exergue la place de lune ou lautre émotion dans toute la diversité des corpus qui mobilisent les émotions dans leur construction. Notre propre travail tend à sinscrire dans cette dynamique de recherche riche et fructueuse. Elle nous semblait légitimer ce parcours historiographique autant quune prise de position plus explicite quant aux points de vue défendus au fil de toutes ces études déjà proposées des émotions médiévales.

Les études psychologiques et neurobiologiques ont contribué de manière indéniable au développement de lobjet de recherche historique des émotions. Mais en regard de la perspective médiéviste qui est la nôtre, elles induisent le risque de proposer un prisme interprétatif anachronique, peu souhaitable dans notre appropriation des logiques médiévales de lémotion. Cest dans ce sens que Damien Boquet et Piroska Nagy définissaient leur propre angle dapproche : « Lémotion en tant quobjet historique nest en rien “lémotion psychologique” puisquelle est une construction médiatisée par le document et ses modalités délaboration76 ». Les conceptions neuroscientifiques nous semblent dès lors peu pertinentes dans le cadre dune étude nayant pas pour objectif la réalité psychique et psychologique de lémotion, mais sa manifestation construite, dans le cadre culturel quest celui du Moyen Âge et dans le discours littéraire qui sen fait lécho.

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Les travaux danalyse et même de synthèse offerts par les historiens spécialistes de lémotion savèrent incontournables. Ils fournissent des cadres de réflexions, des notions et des repères chronologiques dune grande richesse pour létude des émotions médiévales. Nous voudrions surtout souligner lintérêt des travaux pionniers de Carol Z. et Peter N. Stearns, ainsi que de William M. Reddy qui ont su mettre en lumière la part construite et performative des émotions, ceux de Barbara H. Rosenwein qui fondent la compréhension des émotions médiévales, ceux de Damien Boquet et de Piroska Nagy qui ont su dynamiser et légitimer le champ historique de lémotion. Surtout, nous voulons mettre en exergue tout lintérêt des outils méthodologiques quils ont pu développer. Ce débat date déjà bien sûr, mais les justifications quils ont pu donner tant pour les perspectives universalistes que culturalistes qui peuvent imprégner létude des émotions se révèlent enrichissantes, même dans le champ disciplinaire littéraire. Sif Ríkharðsdóttir profite de cette base de réflexion pour légitimer demblée son angle de travail à lopposé du mythe cartésien ainsi déconstruit : « Emotive behaviour is thus determined by the biological mechanisms of the individual as well as the behavourial codes and conventions generated by a community of individuals. This collective framework of rules and conventions shapes the behaviour of the subject77 ». Hors du débat persistant entre ces deux théories, nous pouvons trouver un certain intérêt tant au point de vue culturaliste, révélateur des codes émotionnels, quuniversaliste, sensible aux manifestations corporelles des émotions. Les notions développées dans le cadre des études historiques trouveront aussi écho dans nos propres réflexions pour laide précieuse quelles offrent pour dénommer et délimiter les phénomènes que nous voudrions étudier. Celle de « communauté émotionnelle », forgée par Barbara H. Rosenwein, nous permettra denvisager les logiques diverses qui marquent les groupes sociaux ou, plutôt, les groupes formés par un système idéologique similaire dans leur considération et manipulation des émotions78. Les étiquettes d« émotionologie » ou de « feeling rules », construites chez Carol Z. et Peter N. Stearns, savéreront très utiles pour mettre en exergue la dimension normée des émotions médiévales79, qui se trouve à la base des jeux qui peuvent les entourer, on le verra. Il en va 23de même de celles de « script émotionnel », développée par la sociologue Agneta Fischer, ou d« intelligence émotionnelle », proposée par Peter Salovey et John D. Mayer, et dont Brînduşa Grigoriu a révélé toute lutilité dans une perspective littéraire80. En regard de la pertinence de ces notions, nous ne manquerons pas de les intégrer à notre tour à nos réflexions, mais sans pour autant risquer de les laisser conduire nos analyses ou de les y plaquer.

Indépendamment de leur richesse indéniable, il convient de mesurer les limites des méthodes et orientations des études historiques des émotions médiévales en regard de notre propre champ de recherche. Jutta Eming a mis en exergue les différences inhérentes de lanalyse littéraire avec la phénoménologie des émotions historiques81. Lobjectif nest pas le même, ni même le regard porté sur notre objet détude. Notre intention nest pas datteindre lémotion historique, dans une authenticité difficilement atteignable, mais celle mise en scène par la littérature. Si nous rejoignons tout à fait lappel des historiens à considérer lémotion dans sa portée culturelle et standardisée et selon le seul accès qui nous est possible à lémotion par le biais de sa manifestation82, nous voudrions aussi valoriser le véhicule même de lémotion médiévale, le texte qui sen fait le support. Notre objectif ne serait ainsi pas tant de présenter une histoire des émotions, quune histoire des discours sur les émotions83.

Les travaux inspirants de Jutta Eming, de Brînduşa Grigoriu et de Sif Ríkharðsdóttir, au-delà des ouvrages collectifs consacrés aux émotions arthuriennes par exemple, constitueront des modèles danalyse précieux. Ils permettent en outre, chacun à leur manière, de témoigner de la dimension culturelle, si ce nest aussi performative des émotions, qui se trouvera au cœur de nos réflexions. Notre intérêt pour la part jouée des émotions nous conduira en effet à prendre en considération toute analyse qui ait inclus une réflexion sur la performativité, voire sur la manipulation démotions, via une présentation des codes qui peuvent lentourer, ou 24une insistance sur le rôle exercé par les émotions dans linstance publique notamment. Damien Boquet et Piroska Nagy, par exemple, ont veillé dans leurs études à problématiser le rapport des émotions aux normes, potentiellement « respectées, dépassées et jouées », selon la belle formule de Piroska Nagy84. Nous touchons ici à deux paramètres importants de lémotion qui peuvent être facteurs de sa manipulation : sa part sociale, révélée par les théories constructionnistes, et sa conception pragmatique, mise en exergue notamment par William M. Reddy. Pareille prise en compte des paramètres de lexpression des émotions a été démontrée, dans cette lignée, par de nombreux historiens des émotions que nous avons pu citer85, mais aussi par les spécialistes de la littérature86. Cest notamment le cas dEvelyn Birge Vitz, qui a consacré une bonne part de ses travaux à la question de la performance87 et qui sest également penchée par ce biais sur les émotions88. À titre plus ponctuel peut-être, mais non moins pertinent, nous pouvons mentionner la thèse de Sharon C. Mitchell, dédiée aux manuels de comportement qui savèreront en effet porteurs dans notre perspective danalyse89, ou les études de Tracy Adams90 ou de Florence Bouchet91 qui interrogent la performativité 25des codes amoureux courtois dans des corpus qui se révèleront aussi très pertinents dans notre point de vue. Les considérations amoureuses, mais pas seulement dailleurs, posent la question des catégories de genre qui imprègnent les prescriptions émotionnelles. Nombreuses sont les analyses qui se sont inscrites à la croisée du champ des émotions et de celui des études genre, tant dans une perspective historienne92 que littéraire93. Sif Ríkharðsdóttir a révélé tout lintérêt de peser les distinctions de genre dans le comportement émotionnel prôné, valorisé ou blâmé dans la trame narrative94, un point de vue que nous aimerions nous aussi défendre dans nos propres analyses. Dans un autre registre, tout aussi significatif pour nos analyses, Monika Otter a pour sa part mis en lumière limportance fondamentale du corps et du visage dans cette perspective performative des émotions95. Il sagit là dun paramètre essentiel de lexpression émotionnelle dans la compréhension et dans la mise en scène littéraire médiévale. De nombreux chercheurs ont déjà pu mettre en lumière la place centrale des manifestations physiques de lémotion. Indices privilégiés de la révélation de lintériorité, elles 26se posent au cœur des normes qui pèsent sur les émotions, avec toutes les problématiques que cela peut engendrer. À ce titre, nous porterons une attention particulière aux travaux menés sur la sphère corporelle et gestuelle, et à la question des apparences plus généralement, tant de la part des historiens96, que des spécialistes de la littérature. Citons pour exemple les études de Marie-Thérèse Lorcin97, de Magali Janet98, ou de Luca Pierdominci99, ou encore celle, conduite de manière collective, autour du Corps romanesque100. Nous devons surtout souligner lintérêt des analyses de Guillemette Bolens qui a su, avec une finesse remarquable, démontrer toute la richesse de lobjet détude littéraire quest le corps, dans toutes ses facettes101. Elle a fourni des outils de réflexion précieux pour ce faire, comme la notion de « kinésie » pour envisager la valeur significative et cognitive du corps en rapport avec toutes ses voies dexpression et avec toutes les normes auxquelles il fait face102. Le pouvoir révélateur du corps a bien sûr fait lobjet des réflexions des spécialistes des émotions eux aussi. Ainsi, les analyses de Bernard Ribémont103, de 27Daniel Lord Smail104, ou Rüdiger Schnell105 incluent, voire se concentrent sur la place du corps dans leur mise en lumière de la portée narrative des émotions. Jutta Eming a elle aussi mis en exergue limportance des marqueurs externes de lémotion, qui sobserve autant dans les codes que dans les descriptions données de lexpression émotionnelle. Elle souligne ainsi le rôle communicatif et même authentifiant du corps, et le style ostentatoire auquel il peut se prêter dans cette optique106. Elle envisage alors les manipulations dont il peut faire lobjet, en profitant et détournant cette considération du corps comme le reflet immédiat de lintériorité. Elle pose la question de sa performance et de lesthétisation des émotions à laquelle il peut contribuer107.

La problématique de la sincérité des émotions a été posée au cœur des réflexions de plusieurs autres chercheurs. Lhistorienne Nira Pancer pèse ainsi, au cœur de ses analyses de la honte, lambiguïté du corps entre instance incontrôlable et performatrice des émotions108. De la même manière, Lyn Blanchfield interroge le rapport de continuité entre les larmes et la sincérité des émotions109. Pareilles réflexions font écho aux travaux des historiens Jean-Jacques Courtine et Claudine Haroche qui témoignent, dans leur histoire du visage et des enjeux de lexpression ou de la dissimulation des émotions quil permet, de la possibilité, voire de la nécessité, de manipuler les indices, offerts par le corps, de lintériorité110. Ces considérations entrent évidemment au premier rang de nos objets dattention, dans une volonté de contrecarrer 28la perception du corps et des gestes comme outils de vraisemblance, voire dauthentification, de lémotion ainsi exprimée. Il nous paraitrait intéressant de repenser ce point de vue, souvent posé comme acquis, du moins de linterroger dans une réflexion qui mêle à lopposition, trop binaire, de lémotion et de la raison celle du vrai et du faux. Dans ce sens, la manifestation non-verbale des émotions simpose comme un lieu évident danalyse. La tension que le corps recèle entre indice trahissant lémotion et outil de feintise se révélera dune grande richesse pour envisager les dynamiques particulières des jeux des émotions. Au cœur de ce réseau référentiel sur lequel nous avons la chance de pouvoir nous appuyer, nous voudrions placer cette problématique de la manipulation possible des émotions au cœur de nos analyses littéraires de linstance affective. Nous souhaiterions ainsi remettre en question les présupposés et dichotomies qui peuvent y être liés, mais surtout prêter une attention nouvelle aux enjeux et aux messages révélés dans la trame narrative par les émotions et les efforts de dissimulation ou de simulation dont elles peuvent être lobjet.

Approche terminologique

La question du lexique employé pour qualifier les émotions savère bien entendu essentielle pour notre sujet détude. Lusage des mots pour dire les émotions nous confronte à un vocabulaire mouvant, tant du point de vue de son évolution historique que dans sa précision terminologique. Les quelques remarques lexicales que nous voudrions à présent poser ne nous offriront pas seulement une introduction adaptée à cette richesse, elles constituent une étape obligée pour une appréhension et une délimitation correctes du sujet. Elles le sont dautant plus dans la perspective littéraire qui est la nôtre. Notre analyse des émotions se veut tributaire des paramètres de leur mise en scène et avant tout du langage qui permet de les activer dans le texte. Il sagit là du grand paradoxe de lhistoire des émotions : lémotion paraît inexprimable, mais elle se forge dans les mots qui la disent ou lécrivent111. Cette attention que nous aimerions porter aux mots de lémotion répond aux appels multiples et variés des historiens tant de lémotion que de la corporalité quelle implique. Ainsi, Jean-Claude Schmitt soutient que 29« la piste du vocabulaire était, comme souvent en histoire, particulièrement instructive112 » pour débuter son étude de la morale des gestes. Les spécialistes de lémotion, Barbara H. Rosenwein en tête, ont aussi mis en exergue cet impératif, renforcé par la nature insaisissable de linstance affective113.

Il est nécessaire de préciser demblée, suivant lexemple de la plupart des historiens des émotions, que le terme choisi pour qualifier ce champ de recherche ne peut constituer quune appellation générique. Ce terme nexistant tout simplement pas à lépoque médiévale114, il ne saurait désigner une réalité historique, ni même aisément la recouvrir. Cette question de vocabulaire pose un problème persistant et insoluble, plus encore en regard de son adaptabilité dune langue à lautre et de lintercompréhension à son endroit dans lensemble de la communauté scientifique qui sest fixé comme objectif de linterroger. Le choix dune dénomination précise, tout du moins représentative dune certaine réalité, savère par ailleurs tout aussi complexe de nos jours quà lépoque médiévale. La désignation des mouvements intérieurs relève avant tout de nuances, dans le contexte demploi du mot en lui-même et plus encore dans sa transposition inter-linguistique. Jamais les termes choisis dans chaque langue ne semblent en effet correspondre à ceux utilisés dans dautres, que lon considère le passage du grec au latin, du latin au français médiéval, ou, de nos jours, le dialogue entre langlais, le français ou lallemand par exemple. Même au sein dune même langue, les auteurs se sont rarement accordés sur un terme unique pour désigner linstance affective. À titre dexemple, Cicéron et Sénèque, tous deux incontournables quand on vient à se pencher sur la conception médiévale des émotions, nemploient pas le même mot pour introduire la liste quils consacrent au lexique affectif. Cicéron 30recourt au terme perturbationes, tandis que Sénèque use du mot affectus115. Aucun de ces deux termes ne correspond dailleurs exactement au mot grec pathè, employé par Aristote116 qui lui confère toute son importance postérieure. En latin toujours, mais bien des siècles après Cicéron, Thomas dAquin usera pour sa part du terme passio117, qui a également une longue influence sur les analyses affectives menées par les philosophes, théologiens et savants médiévaux à sa suite. Cette disparité terminologique contribue à la difficulté de saisir la réalité émotionnelle médiévale. Cette difficulté se voit encore renforcée par labsence de correspondance entre les étiquettes médiévales et actuelles pour désigner lémotion. Le vocabulaire contemporain ne facilite pas non plus la donne : les nuances importantes qui existent entre les différents vocables qui pourraient qualifier lémotion rendent peu aisée la conception dun objet détude global et délégitiment a priori lusage quelque peu artificiel du mot « émotion ». Mais ce sont justement ces difficultés qui justifient le consensus établi par les chercheurs autour du terme « émotion ». Ce mot-valise se révèle très utile pour qualifier le concept général visé par les disciplines qui se sont intéressées au phénomène émotionnel, toutes langues détudes confondues. Il savère dautant plus nécessaire que le phénomène quil vient désigner résiste à toute définition globale118. Quelques précisions simposent néanmoins pour sa correcte appréhension : cette appellation doit se comprendre comme une étiquette, obtenue, dans sa conception francophone, par dilatation de sa signification originelle119 et par adaptation de langlicisme emotion. Il ne saurait sagir de lémotion comprise dans sa définition française, distincte du « sentiment », qui pourrait dailleurs savérer plus adéquat dans une certaine mesure. Il faut garder à lesprit la nature et la fonction de cette appellation générique, consensus bien plus que représentation exacte et précise du phénomène émotionnel. Il importe surtout de ne pas désigner, sous ce terme « émotion », un 31artefact psychologique, mais bien seulement une étiquette adaptée à laffectivité dans son ensemble120.

Cette problématique terminologique dépasse évidemment la seule dénomination du champ détude, elle concerne également – et certainement avant tout – lobjet en lui-même de ce dit champ détude. Que lon choisisse de les décrire comme émotions, passions ou encore affects importe effectivement moins que de délimiter les émotions que lon souhaite interroger. Une fois encore, se pose la question du lexique à considérer, mais à un niveau bien plus étendu alors. La même problématique linguistique du vocabulaire à choisir réapparaît, renforcée ici aussi par linadéquation irréductible de ce lexique dune langue à lautre. Il convient en outre de garder à lesprit quemprunter des termes modernes et recourir à des catégories actuelles pour désigner les émotions médiévales relèverait de lanachronisme121, ou de la « pure illusion pratique122 ». Le choix simpose de lui-même : ces émotions que nous voudrions percevoir, saisir et analyser au sein dun corpus de textes médiévaux ne peuvent sétudier qu« à travers les mots que les gens eux-mêmes employaient et considéraient comme des émotions123 », sur la base « des représentations des hommes et femmes du Moyen Âge qui eux aussi nomment, pensent, vivent les “choses affectives” selon leurs propres codes, motivations, finalités124 ». Suivant les appels des historiens des émotions, nous voudrions accorder limportance requise aux théories développées à lépoque médiévale autour des émotions. Sur la base des listes et réflexions émises par les grands penseurs dalors, nous pourrons en considérer linfluence, en vérifier et extrapoler les usages dans les œuvres médiévales qui porteront nos analyses. Barbara H. Rosenwein a mené cette expérience en sappuyant sur les listes dressées par Cicéron dans ses Tusculanes, y ajoutant quelques termes clés introduits dans dautres textes dimportance, antiques puis chrétiens, et en a tiré quelques conclusions prouvant lefficacité dune telle méthodologie sur laquelle bâtir les recherches lexicales quimpose ce type détude125. Cette 32attention à porter aux textes et aux termes médiévaux a également été défendue par la plupart des chercheurs qui se sont confrontés aux émotions médiévales, comme les ouvrages de synthèse ou les résultats defforts collectifs produits à ce sujet tendent à lattester126. Les spécialistes de la littérature médiévale ont aussi mis laccent sur cet impératif de se fonder sur les textes médiévaux plutôt que dessayer dy adapter nos formules et conceptions modernes : « we will understand [Arthurian] emotions better as attentive readers of narrative than as quasi-scientific taxonomists looking for evidence leading us to facts and systems of thought beyond the text127 ».

Pour justifier cette concentration sur les sources médiévales de la terminologie affective, Damien Boquet a choisi pour sa part lusage du décalque comme solution aux filtres dinterprétation qui risquent par trop souvent déloigner lémotion décrite dans le texte médiéval. Cest ainsi quil défend son emploi du terme « affect », à entendre davantage comme une transposition des formules latines affectus ou affectio que dans son acceptation actuelle128. Il met en lumière ainsi le filtre interprétatif que constitue déjà elle-même la terminologie affective. Elle est toujours mise en forme, pensée et choisie par le prisme de la communauté émotionnelle dans laquelle sinscrit son auteur, mais aussi motivée par les choix stylistiques quil peut poser. Ces mises en forme de lémotion cristallisent tout lintérêt dune étude fondée sur le lexique médiéval. Cest aussi dans ce sens que nous souhaiterions ne pas nous fermer à une quelconque catégorie démotions dans notre appréhension de linstance affective. Conformément aux recommandations de bon nombre dhistoriens une fois de plus, nous pensons plus pertinent de laisser le texte médiéval nous conduire aux émotions dignes dintérêt pour les enjeux de manipulations dont elles peuvent faire lobjet. A fortiori, une catégorisation de lensemble des émotions relèverait du 33mirage129. Bien sûr, nous pouvons bénéficier des lumières offertes par les théoriciens médiévaux eux-mêmes. Ils pourront aiguiller notre lecture et notre compréhension des constructions littéraires qui sont faites des émotions pour nous aider à percevoir les logiques qui sous-tendent leurs mises en scène et, plus encore, les jeux dans lesquelles elles sont inscrites. Aux filtres de la langue et de la littérature, nous voudrions en effet adjoindre celui du jeu porté autour de lémotion, manipulée plus seulement dans sa formulation ou dans sa portée discursive et narrative, mais aussi dans sa réalité contenue ou détournée au gré des stratagèmes dans laquelle elle se comprend. Pareil entremêlement ne rend que plus indispensable une approche terminologique exacte de linstance affective, pour pouvoir la saisir dans toutes ses nuances, ses orientations et ses intentions. Nous avons donc décidé de nous cantonner, de la manière la plus stricte possible, aux seules descriptions de jeux assumés comme tels démotions présentées comme telles. Nous avons ainsi malheureusement délaissé un grand nombre dépisodes dune grande richesse quant à leur mise en scène émotionnelle, mais qui ne dépeignaient pas de manière explicite une manipulation purement émotionnelle ou une émotion réellement jouée. Cet enchevêtrement des logiques de compréhension de lobjet émotionnel rend aussi dautant plus nécessaire la confrontation aux théories médiévales des émotions, guides de lecture tout désignés des représentations émotionnelles mises en scène dans la littérature médiévale et outil dapproche privilégié du vocabulaire qui y est assigné.

Introduction aux théories médiévales des émotions

Les réflexions consacrées aux émotions chez les penseurs médiévaux savèrent incontournables pour approcher linstance affective telle quelle se conçoit au Moyen Âge. Il nous semblait donc indispensable de faire précéder nos analyses dune présentation des théories qui ont pu animer les débats et compréhensions particulières de lémotion. Nous naurons pas pour autant pour objectif de dresser un tableau exhaustif et détaillé des réflexions développées par chacun des penseurs antiques et médiévaux 34que nous avons choisi de présenter. Nous nous contenterons de suivre le modèle offert par les historiens et historiens de la philosophie qui se sont si bien prêtés à cet exercice. Sur cette base, nous voudrions fournir un panorama de lhistoire de lémotion telle quelle fut traitée chez les penseurs médiévaux pour déterminer les contours dune perception émotionnelle globale qui servira dappui aux mises en scène littéraires auxquelles nous voudrions dédier nos propres recherches.

La compréhension de lémotion médiévale doit beaucoup aux réflexions développées chez les philosophes antiques et surtout chez Platon. Philosophe grec du ve siècle avant Jésus-Christ, Platon est à la source de la première systématisation du phénomène émotionnel, déterminante pour la tradition philosophique occidentale130. Il pose pour point de départ une conception tripartite de lâme entre ses parts raisonnée, concupiscible et irascible. Il en propose une représentation symbolique sous la forme dun char, la part raisonnée, mené par deux chevaux, les parts concupiscible et irascible, à garder sous le contrôle de la raison selon cette image expressive. Il oppose donc lémotion à la raison, selon un point de vue dominant tout au long de lhistoire des émotions. Les notions de concupiscible et dirascible ont connu une réception importante au Moyen Âge. Les émotions, forcément non-raisonnées, pourraient donc relever ou de linstance concupiscible, dite aussi appétitive, toujours cause de perturbations, ou de linstance irascible, potentiellement positive si elle savère contrôlée et orientée vers la raison. Platon conçoit ainsi les émotions comme des évaluations mal guidées, nécessitant un important contrôle pour une correcte orientation. Cette idée se révélera très porteuse au Moyen Âge.

Le succès des théories platoniciennes nattend cependant pas le xiie siècle pour éclore. Galien, médecin grec du iie siècle, reprend le schéma platonicien des trois sections de lâme, quil associe à différents organes pour construire son modèle humoral, très influent à lépoque médiévale. Galien défend une représentation des émotions comme des phénomènes mentaux accompagnés de changements physiologiques en lien surtout avec les quatre humeurs quil identifie dans le corps. Dans lobjectif déquilibre quil cherche à assurer entre celles-ci, il prône lui aussi un contrôle continu, en particulier des changements corporels qui 35découlent des émotions. Cette réflexion à caractère médical aura un impact important au cours du xiie et du xiiie siècles surtout.

Aristote exercera lui aussi une influence profonde lors du Bas Moyen Âge. Le grand philosophe de la Grèce Antique élabore, au iiie siècle avant Jésus-Christ, des schémas essentiels en ce qui concerne linstance affective. Il conçoit lui aussi lâme sur un modèle tripartite. Il en distingue les sphères rationnelle, sensitive et végétative qui remplissent trois fonctions, vivifiante, sensible et réflexive, dans le corps. Il renforce ainsi le conflit entre raison et émotions déjà présent dans le système de réflexion platonicien. Mais il soutient aussi lunion de lâme et du corps, selon une idée phare de la réception médiévale dAristote. Dans ce contexte, il présente les émotions comme bénéfiques, sources de cognition et de motivation pour les interactions sociales. Il en établit une structure commune, fondée sur un processus dévaluation – positive ou négative –, à la source dun sentiment – plaisant ou déplaisant –, dune suggestion comportementale et finalement dune impulsion vers laction, ainsi que dun changement corporel. De manière tout aussi porteuse, il dresse plusieurs listes des émotions, variables selon ses œuvres et la lecture qui y a été appliquée. Il dénombre notamment la colère, la douceur, lamitié, la haine, la peur, la confiance, la honte, la gentillesse, la pitié, lindignation, lenvie et lémulation. Cette représentation, aussi bien platonicienne quaristotélicienne, des émotions comme des entités certes irraisonnées, mais à valeur ontologique, sopposera à celle des philosophes stoïciens131.

Les Stoïciens développent en effet un modèle des émotions comme des impulsions perturbatrices contraires à la raison, quil ne convient pas seulement de contrôler, mais même déradiquer. Chrysippe et Zénon, fondateurs de ce courant philosophique aux alentours du iiie siècle avant Jésus-Christ, insistent en particulier sur le jugement indispensable à faire porter sur lémotion conçue comme une réaction incontrôlable. Pareille perspective séclaire à la lueur de leur perception de lâme comme uniforme, uniformément rationnelle et au sein de laquelle les émotions nont donc aucune place. Linstance affective se confronte surtout à lenjeu central des dogmes stoïciens, à savoir leur objectif dapatheia. Dans leur souci dannihilation des émotions, ils en mettent en place une véritable typologie. Les Stoïciens distinguent le plaisir, lié 36au présent et au bon, la détresse, liée au présent et au mauvais, le désir, associé au futur et au bon, et la peur, à relier au futur et au mauvais. Cicéron, auteur latin du ier siècle avant Jésus-Christ, fut considéré à lépoque médiévale comme lune des principales figures du Stoïcisme. Il reprend de Chrysippe la compréhension des émotions comme des instances non-naturelles, irrationnelles et surtout comme des erreurs de jugement, si ce nest des mouvements malades de lâme. Cest ainsi quil justifie à son tour linutilité dune thérapie de modération, de metriopathia, telle que le défendent surtout les Épicuriens, et recommande plutôt lapatheia, une introspection et un contrôle de soi permanents à légard des émotions. Cicéron joue également un rôle important dans lélaboration de la notion stoïcienne de pré-émotion, cest-à-dire de mouvement premier indépendant de la volonté, pouvant dès lors échapper au contrôle, indispensable ensuite, de la raison. Elle se retrouve chez Posidonius qui, peu après Cicéron, vient mêler les apports stoïciens et néoplatoniciens, notamment liés à la tripartition de lâme. Il conçoit ainsi la pré-émotion comme naturelle, hors de toute instance de jugement – ce paradigme essentiel de lémotion chez les Stoïciens – et parfois incontrôlable. Ces points de vue stoïciens et néoplatoniciens sont ensuite synthétisés, sous limpulsion de Posidonius, par Sénèque au ier siècle. Il affirme notamment, dans son important traité sur la colère, le caractère hors de contrôle de la pré-émotion, qui reste néanmoins toujours à éviter. Il développe dans ce sens une dynamique à connotation morale de lémotion, construite en trois étapes : représentation mentale, élan de la volonté et finalement assentiment, lié à la raison. Cette considération de lémotion partiellement incontrôlable ne la libère pas pour autant de sa dépréciation stoïcienne. Sénèque contrecarre en effet la pensée aristotélicienne de la disposition émotionnelle vertueuse. Une émotion, même la plus innocente, en entraîne toujours une autre, de plus en plus ingouvernable, ce qui pousse Sénèque à réaffirmer ce besoin de contrôle sans faille défendu par les Stoïciens. Cette recommandation de contrôle sera ensuite reprise et amplifiée par Quintilien qui, en bon orateur, codifie lexercice rhétorique des passions. Il érige ainsi en stratégie déloquence le contrôle de soi, ainsi que des autres, par les émotions. Il défend une forme de mise en scène émotionnelle fondée sur limpératif de contrôle, une perception pertinente des manipulations dont lémotion peut faire lobjet. Ces philosophes latins, Cicéron et Sénèque en tête, 37léguèrent à lépoque médiévale de riches listes démotions. Cicéron est à lorigine des plus influentes, dressées dans ses Tusculanes ou dans son De Oratore. Il y énumère de multiples émotions, quil nomme affectiones ou perturbationes : bien sûr les habituelles laeticia, agritudo, libido et metus stoïciennes132, mais aussi lamour, la haine, la peur, la colère, lespoir, la joie, la tristesse, lenvie et la pitié133. Sénèque, de son côté, exacerbe limportance des émotions daudace, damour et de colère bien sûr au travers du traité quil y a consacré. Ces listes, les définitions et conceptions qui y sont proposées exercèrent un poids important au Moyen Âge.

Un détour par la philosophie épicurienne savère encore nécessaire avant denvisager la réception médiévale et avant tout chrétienne de ces réflexions antiques. Au contraire des Stoïciens, les Épicuriens perçoivent lémotion comme naturelle et recommandent certes son contrôle, mais seulement dans un objectif de metriopathia et, ainsi, de tranquillité de lâme. Ils rejoignent en ce sens les théories stoïciennes par leur déconsidération de la colère, source de perturbation indéniable. Mais leur traitement des émotions se rapproche surtout de celui proposé par Platon, qui appelle au contrôle de la raison sur les émotions, toujours risques de troubles, sans pour autant les condamner. Cette représentation de linstance affective pèsera elle aussi sur le développement du modèle émotionnel médiéval, ces exhortations de contrôle et de juste mesure côtoyant toujours celles de lapatheia transmises par les Stoïciens.

De nombreux chercheurs, Damien Boquet et Piroska Nagy au premier plan134, ont insisté sur limportance capitale de la pensée chrétienne dans lélaboration du système affectif médiéval. Linfluence chrétienne se révèle à tous les niveaux, notamment par un effet de source indéniable. Notre compréhension de lépoque médiévale ne saurait éviter le prisme chrétien véhiculé par tous les auteurs qui nous y donnent accès. Le constat vaut tout autant pour la représentation émotionnelle, inscrite dans la morale chrétienne. Lattention quelle prête dès ses débuts à la 38question des émotions savère incontournable pour notre approche de linstance affective au Moyen Âge.

Le système de représentation émotionnel chrétien émerge avec les Pères de lÉglise, en particulier Origène, Clément dAlexandrie, Tertullien et Lactance. Origène sinscrit dans la réception stoïcienne essentielle aux premiers siècles du Christianisme. Il réactualise, dans une conception chrétienne, lidéal dapatheia comme une recommandation de contrôle et dintrospection permanents, ainsi que la théorie des pré-passions. Il perçoit ces dernières comme des tentations, non-coupables, mais à repousser. Dans son approche chrétienne, il les conçoit comme le résultat dune mauvaise pensée. Clément dAlexandrie, lun des autres Pères grecs de lÉglise de cette importante génération du iiie siècle, propose une considération bien plus composite de lémotion, liant les apports stoïciens et épicuriens. Il mêle les objectifs dapatheia et de metriopathia, prônant une sérénité de lintention, sans pour autant nier les élans sensibles de lâme. Il fonde ainsi la morale chrétienne du détachement de soi, cruciale tout au long du Moyen Âge. Tertullien présente le même type de double héritage. Il érige lapatheia comme stratégie principale contre les émotions, mais il pose également un regard positif sur les émotions. Il défend dans ce sens la part émotive témoignée par le Christ lui-même. Lactance, finalement, offre la première synthèse de la doctrine émotionnelle dans cette genèse du Christianisme135. Pour ce faire, il recourt bien sûr aux théories antiques, mais fait preuve aussi bien dinspiration que de détachement face aux modèles stoïciens notamment. Il conçoit les émotions comme neutres en elles-mêmes et exacerbe lassociation entre leur valeur morale et leur orientation et intention. Sur cette base, il sort les émotions du cercle du vice et reconnaît même leur part utile, voire positive, les émotions ayant été accordées par Dieu. Il recommande ainsi la maîtrise des émotions plutôt que leur évincement pur et simple.

Poursuivant le courant patristique, ainsi que lélan offert par ces premiers penseurs chrétiens, Ambroise de Milan parachève, au ive siècle, lintégration des modèles philosophiques antiques à la doctrine chrétienne. Il introduit dans sa théorie de lémotion linfluence exercée par la Chute, notion durable et dimportance dans le modèle émotionnel chrétien. Il défend alors une perception de lémotion moralement neutre, 39comme une puissance naturelle de lâme, mais sujette au débordement depuis la Chute. La nature émotionnelle humaine se verrait dès lors rejoindre le lot des punitions infligées à la suite du Péché originel, cause de honte au premier rang des émotions. Dans ce sens et dans la lignée de Lactance, il insiste sur limportance de lorientation des émotions. Les Pères cappadociens, auteurs dune synthèse des théories platoniciennes et chrétiennes, partagent également cette conception de la Chute comme source du trouble émotionnel et de la perte de contrôle à cet endroit. Ils prônent à la fois les idéaux dapatheia et de metriopathia et promeuvent un processus de perfectionnement de lâme via lascétisme et la méditation, dans une visée pratique et communautaire. Grégoire de Nazianus recommande ainsi lusage de la raison, de la prière, ainsi que de lhumilité dans la compréhension des émotions. De manière intéressante, il défend lusage de la bonne colère, de la même manière que Basile de Césarée, autre représentant de la patristique cappadocienne. Grégoire de Nysse, reprenant limage platonicienne du char de la raison, souligne le poids de la Chute, avant laquelle la part appétitive même était positive. Il promeut lapatheia comme libération des émotions pécheresses et insiste donc sur limportance du contrôle à toujours conserver sur les passions. Évagre le Pontique, père du désert égyptien du ive siècle, est lui aussi héritier de la tradition instaurée par les Pères de lÉglise. Il reprend le schéma des trois stades de lâme dOrigène pour développer son modèle des émotions. Il sinspire également des Stoïciens, puisquil promeut comme condition de lagapê lapatheia, définie comme la domination des mauvais désirs par lexercice de la charité et de labstinence. Il accorde ainsi une grande importance au soin des émotions par le biais du jeûne, de la lecture des Écritures, de la prière, de lobéissance, de lascétisme et de la discipline. De manière tout aussi porteuse dans le monachisme médiéval, il instaure une classification de huit tentations, source du modèle des sept péchés capitaux qui sera développé deux siècles plus tard par Grégoire le Grand. Mais cest Némésius dÉmèse qui offre la synthèse la plus complète de laristotélisme, du platonisme, du stoïcisme et des dogmes chrétiens. Il conçoit lâme distinctement rationnelle et irrationnelle et prône la capacité de contrôle des émotions à la manière aristotélicienne. Sous le modèle de Galien – Némésius en étant lun des plus précoces héritiers –, il présente les émotions comme des mouvements du système humoral. Il y mêle la typologie stoïcienne 40des émotions et classifie alors le plaisir, la tristesse, la peur et la colère à la base du système médical.

Ce panorama des représentations émotionnelles chez les premiers théologiens de la Chrétienté ne saurait manquer de sarrêter sur les réflexions capitales de saint Augustin. Reprenant, sopposant, mais surtout innovant face au bagage philosophique antique et chrétien, Augustin est à la source du plus influent modèle de lémotion. Il comprend lémotion comme une évaluation, à la manière stoïcienne, un mouvement dabord incontrôlable, mais forcément gouverné ensuite par la volonté. Cette perception toute stoïcienne de lémotion, intégrant ainsi le schéma des pré-passions inévitables, se voit accentuée par limportance conférée à la Chute, particulièrement mise en valeur et véritablement intronisée chez Augustin. À ce niveau, il associe le Péché originel à la luxure et situe la faute dans la chair, faite source de tous les maux. Il séloigne cependant de la théorie stoïcienne en reconnaissant la nécessité sociale et morale des émotions, incontournables de par la faiblesse constitutive de lhomme post-adamique. Le vice ne se cachant pas au cœur même de lémotion, Augustin exacerbe le rôle joué par la volonté et le consentement face à lémotion. Il reprend à ce sujet la pensée platonicienne et aristotélicienne et souligne la possibilité de manipuler lémotion pour assurer sa correcte orientation. Cest sur cette base quAugustin élabore son système des degrés de péchés, capital dans le monachisme occidental baigné du modèle quil vient en proposer.

Saint Jérôme partage la plupart des réflexions augustiniennes. Il souligne notamment le poids de la chair dans la représentation du péché et dans la construction de la notion émotionnelle. Il sappuie également sur les théories platoniciennes et exacerbe dans ce sens le schéma tripartite de lâme introduit par le philosophe grec. Au contraire dAugustin cependant, Jérôme défend une toute autre perception des pré-passions, quil considère déjà comme des fautes. Cette sévérité à lencontre des émotions nest pas partagée par Jean Cassien, autre théologien influent du ve siècle. Certes, Cassien perçoit, à linstar des Stoïciens, les émotions comme des maladies, mais il en défend la part positive, en les hissant au rang dinstruments de proximité avec Dieu. Il souligne cependant toujours limportance de lapatheia et de la véritable traque intérieure quelle implique pour en éviter les dérives. Surtout, il est à lorigine de la règle de saint Benoît et développe, sur la base offerte par Évagre 41le Pontique, la théorie des huit vices. Il accorde donc aux émotions le statut de vices et prépare ainsi le terrain à Grégoire le Grand qui assoit finalement ce modèle sous létiquette des sept péchés capitaux. Cette insistance explicite sur la faute représentée par les émotions empreint lensemble de la réflexion grégorienne autour de linstance affective. Suivant lexemple dAugustin, saint Grégoire souligne limportance de la droite ordination et déprécie en particulier le corps. Il exacerbe encore ce rapport dordination en prêchant un détachement total du monde. Grégoire, dans ce sens, ne juge utiles que les émotions de componction, de peur, du jugement menant à la pénitence, et du désir, de Dieu. Cette considération des émotions négatives, et même coupables, concentrées dans une dynamique de peur recommandée, le conduit en outre à condamner les mouvements premiers, tout comme le proposait déjà Jérôme. Son influence dans lhistoire du Christianisme se conçoit surtout en regard du système des sept péchés capitaux quil bâtit. Elle se marque aussi à plus court terme, chez Isidore de Séville ou chez Bède le Vénérable par exemple, avant datteindre les théologiens du renouveau offert au xiie siècle136.

La Renaissance du xiie siècle connaît une déclinaison importante sur le pan émotionnel. Les émotions en incarneraient même lobjet le plus essentiel137. Le xiie siècle offre ainsi un nouvel essor capital à la théorisation des émotions après les grandes avancées des premiers siècles du Christianisme. Le principe damour chrétien y connaît une large diffusion dans la pensée et la pratique monastiques et pousse à une réflexion plus globale sur les émotions. Cest tout dabord au sein des monastères quémerge cette nouvelle vague de théoriciens des émotions. Les moines bénédictins, victorins et cisterciens surtout accordent une place importante à lamour, en parfaits héritiers de la conception augustinienne de la relation à Dieu et du message du Cantique des cantiques, si influent alors. Le bénédictin Anselme de Cantorbéry entame 42la réflexion, dans une lignée essentielle pour la pensée du xiie siècle en soulignant le lien entre affect et volonté. Lopposition typiquement stoïcienne entre émotion et raison se voit alors contrebalancée, ce qui ouvre la voie à ce nouvel élan émotionnel. Saint Anselme développe la théologie de la liberté de la volonté droite. Il pose pour objectif lorientation positive de ce quil appelle laffect de commodité, distinct de laffect de droiture dont il doit se rapprocher et quil dépeint comme un idéal affectif. Mais ce renouveau est avant tout dû aux Cisterciens, premiers représentants de la réflexion menée autour de linstance émotionnelle. Bernard de Clairvaux joue dans ce sens un rôle capital. Grand représentant du mysticisme, il est le témoin de multiples influences, en bonne preuve de lesprit de réception qui anime le xiie siècle. Il reprend aux Stoïciens, via saint Augustin, leur classification des émotions et exacerbe, à linstar dAugustin, le rôle de contrôle de la volonté et limportance du consentement face aux émotions. Il insiste sur limpératif de contrôle de soi et renforce le concept de la responsabilité du pécheur, élevant ainsi lutilité de lhumiliation et de laveu. Il développe dans ce sens la théorie des douze degrés dorgueil et des douze degrés dhumilité, posée à la base de la morale émotionnelle quil construit. Bernard de Clairvaux sinspire également des sens spirituels origénistes pour mettre sur pied son propre système. Surtout, il replace sur le devant de la scène la division platonicienne entre concupiscible et irascible, dès lors très porteuse. Il prête également la voix au mouvement galénique qui gagne en importance lors des deux siècles à venir en associant émotions et humeurs. Guillaume de Saint-Thierry offre peut-être le meilleur exemple de la pensée cistercienne autour des émotions, qui combine les points de vue de théories médicales et danthropologie théologique. Il exacerbe le lien entre corps et âme, découlant de la conception galénique essentielle pour les Cisterciens. Il présente en outre un investissement positif de la théorie platonicienne dans une optique chrétienne. Il situe ainsi la foi dans la raison, lespoir dans le concupiscible et lamour dans lirascible. Aelred de Rievaulx est sûrement le représentant le plus incontournable de la réflexion cistercienne autour de laffect. Il y consacre plusieurs de ses ouvrages, notamment Le Miroir de charité et Lamitié spirituelle. Sinspirant de la pensée augustinienne, Aelred de Rievaulx perçoit trois fonctions de lâme dans le corps et propose une solution au questionnement cistercien autour du lien entre corps et âme par un rapprochement 43des deux entités grâce à la force sensitive de lâme exercée dans le corps. Suivant également Augustin sur ce point, il émet une grande méfiance à légard du corps et surtout de la chair, qui doit faire lobjet dun contrôle ferme et dune orientation positive. Cette question de lorientation, par la volonté, savère centrale dans la réflexion aelredienne. Aelred de Rievaulx souligne son rôle essentiel, par limpulsion que la volonté donne vers lacte damour défini comme la caritas. Il présente ainsi la volonté comme loutil et le véhicule vers laffect ultime, permettant la bonne orientation de lémotion, loin de son extrême opposé, la cupiditas. Dans cette mise en exergue de la volonté, Aelred de Rievaulx reprend à son tour le concept de mouvement premier, quil distingue de laffect en soi. À linstar dAugustin à nouveau, Aelred de Rievaulx défend une perception des émotions liées à la Chute. Mais pour lui, les émotions en sont à la fois la cause et la solution. Elles permettent lélévation vers Dieu nécessaire à lhomme post-adamique. Mais cest également pourquoi un contrôle complet des émotions ne peut être possible, ce qui mène à cette dichotomie entre impulsion et émotion et justifie surtout cette insistance sur la volonté dans la correcte orientation de lentité affective. Pierre Lombard développe une autre théorie du mouvement premier, distincte de celle dAugustin et reprise par de nombreux théologiens à sa suite. À ses yeux, les pré-passions sont certes non-volontaires, mais pas moins imputables. Le plaisir de la considération de lémotion équivaut, à ses yeux, au consentement et donc au péché. Cette conception entraîne de nombreux débats, opposant les détracteurs des mouvements involontaires comme Jean de la Rochelle, qui les situe également dans lordre du péché, et leurs défenseurs, tel que Simon de Tournai, Gilbert de Poitiers et Alain de Lille. Les victorins Hugues et Richard de Saint-Victor entretiennent des liens très étroits avec la pensée cistercienne et se joignent à leur effort de réflexion autour de laffect. Dans la même tradition que celle suivie par Aelred de Rievaulx, Hugues de Saint-Victor défend la place croissante du consentement dans le processus émotionnel et propose la même distinction entre caritas et cupiditas. Il exacerbe en outre limportance de la pénitence, dans la chair pour tout acte de péché et par le biais de la contrition pour toute mauvaise intention. Richard de Saint-Victor insiste également sur le rôle de la raison dans lorientation de lémotion. Pour lui, lémotion modérée serait associée à la vertu, comme une part indissociable de lêtre humain et dès lors positive, 44ce en quoi il témoigne de son inspiration augustinienne. Conservant cette optique optimiste à légard des émotions, Richard de Saint-Victor présente un parcours de salvation recommandant lascèse et lordination des forces de lâme rationnelles vers la vertu, liée à laffect, et la vérité empreinte de raison. Il établit un programme complet délévation de lâme vers la contemplation par le biais des émotions dans son Benjamin Minor. Cet important traité, construit comme une reprise allégorique du récit de Job, offre une liste de sept affects principaux qui incarnent les enfants du patriarche : peur, douleur, espoir, amour, joie, haine et honte. Toutes ces théories témoignent de lampleur de la réflexion menée au xiie siècle dans les monastères, véritables laboratoires de lélaboration de la notion émotionnelle138. Cette coloration chrétienne continuera dimprégner tous les questionnements autour de lémotion, encadrée par ces grandes lignes dinspiration avant tout cistercienne. Nous aurons pu remarquer la prégnance de la question de lunion du corps et de lâme notamment, au centre de la plupart des débats et des réflexions autour de lémotion, tout comme du lien fort des émotions avec la Chute, mais aussi avec le processus délévation. Par le biais de la volonté, notion phare de linstance affective, lémotion est érigée en outil thérapeutique à la condition post-adamique. Cette réflexion finit par quitter laire des monastères et se diffuse au sein des écoles urbaines en pleine expansion, puis des universités, qui propagent et contribuent encore à légitimer la place de lémotion.

Ce nouvel essor représenté par la pensée scolastique est marqué par une vague importante de réception, antique et orientale, aristotélicienne et médicale surtout. Les travaux dAvicenne, médecin et philosophe persan du xie siècle, contribuent beaucoup au développement de cette nouvelle source de réflexion, grâce à la traduction latine qui en est proposée dans le courant du xiie siècle. Baigné daristotélisme et de néoplatonisme, Avicenne comprend lâme comme une substance animée par les facultés concupiscible, liée au désir de plaisir, et irascible, associée au désir de défaite et au rejet des choses blessantes. Cette adaptation de la distinction platonicienne se révèle très porteuse à sa suite. Il reprend aussi la définition aristotélicienne de lémotion comme une évaluation et réaffirme ainsi limportance de la volonté dans le processus émotionnel. 45Constantin lAfricain se situe dans cette même vague de traduction que celle qui est offerte des travaux dAvicenne. Il est lauteur du Pantegni, compilation de traductions, en latin, de divers traités grecs et arabes, médicaux surtout, rédigéedans la seconde moitié du xiie siècle. Cette œuvre joue un rôle essentiel dans lélaboration et la diffusion du modèle médical, basé notamment sur les travaux du médecin grec Galien, alors remis au goût du jour. Dans cette lignée, Constantin lAfricain conçoit les émotions comme des mouvements de lâme accompagnés daffections corporelles, des mouvements de lesprit vital transportant la chaleur naturelle depuis ou vers le cœur. Cette logique de mouvements centrifuges ou centripètes, mais aussi lents ou rapides, donne limpulsion au système médical humoral, ainsi quà une nouvelle perception des émotions. Au fil de son traité, Constantin lAfricain propose une liste de six émotions principales : la joie, la tristesse, la peur, la colère, lanxiété et la honte. Le dominicain Jean de la Rochelle incarne le mouvement de réception du savoir médical et philosophique antique et arabe. Il présente les émotions comme naturelles dans leur origine et ne recelant donc aucune faute en soi. Mais il insiste aussi sur le rôle de la volonté, source de péché si elle ne contribue pas au contrôle qui doit être exercé sur les émotions. De manière dautant plus représentative de cette logique dadaptation, Jean de la Rochelle reprend la distinction dAvicenne entre passions concupiscibles et irascibles. Il comprend les passions concupiscibles, quil estime au nombre de huit, comme des réactions à des actes bons ou mauvais, et les quinze passions irascibles comme des réactions au bien ou au difficile. Cette relecture des passions concupiscibles et irascibles semble participer du mouvement de revalorisation de lémotion entamé notamment chez les moines cisterciens, en libérant lune ou lautre notion dune considération nécessairement vicieuse. La réflexion suit son cours, entre monastères, écoles urbaines et universités avec les théoriciens incontournables que sont Bonaventure ou Guillaume dAuxerre. Le franciscain italien témoigne de limportance accrue du corps et de laspect physiologique des émotions découlant de la tradition médicale ainsi instaurée. Il présente une structure des cinq sens internes permettant laccès au divin, notamment par le biais du goût et du toucher, possibles dans lexpérience de Dieu. Guillaume dAuxerre symbolise pour sa part le développement de la réflexion universitaire autour de lémotion. Dans la lignée cistercienne dexacerbation de la 46volonté, il contribue à la théorie de la volonté conditionnelle qui vient nuancer le poids de la volonté dans la considération vénielle de lémotion. Albert le Grand, frère dominicain, mais surtout professeur de renom du xiiie siècle, se prête également à cette dynamique de réception. Il symbolise surtout la montée de laristotélisme qui caractérise ce xiiie siècle, marqué par la lecture du De Anima que sa traduction latine permet dès 1240. Il reprend ainsi la perception des émotions comme des pouvoirs sensitifs, actualisés par la faculté estimative. Il fait cependant preuve dun grand éclectisme en marge de cette importance aristotélicienne dans son traitement des émotions, puisquil use également de la théorie platonicienne du concupiscible et de lirascible, ainsi que de la classification stoïcienne. Cette variété de sources se marque dautant plus chez son plus célèbre disciple, Thomas dAquin, qui représente laboutissement de la réflexion médiévale autour de lémotion. Il offre une synthèse totale, le traité le plus complet consacré aux conceptions et systèmes émotionnels au Moyen Âge. Il dédie vingt-six questions de son imposante Somme Théologique à linstance affective. Il y livre une liste démotions quil classe par paires, à lexception de la colère, et y rassemble lensemble des connaissances livrées jusqualors à leur sujet. Thomas dAquin introduit, sur la base du schéma aristotélicien, une présentation de lâme animée par les puissances végétative, sensitive, appétitive, motrice et intellective. Reprenant les théories médicales, il définit les émotions comme psychosomatiques, marquées par des modifications physiques exercées par contraction ou expansion, selon le modèle légué par Constantin lAfricain. Thomas dAquin accorde ainsi une grande importance au corps et aux changements physiologiques qui accompagnent les émotions. Il partage également le modèle avicennien des passions concupiscibles et irascibles. Thomas dAquin insiste lui aussi sur la question de lorientation, ce qui lui permet de défendre la neutralité morale des émotions elles-mêmes. Il exacerbe ainsi le rôle de lacte cognitif dévaluation et du contrôle à faire peser sur les émotions, selon cette considération essentielle tout au long de lhistoire médiévale de lémotion139.

47

La compréhension médiévale de lémotion doit ainsi beaucoup aux systèmes antiques, platonicien, aristotélicien et stoïcien surtout. Leur influence se marque avant tout dans la compréhension du lien entre raison et émotion, ainsi que dans la valeur morale de linstance affective. La pensée chrétienne ne fera quexacerber cette portée morale de lémotion. Elle se pose au cœur de sa compréhension et de tous les efforts de justification ou de codification qui pèsent à son encontre. La question des passions ne se conçoit en effet jamais hors de larticulation entre vices et vertus, centrale tout au long de lépoque médiévale. En regard de cette association, les théoriciens des émotions se sont surtout appliqués à développer une forme de gouvernement de linstance affective. Selon ce prisme culturel que nous avons pu identifier, lémotion se construit à la lueur des codes qui viennent lentourer dans cette obsession de contrôle raisonné qui marque lépoque médiévale. Les appels répétés à la metriopathia ou à lapatheia stoïcienne témoignent de ce souci de mesure et de juste milieu, renforcé encore par la réception aristotélicienne, si ce nest dabolition des émotions. Le processus de naturalisation entamé avec les théories à caractère médical de Galien, dAvicenne ou dautres médecins arabes joue également un rôle essentiel dans lapproche de lémotion, avec lélaboration du système des humeurs, capital dès le xiiie siècle. Nous pourrons en observer toute linfluence sur la représentation des émotions et plus encore sur leur jeu. Toute une liste démotions se dégage aussi de ce panorama historique que nous avons voulu dresser. On peut noter limportance de la joie, de la tristesse, du désir et de la peur, selon ce carré émotionnel instauré par les Stoïciens, de la colère, surtout chez Sénèque, et de lamour, dans le modèle augustinien et dans toute la théologie chrétienne à sa suite. Dans cette perspective chrétienne, nous pouvons également citer les émotions de la honte et du repentir, qui prendront une place croissante dans la réflexion médiévale autour de lémotion et se révèleront capitales dans tout le régime émotionnel mis en place alors. Cest donc en regard de leur portée morale et de leur influence dans le système de représentation chrétien que se fonde la compréhension des émotions au Moyen Âge. Elle sanime surtout à la lumière des impératifs de contrôle divers et variés qui pèsent à son endroit, au nom dun exercice raisonné de la volonté. Or, cest dans cette recommandation de mesure, et donc de manipulation déjà, de lémotion que paraît se cristalliser le jeu à son 48égard. Les théories médiévales des émotions éclairent ainsi déjà tous les enjeux dont linstance affective peut se revêtir, plus encore dans lunivers littéraire qui la met en scène.

De lémotion à son jeu

Enjeux et perspectives de létude du jeu des émotions

Les ouvrages que nous avons choisi de présenter dans lexposé historiographique révèlent déjà les points dintérêt qui seront les nôtres au cœur de cette étude. Nous voudrions nous inscrire dans la mouvance de ces réflexions menées autour des paramètres culturels des émotions et des codes quils induisent à leur endroit pour envisager le jeu auquel les émotions peuvent être soumises pour répondre à ces codes, sy plier ou les détourner. En effet, dans la perspective culturelle essentielle pour linstance affective, les émotions paraissent forgées par les normes sociales édictées à leur endroit. Le panorama historique que nous y avons consacré témoigne dune obsession de contrôle dans lidéologie médiévale, directement liée au souci du regard public. Cette ligne directrice de lémotionologie mène à appréhender les émotions avant tout selon le jugement qui peut être porté sur elles. Il savère dautant plus essentiel quand on considère la dimension cognitive et active de lémotion, qui en fonde limportance et donc celle de leur contrôle. Ainsi, le répertoire des émotions que nous pourrons observer savère essentiellement conventionnel, codé culturellement140. Les modèles émotionnels viennent répondre à une fonction sociale reconnue à linstance affective141, qui justifie du même mouvement le recours aux manipulations qui nous intéresseront au premier plan. Ceux-ci se comprennent surtout à la lumière des enjeux esthétiques essentiels dans lémotionologie médiévale. Sif Ríkharðsdóttir insiste sur ce critère fondamental de lexpression 49émotionnelle en introduction de ses analyses142. Lextériorisation des émotions se comprend en effet selon des impératifs de bienséance qui viennent la déterminer demblée, on le verra. Ces efforts de contrôle inscrit dans une dynamique convenante nous incitent à considérer la part de performance quils incluent. Le jeu des émotions, qui fera lobjet de nos analyses, peut alors se concevoir selon une orientation de la notion de performance en performance émotionnelle.

Si nous accorderons un grand intérêt aux normes émotionnelles, il faut rappeler que cest à leur inscription dans un contexte littéraire que nous nous dédierons avant tout. À linstar des spécialistes littéraires de lémotion, nous voudrions défendre cette spécificité de notre étude des codes mis en scène dans la trame narrative : « While situating itself in the larger context of the history of emotions, this volume deviates from the specific goals of historical studies inasmuch as the emphasis is on literary representation of emotionality specifically and the function such emotionality has within the text143 ». De la même manière que Sif Ríkharðsdóttir justifie son attention pour les émotions non pas en elles-mêmes, mais pour les raisons qui poussent un auteur à les exhiber144, nous souhaiterions considérer celles qui peuvent le conduire à en dépeindre la restriction ou la manipulation. Jutta Eming a elle aussi mis en lumière la légitimité dune telle approche des émotions dans la littérature. Elle souligne pour cela la portée narrative des émotions, quil convient de ne pas réduire à de simples phénomènes intérieurs, mais aussi de percevoir selon leur force performative dans le texte145. Limportance qui est conférée à leur codification est éclatante en regard des processus dinitiation dans lesquels lémotion vient sintégrer, comme la bien révélé Brînduşa Grigoriu. Lémotion peut en faire elle-même lobjet et ainsi soutenir lapprentissage posé au cœur de nombreux récits146. La ritualisation des émotions se conçoit en outre comme un enjeu essentiel dans lunivers littéraire qui porte lui-même des codes de mises en scène cruciaux pour sa correcte lecture147. Plus encore, on pourra observer toute linfluence de la construction elle-même littéraire des codes émotionnels. Bien des 50règles paraissent forgées directement dans la littérature didactique ou narrative surtout ; la littérature courtoise constitue un exemple éloquent de cette dynamique particulière des scripts émotionnels. Surtout, les codes émotionnels connaissent une réception fondamentale dans lacte décriture : « Il est toujours utile, pour un écrivain de toute époque, de renforcer, par des émotifs conventionnalisés, les liens avec son public, à travers une prise de conscience (ou un vécu participatif inconscient !) de la “communautarité” en question148 ». Les références à la communauté émotionnelle considérée ou aux émotifs qui y sont recommandés évoquent bien sûr les notions de Barbara H. Rosenwein et de William M. Reddy, dont Brînduşa Grigoriu démontre tout lintérêt dans une analyse littéraire. Elle éclaire la richesse de ces étiquettes offertes par les grands historiens des émotions pour construire son étude démotions littéraires : « Loin de constituer des outils théoriques au sens strict, ces notions demandent à être spécifiées par la réalité de chaque monde textuel, compte tenu de sa configuration générale et de son insertion particulière dans la réalité dune période historique149 ». Cest dans ce sens que nous recourrons nous-même à ces étiquettes pour orienter notre analyse, fondée sur les enjeux et les dérives de lémotionologie propre à diverses communautés émotionnelles inscrites dans lunivers littéraire.

À la lumière de ces particularités du prisme littéraire que nous voulons porter sur les codes émotionnels, nous voudrions nous dédier à la représentation de lexpression émotionnelle qui porte en elle le jeu possible à son endroit. Dans ses efforts de mise en scène, lunivers littéraire se révèle très propice à pareille réflexion. Brînduşa Grigoriu la souligné : « Les deux volets de lémotion – le ressenti et lexpression – sont envisagés avec une insistance, toute littéraire, sur les modes expressifs150 ». Elle distingue ainsi, dans la mise en scène littéraire même, lémotion ressentie et lémotion manifestée, selon une nuance qui éclaire notre approche du jeu des émotions. Un autre paramètre essentiel de ce jeu des émotions que nous souhaitons considérer relève de sa portée avant tout physique. En effet, celui-ci se construit en particulier sur le corps et les apparences que le corps peut donner à voir des émotions. Dans son obsession pour lexpressivité des émotions, la littérature médiévale 51marque une préférence nette pour le montrer plutôt que pour le dire, nous le verrons. Lémotionologie médiévale se décline ainsi en une grammaire du geste. Cette emphase sur les indices physiologiques se comprend en regard de la considération persistante du corps comme le reflet immédiat de lâme, que nous aimerions dailleurs contribuer à repenser dans ce contexte. Nous aurons loccasion de mesurer toute lambiguïté des réflexions portées sur le lien entre lâme et le corps, essentiel dans la pensée chrétienne. Il éclaire la concentration des normes émotionnelles sur les indices extérieurs, tout en rompant ainsi avec la concordance quil est supposé impliquer. Cest que le corps et ses manifestations se comprennent comme un signe, à la lecture aussi cruciale que paradoxale, de lémotion. Or, cet exercice de lecture du signe émotionnel recèle une tension inhérente. Il peut se concevoir de manière positive, en ceci quil permet daccéder à lintériorité dautrui, mais aussi de manière négative, puisquil suscite la crainte de la révélation de soi. Cette tension se répercute dans celle qui entoure les impératifs qui pèsent sur linstance corporelle ainsi perçue comme un signe de lémotion. Elle doit répondre à la fois à une exigence de sincérité et de maîtrise. Car cest dans ces appels à la mesure de lémotion, et de ses manifestations corporelles avant tout, que semble se brouiller la frontière avec la ruse. Jutta Eming a insisté sur le caractère ténu de cette frontière : « Vom bewussten zum strategischen Einsatz des Körpers oder von der Selbstkontrolle zur Verstellung ist es nur ein kleiner Schritt151 ». Lambiguïté se fait plus grande encore quand on considère que la sincérité elle-même doit être comprise dans les codes qui la forgent. Gérard Le Vot souligne dans ce sens la prégnance des règles émotionnelles, avant même que ne puisse se poser la question de leur authenticité telle quelle est mise en scène par les auteurs : « le vrai des émotions ne sy exprime que coulé en une forme manipulant un code connu de tous, des lieux communs affectifs et poétiques152 ». Ainsi, la dimension construite de lémotion simpose à tous les niveaux de son jeu comme de son évaluation, plus encore dans leur considération littéraire. Ceci nous offre loccasion de poser une précision importante : notre analyse du jeu des émotions se conçoit bien sûr dans la construction quen propose lui-même le texte. Ce jeu que 52nous entendons cerner, cette frontière entre authentique et simulé, cest dans lécart que le texte présente lui-même que nous lapprocherons. Nous y avons déjà fait allusion, le langage joue un rôle essentiel dans ce contexte. Cest lui qui construit le corps, lémotion, les codes qui les entourent et les jeux quils peuvent porter.

Au cœur de ces lignes dinfluences culturelles et littéraires se fonde le jeu des émotions que nous étudierons ici, dans cette ambivalence intrinsèque des codes ainsi détournés, qui en légitime peut-être plus encore lintérêt. Notre analyse se voudra en effet attentive aux nuances dont se parent les dynamiques investies du jeu des émotions. Nous souhaiterions par exemple contribuer à la déconstruction des lectures du corps comme ontologiquement spontané, par contraste avec le langage notamment. Nous voudrions interroger les rapports complexes entre âme et corps, entre intérieur et extérieur, les pressions qui les entourent, dans la peur du dévoilement comme de la mélecture. Les appels au contrôle des manifestations émotionnelles côtoient les injonctions à la lisibilité et à la sincérité, dans chacune des sphères convoquées par les feeling rules que nous voudrions approcher, religieuse, amoureuse, sociétale. Surtout, nous voudrions ainsi repenser les distinctions trop strictes entre bien et mal, entre prudence et ruse, intimement associées dans la compréhension des manipulations émotionnelles. Nous pourrons constater les bonds sémantiques possibles entre lune et lautre de ces catégories, à rebours des logiques attendues, plus encore au vu des justifications qui en sont fournies.

Corpus danalyse

En regard de toutes ces nuances, que nous désirions mettre en exergue, notre étude et surtout le corpus qui la sous-tend resteront volontairement étendus. Au risque de la rendre peut-être trop ample et vague, nous avons décidé de la consacrer à un corpus de textes large, tant au niveau chronologique quau niveau des genres littéraires et des thématiques quil embrasse. Face à limpossibilité évidente de rendre notre analyse exhaustive dans cette perspective, nous avons bien sûr dû faire des choix dans la délimitation de ce corpus. Nous les avons posés à la lumière des résultats des premières analyses lexicales menées en amorce de nos réflexions, mais surtout de ceux imposés par la lecture systématique dœuvres propices à notre étude. Ces décisions pourraient 53se confronter à une certaine faiblesse méthodologique dans ce contexte et, dans une certaine mesure, restent forcément arbitraires. Mais elles se sont construites selon les appels évidents dun texte à lautre, dun chapitre à un autre, de la trame narrative elle-même comme des études déjà fournies sur les textes envisagés, de leur réception ou du réseau dans lequel ils sinscrivaient. Notre première ambition aura été dinterroger des œuvres qui relèvent dun esprit tout particulier de ruse : les fabliaux (« contes à rire en vers » (selon la formule de Joseph Bédier) populaires entre la fin du xiie siècle et le début du xive siècle153), le Roman de Renart (rédigé en branches successives dès la fin du xiie siècle et au xiiie siècle) et les récits tristaniens (en particulier le Tristan de Thomas (ca 1172-1175), le Tristan de Béroul (ca 1170-1175) et les deux textes de la Folie Tristan (probablement de la fin du xiie siècle)). Ces quelques textes constituaient un terrain dinvestigation idéal pour appréhender la dynamique de ruse qui simpose à lidée du jeu des émotions. Mais les choix qui ont dicté la constitution de notre corpus danalyse auront surtout répondu à lintuition, essentielle de nos réflexions, dune évolution dans la perception du jeu des émotions. Elle justifie à la fois lampleur chronologique du corpus considéré, mais surtout sa concentration sur le Roman de la Rose (débuté par Guillaume de Lorris vers 1230 et poursuivi par Jean de Meun vers 1270), envisagé comme le texte pivot de nos analyses. Le personnage de Faux Semblant quy introduit Jean de Meun paraît offrir un climax du jeu possible autour des émotions, mais surtout une mise en lumière éclatante de son ambiguïté inhérente. Il donne une belle démonstration de limportance du langage qui crée le jeu des émotions, mais aussi de sa concentration sur les apparences investies, et surtout de leur fausseté potentielle. Pareille mise en exergue de la fausseté contraste avec le tableau habituel des manipulations émotionnelles, qualifiées avant tout comme relevant du bel semblant. Celles-ci participent ainsi de manière explicite de limpératif de bienséance de lémotion et surtout de ses manifestations. Mais Faux Semblant vient aussi poser les limites des enjeux de garde ou, du moins, en démontrer le débordement dans la ruse à proprement parler. Pour éclairer au mieux cette analyse que 54nous souhaitions fournir de la leçon paradoxale du Roman de la Rose, nous avons commencé par nous intéresser aux règles émotionnelles dont lanalyse ultérieure du personnage de Faux Semblant révèle toute lambiguïté. Nous avons pour cela choisi den revenir aux manuels de comportement, miroirs aux princes, arts daimer, mais aussi œuvres narratives qui viennent y faire écho, et autres traités dautorité morale pour y percevoir toutes les nuances des prescriptions qui entourent les émotions. Nous aurons cherché à cerner tous les enjeux de limpératif de garde en envisageant les conséquences de sa transgression dans le corpus épique par exemple. Nous aurons ainsi identifié trois logiques de lémotionologie médiévale, à la fois religieuse, sociétale et amoureuse, qui trouvent un écho intéressant dans le personnage de Faux Semblant. Il investit en effet à la fois les sphères religieuse et amoureuse de lhypocrisie émotionnelle quil vient figurer. Mais il induit aussi une lecture plus vaste encore au vu de lampleur gagnée par la ruse quil instille. Nous avons voulu prêter attention aux soubassements potentiels de cette triple mise en scène de la fausseté des semblants émotionnels par Faux Semblant au fil de lanalyse conduite autour de la garde et du bel semblant quelle implique. Soucieuse de relativiser la teneur de la leçon trompeuse de Faux Semblant, nous avons décidé de mettre en lumière en amont les nuances dont le jeu des émotions se pare déjà avant leur mise en exergue éclatante dans le Roman de la Rose. Elles éclairent la propre démarche de Jean de Meun, qui vient porter une lumière accrue sur les dérives possibles autour des manifestations émotionnelles. Pour envisager la tradition religieuse de lhypocrisie incarnée par Faux Semblant, nous en sommes revenue à ses racines chez Rutebeuf (seconde moitié du xiiie siècle), mais aussi à son père littéraire quest Renart154, et aux tenants et aux nuances de la critique de lhypocrisie que lon peut découvrir chez Gautier de Coinci (début du xiiie siècle). Dans une perspective amoureuse, nous nous sommes concentrée sur de grands textes de la tradition amoureuse courtoise, comme ceux des arts daimer (en particulier la traduction française du De Amore donnée par Drouart la Vache en 1290) et des romans arthuriens et tristaniens (datant essentiellement des xiie et xiiie siècles). Quant à la 55portée sociétale du jeu des émotions, nous lavons considérée avant tout au fil des miroirsaux princes, en particulier la traduction française donnée en 1282 par Henri de Gauchy du célèbre De Regimine principum de Gilles de Rome, le Livre du Trésor de Brunet Latin du xiiie siècle, mais aussi certaines œuvres didactiques de Christine de Pizan (début du xve siècle). Sils savèrent pour leur part le plus souvent postérieurs au Roman de la Rose, nous sommes convaincue que les idées que ces œuvres véhiculent savéraient tout aussi pertinentes avant leur rédaction, ce pourquoi nous avons préféré les présenter dans ce premier temps danalyse.

Cest aussi à la lumière de ce réseau pluri-forme que nous avons ensuite construit notre analyse de lhéritage de Faux Semblant dans trois chapitres distincts. Nous souhaitions de cette façon peser au mieux les particularités de ce curieux personnage, de son réseau et de sa réception. Nous considérerons donc dans ce second temps les effets dune telle mise en exergue de la fausseté des apparences émotionnelles, les reprises et les oppositions quelle peut susciter, dans chacune des logiques propres aux scripts émotionnels. Dans cette triple perspective, amoureuse, religieuse et sociétale, induite par les dynamiques diverses à la fois des règles et des jeux des émotions, nous avons intégré à notre analyse les œuvres qui, dans cette optique, reflétaient la réception possible du Roman de la Rose. Nous avons choisi de nous concentrer pour cela sur les romans du Châtelain de Coucy et de la Dame de Fayel de Jakemés (seconde moitié du xiiie siècle), des Eschez amoureux moralisés dÉvrart de Conty (rédigés au tout début du xve siècle), de lOrloge amoureus de Jean Froissart (daté de 1378), du Jehan de Saintré dAntoine de la Sale (écrit entre 1456 et 1460) et du Champion des Dames de Martin le Franc (entre fin 1441 et début 1442). Nous avons ensuite mesuré la réception que connaît Faux Semblant dans une dynamique religieuse avec les romans de Fauvel (attribué au clerc Gervais du Bus au tout début du xive siècle), du Liber Fortunae (daté de 1345) et du Pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Diguleville (à la première rédaction datant de 1330-1331 et la seconde de 1355), dans deux tendances tout à fait contrastées. Finalement, dans cette volonté de prendre en compte de manière plus globale limpact du personnage de Faux Semblant dans la représentation du jeu des émotions, nous nous sommes arrêtée à lœuvre de Christine de Pizan, en particulier à son Livre des Trois Vertus (1405), mais aussi au reste de sa production, qui témoigne de sa réaction face au personnage de Jean 56de Meun. Au fil de ce corpus varié, nous avons souhaité révéler toute la richesse du jeu des émotions, de ses ressorts, des logiques quil intègre et des évaluations quil porte, selon des critères fondamentaux de lidéologie comme de la pratique littéraire médiévale.

De la ruse à la juste ypocrisie

Nous aurons ainsi établi notre raisonnement en six chapitres distincts, au cœur desquels se situe le chapitre consacré à Faux Semblant. Avant lui, nous aurons posé comme point de départ létude des œuvres associées à un univers de ruse. Conçue comme un préambule, cette première analyse sert à repenser lopposition stricte entre vrai et faux et bien et mal pour nuancer les polarités du jeu des émotions. Elle constitue un essai méthodologique, fondé sur une approche lexicale dans la volonté de concentrer la réflexion sur lobjet émotionnel et les jeux nommés comme tels. Nous aurons néanmoins bien vite constaté les limites dune telle méthode, confrontée à lampleur lexicale du champ affectif et des nuances dont se parent les mises en scène de sa manipulation. Nous avons donc préféré lassocier à un effort plus systématique de lecture en contexte, indispensable pour appréhender la place exacte de lémotion et de son jeu. Nous conserverons bien sûr un intérêt certain pour le lexique qui les exprime, selon les appels nombreux des spécialistes de lémotion, mais surtout dans notre souhait de bâtir notre compréhension du jeu des émotions dans sa portée discursive. Dans ce cadre, nous poserons, surtout en introduction des deux chapitres suivants, le choix den revenir au réseau lexical nécessaire pour cerner les enjeux des feeling rules tout comme limportance des apparences. Une telle approche comporte néanmoins des risques, notamment ceux auxquels nous expose le recours à une terminologie latine dans les sources théoriques sollicitées allié à un examen du lexique français dans notre propre corpus danalyse. Mais cétait celle qui nous semblait la plus appropriée pour en considérer linfluence sur la littérature narrative française médiévale que nous souhaitions surtout étudier. Nous avons pour cela décidé à plusieurs reprises de favoriser les témoins en langue française, plutôt que leur source latine, afin de constituer un réseau lexical le plus cohérent possible. Cette première analyse des grands textes de la ruse nous aura ainsi permis déclairer la méthodologie qui sera la nôtre en imposant ces décisions, mais surtout en indiquant déjà des syntagmes essentiels à notre analyse du jeu qui peut 57entourer les émotions. Ceux-ci témoignent demblée de limportance des codes émotionnels et de leur dimension visible qui viennent justifier la suite de nos réflexions. Surtout, ce chapitre dédié aux œuvres relevant dun esprit de ruse nous aura permis de dissocier, à laube encore de nos recherches, la ruse de la ruse émotionnelle, mais aussi de considérer les liens qui peuvent se tisser entre faux et bon, quand le jeu induit par les figures trompeuses de Renart ou des fabliaux relève de la prudence prescrite au cœur de lémotionologie médiévale.

La ruse très relative du jeu des émotions intégré dans ce corpus supposé révélateur met en effet en exergue dautres logiques de manipulation des émotions. Elles sinscrivent avant tout dans une optique de contrôle, cruciale dans les représentations médiévales des émotions. Le parcours que nous avons consacré aux théories médiévales des émotions latteste déjà. Mais il nous semblait important de mieux circonscrire les tenants et aboutissants de lémotionologie médiévale pour en envisager toutes les nuances et les dérives possibles puisque, cest notre hypothèse, ce sont ces feeling rules bien plus que des stratagèmes rusés qui portent le jeu des émotions. Nous aurons cherché à cerner les dynamiques diverses qui animent cet idéal de garde essentiel, tant dans les codes émotionnels dévotionnels que sociétaux et amoureux. Un souci dexemplarité mais aussi la crainte générée par un contrôle social constant, notamment dans la sphère aristocratique, marquent la société médiévale. Les appels au contrôle et à la mesure pèsent donc de tout leur poids sur linstance affective et se concentrent sur les indices visibles qui peuvent en être offerts. Les normes émotionnelles se construisent ainsi dans une tension entre les sphères publique et privée. Elles se trouvent animées autant par lobsession de la publicité et donc du contrôle que du respect de leur rapport de concordance. Mais elles justifient surtout cette concentration sur les semblants émotionnels davantage que sur les émotions elles-mêmes, puisque ce sont eux qui les révèlent. Ce sont ainsi eux également qui portent le jeu, comme le démontre de manière éclatante le personnage de Faux Semblant. Il permet de retisser le lien entre limpératif de garde et la ruse à proprement parler, que nous avions jusqualors cherché à distinguer en regard des résultats de notre analyse du corpus de la ruse. Mais surtout, il invite à létayer et à le nuancer en-dehors du rejet absolu de la ruse dans la sphère émotionnelle et du seul appel strict à la mesure.

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Le chapitre consacré au Roman de la Rose se pose au cœur de nos réflexions, fondées sur la volonté de mesurer le lien entre le beau semblant, vanté dans la mise en scène du verger damour, et le faux semblant, qui vient contaminer lensemble du récit, mais aussi et surtout en permettre lachèvement. Le roman de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun révèle ainsi toute lambiguïté du jeu des émotions et la frontière ténue qui en distingue les paramètres acceptables ou non. De manière intéressante, il convoque tout à la fois les dynamiques religieuses et amoureuses des manipulations émotionnelles. En exposant dans toute son ampleur la fausseté religieuse de Faux Semblant, Jean de Meun peut éclairer la fausseté de lunivers amoureux placé au cœur du roman. Il joue ainsi des tensions propres à la tradition émotionnelle aussi bien religieuse quamoureuse, toutes deux sujettes tant à la codification stricte des manifestations requises ou légitimes quà la condamnation de leur insincérité. Il éclate lambiguïté ainsi cultivée dans les jeux des émotions de chaque communauté émotionnelle convoquée, par un entremêlement subtil des ressorts de lune et de lautre. Lincidence de lépisode consacré à Faux Semblant atteste limportance prise par ce personnage hors-normes, qui en vient à dépasser même les enjeux de lémotionologie religieuse ou amoureuse. Il vient figurer toute lhypocrisie qui peut sinstaurer dans la manifestation émotionnelle et en exposer toute lambivalence entre condamnation formelle et démonstration éclatante de lutilité quelle peut receler. Il porte ainsi une leçon cruciale, qui ne peut être passée sous silence dans lhéritage du Roman de la Rose.

Nous dédierons les trois chapitres suivants aux réflexions quimpose ce personnage et à linfluence quil exerce ensuite. Comme nous lavons annoncé, nous les inscrirons dans les trois dynamiques révélées déjà dans les codes émotionnels et investies ainsi par Faux Semblant, mais peut-être à rebours de lordre dans lequel elles se présentaient alors. Nous débuterons par une analyse du jeu des émotions prêté à la communauté amoureuse, le plus convoqué et le plus mis à mal dans le récit. Nous nous consacrerons ensuite aux dynamiques religieuses des manipulations émotionnelles, révélées avec un éclat particulier par Faux Semblant, en regard dune tradition satirique bien inscrite, mais qui offre une concentration particulière du motif de lhypocrisie religieuse. Nous considérerons finalement la portée politique du jeu des émotions incarné par Faux Semblant, qui se trouve remobilisée à laune de son héritage et 59de la portée de la dénonciation dont il peut faire lobjet, en particulier chez Christine de Pizan qui mène un jeu intéressant, tout en ambiguïtés, sur sa réception du Roman de la Rose quant aux attitudes trompeuses symbolisées par Faux Semblant.

Le chapitre consacré aux dynamiques amoureuses du jeu des émotions a pour objectif de mener une réflexion plus ample autour des ressorts de lhéritage de Faux Semblant. Il se construit dans deux perspectives opposées, dans la valorisation de son aide incontournable offerte à lAmant ou, au contraire, dans la dénonciation de latteinte quil représente face à la pureté des codes de la finamor. Ainsi, on observera deux lignes dinfluences, entre léloge de lutilité des faux semblants parfaitement intégrés dans les prescriptions amoureuses et la réorientation formelle de léthique amoureuse libérée du spectre de Faux Semblant.

Le chapitre suivant empruntera le même parcours autour des répercussions du faux moine fait rois des ribaus dAmour et des retombées de sa mise en scène révélatrice de sa malignité sous la plume de Jean de Meun. Nous nous attacherons à démontrer les effets dune telle mise en lumière éclatante de la fausseté dévotionnelle dans le Roman de la Rose et du symbole que Faux Semblant vient offrir de lhypocrisie religieuse. Comme dans le cas de la communauté amoureuse, nous pourrons observer deux tendances contrastées entre une forme de célébration ainsi poursuivie de la fausseté des apparences émotionnelles, telle que la démontre Fauvel, et une critique âpre, portée notamment par Guillaume de Diguleville, avec des nuances de grand intérêt. Nous chercherons ainsi à cerner les particularités de la réflexion religieuse autour de linvestissement émotionnel, notamment par le biais de lhabit, mais aussi autour de la problématique du mensonge. Faux Semblant joue avec lune comme lautre de ces questions essentielles. Il joue des pratiques dévotionnelles que lui et ses avatars détournent à leurs propres fins, tout comme des critères de condamnation du mensonge. À cette lumière, nous pourrons mieux comprendre la remobilisation possible du jeu des émotions hors du spectre de Faux Semblant. Une logique similaire de renversement, quelque peu ambigu, rapproche donc les communautés amoureuses et religieuses ainsi considérées dans la prise en compte du jeu des émotions. Nous terminerons par souligner ces convergences et leurs paramètres dappréciation communs, qui permettent de mettre en exergue toute la richesse du jeu des émotions éclairé par Faux Semblant.

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Dans cette perspective globalisante, nous voulions dépasser les seuls rangs des communautés des faux amants et des pappelards symbolisés par Faux Semblant et en envisager linfluence plus large. Nous aurons constaté, dès notre appropriation des codes émotionnels médiévaux, limportance accordée à la publicité obligée des émotions dans la société courtoise animée de lidéal, tout en ambiguïtés, du rapport entre homo interior et homo exterior. Faux Semblant vient porter à son paroxysme la tension quimplique une telle considération entre ses impératifs de contrôle et de transparence. Il trouve une réception tout à fait particulière chez Christine de Pizan, qui singénie à décrier lœuvre de Jean de Meun au gré de la querelle sur le Roman de la Rose, mais non sans intégrer la leçon livrée par Faux Semblant. Elle porte un regard intéressant sur les dynamiques et justifications possibles du jeu des émotions dans ce contexte critique par ailleurs très exacerbé. Elle lui confère ainsi une coloration toute particulière, le dote de nuances de grand intérêt en mêlant sa valorisation dune juste ypocrisie et sa dénonciation des faux amants bâtie sur le modèle abhorré de lAmant du Roman de la Rose. Elle remodule une fois de plus lémotionologie et défend une forme de jeu émotionnel hors de toute portée rusée quelle que soit son ambivalence, à la lumière du critère essentiel de lintention. Il se voit ainsi investi dune force éclatante chez Christine de Pizan, dans une réflexion plus large sur ce facteur dappréciation crucial, de lémotion, du jeu, de son œuvre en réaction à celle de Jean de Meun, mais avec toute lambiguïté que le modèle du Roman de la Rose lui permet ainsi de conserver.

Cette analyse de lœuvre de Christine de Pizan offre une conclusion haute en couleurs à nos réflexions. Elle témoigne de toute la subtilité du jeu des émotions, des exigences auxquelles il vient répondre, entre instance de contrôle et de ruse à proprement parler. Il se pare de toutes les nuances selon la lumière braquée sur lui, les codes quil expose ou détourne, les logiques narratives dans lesquels il sinscrit, le message transmis par son biais. Notre étude cherchera ainsi à en révéler la richesse à la croisée de ces dynamiques essentielles à son appréhension, selon les regards divers portés à son encontre.

1 Tels que ceux de Jean-Claude Schmitt, de Barbara H. Rosenwein, mais aussi de nombreux autres spécialistes historiens et littéraires des émotions, que nous citerons dans notre exposé, voir p. 29.

2 La formule est de Damien Boquet et de Piroska Nagy : D. Boquet et P. Nagy, « Pour une histoire des émotions. Lhistorien face aux questions contemporaines », dans Le Sujet des émotions au Moyen Âge, dir. D. Boquet et P. Nagy, Paris, Beauchesne, 2008, p. 15-52, ici p. 20.

3 Ibid., p. 16.

4 L. Febvre, « La sensibilité et lhistoire : Comment reconstituer la vie affective dautrefois ? », Annales dhistoire sociale, no 3/1-2, 1941, p. 5-20.

5 D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans lOccident médiéval, Paris, Seuil, 2015, p. 15.

6 Cest ainsi que les introduisent Damien Boquet et Piroska Nagy : D. Boquet et P. Nagy, « Pour une histoire des émotions », op. cit., p. 34.

7 C. Z. Stearns et P. N. Stearns, « Emotionology : Clarifying the History of Emotions and Emotional Standards », The American Historical Review, no 90/4, 1985, p. 813-836.

8 B. H. Rosenwein (dir.), Angers Past. The social Uses of an Emotion in the Middle Ages, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1998.

9 B. H. Rosenwein, Emotional Communities in the Early Middle Ages, Ithaca / New York /Londres, Cornell University Press, 2006.

10 W. R. Reddy, The Navigation of Feeling. A Framework for the History of Emotions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

11 P. Nagy, Le Don des larmes au Moyen Âge. Un instrument spirituel en quête dinstitution (ve-xiiie siècle), Paris, Albin Michel, 2000.

12 R. Sorabji, Emotion and Peace of Mind. From Stoic Agitation to Christian Temptation, Oxford, Oxford University Press, 2000.

13 J. Verdon, Rire Au Moyen Âge, Paris, Perrin, 2001. On doit noter, au sujet de ce signe émotionnel obsédant dans les réflexions médiévales, les travaux de Jacques Le Goff également. Voir par exemple : J. Le Goff, « Rire au Moyen Âge », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, no 3, 1989, p. 6-21.

14 N. Pancer, Sans peur et sans vergogne. De lhonneur et des femmes aux premiers temps mérovingiens, Paris, Albin Michel, 2001.

15 D. L. Smail, The Consumption of Justice. Emotions, Publicity, and Legal Culture in Marseille, 1264-1423, Ithaca, Cornell University Press, 2003.

16 S. Knuuttila, Emotions in Ancient and Medieval Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 2004.

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18 C. S. Jaeger et I. Kasten (dir.), Codierungen von Emotionen im Mittelalter, Berlin, De Gruyter, 2003.

19 B. Besnier, P.-F. Moreau et L. Renault (dir.), Les passions antiques et médiévales, Paris, Presses Universitaires de France, 2003.

20 É. Lecuppre-Desjardin et A.-L. Van Bruaene (dir.), Emotions in the Heart of the City (14th–16th century), Turnhout, Brepols, 2005.

21 P. Nagy (dir.), « Émotionsmédiévales », Critique, no 716-717, 2007.

22 D. Boquet (dir.), « Histoire de la vergogne », Rives méditerranéennes, no 31, 2008.

23 D. Boquet et P. Nagy (dir.), Le sujet des émotions au Moyen Âge, op. cit.

24 D. Boquet et P. Nagy (dir.), Politiques des émotions au Moyen Âge, Florence, Sismel, 2010.

25 D. Boquet, L. Moulinier-Brogi et P. Nagy (dir.), « La chair des émotions », Médiévales, no 61, 2011.

26 D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge, op. cit.

27 B. H. Rosenwein, Generations of Feeling. A History of Emotions 600-1700, Chicago, Loyola University Press, 2015.

28 R. Schnell, Haben Gefühle eine Geschichte ? Aporien einer History of emotions, Göttingen, V&R Unipress, 2015.

29 J. Plamper, The History of Emotions. An introduction, Oxford, Oxford University Press, 2015.

30 B. Andenmatten, A. Jamme, L. Moulinier-Brogi et M. Nicoud (dir.), Passions et pulsions à la cour (Moyen Âge – Temps modernes), Florence, Sismel, 2015.

31 S. Broomhall (dir.), Ordering Emotions in Europe, 1100-1800, Leiden/Boston, Brill, 2015.

32 Il est en effet présenté ainsi par Barbara H. Rosenwein : B. H. Rosenwein, « Émotions en politique. Perspectives de médiéviste », Hypothèses, no 1/5, 2002, p. 315-324, ici p. 319.

33 Sa première contribution à lhistoire des émotions fut : G. Althoff, « Empörung, Tränen, Zerknirschung. “Emotionen” in der öffentlichen Kommunikation des Mittelalters », Frühmittelalterliche Studien, no 30, 1996, p. 60-79.

34 L. Smagghe, Les émotions du prince. Émotion et discours politique dans lespace bourguignon, Paris, Garnier, 2012.

35 Voir par exemple : B. Sère, « Essai sur un oxymore normatif : lamitié politique à la fin du Moyen Âge », Parlements, HS no 11, 2016, p. 85-97.

36 K. McGrath, Royal Rage and the Construction of Anglo-Norman Authority, c. 1000-1250, New York, Palgrave McMillan, 2019.

37 P. A. Jones, Laughter and Power in the Twelfth-Century, Oxford, Oxford University Press, 2019.

38 P. Maddern, J. McEwan et A. M. Scott (dir.), Performing Emotions in Early Europe, Turnhout, Brepols, 2018.

39 B. Delaurenti, La contagion des émotions. Compassio, une énigme médiévale, Paris, Garnier, 2016.

40 L. E. Delgado, P. Fernandez et J. Labanyi, Engaging the Emotions in Spanish Culture and History, Nashville, Vandenbilt University Press, 2016.

41 S. J. Spencer, Emotions in a Crusading Context. 1095-1291, Oxford, Oxford University Press, 2019.

42 A. Maculescu et C.-L. Morand-Métivier (dir.), Affective and emotional Economies in Medieval and Early Modern Europe, New York, Palgrave McMillan, 2018.

43 Pour rappel : P. Nagy, Le Don des larmes au Moyen Âge, op. cit.

44 J. Delumeau, Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident xiiie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1983.

45 Voir, par exemple : C. Casagrande et S. Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge, Paris, Flammarion, 2003, avant leur participation aux efforts de réflexion autour des émotions initiés par Damien Boquet et Piroska Nagy : C. Casagrande et S. Vecchio, « Les théories des passions dans la culture médiévale »,dans Le sujet des émotions au Moyen Âge, op. cit., p. 107-122.

46 M. Rubin, Emotion and Devotion. The Meaning of Mary in Medieval Religious Culture, Budapest / New York, Central European University Press, 2009.

47 N. Cohen-Hanegbi, Caring for the Living Soul. Emotions, Medicine and Penance in the Late Medieval Mediterranean, Leiden, Brill, 2017.

48 G. Vigarello (dir.), Histoire des émotions. De lAntiquité aux Lumières, Paris, Seuil, 2016.

49 P. Förnegård, E. Kihlman, M. Åkestam et G. Engwall (dir.), Tears, Sighs and Laughter. Expressions of Emotions in the Middle Ages, Stockholm, KVHAA, 2017.

50 A. Brooks, Genealogies of Emotions, Intimacies, and Desire. Theories of Changes in Emotional Regimes from Medieval Society to Late Modernity, New York / Londres, Routledge, 2017.

51 R. Boddice, The History of Emotions, Manchester, Manchester University Press, 2018.

52 S. Broomhall, J. W. Davidson et A. Lynch (dir.), A Cultural History of the Emotions, Londres, Bloomsbury Academic, 2019.

53 M. C. Flannery, Practising Shame. Female Honour in later medieval England, Manchester, Manchester University Press, 2019.

54 D. Boquet, Sainte Vergogne. Les privilèges de la honte dans lhagiographie féminine au xiiie siècle, Paris, Classiques Garnier, 2020.

55 K. Barclay, S. Grozier-De Rosa et P. N. Stearns (dir.), The History of Emotions. A Student Guide to Methods and Sources, New York / Londres, Routledge, 2020.

56 B. H. Rosenwein, Anger. The Conflicted History of an Emotion, New Haven, Yale University Press, 2020.

57 R. Boddice et M. Smith, Emotion, Sense, Experience, Cambridge, Cambridge University Press, 2020.

58 L. Kauffman et L. Quéré (dir.), Les Émotions collectives, Paris, Éditions EHESS, 2020.

59 J.-C. Payen, Le motif du repentir dans la littérature française médiévale (des origines à 1230), Genève, Droz, 1967.

60 J. Picoche, Le vocabulaire psychologique dans les Chroniques de Froissart. Le plaisir et la douleur, Amiens, Publications du centre détudes picardes, 1984.

61 J. Merceron, « De la “mauvaise humeur”, du sénéchal Keu : Chrétien de Troyes, littérature et physiologie », Cahiers de civilisation médiévale, no 41/161, 1998, p. 17-34.

62 G. Le Vot, « Réalités et figures : la plainte, la joie et la colère dans le chant aux xiie-xiiie siècles », Cahiers de civilisation médiévale, no 184, 2003, p. 353-380.

63 K. Dybel, Être heureux au Moyen Âge daprès le roman arthurien en prose du xiiie siècle, Louvain, Peeters, 2004.

64 B. Ribémont, « La peur épique. Le sentiment de peur en tant quobjet littéraire dans la chanson de geste française », Le Moyen Âge, no 3, 2008, p. 557-587.

65 M. Champion et A. Lynch (dir.), Understanding Emotions in Early Europe, Turnhout, Brepols, 2015.

66 F. Brandsma, C. Larrington et C. Saunders (dir.), Emotions in medieval Arthurian literature. Body, mind, voice, Cambridge, D. S. Brewer, 2015.

67 A. S. Lazikani, Cultivating the Heart : Feeling and Emotion in Twelfth- and Thirteenth-Century Religious Texts, Cardiff, University of Wales Press, 2015.

68 J. Eming, Emotion und Expression. Untersuchungen zu deutschen und französischen Liebes- und Abenteuerromanen des 12. bis 16. Jahrhunderts, Berlin, De Gruyter, 2007.

69 J. Eming, Emotionen im « Tristan ». Untersuchungen zu ihrer Paradigmatik, Göttingen, V&R Unipress, 2015.

70 B. Grigoriu, Talent/Maltalent. Émotionologies liminaires de la littérature française, Craiova, Editura universitaria, 2012.

71 B. Grigoriu, Amor sans desonor : une pragmatique pour Tristan et Yseut, Craiova, Editura universitaria, 2013.

72 B. Grigoriu, Actes démotion, pactes dinitiation : le spectre des fabliaux, Craiova, Editura universitaria, 2015.

73 S. Ríkharðsdóttir, Emotion in Old Norse Literature. Translations, Voices, Contexts, Cambridge, D. S. Brewer, 2017.

74 C. Baker, M. Cavagna et G. Clesse (dir.), « Entre le cœur et le diaphragme ». (D)écrire les émotions dans la littérature narrative et scientifique du Moyen Âge, Louvain-la-Neuve, Presses de lUniversité catholique de Louvain, 2018.

75 M. Guéret-Laferté, D. Lechat et L. Mathey-Maille (dir.), Les Émotions au Moyen Âge : un objet littéraire, Genève, Droz, 2021.

76 D. Boquet et P. Nagy, « Une histoire des émotions incarnées », Médiévales, no 61, 2011, p. 5-24, ici p. 8.

77 S. Ríkharðsdóttir, op. cit., p. 8-9.

78 B. H. Rosenwein, Emotional Communities in the early Middle Ages, op. cit.

79 C. Z. Stearns et P. N. Stearns, op. cit.

80 B. Grigoriu, Actes démotion, op. cit., p. 100.

81 J. Eming, « Emotionen als Gegenstand mediävisticher Literatur », Journal of Literary Theory, 2007, p. 251-273, ici p. 251.

82 Comme le font par exemple Damien Boquet et Piroska Nagy en introduction de leur ouvrage Sensible Moyen Âge : D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge, op. cit., p. 16-17.

83 R. Schnell, « Narration und Emotion. Zur narrativen Funktion von Emotionserwähnungen in Chrétiens Perceval und Wolframs Parzival », Wolfram-Studien, noXXIII, 2014, p. 269-331, ici p. 274.

84 Nous citons ici son expression employée lors du café littéraire présenté autour de leur dernier ouvrage Sensible Moyen Âge, animé par la prof. Guillemette Bolens le 27 avril 2016 à la Librairie Payot de Genève.

85 Comme par exemple : P. Maddern, J. McEwan et A. M. Scott (dir.), Performing Emotions in Early Europe, op. cit.

86 Cest le cas de plusieurs auteurs de louvrage consacré aux émotions arthuriennes par exemple : F. Brandsma, C. Larrington, et C. Saunders (dir.), op. cit.

87 E. B. Vitz, Orality and Performance in Early French Romance, Cambridge, D. S. Brewer, 1999. Voir aussi louvrage quelle a co-dirigé sur le sujet : E. B. Vitz, N. Freeman Regalado et M. Lawrence (dir.), Performing Medieval Narrative, Cambridge, D. S. Brewer, 2005.

88 Cest notamment le point de vue défendu dans cet article : E. B. Vitz, « Performing Saintly Lives and Emotions in Medieval French Narrative », dans The Church and Vernacular Literature in Medieval France, dir. D. Kullmann, Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 2009, p. 201-213.

89 S. C. Mitchell, Moral Posturing : Body Language, Rhetoric, and the Performance of Identity in Late Medieval French and English Conduct Manuals, thèse de doctorat, Columbus, Graduate School of the Ohio State University, 2007.

90 T. Adams, « Performing the medieval art of love : medieval theories of the emotions and the social logic of the Roman de la Rose of Guillaume de Lorris », Viator, no 38/2, 2007, p. 55-74.

91 F. Bouchet, « Performativité et déceptivité du langage courtois dans Le Roman du châtelain de Coucy », dans Sens, Rhétorique et Musique. Études réunies en hommage à Jacqueline Cerquiglini-Toulet, dir. S. Albert, M. Demaules, E. Doudet, S. Lefèvre, C. Lucken et A. Sultan, Paris, Champion, 2015, p. 367-379.

92 Cest le cas de Nira Pancer que nous avons déjà pu citer et qui a consacré ses réflexions à lhonneur décliné au féminin : N. Pancer, Sans peur et sans vergogne, op. cit. Le Oxford Handbook of Women and Gender in medieval Europe accorde ainsi aussi une place importante à la dimension émotionnelle de la vie féminine dans plusieurs de ses articles : J. M. Bennet et R. Mazo Karras (dir.), The Oxford Handbook of Women and Gender in medieval Europe, Oxford, Oxford University Press, 2013. Citons également les études très porteuses de Caroline Walker Bynum : C. Walker Bynum, Fragmentation and Redemption : Essays on Gender and the Human Body in Medieval Religion, New York, Zone Books, 1991.

93 Dans cette optique, nous ne pouvons manquer de citer les études de Roberta L. Krueger ou de Rosalind Brown-Grant qui ont toutes deux accordé une attention remarquable aux enjeux émotionnels dans leur étude de la mise en scène des genres dans la littérature médiévale. Nous pouvons aussi mentionner létude de Lisa Renée Perfetti, consacrée au rire dans la représentation des femmes, ou louvrage collectif dédié à la vie intérieure des femmes, entre émotions et hypocrisie, selon une perspective des plus intéressantes dans notre point de vue : R. Brown-Grant, French Romance of the Later Middle Ages. Gender, Morality, and Desire, Oxford, Oxford University Press, 2008 ; R. L. Krueger, Women Readers and the Ideology of Gender in Old French Verse Romance, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 ; L. R. Perfetti, The Representations of Women in Laughter in Medieval Comic Literature, Michigan, Ann Arbor, 2003 ; J. Friedman et J. Rider (dir.), The Inner Life of Women in Medieval Romance Literature. Grief, Guilt, and Hypocrisy, New York, Palgrave Macmillan, 2011.

94 S. Ríkharðsdóttir, op. cit., p. 133 par exemple.

95 M. Otter, « Vultus adest (the face helps). Performance, expressivity and interiority », dans Rhetorik beyond words, dir. M. Carruthers, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 151-173.

96 Nous pouvons noter, à titre dexemples, les études de Jacques Le Goff et de Jean-Claude Schmitt bien sûr, au-delà de celles de Damien Boquet et de Piroska Nagy qui insistent souvent sur la composante corporelle des émotions : J. Le Goff et N. Truong, Une histoire du corps au Moyen Âge, Paris, Liana Levi, 2003 et J.-C. Schmitt, La raison des gestes dans lOccident médiéval, Paris, Gallimard, 1990 ou J.-C. Schmitt, Le corps, les rites, les rêves, le temps. Essais danthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001. Signalons également létude représentative de limportance accordée tant aux manifestations verbales que gestuelles des émotions de Nicolas Offenstadt : N. Offenstadt, Faire la paix au Moyen Âge. Discours et gestes de paix pendant la guerre de Cent Ans, Paris, Odile Jacob, 2007. Les philosophes des émotions soulignent dailleurs aussi ce rapport expressif. Voir, pour exemple, J. Deonna et F. Teroni, Quest-ce quune émotion ?, Paris, Librairie Philosophique, 2008, particulièrement p. 57-62.

97 M.-T. Lorcin, Pour laise du corps. Confort et plaisirs, médications et rites (xiiie-xve siècles), Orléans, Paradigme, 1998.

98 M. Janet, Lidéologie incarnée. Représentations du corps dans le cycle de la croisade (Chanson dAntioche, Chanson de Jérusalem, Chétifs), Paris, Champion, 2013.

99 L. Pierdominici, La Bouche et le Corps. Image du quinzième siècle français, Paris, Champion, 2003.

100 L. Desjardins, M. Moser-Verrey et C. Turbide (dir.), Le Corps romanesque. Images et usages topiques sous lAncien Régime, Québec, Les Presses Universitaires de Laval, 2009.

101 G. Bolens, La Logique du corps articulaire. Les articulations du corps humain dans la littérature occidentale, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000 ; G. Bolens, Le Style des gestes. Corporéité et kinésie dans le récit littéraire, Lausanne, BHMS, 2008 ; G. Bolens, Lhumour et le savoir des corps. Don Quichotte, Tristram Shandy et le rire du lecteur, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016.

102 G. Bolens, Le Style des gestes, op. cit., p. 33.

103 B. Ribémont, op. cit., particulièrement p. 566-567.

104 D. L. Smail, « Emotions and Narrative Gestures in Medieval Narratives. The case of Raoul de Cambrai », Zeitschrift für Literaturwissenschaft und Linguistik, no 138, 2005, p. 34-38.

105 R. Schnell, « Narration und Emotion », op. cit., p. 273 notamment.

106 J. Eming, Emotion und Expression, op. cit., p. 41.

107 Voir pour exemple : J. Eming, « On Stage. Ritualized Emotions and Theatrically in Isoldes Trial », MLN, no 124/3, 2009, p. 555-571 ou J. Eming, « Faszination und Trauer. Zum Potential ästhetischer Emotionen im mittelalterlichen Roman », dans Wie gebannt. Ästhetische Verfahren der affektiven Bindung von Aufmerksamkeit, dir. M. Baisch, A. Degen et J. Lüdtke, Berlin, Rombach, 2013, p. 235-264.

108 N. Pancer, « Entre lapsus corporis et performance : fonctions des gestes somatiques dans lexpression des émotions dans la littérature altimédiévale », Médiévales, no 61, 2011, p. 39-54.

109 L. Blanchfield, « Prolegomenon. Considerations of Weeping and Sincerity in the Middle Ages », dans Crying in the Middle Ages. Tears of History, dir. E. Gertsman, New York / Londres, Routledge, 2012, p. xxi-xxx.

110 J.-J. Courtine et C. Haroche, Histoire du visage. Exprimer et taire ses émotions (xvie-xixe siècle), Paris, Rivage, 1988.

111 Comme le rappelle Ayoush Sarmada Lazikani : A. S. Lazikani, op. cit., p. 4.

112 J.-C. Schmitt, « La morale des gestes », Communications. Parure, pudeur, étiquette, no 46, 1987, p. 31-47, ici p. 32.

113 Voir, par exemple, nous y reviendrons, larticle de Barbara H. Rosenwein à ce sujet : B. H. Rosenwein, « Les mots de lémotion », dans Les émotions au Moyen Âge et aujourdhui : questions de sources et de méthodes. Pour une anthropologie historique des émotions au Moyen Âge, Aix-en-Provence, 2006, p. 10-12, mais aussi les ouvrages collectifs qui attestent ce souci dappréhender les émotions médiévales par le langage : M. W. Champion, K. Essary et J. Feros Ruys (dir.), Before emotion. The language of feeling, 400-1800, New York / Londres, Routledge, 2019 ou M. C. Flannery (dir.), Emotion and Medieval Textual Media, Turnhout, Brepols, 2018.

114 D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge, op. cit., p. 16.

115 B. H. Rosenwein, « Les mots de lémotion », op. cit., p. 10.

116 Ibid.

117 Ibid.

118 P. Nagy, « Faire lhistoire des émotions à lheure des sciences des émotions », Bulletin du centre détudes médiévales dAuxerre, no 5, 2013, p. 3.

119 Ce besoin délargissement de la définition du mot « émotion » pour correspondre à cette étiquette ainsi posée a été souligné par Damien Boquet lors dune conférence donnée à lUniversité de Genève le 11 mai 2016.

120 D. Boquet et P. Nagy, « Une histoire des émotions incarnées », op. cit., p. 10.

121 Ibid.

122 D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge, op. cit., p. 16.

123 B. H. Rosenwein, « Les mots de lémotion », op. cit., p. 10.

124 D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge, op. cit., p. 16.

125 B. H. Rosenwein, « Les mots de lémotion », op. cit.

126 Outre les travaux de Barbara H. Rosenwein, de Damien Boquet et de Piroska Nagy, ou les ouvrages que nous avons cités dédiés à une telle réflexion terminologique autour de lobjet détude historique quest lémotion, nous pourrions citer à titre dexemple les études de Carla Casagrande et de Silvana Vecchio ou de David Konstan par exemple : C. Casagrande et S. Vecchio, « Les théories des passions dans la culture médiévale », op. cit. et D. Konstan, « From regret to remorse : The origins of a Moral emotion », dans Understanding Emotions in Early Europe, op. cit., p. 3-26.

127 A. Lynch, « “What cheer ?” Emotion and action in the Arthurian world », dans Emotions in medieval Arthurian literature, op. cit., p. 47-63, ici p. 51.

128 D. Boquet, Lordre de laffect au Moyen Âge, op. cit., p. 24.

129 Comme le soutient Jeroen Deploige : J. Deploige, « Meurtre politique, guerre civile et catharsis littéraire au xiie siècle. Les émotions dans lœuvre de Guibert de Nogent et de Galbert de Bruges », dans Politiques des émotions au Moyen Âge, op. cit., p. 225-254, ici p. 238.

130 S. Knuuttila, op. cit., p. 5.

131 D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge, op. cit., p. 187.

132 Simo Knuuttila notamment souligne cette reprise, très influente, de la typologie stoïcienne dans les Tusculanes de Cicéron : S. Knuuttila, op. cit., p. 51.

133 Ces dernières sont citées dans son De Oratore. Voir J. Wisse, Ethos and Pathos from Aristotle to Cicero, Amsterdam, Hakkert, 1989, p. 243.

134 Ils lont tous deux bien souligné notamment lors de leurs conférences données à Genève, respectivement les 27 avril et 11 mai 2016. Ils insistaient aussi sur la question dans leur ouvrage Sensible Moyen Âge : D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge, op. cit., p. 351.

135 D. Boquet, Lordre de laffect au Moyen Âge, op. cit., p. 59.

136 Afin de ne pas surcharger cet exposé des premiers théoriciens des émotions, nous avons préféré ne pas référer ponctuellement chacune de nos sources. Nous ne pourrions cependant manquer de souligner lapport capital des travaux de Simo Knuuttila et de Damien Boquet pour cette première histoire des émotions, de lAntiquité aux premiers siècles du Christianisme et renvoyons donc à leurs ouvrages pour un tableau plus complet des réflexions portées alors autour de linstance affective : D. Boquet, Lordre de laffect au Moyen Âge, op. cit. et S. Knuuttila, op. cit.

137 D. Boquet, Lordre de laffect au Moyen Âge, op. cit., p. 99.

138 Lexpression est de Damien Boquet et de Piroska Nagy : D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge, op. cit., p. 51.

139 À nouveau, nous devons souligner lapport essentiel pour cette brève présentation des travaux bien plus complets et pertinents pour une analyse historique de Damien Boquet, de Simo Knuuttila, de Damien Boquet et de Piroska Nagy dans leur ample synthèse Sensible Moyen Âge notamment, mais aussi de Barbara H. Rosenwein, de Carla Casagrande et Silvana Vecchio que nous avons tous déjà pu citer au gré de cette introduction.

140 J. Eming, « Affektüberwältigung als Körperstil im höfischen Roman », dans Anima und sêle. Darstellungen und Systematisierungen von Seele im Mittelalter, dir. K. Philipowski et A. Prior, Berlin, Eric Schmidt Verlag, 2006, p. 249-262, ici p. 255.

141 H. Cooper, « Afterword : Malorys enigmatic smiles », dans Emotions in medieval Arthurian literature, op. cit., p. 181-188, ici p. 181.

142 S. Ríkharðsdóttir, op. cit., p. 22.

143 Ibid., p. 16.

144 Ibid., p. 11.

145 J. Eming, Emotionen im « Tristan », op. cit., p. 12.

146 B. Grigoriu, Actes démotion, pactes dinitiation, op. cit.

147 J. Eming, « On Stage », op. cit., p. 562.

148 B. Grigoriu, Talent/Maltalent, op. cit., p. 44.

149 Ibid., p. 40.

150 B. Grigoriu, Actes démotion, pactes dinitiation, op. cit., p. 194-195.

151 J. Eming, Emotion und Expression, op. cit., p. 90.

152 G. Le Vot, op. cit., p. 366.

153 La datation proposée, comme celle de tous les autres textes cités ensuite, reprend celle émise par Michel Zink : M. Zink, Littérature française du Moyen Âge, Paris, Presses Universitaires de France, 1992. Si ce nest pas le cas, nous nous serons référée aux notices Arlima des textes non considérés par Michel Zink.

154 La formule est de G. Ward Fenley : G. W. Fenley, « Faus-Semblant, Fauvel, and Renart le Contrefait : A study in Kinship », The Romanic Review, noXXIII, 1932, p. 323-331, ici p. 323.