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Classiques Garnier

Du faux semblant à la juste ypocrisie Le réseau Faux Semblant à la lumière des jeux émotionnels politiques

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Du faux semblant à la juste ypocrisie

Le réseau Faux Semblant à la lumière
des jeux émotionnels politiques

De la querelle du Roman de la Rose
au Livre des Trois Vertus de Christine de Pizan

Notre approche de la réception du Roman de la Rose, et du tableau qui y est dressé de la manipulation émotionnelle incarnée par Faux Semblant, ne pouvait manquer de sarrêter sur lœuvre de Christine de Pizan. Elle témoigne à merveille de linfluence quexerce le roman de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun, des débats quil provoque voire des polémiques quil suscite. Il nous semblait donc pertinent de revenir sur le projet que développe la première femme professionnelle de lettres de notre littérature, sur ses particularités et sur sa construction en réaction à Jean de Meun. Cest pourquoi nous débuterons ce dernier chapitre par un rapide exposé de la querelle portée par Christine de Pizan à lencontre du Roman de la Rose. Il sera ainsi demblée question de ce critère essentiel autant à lœuvre littéraire quà lémotion et à son jeu quest celui de lintention, remis sous les feux des projecteurs dans lune comme dans lautre de ces dynamiques par Christine de Pizan. Cette querelle offre aussi une entrée en matière révélatrice des enjeux fondamentaux de son œuvre, liés à la défense de la cause féminine. Celle-ci éclaire le Livre des Trois Vertus auquel nous consacrerons la plus grande partie de nos analyses. Ce manuel de comportement que Christine de Pizan dédie à la communauté féminine nous permet denvisager lémotionologie spécifique des femmes en cette toute fin de Moyen Âge et le rapport qui sy tisse avec lhypocrisie mise en lumière par Faux Semblant. Lombre du faux moine ribaus dAmour continue de planer sur les recommandations des Trois Vertus et de leur compagne si éloquente, Prudence Mondaine. 516Linscription de cette voix supplémentaire dans la liste des conseils dispensés par Christine de Pizan témoigne dune orientation remarquable des logiques du jeu émotionnel. Il nest en effet plus tant question des dynamiques de conquête amoureuse ou de pratique dévotionnelle – même si elles ne sont pas pour autant perdues de vue –, mais de cette dimension politique, essentielle sur la scène sociale à la source de tous les dangers pour lhonneur féminin mis au cœur de ce raisonnement. Nous concevrons dans ce sens les jeux émotionnels mis en scène, loués et nuancés par Christine de Pizan, en regard du sens étymologique de cette étiquette, mais aussi de la nature même du projet rédactionnel de Christine de Pizan. Tiré du grec polis, le terme politique renvoie à la cité, et, en particulier dans ses acceptations en français médiéval, à ce qui est propre au bon gouvernement1. Il sagit exactement de la nature de la réflexion que Christine de Pizan mène dans son Livre des Trois Vertus, qui vise, par le bon gouvernement qui y est prescrit, autour de la sphère émotionnelle entre autres, lentrée à la Cité des Dames. Elle dépasse en effet les enjeux proprement curiaux, voire nobiliaires en intégrant lensemble des femmes dans ses recommandations, dans une véritable portée politique de création dune communauté féminine. Dans un nouveau règne des apparences émotionnelles ainsi mis à jour, cette dimension politique justifie lobsession pour la visibilité de la part de Christine de Pizan. Lemphase mise demblée, dans lidéal de garde qui empreint toutes les feeling rules2, sur les signes offerts des émotions connaît donc un regain dimportance, avec toutes les dérives que cela peut induire. Christine de Pizan se montre soucieuse de légitimer toute entorse au rapport impératif de concordance entre intérieur et extérieur qui continue danimer lidéal de garde. Mais elle nen dénie pas moins lentorse commise, impossible à contester après la mise en lumière éclatante de la fausseté de telles manipulations des semblants émotionnels chez Jean de Meun. Elle fonde pour cela ses conseils dans la tradition bien ancrée de lattemprance, vantée dans les miroirs aux princes dont elle 517reprend le modèle pour élaborer son œuvre. Surtout, elle vient porter à son paroxysme la morale de lintention que nous avons déjà pu mettre en lumière, en particulier dans lœuvre de Jean de Meun dailleurs, non sans la réorienter au nom du combat quelle livre pour la cause féminine. On peut lire à cette aune toute loriginalité du Livre des Trois Vertus qui invite ainsi à redessiner les contours des nuances de genre dans les jeux des émotions. Dans cette optique, nous pourrons confronter ces résultats à ceux dautres œuvres de Christine de Pizan, telles que le miroir aux princes quelle livre selon lexemple de Charles V ou ses compositions à tonalité amoureuse, révélatrices du détournement des codes émotionnels quelle effectue dans son traité de savoir-vivre féminin. Comme celle de Faux Semblant, la leçon de Christine de Pizan relève à la fois de loriginalité et du respect quelle instille face aux feeling rules. Nous pourrons ainsi constater la prégnance du carré sémiotique autour du jeu des émotions selon le traitement quy réserve elle-même Christine de Pizan, dans sa volonté de repenser la morale insidieuse du Roman de la Rose, mais avec toute lambiguïté quil continue de receler.

Le rapport complexe que Christine de Pizan entretient avec la production de Jean de Meun, mais aussi de Guillaume de Lorris dailleurs – son opposition au Roman de la Rose étant tout autant animée par les modalités de lunivers courtois en lui-même que par ses dérives mises en scène dans la seconde partie du roman3 – sillustre tout dabord et avant tout au sein du débat quelle intègre et crée même autour du Roman de la Rose. Christine de Pizan se lance, durant lété 1401, dans un débat épistolaire quelle initie en réponse aux défenses proposées de lœuvre de Jean de Meun. Au début de lannée 1402, elle rend ces échanges publics dans une version – remaniée par ses soins – quelle offre à la reine Isabeau de Bavière. Ces Epistres sur le Rommant de la Rose ainsi révélés gagnent une visibilité qui les fait accéder au rang de première querelle littéraire de notre histoire. Limportance de ce dossier se conçoit également en regard du projet poursuivi par Christine de Pizan et des stratégies auctoriales quelle y intègre. Cest au cœur de ce débat épistolaire que se cristallise son souci de dénonciation de la tradition amoureuse courtoise et des stéréotypes qui y pèsent sur les femmes, amorcé dans LEpistre au dieu 518dAmours déjà et développé dans bon nombre de ses œuvres ensuite. Ce débat littéraire se révèle dautant plus intéressant quil témoigne dune réflexion profonde sur sa position dauteure et sur lacte de création littéraire en soi. Surtout, la posture de Christine de Pizan vis-à-vis des enjeux émotionnels doit beaucoup à cette première réflexion quelle mène contre le Roman de la Rose, qui irrigue ensuite lensemble de son œuvre. Lappréhension des dynamiques de tromperie et de sincérité, essentielles, mais aussi ambigües chez Christine de Pizan, nous semble justifier un rapide retour sur cette querelle déjà bien connue et bien traitée, dont nous souhaiterions orienter lanalyse quant au regard porté sur la fausseté émotionnelle préconisée dans le roman de Jean de Meun et les justifications fournies quant aux distances critiques à concevoir dans ce cadre et plus largement dans sa rédaction.

La première querelle de la littérature française éclot au cœur du milieu humaniste parisien, à linitiative de Christine de Pizan qui sinsurge contre les arguments présentés par Jean de Montreuil en faveur de lœuvre de Jean de Meun. Lample critique quelle lui adresse dans sa lettre datée du début de lété 1401 lance le débat : le secrétaire du roi et prévôt de Lille lui fait parvenir ses réponses, Jean Gerson, le chancelier de luniversité, prend également parti au gré dun sermon quil prononce le 25 août, avant que le conseiller du roi, Gontier Col, ne rallie le camp des défenseurs de Jean de Meun contre Christine de Pizan, dans deux lettres successives rédigées à la mi-septembre, suivies par celle de son frère, Pierre Col, lété suivant. De manière intéressante, cest par la lettre de Gontier Col que Christine de Pizan fait débuter léchange quelle retranscrit dans le dossier quelle livre à la reine. Elle la fait suivre par celle quelle destinait à Jean de Montreuil et qui propose un véritable panorama de ses reproches, quelle encadre par la seconde lettre de Gontier Col. Elle retranscrit finalement, dans certains manuscrits plus tardifs quelle supervise de ces Epistres, la réponse quelle offre à la lettre de Pierre Col à lautomne 1402. Christine de Pizan inscrit ainsi son engagement dans ce débat dans une logique de réaction, de défense même en altérant lordre de présentation et en sélectionnant les échanges retranscrits. Son projet est clairement introduit dans les Epistres sur le Rommant de la Rose, notamment par une lettre adressée en guise de préambule à la reine de France. Elle cherche bien sûr avant tout ce faisant à se placer sous la tutelle de la souveraine, mais aussi à expliciter sa démarche de défense – le terme y apparaît 519fréquemment4. La posture dhumilité, assez caractéristique chez Christine de Pizan, semble ici renforcée dans le rapport dopposition dans lequel sinscrivent ces épîtres, et en particulier dans ce rapport dopposition entre Christine, une femme, et des hommes, « soubtilz maistres ». La justification quelle apporte est à la hauteur de la difficulté qui est la sienne de prendre parti contre ceux-ci, mais aussi de son ambition : elle insiste sur sa « foible[sse] », son « petit entendement » pour mieux mettre en lumière le bienfondé de son projet. Cest « meue » par non moins que la « verité » quelle entend livrer cette défense face, certes, à ces subtils maîtres, mais surtout face à « aucunes oppinions a honnesteté contraires », « qui nest chose loisible ne a souffrir ne soustenir », selon une formule déjà révélatrice de sa critique. Ainsi, son ambition de défense de la cause féminine se dévoile demblée dans le cadre des « raisons droicturieres » qui motivent et légitiment son opposition. Outre lemphase sur la défense quelle propose, Christine de Pizan développe également sa stratégie dans le contexte du remaniement quelle offre des lettres échangées. Linterlude quelle insère en amont de la première des épîtres du débat en présente pourtant la chronologie exacte et ne laisse aucun doute sur laltération de lordre logique des lettres à laquelle Christine de Pizan recourt pour exacerber sa posture défensive5. Dans les faits, cest Christine de Pizan qui monte au créneau pour dénoncer limmoralité du Roman de la Rose. Lintroduction de son épître à Jean de Montreuil témoigne de sa volonté de saffirmer en opposition à ces oppinions contraires6. Le triplet « dire, divulguer et soustenir manifestement » proclame son intention, mais révèle aussi, par la précision qui le précède « combien que a moy ne soit adreçant ne response ne requiert », linitiative de Christine de Pizan de répondre à ce traité sans quil ny invite ni même quil ne lui ait été adressé. Elle annonce déjà lenjeu de sa condamnation, « oysiveté », par opposition à « oevre utile », paramètre essentiel de lappréciation littéraire selon la théorie horatienne, ainsi mis sous les feux des projecteurs au gré de ce débat7. Sa longue critique du Roman de la Rose sachève sur ce fac520teur de dépréciation, en accord avec les réflexions antiques qui confèrent lautorité de cet argument :

Pour ce dis, en concluant, [] oevre sans utilité et hors bien commun ou propre – poson que elle soit delictable, de grant labour et coust – ne fait a louer. Et comme anciennement les Rommains triumphans nattribuassent louenge aucun ne honneur a chose quelconques se elle nestoit a lutilité de la chose publique, regardons a leur exemplaire se nous pourrons couronner cestuy rommant. Mais je treuve, comme il me semble, ces dictes choses et asséz dautres considerees, mieulx lui affiert ensevelissement de feu que couronne de lorier, non obstant que le claméz « mirouer de bien vivre, exemple de tous estats de soy politiquement gouverner et vivre religieusement et saigement » ; mais au contraire, sauve vostre grace, je dis que cest exortacion de vice confortant vie dissolue, doctrine plaine de decevance, voye de dampnacion, diffameur publique, cause de souspeçon et mecreantise, honte de pluseurs personnes, et puet estre derreur. [] Si souffist a tant. Et ne me soit imputé a follie, arrogance ou presompcion doser, moy femme, repprendre et redarguer aucteur tant subtil et son euvre admenuisier de louenge, quant lui, seul homme, osa entreprendre a diffamer et blasmer sans exepcion tout un sexe8.

Christine de Pizan refuse au Roman de la Rose toute louange au nom de cette absence dutilité, de bien commun ou en soi – la nuance nous semble importante à souligner en amorce de nos analyses. Avec cette déférence quelle conserve à légard dun opposant quelle sait plus savant et considéré quelle, mais surtout avec cette humilité stratégique quelle cultive tout au long du débat, elle renverse sur cette base la défense offerte de lœuvre de Jean de Meun comme miroir de bonne vie. Ainsi, le Roman de la Rose ne serait pas seulement dévalué pour son manque dutilité de la chose publique, mais pour son utilité néfaste, si utilité il devait y avoir. Dans une formule expressive qui offre un véritable condensé de ses critiques, Christine de Pizan condamne la dépravation, lhypocrisie et la médisance du roman. Les derniers arguments de cette véritable liste des défauts du roman portent lempreinte de la défense féminine quelle mènera dès lors. Cest dautant plus le cas dans ladresse finale de son épître, qui fonde autant quelle légitime sa critique en anticipant les réactions de ses opposants. Dans une logique de renversement une fois encore, Christine de Pizan devance largument de présomption 521dune femme de sen prendre à un auteur, à un homme incontournable même, en invoquant la propre attaque quil a livrée envers tout un sexe. Cest là que se situe le cœur du message quelle porte, en particulier au travers de son Livre de la Cité des Dames, en opposition à la généralisation dans la pensée misogyne des travers dits féminins. Les critiques de diffamation, de soupçon, de défiance, de honte et derreur plus encore laissent peu de doute sur le désaccord de Christine de Pizan face à ces accusations. Mais elle insiste aussi sur limmoralité et lapologie de la tromperie qui irriguent le roman de Jean de Meun. Elle soulève ainsi la question de linfluence sur le lectorat qui savère essentielle dans ce débat, en parallèle à celle de lintentioauctoris jugée trop floue et donc source de dérives de compréhension, voire dacceptation des discours dissolus de Raison, Nature, Génius ou Faux Semblant. La querelle se construit en effet autour de cet enjeu littéraire de poids quest la position de lauteur face à celle de ses personnages, plus importante encore dans ce cadre allégorique quest celui du Roman de la Rose9.

En-dehors des répercussions idéologiques liées à la défense féminine qui sinscrit au cœur de plusieurs de ses œuvres, les arguments soutenus par Christine de Pizan nous semblent essentiels et fort influents dans sa réflexion. Les études qui se sont consacrées à la querelle soulignent limportance de cette question du niveau de lecture qui peut être portée sur lœuvre de Jean de Meun. Telle est dailleurs la principale ligne de justification des défenseurs de Jean de Meun dans le cadre de ces Epistressur le Rommant de la Rose. Le second auteur du Roman de la Rose insistait lui-même sur cet enjeu fondamental de la lecture, quil fonde sur une subtilité surtout mise en exergue dans lépisode dédié au personnage de Faux Semblant. Sa fausseté viscérale pose question, plus encore dans le cadre allégorique dans lequel il est inscrit10. Il permet dincarner la problématique de décodage et de discernement de la distance établie entre lauteur et le personnage telle que linterprète Susan Stakel. Selon le modèle que Faux Semblant en offre, Susan Stakel oriente ce débat herméneutique autour de la thématique de lhabit. Elle soutient ainsi 522que lopposition de Christine de Pizan et de Jean Gerson au roman de Jean de Meun pourrait sexpliquer par leur incapacité, ou leur refus, de percevoir la dualité que comporte lhabit en loccurrence comme une tromperie potentielle, mais potentielle seulement. Elle expose le danger que comporte linterprétation dun signe ambigu tel que le vêtement dans la distinction nécessaire entre signifiant et signifié11. Cette interprétation nous paraît révélatrice de la difficulté de décodage du Roman de la Rose. Surtout, elle éclaire la difficulté particulière quil met en scène autour du décalage possible entre lémotion et son apparence dans le contexte amoureux, mais aussi religieux investi par Faux Semblant. Faux Semblant en constitue en effet un cas extrême, condensant cette problématique par la rupture ou, du moins, le flottement quil induit entre signifiant et signifié. Cette tension rejoint celle qui touche au rapport entre homo interior et homo exterior, elle aussi exploitée par Jean de Meun dans son portrait de Faux Semblant et, au-delà, dans sa pratique discursive. Lambiguïté quil cultive dans son rapport aux discours de ses personnages a dailleurs été envisagée sous cet angle par Lionel J. Friedman. Selon lui, les personnages de Jean de Meun ne sauraient constituer davantage, de par cette collection de détails donnés quant à leurs attributs, habits et marques avant tout extérieures, quun signifiant. Et il reprocherait presque à Christine de Pizan de navoir su le constater, elle qui se distancie elle-même des idées véhiculées notamment dans ses Ballades. Lionel J. Friedman comprend ainsi la difficulté que pose la concordance entre homo interior et homo exterior comme relevant de la confrontation quelle ne peut que susciter face à notre ignorance irréductible de la pensée de lautre12. Ce constat dune grande pertinence nous évoque bien sûr les avancées des théories de lesprit qui pèsent cette impossibilité inhérente de connaître la pensée dautrui. Elles développent dans ce sens une réflexion sur les paradigmes et les rapports induits dans les relations intersubjectives, sur les voies daccès aux émotions garantissant lintercompréhension. La simulation-theory proposée dans ce contexte explore les conditions de compréhension des gestes faciaux par simulation mentale, consciente ou non, du même geste. Cette simulation 523par empathie ouvrirait ainsi la porte aux ressentis des autres13. Mais elle ne va pas sans poser problème bien sûr, ou, du moins, elle pose celui de la fiabilité des gestes et autres signes supposés refléter les ressentis. Christine de Pizan sinvestit dans cette réflexion pour critiquer la teneur du Roman de la Rose, qui joue de lillusion dun tel rapport de transparence. Le principal argument de la condamnation quelle porte à lencontre de Jean de Meun tient à limpératif dexemplarité quelle revendique au cœur de lacte décriture. Or, lentremêlement de voix discordantes, si ce nest problématiques comme celle de Faux Semblant, rompt selon elle avec une telle vocation. Cest dans ce sens quelle exacerbe la portée didactique de ses propres œuvres, de manière évidente dans un manuel de comportement tel que le Livre des Trois Vertus. Sa leçon se concentre elle-même sur lexemplarité des dames auxquelles elle délivre ses conseils. Dans ce sens, elle valorise avant tout la maîtrise, du langage comme de lattitude, selon linsistance commune sur lidéal de garde. Mais elle fait alors face au même paradoxe qui a inspiré le personnage de Faux Semblant, la manipulation du bel semblant pouvant aisément conduire au faux. Son insistance sur les apparences émotionnelles sinscrit donc à la fois dans son obsession pour la visibilité quimpose la scène sociale et dans un souhait de repenser le rapport de concordance entre intérieur et extérieur, quelle cherche autant à réaffirmer quà nuancer.

Le Livre des Trois Vertus nous paraît essentiel dans lœuvre de Christine de Pizan, dans laboutissement quil offre de lopposition au Roman de la Rose et de la défense de la cause féminine, dans la réflexion menée autour de la maîtrise émotionnelle dans ce cadre, dans laffirmation de son autorité auctoriale même. À la croisée de ces objectifs, son projet se veut limpide. Elle cherche à retourner une bonne fois pour toutes les stéréotypes qui pèsent sur la nature féminine, portés avec éclat dans le Roman de la Rose, au gré dun manuel de savoir-vivre pratique destiné à lensemble de la communauté des femmes. Les Trois Vertus posées au cœur du traité indiquent demblée lorientation du propos. Les trois allégories de Raison, Droiture et Justice sont en effet reprises du Livre 524de la Cité des Dames, rédigé juste auparavant à la demande de ces trois dames. Elles y apparaissaient alors à Christine de Pizan qui se désolait des attaques misogynes du livre de Matheolus dont elle questionnait le bienfondé des critiques et dont elle finissait même par sembler se convaincre. À leur objectif de réconfort se greffait rapidement un second, de nature didactique, voire même argumentative. Les Vertus visent une refonte profonde de limage de la femme pour démontrer lerreur du système de représentation misogyne. Elles proposent pour cela toute une accumulation dexemples positifs qui servent à la fondation de la cité14. Le lien tissé entre lune et lautre œuvre est demblée rendu explicite par le titre du traité, par sa référence aux trois mêmes vertus, et plus encore par son sous-titre de Trésor de la Cité des Dames. Le traité des Trois Vertus se conçoit ainsi comme une continuation, annoncée dès la conclusion du Livre de la Cité des Dames15. À lissue des discours des trois dames, Christine de Pizan reprenait la parole pour sadresser à lensemble de la communauté féminine quelle invitait à se rallier à ses efforts, à démontrer lerreur des misogynes, à se défendre contre les hommes malhonnêtes, et à intégrer ainsi la cité fondée par leur comportement vertueux. Cest exactement le projet du Livre des Trois Vertus, offrir aux femmes les outils pour accroître leur vertu et ainsi la cité des dames :

Entens noz sermons et tu feras bonne oeuvre. Nous, non encore rassadiees ou saoulees de te mettre en besoigne comme chamberiere de noz vertueulx labours, avons avisié, preparlé et conclus ou Conseil des Vertus et a lexemple de Dieu, [] ceste de La Cité [des] Dames, qui est bonne et utile, soit beneÿe et exaulcee par tout lunivers monde, que encores a lacroissement dycelle nous plait que tout ainsy comme le sage oiselleur apreste sa cage ains que il prengne les oisillons, voulons que aprés ce que le heberge des dames honnourees est faicte et preparee, soient semblablement que devant, par ton ayde pourpenséz, fais et quis engins, trebuchiéz et roys beaulz et nobles, lacéz et ouvréz a neux damours que nous te livrerons, et tu les estendras par la terre es lieux et es places et es angles par ou les dames, et generaument toutes femmes, passent et cuerent, afin que celles qui sont farousches et dures a dominer puissent estre happees, prises et trebuschees en noz laz, si que nulle ou pou qui si enbate ne puisse eschapper, et que toutes, ou la plus grant partie delles, soyent fichees en la cage de nostre glorieuse cité, ou le doulz 525chant apprengnent de celles qui desja y sont hebergees comme souveraines, et qui sans cesser deschantent alliluya avec la teneur des beneurés angelz16.

Ce passage marque le début de la prise de parole des Trois Vertus qui réapparaissent ici à Christine de Pizan, alors au repos après les efforts fournis pour la rédaction et la fondation de la Cité des Dames. Il expose clairement leur intention, de conseiller generaument toutes femmes pour les faire accéder à la cité bâtie. Cette introduction souligne la dynamique de complétude qui sinstaure entre les deux œuvres, animées par le même objectif de défense des femmes, soutenues par le même schéma daffirmation de lautorité dans le cadre allégorique, mais poursuivi par des méthodes diverses. De manière intéressante, on observe une évolution de la posture endossée par Christine de Pizan dans ce deuxième temps fort de la défense quelle livre de la cause féminine. Elle reprend certes les figures allégoriques des Trois Vertus, mais paraît en diminuer limportance. Le rapport dialogique essentiel dans Le Livre de la Cité des Dames est limité au premier chapitre ou presque, et elle brouille le trio formé par Raison, Droiture et Justice par lintervention dautres voix telles que celle de Divine Informacion ou de Prudence Mondaine. Ainsi, la propre voix de Christine de Pizan gagne en force. Elle semble souvent transparaître au gré de formules employées à la première personne du singulier17, mais aussi des exemples choisis, plus concrets et pratiques et qui font la belle part aux figures contemporaines ou, du moins, proches dans le temps de Christine de Pizan qui aime à fonder ses arguments sur sa propre expérience18. Dailleurs, elle ne se présente plus comme une fille 526détudes inspirée par la voix des Trois Vertus, mais épuisée des efforts, et des succès, déjà accomplis. Surtout, on ne trouve nul exemple éclatant au gré dun catalogue de femmes exceptionnelles dans Le Livre des Trois Vertus. On paraît passer ici de la théorie à la pratique – ou de lutopie au monde réel19 – dans ce manuel de comportement, qui sinscrit ainsi dans la lignée des miroirs aux dames. Limportance conférée à la réaction au Roman de la Rose pousse à considérer celle accordée plus largement au contexte dans lequel Christine de Pizan construit son ouvrage. Il nous semblait donc intéressant de lapprocher de plus près pour cerner toute loriginalité des ambitions du Livre des Trois Vertus. Nous reviendrons pour cela aux racines du projet de ce manuel de comportement, à la tradition du miroir aux dames et aux objectifs que se pose Christine de Pizan dans sa rédaction et dans la défense de la cause féminine. Nous pourrons ainsi offrir un meilleur aperçu de la place que viennent y prendre les enjeux de manipulations émotionnelles.

Apparu déjà à lépoque carolingienne, le genre des miroirs se développe en parallèle des évolutions sociales et connaît un succès tout particulier au xive siècle, époque marquée par de grandes mutations, par un contexte politique trouble et par son goût, dans ce contexte, pour la littérature didactique pour sa portée et son influence potentielles sur les dirigeants. Le célèbre De regimine principum de Gilles de Rome sinscrivait déjà dans cette dynamique, puisquil résulte de la commande de Philippe le Hardi pour linstruction de son fils, le futur Philippe le Bel. Mais le genre des miroirs se diffuse aussi plus largement, et notamment vers un public féminin. Respectant en ceci les usages de la prédication et la tradition du sermo ad status, cette littérature didactique a le souci de sadapter à son auditoire, selon les classes sociales ou les genres envisagés20. Les premiers signes de ce mouvement de réflexion dédié à la situation des 527femmes apparaissent assez tôt avec le traité de Robert de Blois, Le chastoiement des dames, au tout début du xiiie siècle, ou ensuite celui, célèbre, des Enseignements de saint Louis a sa fille, datant des années 1267-1268. Cest aux xive et xve siècles que cette tradition nouvelle des miroirs aux dames prend son essor, avec le Livre du chevalier de la tour Landry pour lenseignement de ses filles, aux alentours de 1371-1372, le Livre de la vertu du saint sacrement de mariage et du réconfort des dames mariées, rédigé par Philippe de Mézières entre 1385 et 1389, ou le Mesnagier de Paris, daté de 1394. Ces quelques titres illustrent demblée les dynamiques essentielles de ces traités : les conseils dispensés aux femmes leur sont adressés par leur père ou leur époux, dans le cas du Mesnagier de Paris par exemple, selon divers statuts sociaux ainsi considérés, de la plus petite noblesse dans le cas du chevalier de la Tour Landry ou de la bourgeoisie même dans le Mesnagier de Paris. Cette littérature se fait donc porte-parole de réalités nouvelles, mais demeure tributaire de la parole masculine à lorigine des conseils voire des prescriptions consignés. Tel est peut-être le point de départ de Christine de Pizan dans son Livre des Trois Vertus, un manuel de comportement qui porte linfluence des autres miroirs aux dames, à limportante nuance près quil est cette fois lœuvre dune femme. Le traité témoigne également de linvestissement politique de Christine de Pizan, induit demblée par sa dédicace à Marguerite de Bourgogne, fille de Jean sans Peur tout juste mariée au dauphin de France, Louis de Guyenne, le 31 août 1404, soit juste avant la parution, en 1405, du Livre des Trois Vertus. Âgée de 11 ans, la jeune princesse est déjà la veuve fiancée du prédécesseur de son époux, Charles de France, mort en 1401 et se trouvera également veuve de Louis en 1415, avant même quil naccède au trône. Cette union se conçoit néanmoins comme un grand succès, triomphe de la politique matrimoniale de Philippe le Hardi. Le Livre des Trois Vertus pourrait dailleurs avoir été commandé par Jean sans Peur pour linstruction de sa fille, pour laider à prendre place dans la cour de France dominée par la reine Isabeau de Bavière à la réputation fort douteuse21. Dans la logique didactique des miroirs aux 528dames, Christine de Pizan propose toute une série de conseils pratiques à lintention des femmes, de la jeune Marguerite en premier lieu. Elle fait néanmoins preuve dune grande originalité dans son propre traité, en insistant sur la visée mondaine de ses conseils, loin de la seule sphère religieuse à laquelle les femmes restent souvent cantonnées. La figure de Prudence Mondaine vient illustrer cette transition de la théologie morale à une logique aristocratique fondée sur sa publicité incontournable. Plus originale encore est ladresse voulue générale de ses conseils. Christine de Pizan ne se concentre pas seulement sur la situation des princesses et autres nobles, ou même sur celle des bourgeoises, comme cela est le cas du Mesnagier de Paris, mais sur celle de lensemble de la population féminine. Il sagit sûrement dun autre élément de cette dynamique conjointe au Livre de la Cité des Dames et au Livre des Trois Vertus qui visent linstauration dune véritable communauté féminine, en écho à la communauté des chrétiens fondée par saint Augustin dans sa Cité de Dieu, qui inspire bien sûr le projet de la cité des dames de Christine de Pizan. Les conseils sont ajustés selon les rangs et statuts de ses destinataires, ce qui rythme lensemble du traité, réparti en trois livres diversement adressés aux princesses et femmes de haute noblesse, aux femmes de petite noblesse, et enfin aux bourgeoises, marchandes, paysannes et autres travailleuses. Christine de Pizan peut de cette manière affirmer son souci dadaptation, et de réalisme, des recommandations quelle y livre. Elle témoigne de sa volonté de transférer la morale aristocratique bien établie, propre aux grandes dames, à tous les autres états féminins. Mais la plus grande particularité de ce miroir aux dames réside bien sûr du côté de la posture résolument féminine de Christine de Pizan. Le Livre des Trois Vertus est un miroir aux dames par une dame, dans lequel elle insuffle ce souci de défense féminine doublé de critique de la tradition misogyne22. Elle y propose une défense active de la condition 529féminine, dont elle revendique limportance et le pouvoir. Telle est la nuance essentielle à souligner face aux autres miroirs aux dames, inscrits dans une logique coercitive dictée par une autorité masculine : Christine de Pizan ne vise pas la correction des dames, telle que la prévoyait le Mesnagier de Paris dans la perspective de préserver la paix et lamour de leur époux, mais le bien et lhonneur des femmes, en soi. Elle le soutient dès le prologue même de son ouvrage. Sans jamais rompre de manière formelle avec la tradition didactique féminine, mais plutôt en jouant avec celle-ci, quelle reprend et re-module, Christine de Pizan propose surtout une nouvelle orientation du miroir aux dames. Elle souligne de manière presquobsessionnelle lobjectif quelle poursuit au gré de ses conseils, « generalment a toutes femmes », à savoir « lacroissement du bien et honneur de toute femme, grande, moyenne et petite23 ». Son insistance sur la corrélation entre accroissement de la vertu et accroissement de lhonneur des femmes révèle loriginalité de son ambition de redessiner les contours du miroir aux dames. Ce développement de lhonneur féminin sinscrit cependant dans un art du gouvernement de soi tout à fait conforme à la tradition. Dans la continuité du Livre de la Cité des Dames, Christine de Pizan valorise les préceptes de charité, de chasteté, dhumilité qui régissent la condition féminine. De manière intéressante, si les vertus préconisées sont tout à fait attendues, Christine de Pizan fonde ses enseignements sur une base toute nouvelle, qui reconnaît le pouvoir rationnel des femmes. Elle refuse la considération de la femme comme réceptacle passif des savoirs qui lui sont dispensés. Cette infériorité intellectuelle sous-tend linfériorité plus générale et la soumission de la femme à lhomme, comme le révèle Henri de Gauchy dans sa traduction de De Regimine Principum : « li hons doit estre sires a la femme por cen que il doit avoir par nature plus de sens et de reson en lui que en la femme24 ». Christine de Pizan, au contraire, souligne la qualité rationnelle des femmes, quelle inscrit au cœur de son projet dont elle exacerbe ainsi la portée didactique :

530

De par nous trois suers, filles de Dieu, nommees Raison, Droicture et Justice, a toutes princepces, cest assavoir empereris, roynes, ducheces, et haultes dames regnans en dominacion sur la terre crestienne, et generaument a toutes femmes, salut et dilection. Savoir faisons que comme amour charitable nous contraigne a desirer le bien et accroissement de lonneur et prosperité de luniversité des femmes et a vouloir le decheement et destruction de toutes les choses qui y pourroyent empeschier, sommes meues a vous declairier et dire paroles de doctrine. Venez doncques toutes a lescole de Sapience, dames eslevees es haulx estaz, et naiez honte pour voz grandeurs de vous humilier et descendre a seoir bas pour ouïr noz lecçons, car selon la parolle de Dieu, qui se humiliera sera exauciéz25.

Ladresse introductive des Trois Vertus révèle cette dynamique pédagogique. Elle dessine une communauté féminine fondée sur le savoir, comme semble lindiquer, outre la densité lexicale à ce sujet, la polysémie du terme université, qui désigne dabord la communauté avant linstitution denseignement supérieur26. Léloge du savoir et la volonté de le partager à lensemble des femmes irriguent Le Livre des Trois Vertus qui doit sûrement à cette intention le caractère très pratique des conseils dispensés tout au long du traité. Au contraire des autres miroirs aux dames, Christine de Pizan ne cultive pas les exemples édifiants, mais choisit plutôt des conseils simples et précis, voire très pragmatiques. Sa volonté dopposition à la pensée misogyne quant au pouvoir rationnel des femmes la conduit à réorienter ce que lon pourrait définir comme relevant de la nature féminine. Elle décale ce faisant la conception médicale de la femme biologiquement, pourrions-nous dire, inférieure à lhomme. Christine de Pizan profite au contraire de cette dimension naturelle pour valoriser les qualités voire le pouvoir féminins. Elle justifie dans ce sens lintervention de la dame dans léducation de ses enfants :

Le tiers enseignement de Prudence a la princepce est que se elle a enfans de se prendre garde diligemment de eulx et de leur gouvernement ; aux filz nonobstant quil apertiengne au pere de leur querir maistre et baillier telz gouverneurs qui soient bons et convenables, toutevoyes la dame, qui na mie tant de charges de diverses choses, et aussi nature de mere est communement plus encline au regart de ses enfans, doit moult avisier a tout ce qui lui apertient, et plus ad ce qui touche discipline de meurs et denseignemens que au gouvernement du corps27.

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Nous nous trouvons ici au cœur des enseignements dispensés par la voix de Prudence Mondaine qui concentre les conseils pratiques de comportement en société, envers lépoux, la belle-famille, les enfants, et même les ennemis de la dame, nous aurons loccasion dy revenir. Dans une posture argumentative fréquente au sein du Livre des Trois Vertus fonctionnant sur une base adversative, Christine de Pizan reconnaît tout dabord la responsabilité du mari et du maître, mais pour mieux insister sur celle que doit aussi prendre la dame. Elle met en lumière pour ce faire la disponibilité de la dame, mais aussi ses dispositions naturelles, quelle fonde sur lidée commune, unanime en la matière, de lattention pour les enfants. Le recours au savoir commun témoigne dune tendance générale, mais aussi très forte dans la portée des arguments, et permet de construire ce rôle féminin de mère, soucieuse non seulement de la santé physique de son enfant, mais aussi de sa discipline morale. La révision de la nature de la femme ouvre ainsi la voie au développement dun véritable pouvoir de la mère dinfluer sur léducation de son fils. Cest plus encore le cas au chapitre de ce même premier livre destiné aux princesses et hautes dames, qui envisage lattitude à adopter en cas de conflit entre lépoux et ses sujets. Rebondissant sur la théorie humorale qui porte cette distinction entre hommes et femmes sur une base naturelle, Christine défend une forme de pouvoir plus exceptionnelle encore que celui de la mère :

Par tele voye et par telz parolles ou semblables, la bonne princepce sera tousjours moyenne de paix a son pouoir, si comme estoit jadis la bonne royne Blanche, mere de Saint Louys, qui en ceste maniere se penoit tousjours de mettre accort entre le roy et les seigneurs, si comme elle fist du comte de Champaigne et daultres, laquelle chose est le droit office de sage et bonne royne et princepce destre moyenne de paix et de concorde, et de traveillier que guerre soit eschivee pour les inconvenients qui avenir en peuent. Et ad ce doivent aviser principaulment les dames, car les hommes sont par nature plus courageux et plus chaulx, et le grant desir que ilz ont deulx vengier ne leur laisse aviser les perilz ne les maulx qui avenir en peuent. Mais nature de femme est plus paoureuse et aussi de plus doulce condicion, et pour ce, se elle veult et elle est saige, estre puet le meilleur moyen a pacifier lomme, qui soit. Et ad ce propos dist Salemon es Proverbes, ou .xxve. chapitre : Doulceur et humilité assouagist le prince et la langue mole (cest-a-dire la doulce parole) flechist et brise sa durté, tout ainsi comme leaue par sa moisteur et froidure estaint la chaleur du feu28.

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À la suite de la réflexion quelle menait au chapitre précédent sur le développement des vertus indispensables à la bonne princesse, Christine de Pizan concentre ses recommandations sur le rôle dintermédiaire et surtout de pacificatrice, directement greffé à la vertu, centrale, de charité. Sa construction en elle-même relève de la volonté argumentative du propos, et la conclusion quelle y apporte sert mieux encore la défense proposée dune qualité érigée comme essentielle, mais aussi naturelle justement. Le pouvoir de la dame comme médiatrice de paix prend dailleurs ici un caractère formel par sa portée permanente. Reprisde la Cité des Dames, lexemple de la reine Blanche de Castille conforte limportance conférée à ce modèle de comportement atypique29. Le lien qui sopère avec le projet de La Cité des Dames, celui détablir une communauté de femmes de grande qualité, renforce ce pouvoir pour le moins original. Il sintègre ainsi dans la défense que mène Christine de Pizan du pouvoir pacificateur de la princesse, valorisé comme relevant du droit office, cest-à-dire du juste devoir, de la sagesse et de la bonté de la dame. Le doublet synonymique paix et concorde souligne lobjectif visé, déviter la guerre et les inconvénients quelle occasionne. Christine de Pizan et ses contemporains ne les connaissent que trop bien dans le cadre de la longue et sanglante guerre de Cent Ans et des conflits intestins qui marquent le royaume de France. La concentration sur la communauté féminine sexplique évidemment par le contexte dénonciation de ce conseil, dans un miroir aux dames. Mais Christine de Pizan justifie aussi lorientation féminine de ce pouvoir en regard de la théorie galénique des humeurs. Élaboré par le physicien grec du iie siècle, Galien, le modèle humoral sert en grande partie de socle à la médecine médiévale qui conçoit la santé comme le résultat dun équilibre entre quatre humeurs. Lêtre humain sy envisage selon divers tempéraments, qui éclairent une distinction entre hommes, considérés comme chauds et secs, et femmes, vues comme froides et humides. Cest donc à une tradition bien établie que Christine de Pizan fait écho pour légitimer le pouvoir pacificateur de la femme, naturellement disposée à la douceur, à la paix, mais aussi, ce faisant, à linsuffler aux hommes. À ce niveau aussi, Le Livre des Trois Vertus joue 533dun mélange de respect des traditions en place et dinfimes décalages permettant linnovation, en loccurrence celle dun pouvoir féminin. Cette dynamique de légitimation du pouvoir quelle accorde aux femmes se poursuit avec la référence quelle propose aux Proverbes de Salomon, autorité incontournable de la sagesse médiévale, pour le construire en association aux qualités féminines de la douceur et de lhumilité. La comparaison qui clôture ce passage recourt encore à lunivers naturel déjà convoqué par la référence galénique pour asseoir le pouvoir de leau, de lhumide, de la femme donc, sur la chaleur du feu, ou celle de lhomme. Ainsi, le pouvoir accordé de manière exceptionnelle aux femmes se fonde dans la naturalité même de la distinction des genres au Moyen Âge, sur des autorités et des modèles irréprochables, sur une tradition bien établie, tout en sen distançant résolument pour reconnaître un rôle à part entière des femmes, bien éloigné de ceux qui leur sont en général attribués. La reconsidération de la nature féminine sous-tend une défense plus globale des qualités féminines fondées sur la rationalité et la capacité des femmes également pour intervenir sur la scène sociale. De manière assez logique, la valorisation de la gent féminine saccompagne de prescriptions plus fermes encore quant au comportement à adopter pour la garantir. Il sagit là dun mouvement similaire à celui qui a marqué lacceptation de linstance affective, louée à condition quelle fasse lobjet dun contrôle strict30. Dans une application parfaite des codes du miroir aux princes tel que le présente en particulier Gilles de Rome, lexercice dune forme de gouvernement – dans léducation des enfants, dans les relations avec lépoux et plus largement –, implique avant tout le gouvernement de soi. Les leçons de Prudence Mondaine en offrent une illustration éclatante : la vertu que Christine de Pizan souhaite voir développée chez les femmes doit se travailler. On note une insistance sur la dimension defforts à fournir – cultivée tout au long du traité –, mais aussi la diversité des recommandations pour y parvenir. Ainsi, le chapitre que nous présentions consacré aux vertus générales que la dame doit cultiver évoque aussi bien lhumilité, que la patience ou la charité, quand elle ne se conjugue pas en médiation pacificatrice. Ces efforts de contrôle portent, sans grande surprise, sur linstance 534émotionnelle et ses manifestations, scrutées pour la révélation quelles peuvent en induire. Elles trouvent une place essentielle dans ce manuel de comportement féminin atypique, détaché des ambitions habituelles de ces traités fondés sur les qualités intérieures des femmes exclues, ou presque, de la sphère sociale. Christine de Pizan ne fonde pas ses conseils dans une perspective intime, centrée sur la vertu religieuse des dames, telle quelle sillustre dans la plupart des autres miroirs aux dames, mais plutôt dans une logique sociétale. Elle laffirme dès le chapitre dédié aux deux voies de vie sainte présentées par les Trois Vertus, contemplative et active. Christine de Pizan y reconnaît bien sûr la plus grande qualité de la voie contemplative, mais défend surtout la voie active et y dessine un juste milieu, qui porte lensemble de ses recommandations31. Elles se trouvent animées par cet appel incessant à la mesure, en accord avec la tradition attestée des codes émotionnels. La concentration sur la sphère sociale singularise plus encore le traité, dédié au bien féminin en soi, construit sur les qualités rationnelles et sur laccès quelles offrent aux interventions sociales des femmes. Limportance accordée aux conseils de Prudence Mondaine joue de cette dynamique particulière, qui nous semblait justifier ce chapitre spécifique de nos analyses, plus encore car ils concentrent la plupart des conseils qui touchent aux jeux émotionnels. En-dehors de toute considération uniquement amoureuse ou religieuse, même si nous verrons quelles restent prégnantes dans la mise en place des manipulations émotionnelles, Christine de Pizan construit un nouveau mode de jeu des émotions, dans cet univers à portée politique conjugué au féminin.

Ce parcours parmi quelques-unes des dynamiques centrales du Livre des Trois Vertus nous permet en effet denvisager lune des plus particulières, mais fondamentales, de celles-ci, celle dun règne des apparences. La prise en compte des constructions stylistiques, de loriginalité de la posture de Christine de Pizan mêlée au sens très traditionnel quelle maintient dans ses argumentations, du rapport quelle entretient au genre du miroir et à la notion de gouvernement nous permet déclairer la suite de notre propos. Nous souhaiterions nous concentrer, dans le cadre du jeu émotionnel qui fait lobjet de notre analyse, sur les particularités des lignes comportementales dictées par Christine de Pizan. La défense 535de la cause féminine inscrite à la fois en écho et en décalage avec la tradition promeut de manière presque obsessionnelle la sphère visible des conseils donnés. À de très nombreuses reprises est mise en lumière et revendiquée « cette universelle nécessité du paraître32 » qui imprègne la société, et qui simpose plus encore pour les femmes. Cest dans ce contexte que senvisage la maîtrise émotionnelle des dames, dans une logique demblée ludique, manipulatrice en tout cas. Ce dernier volet de nos analyses nous invite ainsi à renouer avec lidéal de garde inscrit dans une dynamique de tempérance cruciale dans léthique médiévale, plus encore dans la sphère publique. Christine de Pizan en exacerbe la portée pour lensemble des femmes et vient ainsi remettre en exergue toute limportance des apparences dans les injonctions de contrôle de soi. Cette concentration sur le semblant de la mesure émotionnelle ne peut échapper à lhéritage de Faux Semblant. Il paraît la renforcer, mais bien sûr aussi la nuancer. La défense quen fait Christine de Pizan se veut donc plus implacable, fondée autant sur la restauration que sur une orientation notable de lidéal de concordance entre intérieur et extérieur. En cherchant à évacuer lambiguïté du Roman de la Rose, elle renoue avec la tension des semblants émotionnels. En promouvant la qualité des apparences comme reflet de lintériorité, elle en vient à les favoriser sur les émotions quelles sont supposées signifier, voire à les en dissocier. De manière intéressante, ce décalage vient une fois de plus toucher aux émotions les plus fondamentales de la dévotion et de lamour. Christine de Pizan fait preuve dune conscience aigüe des limites de sa démarche et cherche donc à la légitimer au cœur de cette morale de lintention à laquelle elle donne une force particulière en la conjuguant à ses objectifs de défense de la gent féminine projetée sur la scène sociale.

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Du maintien de soi
au maintien des apparences

Lidéal de garde, dont nous avons pu observer la prégnance dans toutes les dynamiques du jeu des émotions, se décline ainsi avant tout sur les apparences sous la plume de Christine de Pizan. Cette concentration sobserve en particulier dans les enseignements de Prudence Mondaine, révélateurs de lorientation politique qui lanime. Sils cherchent à circonscrire lensemble des relations de la dame, des plus aux moins intimes, toutes sont investies en regard des enjeux de visibilité dont Prudence Mondaine les pare. Christine de Pizan nen perd pas moins de vue la tradition des feeling rules médiévales dans son exposé des règles comportementales quelle livre aux femmes. Dans la ligne dinfluence offerte par le genre du miroir, elle érige le juste milieu aristotélicien en valeur maîtresse de son traité. Les enseignements de Prudence Mondaine sont très propices au développement de cette éthique de la modération que nous y voyons se dessiner en accord avec les codes émotionnels bien établis au Moyen Âge. Mais déjà en amont, Christine de Pizan vante le « moyen », au gré de la justification que nous évoquions du choix à poser entre voie contemplative et voie active :

Si nest point de doubte que Dieu veult estre servi de gens de touz estas, et en chascun estat on se puet sauver qui veult. Et lestat ne fait mie le dampnement, mais nen savoir user sagement, cest ce qui dampne la creature. Pour ce, en conclusion, je voy bien que puisque je ne me sens de tel force que puisse du tout en tout eslire et suivre lune des deux susdictes voyes, je mettray peine a tout le moins de tenir le moyen, si comme saint Pol le conseille, et prendray de lune et de lautre vie selon ma possibilité le plus que je pourray33.

Ce chapitre introductif dans le développement des conseils des Trois Vertus met déjà en lumière le rôle des circonstances, de lapplication sage et de lestimation conçue sur la raison quelle nécessite, et surtout le bienfondé du moyen. La référence à saint Paul est intéressante : Charity Cannon Willard évoque la Première Épître aux Corinthiens ou les Actes des Apôtres pour étayer cette allusion. Or, ces deux versets traitent moins 537dun éventuel juste milieu valorisé par saint Paul que de la voie de Dieu quil entend recommander : « aemulamini autem charismata maiora et adhuc excellentiorem viam vobis demonstro » (Première Épître aux Corinthiens XII, 31) et « hic ergo coepit fiducialiter agere in synagoga quem cum audissent Priscilla et Aquila adsumpserunt eum et diligentius exposuerunt ei viam Dei » (Actes des Apôtres, XVIII, 26). Lemphase commune sur la via, par excellence ou de Dieu, semble dicter le rapprochement entre ces deux passages proposé par léditrice dans son identification de la source de Christine de Pizan. Mais on observe un déplacement, dans la formulation qui rapproche la référence à saint Paul de la mention du moyen, dune concentration sur la voie à suivre vers des considérations liées à la théorie du juste milieu mise en lumière. Cette association dénote de lorientation de la théologie morale vers la sphère sociale animée par des impératifs aristocratiques de bienséance. Cet appel se présente, de manière remarquable, à la première personne du singulier, dans une prise en charge du discours par lauteure directement. Dans une logique presque métonymique, émerge ainsi la philosophie de vie promue par la bonne princesse. Sainte Information la justifie elle-même et permet donc la mise en place de cet éloge de la mesure aristocratique dans le cadre chrétien. Christine de Pizan sinscrit ainsi dans la tradition de bon nombre de manuels de comportement avant le sien, selon le modèle aristotélicien et les nuances déjà observées au gré du chapitre que nous avons dédié à cette vertu centrale de garde.

Cest au cœur des enseignements de Prudence Mondaine que lappel au moyen est le plus explicite. Le nom même de cette cinquième figure allégorique atteste ce souci de réorientation de la théologie morale. La vertu de Prudence se décline ainsi avant tout dans lunivers social par sa qualification de Mondaine. La teneur de ses leçons se veut aussi significative de cette concentration sur les paramètres sociaux de la vie de la princesse. Dès leur introduction, la retenue est vantée et étendue à la retenue de tout excès. À lissue dun exposé très complet des raisons de valoriser la bonne renommée – révélateur dans la dynamique de favorisation de lhonneur féminin et de sa portée mondaine –, Prudence Mondaine insiste sur les vertus de chasteté, mais dabord de « sobrece », de tempérance, de modération, de sobriété, de retenue et de discrétion donc, selon un sémantisme qui témoigne de limportance de cette vertu au Moyen Âge34. Prudence Mondaine insiste dailleurs sur la primauté 538de la sobrece en même temps que sur la diversité de son champ daction, dans une nouvelle insistance sur son étendue et sa richesse : « Ycelle sobrece, qui est la premiere, ne sestendra pas seulement en boire ne en mengier, mais en toutes aultres choses esquelles elle pourra servir et restraindre et abaicier superfluitéz35 ». La dimension émotionnelle nest pas demblée incluse dans cette réflexion, mais elle envisage déjà les aspects sensuels, en lien avec la vertu de chasteté dont léloge suit directement. La modération sapplique ainsi au boire et au manger – selon la définition plus restrictive de la sobriété que lon retrouve notamment chez Thomas dAquin selon lautorité de lEcclésiaste36 –, mais aussi ensuite au sommeil, à la gestion financière, à la tenue, aux sens, à la parole, au rire, à la médisance et elle doit également intégrer lenseignement que la princesse apporte à ses suivantes37. Les précisions liées au rire, et plus largement aux mouvements du corps ou du visage sont remarquables. Elles sintègrent en outre dans un nouveau volet de la présentation donnée de la vertu de modération, introduit par la voix ainsi dédoublée – comme pour exacerber limportance de leur message – de Prudence Mondaine et de Sobrece : « Prudence et Sobrece apprendront a la dame a avoir parler ordonné et sage eloquence, non pas mignote mais rassise, coye et assez basse, a beaulz traiz, sans faire mouvemens des mains, du corps, ne grimaces du visage ; la gardera de trop rire, et non sans cause38 ». Laccumulation des qualificatifs relatifs à la parole atteste limportance accordée à cette question par Christine de Pizan. Les adjectifs ordonné, présenté dans un doublet révélateur avec sage, mais aussi rassise, coye et basse mettent en lumière les qualités de la bonne éloquence fondée sur lordre et la discrétion. Mais ce sont bien sûr les critères liés à la sphère corporelle qui nous intéressent surtout. Selon une association éclairante, la retenue et une certaine forme desthétique sallient. Dans la portée sociale obsessionnelle qui façonne le manuel de comportement des Trois Vertus, la bienséance fondamentale dans le principe de garde gagne en importance pour composer une éthique devenue esthétique. Dans cette logique, lextériorisation quimplique le 539corps est grandement investie. La place quy prennent les gestes comme signes de lintériorité se conçoit de manière évidente dans le contexte social qui y est dépeint avec tant de minutie. Liliane Dulac met en exergue les enjeux de la problématique gestuelle dans lunivers :

En effet dans la vie sociale, le geste naturel est dangereux : il dénonce et trahit ce quil faut dissimuler. Dautre part ce signe tend à devenir conventionnel, puisquon peut le répertorier et le codifier (cest le rôle de la physiognomonie), et il se prête au mensonge, puisquon peut limiter et lexagérer. Lessentiel de la comédie humaine réside dans ces variations infinies39.

Leur pouvoir de révélation les pose au cœur de lattention dans les manuels de comportement et dans celui de Christine de Pizan en particulier. Davantage que dans tout autre miroir aux dames, lapprentissage des signes équivaut à lapprentissage moral en soi40, les leçons de Prudence Mondaine sont explicites de cette tendance. Une rupture sopère dans la naturalité supposée du geste, selon une dynamique que nous avons déjà pu mettre en lumière dans la manifestation émotionnelle. Pour le risque de trahison quil induit, le geste doit être maîtrisé, voire simulé. La concentration que Prudence Mondaine présente sur les données extérieures de la maîtrise de soi quimplique lexercice de la sobrece est révélatrice de cette compréhension de lidéal de garde fondé sur les apparences. La suite de sa présentation va dans le même sens : « Ceste dicte Sobrece se demonstrera en tous les sens de la dame aussi bien que es fais et habiz par dehors41 ». Un lien semble se tisser entre les sens, le sens moral, le jugement ou lavis, mais aussi et avant tout bien sûr les instincts sensuels42, et les faits et habits, qui relèvent de la visibilité desdits sens, plus encore avec la précision par dehors. On perçoit ainsi déjà la logique dans laquelle se construisent les enseignements de Prudence Mondaine. Les sens, et les émotions quils impliquent, doivent faire lobjet dun contrôle strict centré sur les apparences qui peuvent en être livrées. Émerge un code de conduite fondé sur lapparence, valorisée en considération de la scène sociale sur laquelle la dame évolue, davantage que sur des qualités envisagées dans labsolu.

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De manière peut-être paradoxale mais dautant plus pertinente, les premiers signes de cette concentration sur les paramètres extérieurs du comportement à adopter sont suivis dune défense rigoureuse de la vertu de vérité. Dans la logique dinsistance sur lordre impératif de la parole pour assurer la bienséance et donc la renommée de la dame, émerge la question du mensonge :

Avec ceste Sobrece corrigera tellement et ordonnera la bouche et le parler de la dame que elle la gardera principalment de trop parler, qui est moult messeant chose a haulte dame, voire a toute femme de value ; luy fera haïr de tout son cuer le vice de mençonge et amer verité, laquelle sera tant acoustumeement en sa bouche que on croira ce que elle dira, et y adjoustera len foy comme a celle que on nourra jamais mentir, laquelle dicte vertu de verité affiert plus en bouche de princes et de princepces que autre gent pour ce que il apertient que on les croye ; luy deffendra que elle ne dye parole, par especial en lieu ou elle puist estre pesee ou raportee que elle nait avant bien examinee43.

Selon un élargissement de point de vue fréquent quand il sagit dune qualité considérée comme primordiale, il nest plus seulement question de la princesse à laquelle Prudence Mondaine adresse ses conseils, mais même de toute femme de value ou encore des princes aussi concernés par cet appel à la vertu de verité. Lemphase mise sur le goût dont doit témoigner la dame pour la vérité dans sa bouche avant tout semblerait presque annoncer le fossé qui va simmiscer entre données extérieures et sincérité à proprement parler. Nous verrons que ce culte de la vérité présente des limites une fois confronté à celui des apparences à maintenir sur la scène sociale. Dailleurs, la vérité est envisagée de manière déjà révélatrice des manipulations auxquelles Christine de Pizan procèdera autour de cette notion : cest la réputation de la dame qui est posée au cœur de ce conseil. Plus encore, elle se conçoit selon le lieu dans lequel elle peut être jugée, sur la scène sociale donc. La concentration sur la bouche en particulier comme voie dexpression de la vérité participe de cette orientation sociale de la vertu de vérité comprise dans la crainte de la médisance. La fin du passage en est significative, autant que des dérives quelle peut occasionner. Linscription sociale de la vérité vient impliquer un impératif de bienséance : il affiert, il convient et est nécessaire44, que 541les princes et princesses la cultivent. Il illustre la collusion des enjeux de maîtrise et de sincérité que Christine de Pizan paraît tenter de recombiner après la rupture opérée par Faux Semblant dans lun au nom de lautre. Pareille construction de léloge de la vérité semble en effet se prémunir des dérives quelle pourrait connaître et des critiques quelle pourrait occasionner, avec le spectre du faux moine de Jean de Meun inscrit en toile de fond. La précision finale liée à la réflexion que doit mener la princesse avant de rompre les codes de vérité témoigne encore du pouvoir rationnel qui lui est reconnu, qui lui permet dévaluer les dangers quelle encourt. Au-delà de ces nuances qui semblent déjà annoncer le traitement ambigu réservé à la vérité, une logique dopposition transparaît, selon une stratégie discursive fréquente dans Le Livre des Trois Vertus, entre mensonge à haïr et vérité à aimer, aux définitions rendues ainsi bien plus strictes quelles ne le seront ensuite.

Ce passage le sous-entend déjà, la vertu de vérité se confronte dans le Livre des Trois Vertus à lidéal de mesure centré sur laspect extérieur de la dame. Cette tension apparaît même dans un chapitre révélateur de son importance, celui dédié aux dames de religion en clôture du deuxième livre :

La .ve. vertu qui a religieuse apertient est solicitude ou diligence, et pour mieulx declairier que elle leur soit convenable, sans que nous querions autres preuves de ceste vertu, dist saint Jerome, Sur le psaultier : Vainc, dist il, et suppedite nature par vertueuse diligence, afin que les haulz biens ne te soient empechiéz, – cest que tu faces tant que tu maistrises meismes sommeil corporel et tous tes sens, lesquelles choses tu puez faire par diligence ; car meismes nature puet estre maistresse[e] et domptee par celle vertu, cest a dire par grant cure de vouloir atteindre a gouverner selon lesperit son propre corps, lesquelles choses sont neccessaires a bonne religieuse45.

En-dehors de toute considération sociale induite par les enseignements de Prudence Mondaine, on retrouve cet idéal de mesure. De manière dautant plus exceptionnelle, il nest pas même question de la bonne dame, mais de la bonne religieuse, une déclinaison unique au sein du Livre des Trois Vertus qui vise une adresse générale à la gent féminine. Surtout, nous lavons évoqué, il considère plus volontiers ses ressorts sociaux que spirituels. Pareille inscription de la vertu de maîtrise de soi 542parmi celles de la dame religieuse en révèle mieux encore limportance, qui renoue avec la tradition de la théologie morale. Christine de Pizan valorise tour à tour les vertus dobéissance, dhumilité, de sobriété, de patience, de sollicitude, de chasteté, de concorde et de bienveillance46, selon une présentation ordonnée adoptée tout au long des deuxième et troisième livres dans une volonté de clarté et dadaptation évidente. La sollicitude, cest-à-dire le soin apporté ou la préoccupation47, se dédouble avec la diligence qui vient en souligner la dimension zélée et limportance en termes defforts à fournir48, une autre obsession du Livre des Trois Vertus. Mais la diligence soriente aussi au gré de lappui proposé sur Le psautier de saint Jérôme pour la légitimer. Elle se concentre sur le soin spécifique de vaincre la nature à laquelle sont associés les sens. Le gouvernement du corps se conçoit dans la force de cette vertu et de lesprit. Christine de Pizan repense ainsi le lien entre corps et esprit et réaffirme la dimension cognitive essentielle dans le processus de contrôle du corps. Cette présentation spécifique de la vertu de sollicitude témoigne de limportance accordée au maintien du corps, selon une tendance déjà connue bien sûr, mais dans une plus grande mesure encore peut-être. La volonté généralisante du manuel de comportement quoffre Christine de Pizan à lensemble de la communauté féminine induit une application absolue de lidéal de garde, déclinée dans sa dynamique extérieure de préservation de lhonneur pour toutes les femmes.

Lenjeu que représente lhonneur féminin au cœur des prescriptions de maintien de soi et des apparences en particulier trouve ainsi un écho intéressant dans les recommandations destinées aux femmes de religion. Mais il se veut surtout essentiel sur la scène publique envisagée dans les enseignements de Prudence Mondaine que nous aimerions analyser de manière plus globale et précise. À lissue de son exposé introductif, elle organise ses enseignements en sept volets, selon les publics qui y sont visés. Elle commence bien sûr par la relation au mari, centrale dans tous les manuels de comportement féminin. Le Mesnagier de Paris lillustre bien, puisquil y dédie cinq des neuf articles de sa première distinction, qui occupent ainsi sa plus grande partie49. Christine de Pizan se détache 543néanmoins déjà de la tradition en la matière en soulignant davantage les qualités de la dame qui prend soin de son mari, de son âme, de son corps et de ses relations que celle dobéissance, la plus vantée dans Le Mesnagier de Paris. Réapparaît ainsi la possibilité pour la dame dagir à proprement parler, selon le pouvoir rationnel que lui accorde et même lui défend Christine de Pizan. Elle insiste aussi beaucoup sur lamour que doit porter la dame à son époux. Il sagit dune revendication cruciale de Christine de Pizan, animée par la foi quelle porte dans laffection et le bonheur conjugal. Elle démontre ce faisant limportance quelle confère à linvestissement émotionnel des relations humaines. Mais de manière intéressante, cet appel à lamour se consacre avant tout à sa visibilité. Lamour doit dabord se manifester dans lagrément quoffre la dame à son mari et dans le plaisir quelle doit lui témoigner de sa compagnie : « le verra le plus sovent que elle pourra, et du veoir sera tres joyeuse50 ». Il est intéressant que les émotions soient demblée incluses dans la relation conjugale ainsi dépeinte. Mais Christine de Pizan va rapidement plus loin dans son insistance sur lapparence qui doit surtout en être donnée :

Et quant elle sera vers lui, dira a son pouoir toutes choses qui plaire lui pourront, et a joyeux visage se contendra. Mais pour ce que aucunes nous pourroient par aventure ycy respondre que nous comptons sans rabatre – cest assavoir que nous disons a toutes fins que les dames doivent tant amer leurs seigneurs et en monstrer les signes, mais nous ne parlons mie se tous desservent vers leurs femmes que on leur doye ainsi faire, pour ce que on scet bien que il en est de telz qui se portent vers elles tres felonnessement et sans signe de nulle amour, ou bien petite – si respondons a ycelles que nostre doctrine en ceste presente oeuvre ne sadrece pas aux hommes, quoy que il fust besoing a tout plein que bien fussent endoctrinéz51.

Lobjectif de plaire au mari est plus explicite dans lintroduction de ce passage, tout comme la donnée physique de lémotion. Davantage quêtre joyeuse, la dame doit se contenir a joyeux visage. Lidée de limitation que véhicule le sémantisme du verbe contenir renforce la dimension de comportement retenu préconisé52, mais cest surtout la dimension apparente qui est soulignée : cest le visage plutôt que la dame elle-même 544qui est qualifié de joyeux cette fois. De manière frappante, cet intérêt pour la manifestation émotionnelle se poursuit au gré dune anticipation déventuelles critiques, assez régulière dans Le Livre des Trois Vertus. Il sagit dailleurs là dun souci similaire à celui dont faisait preuve Jean de Meun lui-même dans lapologie quil livrait de son œuvre. Dans son cas comme dans celui de Prudence Mondaine, il est question de justifier les dérives sous-entendues autour de la pratique émotionnelle. Les justifications de Prudence Mondaine redoublent dintérêt dans ce cas. Elle introduit le plus souvent des remarques de ce type dans lidée de prévenir le regard masculin qui pourrait être porté sur les défenses féminines quelle propose. Ici au contraire, ce sont les critiques féminines quelle devance en considérant le caractère potentiellement peu méritoire des hommes auxquels les épouses doivent faire bonne figure. Dans une posture qui atteste sûrement de la manière la plus éclatante loriginalité du traité, Christine de Pizan révèle linjustice de ces manuels de comportement des épouses idéales, sans aucune prise en compte du propre comportement du mari auquel la femme doit se dédier. Elle le fait cependant de manière subtile, en profitant de loccasion pour préciser une nouvelle fois son adresse spécifique aux femmes, tout en soulignant lintérêt, le besoing même, de proposer de tels enseignements aussi aux hommes. Lentremêlement des enseignements délivrés aux femmes et de ceux qui devraient lêtre aux hommes semble assez ironique. Il se veut en tout cas révélateur du combat mené pour la cause féminine. Mais la nuance centrale entre hommes et femmes dans cette critique ne réside pas tant du côté de lenseignement proposé que de lexpression émotionnelle. Le manque de mérite se concentre ainsi dans le manque de signe damour offert aux femmes par leur époux, alors que les femmes sont, elles, soumises au devoir de les aimer et de leur en monstrer les signes. La question de la manifestation de lamour de la part des hommes occupe une place importante dans la réflexion menée par Christine de Pizan autour des relations entre les deux sexes. Lhypocrisie masculine, telle quelle transparaissait dans les conseils de lAmi ou dans les condamnations de la Vieille dans le Roman de la Rose53, irrigue les œuvres de Christine de Pizan qui la mettent en 545lumière et la dénoncent. Mais elle inspire aussi des remarques liées non plus à la fausseté de leurs expressions amoureuses, mais à leur faiblesse. On touche ainsi à lambiguïté de lexpression émotionnelle, qui entraîne le risque de lhypocrisie, mais reste indispensable selon sa double injonction de mesure et de sincérité. Bien consciente des dérives engendrées par ce régime ambigu de lémotionologie, Christine de Pizan cherche à en vanter une forme épurée. Elle tente den gommer le flou dans une valorisation de la sincérité ou, du moins, dans un appel ferme à lexpression autant bienséante quhonnête, par contraste avec les excès de la manifestation émotionnelle malhonnête ou trop tue. Nous verrons cependant quil semble sagir là dune répartition stricte propre à la gent masculine, les choses se compliquant encore sur le versant féminin. Lappel à lextériorisation émotionnelle des femmes est cependant aussi renforcé ce faisant, au cœur dune double valorisation des femmes. Au contraire des hommes trop peu instruits de cet impératif, elles sont, elles, endoctrinéz en la matière, mais aussi capables de faire signe de leur amour, selon un double jeu dinversions. Prudence Mondaine continue à jouer sur ce contraste. Elle poursuit sa réflexion autour des époux indignes et de lattitude quelle prescrit à leurs conjointes malgré tout. Une fois encore, Christine de Pizan construit avec subtilité la défense quelle livre de la cause féminine. Elle profite de lincise quelle introduit afin de spécifier le public de sa recommandation pour défendre sa position :

Et pour ce que nous parlons aux femmes tant seulement, tendons pour leur prouffit a enseignier les remedes qui peuent estre a eschiver deshonneur, et donner bon conseil de suivre droicte voye, qui que face le contraire, et de faire du bien et du mal leur proufit. Et pour ce, posons que le mary fust de merveilleuses meurs, pervers, rude, mal amoreux vers sa femme, de quelque estat quil fust, ou desvoyé en amours de aultre femme ou de plusieurs : la voit on le sens et la prudence de la sage femme, qui que elle soit, quant elle scet tout ce supporter et dissimuler saigement sans faire semblant que elle sen aperçoive et que elle nen scet riens, voire, sil est ainsi que elle ny peust mettre remede ; car elle se pensera comme saige : se tu lui disoyes rudement, tu ny gaingneroyes riens, et sil ten menoit male vie, tu poindroies contre laguillon ; il tesloingneroit par aventure, et tant plus les gens sen moqueroient, et croistroit la honte et le diffame, et ten pourroit encore estre de pis. Il faut que tu muires et vives avec lui, quel quil soit54.

546

Lemphase, répétée, sur le profit pour les femmes de suivre ces enseignements est révélatrice de lambition de Christine de Pizan. Ainsi, la précision quant aux enseignements masculins qui seraient nécessaires lui sert de tremplin à une nouvelle affirmation de lobjectif résolument original quelle sest fixé. Dans son insistance sur la question, elle emploie à loccasion ladjectif « propice55 » pour qualifier lutilité de ses enseignements. Son double sémantisme témoigne bien du passage effectué de la convenance, cest-à-dire du caractère adapté et approprié, au profit à proprement parler56. Il permet également une légère orientation du propos en soulignant le souhait, davantage que de rechercher lhonneur, déviter le déshonneur. La nuance est infime bien sûr, mais la suite du passage semble se présenter, dans cette lignée, surtout comme un manuel desquive. Considérant plus avant les défauts dun mari peu aimant, ou même rude ou infidèle, Prudence Mondaine recommande néanmoins à la dame de supporter sa situation avec philosophie. Loin de toute convenance pure, la justification qui y est apportée sinscrit dans le sens du profit de la dame. Elle oppose la rudesse du mari à celle, potentielle et déconseillée, de la dame, qui ny trouverait rien à gagner. Lidée du gain se mêle ainsi à celle du profit, selon une image instillée tout au long du traité dans une double perspective concrète et symbolique. Surtout, laccent est bien mis sur les conséquences négatives pour la dame qui ne saccorde pas à ce conseil, dans une cascade de causes à effets qui conduit à la honte, et au déshonneur à esquiver. Le risque quil comporte est souligné par la juxtaposition des verbes au conditionnel qui en marque encore laccumulation. Lattitude préconisée est également valorisée comme relevant du sens et de la prudence, selon une tendance inscrite dans la tradition bien établie de défense de la garde. Elle se trouve néanmoins réinvestie à laune du profit qui peut en être fait. Surtout, la sagesse et la prudence en question sont louées en ceci quelles sont rendues visibles, quon les voit. Il sagit là dune précision intéressante, qui atteste encore limportance de la démonstration des vertus, mais aussi des émotions qui y sont intégrées. Cependant, ici, davantage que de rendre visible lamour, il convient justement pour la dame de dissimuler quelle a conscience des torts de son mari. La dynamique de jeu 547est intéressante. Elle reconditionne le jeu dédoublé de dissimulation de la simulation ou de simulation qui vise à renforcer la dissimulation. Ici, il faut dissimuler la dissimulation. La formulation rend compte de linsistance portée sur cette question par lagglutination du verbe dissimuler, directement associé à celui de supporter, en bon indice du lien tissé entre lun et lautre, et du syntagme sans faire semblant. Prudence Mondaine souligne la sagesse dune telle attitude, par ladverbe saigement et par la qualification de la dame comme sage. Une fois de plus, Christine de Pizan joue avec la tradition de valorisation dune telle démarche. Elle se réapproprie léloge du bon sens de la dissimulation, qui, on la vu, savère surtout courante dans la veine amoureuse. Létiquette de sage ne va pas sans évoquer celle des amants que Drouart la Vache loue pour leur discrétion, tout comme ladverbe saigement qui sert alors à célébrer lacte de couvrir lamour57. Or, ici, il nest plus question de dissimuler lamour, mais le défaut du mari et, ainsi peut-être, labsence damour, bien compréhensible, à son égard. On assiste, sans quaucun doute ne plane sur le bienfondé de la démarche, à une première espèce de manipulation du semblant. En appelant à la dissimulation de la connaissance des torts de lépoux, on peut bien sûr deviner celle de la colère qui y serait liée et dune réaction rude qui serait critiquable. De la maîtrise pure de soi, on en passe ainsi à la dissimulation, selon une transition constitutive : « Dissimuler ses sentiments constitue la maistrise de soi à laquelle toute princesse doit aspirer58 ». Le passage de lune à lautre est frappant, présenté de manière fluide et presque logique dans Le Livre des Trois Vertus. Il atteste limportance conférée aux émotions et à leur apparence dans le manuel de comportement et dans lidéal de mesure qui sy inscrit de manière traditionnelle. Christine de Pizan en rejoue la partition usuelle, pour la détourner de ses défauts initiaux, mais surtout pour linscrire dans ses propres objectifs. La réappropriation dune sagesse qui se veut avant tout amoureuse, avec les limites et les dérives qua pu en présenter Faux Semblant, participe de cette démarche. La 548concentration quelle implique sur les émotions et les qualités visibles de la dame témoigne aussi de sa volonté den faire léloge en-dehors de la seule sphère religieuse et intérieure toujours considérée à son endroit. La sagesse repose plus que jamais sur les apparences dans cette réflexion éminemment sociale que Christine de Pizan dédie à lhonneur féminin. Elle offre ainsi une véritable « grammaire du paraître59 » élaborée au gré du manuel de comportement des Trois Vertus.

Le comportement à adopter vis-à-vis des beaux-parents sinscrit dans la même dynamique de visibilité : il est essentiel de faire preuve de lamour et de lhonneur quil convient de leur porter. Christine de Pizan le souligne dès lintroduction de ce deuxième conseil de Prudence Mondaine :

Le second point et enseignement que Prudence demonstre a la princepce et generaument a toute femme, est que se elle a chiere honneur, par quoy bien vueille que on sache que bien aime son mary, si que dit est cy devant, elle aimera et honnourera les parens de son seigneur, et le demonstrera en tel maniere : elle leur fera honneur et tres bonne chiere de toutes pars que ilz venront60

Limpératif dextériorisation semble explicite : il est demblée question de lamour que lon doit savoir quelle porte à son mari. Il sagit là dune belle confirmation de lobjet des recommandations précédentes de Prudence Mondaine, centrées sur la manifestation émotionnelle, plus que sur lémotion en soi, à offrir à lépoux. On note en outre la dynamique cognitive qui empreint lobjectif de cette manifestation. Elle revêt une dimension stratégique et ainsi un pouvoir symbolique fort. Pareillement, lamour et lhonneur portés à ses beaux-parents doivent être démontrés. Lhonneur en question doit être fait, de la même manière quon insiste sur lapparence joyeuse quelle doit leur offrir, avec cette formule, très fréquente, de faire bonne chiere. Lhomonymie du terme chiere comme visage ou comme adjectif de valorisation, dans loccurrence présentée au début du passage, permet de rapprocher le visage de lhonneur, dans une belle 549démonstration des enjeux des apparences émotionnelles. Comme dans le cas du mari dont Prudence Mondaine veille à envisager les défauts, il est aussi question des situations plus complexes dans lesquelles il faut appliquer ces conseils de bonne figure :

Supposé ore quelle sceust quil y en eust de mauvais, si leur fera elle bonne chiere : la cause si est pour ce que elle ne les pourroit faire estre bons, ne aussi par aventure empeschier ne destourner lamour et la hantise que son seigneur y a ; si ne seroit que riote et noise selle leur monstroit mauvais semblant et acquerroit tant plus danemis, et si diroit on que voirement est il vray que femme naimera ja personne que son mary aime. Si en est la verité que se elle scet que son seigneur soit enclin a la croire, et elle soit certaine que yceulz soient vicieux et mauvais et que mal en fait ou en meurs puisse venir a son dit seigneur par les hanter, elle lui dira et monstrera a part coyement et doulcement, ou fera dire. Et de tenir ces manieres son dit seigneur lui saura tres bon gré ; aura la grace et benivolence de ses parens – qui moult lui pourra valoir et garder de mains aultres perilz et encombriers –, et plus seure sera quant elle aura la faveur des parens de son seigneur, car on a veu maint mal a femmes maintes fois par les parens de leurs maris. Et cestuy signe, avec les autres, donra plus grant certificacion de lamour et loyaulté quelle a a son seigneur61.

Comme dans sa précédente leçon, Prudence Mondaine associe la conscience du mauvais fond des proches et la nécessité de leur faire bonne chiere. Le jeu est explicite dans ce sens : il convient de simuler pour mieux dissimuler. La formule même de faire bonne chiere témoigne de la dimension active de lémotion manifestée, voire de sa portée ludique, nous avons déjà pu le souligner. Prudence Mondaine veille à la légitimer. Elle fournit une ample justification de lutilité de la démarche, par une démonstration très précise des conséquences négatives encourues surtout. Limportance accordée à la préservation des apparences est limpide ce faisant. Au-delà de lappel à fairebonne chiere, Christine de Pizan insiste sur linutilité de leur monstrer mauvais semblant, dans une autre formule révélatrice de la dynamique extérieure de lémotion impliquée. Le jeu se dédouble ce faisant, dans deux manipulations inversées et ainsi équivalentes qui mettent en lumière lenjeu de bienséance qui reste au cœur du jeu émotionnel. Le lien tissé avec les ennemis que la dame risquerait de se faire souligne le rapport de causalité et lerreur que serait de montrer550son mécontentement. La dynamique desquive que nous avons identifiée dans ces appels à la manipulation émotionnelle se confirme ainsi dans ce nouveau chapitre. Pareille emphase sur les dangers encourus en cas de manifestation excessive démotions ne va pas sans rappeler la menace des médisants pour la communauté des amants. Lobsession du déshonneur lié à la visibilité démotions préférées cachées paraît participer de ce jeu de décalage face à la tradition amoureuse. De manière intéressante, le plus grand de ces risques tient à lamour du mari mis en péril dans ce contexte. La dégradation des relations tissées avec la belle-famille implique demblée celle de la relation matrimoniale posée au cœur du traité. Or, la solution semble elle aussi résider dans le rapport conjugal. Tout lattachement familial repose sur celui qui lie la dame à son époux. Le signe quelle en offre fonde la preuve de son affection et de sa loyauté, ce qui exacerbe bien sûr le rôle joué par les apparences. Cette qualification des indices donnés de lémotion comme signe en révèle toute limportance, liée autant à la naturalité supposée, à lextériorisation voire à lauthentification quils impliquent62. Elle témoigne aussi dune portée intentionnelle qui vient orienter le processus didentification induit dans la lecture des signes, et semble ouvrir la porte à leur manipulation. Cest dans ce sens que nous qualifierions Le Livre des Trois Vertus de manuel déducation des signes. Il implique une véritable stratégie des apparences, inscrite dans la conscience aigüe que Christine de Pizan présente des ressorts de cette société du spectacle que nous avons déjà pu mettre en exergue63. La perspective avant tout politique qui est la sienne remotive lensemble des enjeux de visibilité des émotions, même dans les plus intimes des relations envisagées. Leur équilibre se fonde sur les signes offerts des émotions qui doivent y être investies. Les émotions, et surtout leur apparence, prennent ainsi une place capitale dans ce traité de savoir-vivre, selon une tradition bien établie une fois encore, mais avec une importance exacerbée peut-être. Linsistance sur la joie à faire, le mauvais semblant à ne pas montrer indique une concentration sur la visibilité des signes émotionnels mis en lumière. 551Consciente de ce pouvoir signifiant, Christine de Pizan choisit den mettre en exergue la dynamique intentionnelle, quelle vient souligner comme pour se prémunir des dérives possibles à son endroit et mieux profiter des avantages que la dame pourrait en tirer, nous le verrons.

Le troisième enseignement, consacré à la situation des enfants de la dame, ne propose pas de telles incitations à la maîtrise extérieure davantage quen soi. Mais il y est, à de nombreuses reprises, question du « parement » que les enfants offrent à leur mère64, du signe de sa sagesse et de sa bonté que constituent les soins quelle leur procure : « si les doit bien tenir chierement, et est grant loz de dire que elle en soit soigneuse, car cest signe quelle est sage et bonne65 ». On pourrait ainsi supposer une instrumentalisation potentielle des soins en question pour parfaire son image, véhiculée par lemphase encore mise sur le signe. Les émotions que la dame doit ressentir envers ses enfants sont dailleurs peu discutées : bien sûr, Prudence Mondaine évoque lamour quelle leur porte, ainsi que la crainte quelle doit leur inspirer, mais celles-ci ne font lobjet daucun développement spécifique, pas plus que ne sont évoquées les réactions que la dame devrait avoir face à ses enfants en cas de complications telles que celles qui étaient détaillées aux deux chapitres précédents. Il va de soi que ces émotions se veulent moins problématiques, mais peut-être relèvent-elles aussi davantage de lintimité de la dame, ou du moins de relations moins exposées à la publicité de lunivers social. Il en va tout autrement dans la section suivante, puisquelle se consacre aux attitudes à adopter face aux ennemis et aux envieux, une relation compliquée en soi, qui offre le tableau le plus éclatant de ce règne des apparences.

Le titre même de ce quart enseignement de Prudence témoigne du contrôle de soi qui y est requis et de la dimension apparente quil induit : « Ci devise le quart enseignement de Prudence, qui est comment la saige princepce tendra discrete maniere meismement vers ceulx que elle saura bien qui ne laimeront pas, et qui aront envie sur elle66 ». En accord avec toute la tradition préexistante, la princesse est valorisée pour sa retenue discrète ainsi empreinte de sagesse. De manière intéressante, sa maîtrise repose sur les émotions mêmes de ses opposants. Sa propre 552réaction émotionnelle est alors posée au cœur des enjeux de ce nouveau chapitre. Elle se conçoit dans un impératif absolu de maîtrise, renforcé encore dans la transition, et le contraste, avec les chapitres précédents :

Le .iiiie. enseignement de Prudence a la saige princepce est tout dautre matiere, et tout soit il differenciéz du susdit, si nest il mie de meindre maistrise a le savoir bien conduire. Car lautre est naturel, comme ce soit chose acoustumee que toute saige mere a soing du gouvernement et de la doctrine de ses enfans, mais cestui, qui est de savoir vaincre et corrigier le propre courage et volenté de soy meismes, est chose si comme par dessus nature ; et pour ce de tant que plus est fort a faire, de tant est plus digne de recommendacion, et la personne qui bien en scet user en fait plus a louer, car cest signe de tres grant force et constance de courage, qui est entre les vertus cardinales de grant excellence67.

Ainsi, la sage princesse doit faire montre dune non meindremaitrise à lencontre de ses ennemis, justement en raison du caractère par dessus nature du comportement qui lui est ici recommandé. La nuance posée permet de rappeler la justification apportée aux interventions de la dame dans léducation de ses enfants68 ou dans les relations conflictuelles de son époux69, en raison de sa disposition naturelle à ce chapitre. On découvre ainsi un décalage, proposé de manière assez fréquente dans Le Livre des Trois Vertus, des critiques misogynes fondées sur la nature féminine à sa défense en raison de ce même argument naturel. Au-delà de la capacité à éduquer, pacifier ou se maîtriser, une autre part de la naturalité féminine est remise en question ici. Elle est souvent critiquée pour sa fausseté inhérente dans la tradition misogyne représentée avec éclat par le discours du Mari Jaloux du Roman de la Rose vilipendé dans les Epistres. Au contraire, Christine de Pizan souligne ici, par cette formule de par dessus nature, combien pareil contrôle du cœur et de la volonté de la dame savère peu conforme aux qualités féminines dont elle met ainsi en lumière lauthenticité. Surtout, elle valorise ce faisant les femmes qui sont capables de ces efforts, plus encore dans ces cas extrêmes dopposition, le cœur des enseignements de Prudence Mondaine visant lharmonie sociale. Elle insiste en effet sur la dignité de cette recommandation en regard de sa difficulté. Une fois encore, 553elle associe cette maîtrise de soi à la louange de la dame, et surtout au signe quelle offre de sa force et de sa constance de cœur. Cette évocation des vertus cardinales bien connues du système de pensée médiéval joue de la réappropriation de la théologie morale dans une perspective sociale illustrée par le nom même de Prudence Mondaine. La portée argumentative du propos est immanquable : Christine de Pizan défend les couleurs féminines autant que les stratagèmes quelle expose dans la suite de ce chapitre. On pourrait presque lire lemphase mise sur la sincérité des femmes comme une annonce des atteintes quy inscrira aussi Prudence Mondaine dans la suite de ses conseils. Elle joue de la tension entre cet idéal de vérité et celui de la retenue, du cœur et de la volonté. Ces précisions relèvent dune insistance éclairante sur la sphère émotionnelle et sur lexercice indispensable de la raison à son endroit. La tendance est bien attestée à ce niveau, nous la mettions déjà en lumière dans nos premières analyses des enjeux de garde. Mais elle gagne en importance en regard du lien tissé avec la préservation de lhonneur célébré tout au long du traité. Son inscription dans la tradition morale de la tempérance transparaît également dans les nuances que Christine de Pizan cherche à y introduire. Elle entrouvre la porte des manipulations émotionnelles au nom dune perfection inatteignable et peu désirable, présentée sur le modèle du Christ lui-même. Prudence Mondaine sen sert pour démontrer limpossibilité dêtre aimé de tous, aussi parfait soit-on, tel le Christ « qui fut seul tout perfait70 ». Plus quun exemple dhumilité, le cas de Jésus illustre les risques de la perfection, dépeinte comme source denvie et, dès lors, de « greigneur guerre71 ». Cest dans ce cadre que Christine de Pizan construit sa recommandation pour la sage princesse, mais aussi pour « semblablement toutes celles qui vouldront ouvrer de prudence72 ». Ce type dadresse globalisante est fréquent, mais il savère très intéressant quand il se comprend selon le respect de cette vertu placée au cœur des enseignements dispensés ici. Face aux dangers de lenvie, il convient que la dame soit « advertie » et surtout « pourveue de remede73 ». Le remède en question se conçoit une fois de plus dans la maîtrise de soi et du semblant davantage que 554du courage dont il était question pour vanter sa force et sa constance. Son intérêt se perçoit dans les précautions dont Christine de Pizan sentoure pour le dépeindre, dans toute la diversité de situations quelle se plaît à prendre en compte pour assurer la praticité et la pertinence de son traité, mais surtout dans la dynamique de jeu quil induit :

Se il avient que Fortune la vueille assaillir par aucun endroit, si comme elle a fait et fait mainte bonne gent, et elle aperçoive et sache que aucun ou aucunes personnes poissans ne lui vueillent point de bien et laient en male grace, et qui lui nuiroient silz pouoient et lesloigneroit de lamour et de la grace de son seigneur, qui les croiroit par aventure pour leurs blandices et flateries, ou la mettroient par leurs faux rapors mal des barons, des subgiéz ou du peuple, elle ne fera de ce nul semblant que sen aperçoive, ne que les repute ne tiengne ses anemis74.

Christine de Pizan préconise donc la dissimulation, de la conscience du conflit autant que de linimitié en soi, dans une gradation intéressante des objets de la dissimulation. Au contraire des recommandations liées à lépoux ou à ses parents, la nature même des émotions impliquées est envisagée. La précision vient bien sûr renforcer la nécessité de veiller aux apparences dune telle émotion. Surtout, Prudence Mondaine souligne cette fois aussi les risques encourus, liés ici encore à lamour et à la grâce, posée en contraste avec la male grace de ses ennemis, de lépoux. La concentration qui sobserve demblée sur les apparences livrées par la sage dame est bien confirmée dans la suite du passage. Davantage que de ne faire de ce nul semblant, il convient même quelle feigne ses émotions : « Ainçois par la bonne chiere que elle leur monstrera donra a croire que elle les tient a tres grandement ses amis et que jamais ne croiroit que autrement fust, et que plus quen autre gent y a fiance75 ». On retrouve la dynamique active des verbes faire et montrer déjà soulignée, qui révèle bien le caractère construit des émotions affichées. La formule de donner a croire en conforte la portée manipulatrice. Le reste du lexique participe aussi de la mise en lumière de la fausseté de lattitude prescrite : la dame tient davantage quelle na ces gens comme amis, et la reprise du verbe croire au conditionnel est significative du décalage entre limpression donnée et la réalité déjà marquée. Surtout donc, la 555princesse se doit de monstrer et pas seulement de nefaire nul semblant, de simuler la bonne chiere plutôt que de seulement dissimuler la mauvaise. Le rapprochement des deux démarches, rythmé par ladversatif ainçois, témoigne de la ténuité de la frontière entre lune et lautre. Elle nous introduit ainsi au deuxième pan de la dialectique des jeux émotionnels que nous avons cherché à mettre en lumière : plus que de contrôle, il est question de manipulation, de simulation et non plus uniquement de dissimulation. Prudence Mondaine joue ainsi de lambiguïté que recelait déjà lemphase mise sur la visibilité des émotions, dans cette insistance obsessionnelle sur leurs signes plutôt que sur leur réalité. Plus encore que ce dédoublement des jeux émotionnels ainsi recommandés, elle préconise encore un troisième niveau de cette manipulation des apparences offertes aux ennemis :

Mais il convendra que celle dicte bonne chiere soit ordonnee et menee par tel sens et si rassissement que nul ne puist apercevoir que faintement le face, car se une foiz estoit trop grande et autre foiz a yeulx felons – si comme le cuer que on voit bien que le ris en yst a force –, tout seroit honny. Pour ce est le sens a garder mesure en ceste endroit, et fault bien que le courage en soit pourveu avant le cop76.

La simulation doit donc être dissimulée, dans un triple jeu qui conduit de la dissimulation dinimitié à celle de la simulation de joie. Senchaînent ainsi trois niveaux du jeu des apparences que recommande Prudence Mondaine : la dissimulation de sa haine, la simulation de joie ou daffection, et finalement la dissimulation de cette manipulation. Le parallèle avec les propres leçons du Roman de la Rose simpose. Il y était aussi question de cet impératif de camoufler la tromperie, intégré dans les recommandations éloquentes à ce niveau de lAmi77. Il sagit, comme dans le cas de lAmant dailleurs, de préserver les apparences pour éviter la menace de son ennemi, le médisant Malebouche dans son cas. La comparaison avec le Roman de la Rose témoigne néanmoins dune orientation tendancieuse. Il ne sagit en effet plus seulement de dissimuler une émotion jugée peu séante, selon ce premier type de jeu identifié dans le carré sémiotique que nous avons pu mettre à jour, 556mais la ruse elle-même. Les conseils de lAmi étaient révélateurs à ce niveau, et dailleurs la seule dissimulation de la haine que lui suscitait le médisant se parait déjà dintentions malhonnêtes78. Cet amoncèlement des niveaux de manipulation nest pas original donc. Ce qui lest, cest le détail décomplexé de ce procédé et la justification sans nuances que Christine de Pizan en offre. Surtout, elle établit un rapport ambigu aux leçons tant contestées du Roman de la Rose, quelle critique avec ardeur dans lensemble de son œuvre, mais sans parvenir à sen dissocier tout à fait finalement. Le lexique est éloquent, tout comme sa force argumentative. À coup de doublets synonymiques, Christine de Pizan assène sa défense de la simulation dissimulée : la bonne chiere doit être affichée de manière ordonnée, un qualificatif omniprésent dans Le Livre des Trois Vertus et révélateur de la dynamique politique du maintien de soi prescrit. Elle se veut en outre bien menée, avec sens, une autre obsession du manuel de comportement des Trois Vertus, et calme (qui nest pas sans évoquer le repost visé par la garde dans lunivers religieux79). Les formules emphatiques de tel sens et de si rassissement confirment la portée laudative. Il sagit évidemment de sassurer de lefficacité de la simulation, mais plus encore, dans la bouche de Prudence Mondaine, de maîtrise et surtout dhonneur. On perçoit ainsi toute la subtilité de lappropriation de la ruse de cette dissimulation de la simulation, investie ici comme enjeu de la garde et même de lhonneur cultivés. Il est en effet intéressant de noter lentremêlement récurrent de ces prescriptions de manipulation des apparences émotionnelles et de lappel à la mesure chère à tous les moralistes vantant, à limage de Brunet Latin80, latemprance nécessaire pour assurer lefficacité du stratagème instauré. On en revient ainsi à la garde célébrée tout au long du traité dans cette ligne dinfluence, avec des nuances dimportance cependant. Lappel à dissimuler la dissimulation déborde de la seule garde prescrite, en regard de lobjet ou de lintention de ladite dissimulation, selon ces critères décisifs dans le carré sémiotique que nous avons pu établir autour du jeu des émotions. Mais lassociation assure la réorientation du jeu en question. Comme très souvent dans Le Livre des Trois Vertus, 557lobjectif est bien mis en lumière. Laccumulation des subordonnées consécutives et causales participent de ce souci de justification. De manière intéressante, il se fonde sur la rationalité de la princesse, ce principe-maître du traité de Christine de Pizan. La princesse est donc libre de suivre ou non les conseils dispensés par Prudence Mondaine, selon un choix éclairé par toutes les justifications qui en sont proposées bien sûr. Le conseil se veut aussi explicite que les efforts fournis pour le légitimer : la dame doit veiller à ce que personne ne saperçoive quelle affiche faintement cette bonne chiere. La gradation dans la tromperie laisse peu de doute, ladverbe faintement témoigne de la dimension proprement trompeuse de la bonne chiere. Mais ici, tout comme dans la suite du passage, la ruse est tout à fait légitimée par Prudence Mondaine. Dans une construction conditionnelle propre à ses stratégies usuelles, Prudence Mondaine exacerbe le risque de ne pas assurer la discrétion de ladite feintise, de manière éclatante puisque cest la honte même de la dame qui est en jeu. Sa présentation dans une formule hyperbolique est révélatrice de la crainte que suscite la honte dans ce traité qui ne cesse dinsister sur la nécessité pour les dames de cultiver leur honneur. Ce qui nous semble significatif de la dimension émotionnelle de la manipulation mise en lumière par Prudence Mondaine est lincise proposée pour détailler le risque présenté. Cest du décalage entre cœur et apparence dont il est question, et ainsi du caractère, sans aucun doute possible, forcé de celle-ci. On retrouve une formule usuelle pour décrire les manipulations émotionnelles, qui met en exergue la rupture qui sopère entre cette belle chiere et létat intérieur réel de la dame. Christine de Pizan insiste néanmoins sur le lien qui se tisse entre cette belle chiere feinte et la mesure, voire la sagesse même quelle véhicule. Lemphase mise sur la nécessité des efforts à fournir et de la réelle acquisition de cette démarche est, de manière intéressante, présentée en lien avec le cœur. Il se fait donc le lieu des efforts fournis pour assurer le jeu, à défaut dêtre celui de la réalité des émotions affichées. Cette expression paraît fonctionner comme une autre forme de stratégie, qui souligne par contraste le bienfondé du décalage entre cœur et apparence. Christine de Pizan fait preuve dune conscience aigüe de la tradition de la maîtrise des émotions et du lien entre homo interior et homo exterior quelle implique, problématisé avec éclat par Faux Semblant. Cest dans ce contexte que se comprend son obsession des apparences, mais 558aussi le décalage quelle introduit entre elles et la vérité du cœur. Elle choisit donc de mettre en exergue la préséance quelle laisse à lhomo exterior plutôt quà lhomo interior dans cette perspective politique qui est la sienne. Fondée sur la visibilité, elle induit une compréhension de lextériorité comme la seule voie daccès, et la seule importante, à cet homo interior dont on ne cherche pas même à mesurer la qualité intrinsèque. Lampleur des détails donnés dans ce chapitre témoigne du souci de justification de Christine de Pizan. Elle atteste aussi la portée pratique et ainsi limportance accordée à ce sujet :

Si faindra que elle se veult gouverner par eulx et par leur conseil, et les appellera en ses estrois conseilz comme elle monstrera semblant, leur dira des choses comme par grant secret et fiance qui seront toutes contre sa pensee ; mais convendra que ce soit fait par si bonne maniere quilz ne sen donnent de garde, et que elle soit maistresse de sa bouche, car se aucun mot disoit deulx en derriere contraire a ses semblans qui fust raporté [ce seroit peril][] Et poson que yceulx feissent ou deissent aucune chose evidemment a son prejudice, se la chose se puet couvrir nullement, que pour aucune autre cause que pour mal delle laient dit ou fait, encore fera elle si la simple et lignorant, que elle ne laperçoive, et monstrera semblant que ce ne lui touche point et que elle na nulle pensee ne souspeçon contre ceulx. Mais nonobstant toutes ces choses et ces grans dissimulacions, elle se gaitera deulx de tout ce que elle pourra, et sera adés sur sa garde. Ainsi la sage dame usera de ceste discrete dissimulacion et prudent cautele, laquelle chose ne croye nul que ce soit vice, mais grant vertu quant faicte est a cause de bien et de paix et sans a nul nuire, pour eschiver greigneur inconvenient81.

Avec force détails sur les moyens mobilisés, Prudence Mondaine mène son processus de légitimation de ses stratégies, tout en en reconnaissant la fausseté. Les diverses techniques évoquées pour ce faire, comme demander conseil ou feindre la confidence, décèlent une certaine tendance mystificatrice qui dépasse la simple mesure. De manière intéressante, le contrôle de soi nest donc plus seulement un objectif, une règle de conduite absolue, mais un moyen pratique pour assurer la tromperie, dans une dynamique de grand intérêt pour ce développement trompeur auquel sopposait pourtant Christine de Pizan dans le Roman de la Rose. Lhypocrisie de lattitude recommandée laisse peu de doute : le verbe feindre, mais aussi celui de faire qui réapparaît ici, tout comme 559la formule de monstrersemblant, participent de lesprit de manipulation instillé autour de lextériorisation essentielle des émotions. De limpératif dexpression de lamour, on passe ainsi à celui de taire et de camoufler toute émotion. On retrouve limage de la rupture entre cœur et bouche, qui porte dailleurs létiquette de maistrise, dans une belle démonstration de lassociation entre fausseté et contrôle de soi. Sur cette base, Christine de Pizan en propose une défense renforcée une fois encore par lexposé des conséquences pour la dame qui napplique pas ces conseils. Les formules de gâter ou damenuiser son affaire, mais surtout la question de la honte quelle encourt sont révélatrices de cette dynamique desquive. Lenjeu central des recommandations liées aux ennemis relève bien sûr dune forme de garde, soulignée tout au long de ce passage, quelles que soient les manœuvres qui peuvent être mises en place pour y contribuer. Mais la précision finale confirme la transition que Christine de Pizan amorce de la garde en soi à la feintise tout en insistant toujours sur lidéal de tempérance. Elle fait ainsi preuve dune véritable subversion de léthique de la garde, centrale dans lémotionologie médiévale. La conclusion apposée à cette présentation éloquente témoigne dailleurs du caractère double de cette recommandation. Elle distingue en même temps quelle allie la discrète dissimulacion et la prudente cautele. Ces deux substantifs sont inscrits dans une dynamique trompeuse immanquable82. Le terme de cautele permet une réflexion intéressante sur la perception des jeux du semblant émotionnel évoqués sans doute possible par celui de dissimulacion. Son sémantisme joue autant de la ruse et de la perfidie que de lhabileté nécessaire à la prudence, déjà inscrite dans son étymologie. De manière intéressante, la nuance semble tenir, dans les définitions mêmes qui en sont données, à la cause ou aux intentions qui la sous-tendent, selon un critère bien attesté déjà dans la prise en compte des manipulations émotionnelles. On peut en outre noter linfluence que semble exercer ici aussi le Roman de la Rose, puisque le sens de ruse que la cautele revêt y est directement associé. La collusion de la prudence et de la tromperie trouve un terreau fertile dans la tradition amoureuse courtoise, les exemples cités par les Dictionnaires en témoignent. Christine de Pizan en sait quelque chose, et sa défense ici sentoure à nen pas douter de toute 560lambiguïté quelle préserve afin de maintenir sa critique par ailleurs de telles attitudes. Elle cultive la polysémie de la cautele, rapprochée de la prudence par son qualificatif même, mais aussi son ambivalence. La subtilité dont elle fait preuve tout au long de son exposé et de sa défense de la cause féminine nous paraît peu compatible avec un usage naïf de ce substantif, tout comme du précédent dailleurs. Certes, le sémantisme semble avoir évolué à lépoque de Christine de Pizan et induire plus de nuances, mais sa finesse stratégique tout comme sa connaissance du Roman de la Rose nous paraissent impliquer de sérieux arguments contre une compréhension tout à fait neutre de ce terme. Dailleurs, les exemples cités de lœuvre abondante de Christine de Pizan dans le Dictionnaire du Moyen Français notamment relèvent plutôt de la ruse, ce qui semble compromettre une lecture innocente du substantif cautele dans Le Livre des Trois Vertus. Le contexte dinsertion est néanmoins tout aussi indubitable : Christine de Pizan cherche à faire relever la cautele de la sagesse et de la prudence, selon lautorité même qui porte ce discours, Prudence Mondaine. Lonomastique témoigne autant de la logique justificatrice que de ses raisons, liées à lunivers social dans lequel ces conseils ambivalents prennent tout leur sens. Lorientation ainsi esquissée de la tromperie recommandée est révélée avec emphase dans la fin de ce passage. Christine de Pizan se défend de toute association au vice et revendique au contraire la vertu de cette attitude, dans une formule oppositive dune simplicité fréquente dans Le Livre des Trois Vertus, qui assure bien sûr son efficacité. Dans ce cadre, une nuance apparaît pour permettre cette valorisation, celle de lobjectif poursuivi, un critère bien connu de lévaluation du jeu émotionnel. Une triple condition est même introduite : la recherche du bien et de la paix – une obsession dans ce manuel de comportement féminin83 –, le caractère inoffensif de la démarche, et surtout une finalité positive en ceci quelle évite dautres complications. Ce critère prend tout son sens dans ce manuel de lesquive quest le Livre des Trois Vertus. Christine de Pizan insiste dailleurs encore dans la conclusion de ce chapitre sur les bienfaits pour la dame de suivre ses conseils, et surtout, toujours, sur les dangers de ne pas y prêter lattention requise : « Et vecy le mal que elle en eschivera et le bien qui lui en ensuivra selle faisoit semblant que elle aperceust 561leur convine84 ». Dans une formule rhétorique éloquente, elle détaille les conséquences néfastes pour celle qui laisse apparaître sa conscience de linimitié de ses opposants et le désir de « sen vengier85 » directement lié. Elle énonce les retombées sur la relation au mari, mais surtout celles, davantage sociales, en regard des ennemis mêmes. Elle pourrait ainsi peut-être sattirer leur sympathie, ou en tout cas ils concentreraient eux les critiques si elle-même ny prêtait pas le flanc en entrant en matière à leur égard. Christine de Pizan clôt cette réflexion par une autre sentence qui marque, dans sa concision, lintérêt de lattitude préconisée, et élargit cet intérêt à toutes les dames :

Si ne puet a toutes fins que la dame ne gaingne plus en tel cas a tenir si faicte maniere que par voye de rigueur. Et nest pas doubte que cest enseignement affiert a retenir, non mie seulement aux princepces et dames, mais aussi generaulment a toutes femmes, car mains contens viennent en mariage par faulx rapors et flateurs ausquelz maintes ne scevent pas bien ou ne peuent dissimuler : ce scet Dieux, aussi font autres86.

La qualification de la maniere recommandée rejoue la manipulation indiquée tout au long de ce chapitre par le verbe faire repris ici. La préférence de cette faicte maniere à la voye de rigueur semble fonctionner en écho au choix posé en introduction du manuel de favoriser le juste milieu plutôt que la voye contemplative, pourtant la plus louable87. Christine de Pizan paraît ainsi justifier de la même manière les originalités démontrées dans les comportements quelle conseille aux dames, à toutes les dames dailleurs comme elle le précise encore. Le souci dadaptation sinscrit ici dans un raisonnement similaire à celui proposé tout au long des dernières lignes de lenseignement de Prudence Mondaine. Christine de Pizan en profite pour souligner encore les dommages, bien trop fréquents, pour les femmes qui ne scevent pas bien ou ne peuent dissimuler. La reprise de ladverbe mains met en lumière le lien de cause à effet entre lincapacité de dissimuler et les querelles. La concentration sur le mariage renforce peut-être encore le risque présenté, dans une sphère commune à toutes les femmes, quelle que soit leur position sociale et les retombées publiques de ce problème. La 562référence finale à Dieu, dans un parallélisme avec le constat plus général des autres, témoigne du double rang dautorités convoquées dans Le Livre des Trois Vertus, divine et expérientielle. Au gré dun chapitre aussi ample que révélateur de la volonté argumentative qui y est déployée, Prudence Mondaine recommande donc une maîtrise totale, des signes extérieurs surtout. Lemphase mise sur les dangers encourus relève de lurgence de cette attitude, quelque trompeuse quelle puisse être, qui ne peut savérer que vertueuse dans ce contexte. Linscription de ces conseils de maîtrise envers les ennemis oriente bien sûr leur nature et leur perception. Christine de Pizan témoigne ainsi dune évolution notable dans la considération des postures hypocrites, qui se voit encore développée dans la section qui suit, dédiée à « tous les estaz de ses subgiéz88 ».

Les leçons de Prudence Mondaine sélargissent donc et prennent plus de poids encore. Il va de soi quune telle adresse généralisante est essentielle, de par sa vaste application, mais aussi de par limportance accordée par Christine de Pizan aux relations sociales dans toute leur ampleur. Quelle que soit son insistance déjà démontrée à ce chapitre, elle revient sur les raisons qui la poussent à considérer lensemble des sujets davantage que les seuls parents et familiers ou même barons et nobles qui gravitent autour de la dame. Cette justification est révélatrice des enjeux poursuivis dans cette section :

Si vouldra estre bien des susdiz nomméz pour deux principaulx causes : lune si est afin que les bons et devoz prient Dieu pour elle ; et lautre pour ce que elle soit louee deulx en leurs sermons et collacions, si que leurs voix et leurs paroles lui puissent estre, se mestier est, escu et deffense contre les murmures et rapors de ses envieux mesdisans, et les puissent estaindre, par quoy elle en ait mieulx lamour de son seigneur et aussi du commun peuple qui bien de leur dame ourra dire, et que elle fust soustenue des plus poissans, se besoing lui en venoit89.

Lobjectif est dêtre bien et même « en la grace et benivolence90 », selon le titre donné à ce cinquième enseignement, de ses gens. Il se voit éclairé par une double motivation, de prière et de défense en sa faveur, bien loin des idéaux de paix commune et de partage dhonneur pourtant 563vantés tout au long du traité. Une nouvelle fois, on note lemphase mise sur la protection recherchée contre les médisances, en écho direct à la conclusion du précédent chapitre, et sur lamour de lépoux et du peuple, toujours par souci de soutien. Ce sont donc deux régimes de parole qui saffrontent, de la médisance ou du bien, qui paraissent ainsi dépendants des relations de la dame. Pareille justification paraît faire écho à celle de la ruse meurtrière de Faux Semblant dans le Roman de la Rose, dépeinte comme indispensable pour vaincre la menace de la médisance. Il sagit là dune tension de grand intérêt, révélatrice de lambiguïté du rapport que Christine de Pizan entretient avec lœuvre de Jean de Meun, mais aussi de ses efforts pour légitimer sa propre pratique de la cautele. Sur la scène sociale sur laquelle Prudence Mondaine inscrit la dame, la menace nécessite dêtre esquivée. Cest dans ce sens que Prudence Mondaine se lance dans un long exposé des attitudes à préconiser envers les clercs, maîtres et religieux tout dabord, puis envers les membres du conseil de son époux, les clercs impliqués dans la société civile, tels que les avocats, et finalement envers les bourgeois et marchands, ainsi que les femmes du peuple. La dimension intéressée de ces conseils est encore évoquée dans la section consacrée aux clercs et religieux, significative de cette tension instillée dans le manuel de comportement. Non contente de toucher aux relations sociales de la dame, elle envisage aussi sa pratique dévotionnelle. Le détournement est tout à fait explicite quand, à la suite des mentions relatives à leurs conseils, à leur accueil, et aux dons à leur dispenser, il est question des aumônes à leur accorder :

et combien que aumosne doye estre faicte secretement – la cause si est afin que la personne qui le fait nen puist monter en vaine gloire, qui est trop mortel pechié – mais se la dicte personne nen avoit nulle eslevacion en son cuer, mieulx seroit la donner publiquement que en secret pour ce que elle donroit bon exemple a autrui, et qui en celle entencion le fait double son merite et fait bien. Donc ceste saige dame, qui bien se saura garder dycellui vice, vouldra bien que les dons et aumosnes quelle fera par celle voye soient sceuz et enregistréz, se il sont notables – comme pour reffaire leur eglises ou leurs convens ou autres neccessaires – en memoire perpetuelle en tabliaux en leurs eglises, affin que les gens en prient Dieu pour elle, ou en aultres registres, ou quilz le dient publiquement, si y prendront les autres exemple de pareillement donner91.

564

Il est frappant de constater que cest au premier et au plus délicat sûrement des sujets abordés dans ce chapitre que Christine de Pizan développe de nouvelles réflexions relatives à la tromperie. Elle les débute, de manière assez conforme aux stratégies déployées tout au long de son traité, par une formule concessive qui atteste sa connaissance parfaite des mœurs attendues, quelle sapprête à détourner comme elle semble déjà lannoncer. Elle balaie ainsi la tradition du secret de laumône fondée sur lexhortation même du Christ (Mt 6:2-4). Au secret recommandé pour les aumônes vient sopposer leur publicité. Le renversement est mis en exergue par le parallélisme des adverbes qui viennent qualifier le don. Leur formulation active – il est fait en secret ou donné en public – participe de la valorisation dans lemphase mise sur laction de donner quand laumône est publique. La nuance est infime bien sûr, mais linsistance sur le rôle proactif à jouer par la dame est centrale dans les conseils de Prudence Mondaine et permet de souligner encore la perspective publique, et consciente, du don. Surtout, le verbe donner permet de justifier peut-être cette entorse aux codes de laumône, toujours centrée sur le don malgré tout. Mais lenjeu principal tient à la source dexemplarité quil constitue ainsi dans sa publicité. Il sagit là dun impératif bien attesté dans les réflexions des théologiens92, même sil ne va pas de soi quand il touche à lintimité, toujours louée sur le modèle biblique, dactes de dévotion de ce type. On peut rappeler lexemple de Guillaume de Diguleville qui vante, dans sa description du pain de Sapience, lhumilité et la grande vertu dune telle discrétion93. La comparaison éclaire la propre logique du jeu recommandé autour de la pratique dévotionnelle par Christine de Pizan. Lemphase était alors mise sur lhumilité, fondée dans les apparences discrètes livrées de la vertu, dans un contraste saisissant avec les conseils de Prudence Mondaine. Une condition est bien sûr posée à ce dédoublement du mérite de laumône publique, liée à lélévation dans le cœur en soi. Cette fois aussi, Christine de Pizan fait preuve de sa connaissance de la tradition à cet égard. Elle joue de la rupture entre 565intériorité et extériorité, dans une dynamique trompeuse indéniable dans ce cas – ses propres justifications sont éclairantes :

Et se ceste maniere de donner et davoir accointaince a yceulx pour avoir renommee par eulx semble quelle touche aucun raim dypocrisie ou quelle en prengne le nom, toutevoies se puet elle appeller par maniere de parler juste ypocrisie, car elle tent affin de bien et eschivement de mal ; car nous nentendons mie que soubz umbre de ceste chose maulx et pechiéz se doient commettre, ne que une grant vaine gloire en doie sourdre en courage. Si disons de rechief que ceste maniere de juste ypocrisie est comme neccessaire a princes et princepces qui ont a dominer aultruy, a qui plus reverence affiert que aultre gent, et certainement ne messiet elle point a toute personne qui desire honeur, le faisant a cause de bien. Et ad ce propos est il escript ou livre de Valere quanciennement les princes faignoient quilz fussent parens aux dieux afin que leurs subgiéz les eussent en plus grant reverence et plus les craingnissent94.

La logique médiévale est claire en la matière, nous lavons vu : afficher une qualité qui ne préexiste pas au cœur, là réside lhypocrisie. Henri de Gauchy en témoigne dans la traduction quil offre du De Regimine Principum :

Le philosophe dit que cil [qui] par paroles ou par fez demonstre en li plus granz choses que il ni sont, est vantierres et nest pas veritables ; et fet mult a blasmer cil qui nest apers et qui ne demostre qui il est. Quer le philosophe dit que len doit blasmer et fuir simplement mençonge, quer por cen que cest une maniere de mensonge que li hons demonstre plus grant bonté en lui que il ni a, et quant il ne demostre qui il est, cil qui cen fet nest pas veritables95

Mais Christine de Pizan le martèle : il est mieux de donner en public quen secret. Elle sefforce de contrecarrer la perception vicieuse dun tel affichage, tout en la présentant demblée en introduction, selon une autre stratégie fréquente au sein du Livre des Trois Vertus. La menace de la vaine gloire est clairement exposée, tout comme son caractère peccamineux, renforcé par la précision de sa gravité. Ce péché nest dailleurs pas seulement mortel, mais même trop mortel, avec une emphase notable pour un péché pourtant contredit aussitôt. Il est certes question de se garder de ce vice, mais le comportement conseillé en relèverait néanmoins 566aisément. La princesse doit veiller à ce que ses aumônes soient sues et enregistrées, dans un nouveau doublet éloquent de limportance conférée à ce principe de visibilité et de cognition quil implique. Une double finalité est également développée, dans un ordre révélateur de la posture intéressée que nous percevions déjà en introduction de ce chapitre. Sont en effet repris les deux arguments de la prière faite pour la dame et de lexemple quelle offre, déjà présentés respectivement en amorce de la cinquième leçon96 et en justification de cette aumône publique. Mais, de manière intéressante, cest lenjeu plus personnel qui prime ici, avant que soit considérée lexemplarité de cette conduite. Lexemplarité est en outre présentée de manière indirecte, dépendante de la diffusion, elle aussi soulignée comme publique – et la reprise de cet adverbe est marquante à ce niveau –, qui sera faite de ces dons. Le caractère critiquable de cet intérêt porté avant tout aux bienfaits pour la dame elle-même est bien conscient chez Christine de Pizan. Elle poursuit dailleurs dans ce cadre en nommant explicitement lenjeu de toute cette démarche, à savoir la renommée quelle peut en tirer. Il sagit dun moteur central du manuel de comportement quelle offre dans Le Livre des Trois Vertus, de son objectif même. Il est cependant interpelant de trouver ce facteur au cœur des motifs de laumône, dans une proximité très grande, mais, une fois encore, bien consciente, avec la vaine gloire. Davantage que den avoir conscience, Christine de Pizan a à cœur de justifier les intérêts personnels de la dame qui choisit de donner dans de telles conditions. À sa manière habituelle, elle anticipe les critiques que la démarche peut susciter, selon une tendance que lon pourrait aussi rapprocher, à son corps défendant sûrement, de lapologie de Jean de Meun. Mais elle se détache aussi demblée de ces critiques dans la formulation hypothétique quelle en donne. Elle les introduit par le verbe sembler, mais surtout elle les présente avec les syntagmes de toucher aucun raim et de prendre le nom, qui introduisent une certaine distance critique avec la pensée ainsi présentée. La question du nom paraît jouer de la nuance entre signifiant et signifié, étiquette et réalité, ce qui, dans ce monde dapparences mis en scène par Christine de Pizan, relèverait presque de lironie. Elle pourrait dailleurs faire allusion au personnage de Faux Semblant qui personnifie cette rupture, en ce même nom du pouvoir des apparences. 567Le jeu déchos participe de lambiguïté des recommandations de Prudence Mondaine. Certes, la dimension réductive induite dans lune comme dans lautre de ces expressions témoigne du peu de crédit apporté par Christine de Pizan à cette accusation dhypocrisie, mais cest bien sûr sa qualification de juste qui, réorientant le propos sous un nouveau signifiant, est la plus marquante. Ainsi, sil peut être question dhypocrisie, cest juste ypocrisie quelle doit sappeler. Cette étiquette est légitimée par la bonne intention qui gouverne ladite hypocrisie, qui vise le bien et évite le mal. On retrouve donc le même binôme du bien et du mal si cher à Christine de Pizan, déjà convoqué au chapitre précédent pour justifier la prudent cautele recommandée97. Dans ce cas cependant, nul besoin dun détour sémantique, le sens dhypocrisie ne laisse aucun doute possible en regard de la tradition critique qui lentoure98. Il porte lui aussi le spectre de Faux Semblant, symbole de lhypocrisie religieuse mise en exergue sans détour dans le portrait livré au dieu Amour dans le Roman de la Rose. Dans son refus des attitudes trompeuses inscrites dans la relation amoureuse, Christine de Pizan fait preuve de sa condamnation de ce personnage. Il est donc intéressant de lire pareille réorientation positive de lobjet de ses critiques. Le jeu est bien conscient et pris en charge dans la justification quen donne Prudence Mondaine. Si elle veille à dénier la part peccamineuse de cette hypocrisie – en amont déjà, mais aussi par la suite –, elle nen reconnaît pas moins la dimension proprement trompeuse, la reprise du terme est révélatrice de son caractère assumé. On peut noter la nature symbolique dun tel contexte dinsertion de lhypocrisie. Elle savère en effet plus affirmée sous cette étiquette quelle ne létait dans le chapitre dédié à la cautele à manifester aux ennemis. Son inscription dans la veine religieuse est notable. Elle témoigne de la conscience de Christine de Pizan des dénonciations importantes dans cette dynamique, mais aussi de sa volonté de réorientation totale à la lueur des enjeux politiques à laquelle la dame est toujours confrontée. Elle joue pour cela des mêmes lignes de justification pour se défendre des idées reçues en la matière quelle le faisait dans le chapitre précédent. Lenchaînement des propositions finale et causale participe des dynamiques argumentatives mobilisées tout au 568long du traité. Christine de Pizan se défend ainsi de la vaine gloire ou de tout mal ou péché qui pourraient se dissimuler sous cette pratique. Surtout, elle refuse de reconnaître le moindre défaut du cœur de la dame qui choisit dapparaître sous ces atours. Se voit ainsi réactualisée la distance entre cœur et extérieur, mais dans une valorisation du cœur ici, dans lequel ne sourd aucune vaine gloire. Si les émotions quil recèle passent sous silence, Prudence Mondaine insiste sur labsence de vice qui sy camouflerait. La réalité du cœur constitue un argument phare du jeu émotionnel, selon ce carré sémiotique que nous avons pu mettre en lumière sur la base de lexemple symbolique de Faux Semblant. La comparaison avec le faux moine de Jean de Meun dénote une fois de plus la tendance proprement trompeuse des conseils de Christine de Pizan. Le vide de son cœur était en effet demblée mis en exergue dans la présentation quen donnait Abstinence Contrainte99. Or, si Christine de Pizan veille à écarter tout soupçon de vice du cœur de la dame, nulle émotion ne semble pour autant convoquée dans cette aumône publique, pas plus que dans la manifestation trompeuse de dévotion de Faux Semblant. Pareil vide émotionnel touche à la pire des manipulations émotionnelles que nous avons identifiées. Le contraste quelle présente avec le modèle de Guillaume de Diguleville se veut plus explicite encore. Christine de Pizan renverse la leçon de Sapience, à la vertu indéniable, en choisissant dafficher plutôt que de dissimuler lhumilité de la charité. Le jeu avec la tradition du jeu des émotions que nous avons cherché à éclairer est immanquable. Une fois de plus, Christine de Pizan en semble consciente dans la défense quelle en livre, fondée sur lintention dune telle démarche. La manipulation dune qualité aussi incontournable que lest la charité chrétienne se veut bien sûr motivée. Christine de Pizan met dailleurs laccent sur le bienfondé de son conseil par lélargissement du public auquel elle ladresse. Elle ne le destine pas seulement aux princesses, mais aussi et dabord aux princes. Elle le fait ainsi relever des enjeux de domination, de respect et dhommage, mais surtout, dans un nouvel élargissement du propos, de lhonneur, incontournable dans ce traité de savoir-vivre. La référence finale au livre de Valère est intéressante. Elle offre un appui notable à son raisonnement qui permet dinvoquer lexemple des princes anciens, fréquent tout au long du Livre 569des Trois Vertus. Lenjeu de la feintise y est clairement inscrit, tout comme celui de lobjectif de reverence poursuivi, mais le lien semble néanmoins assez lâche dans la question traitée. Surtout, lallusion aux dieux païens est assez particulière dans le cadre de rédaction quest celui de Christine de Pizan, qui recourt volontiers aux exemples antiques, mais construit son projet en regard de la pensée chrétienne, plus encore peut-être ici dailleurs. Nous pouvons faire écho aux interrogations de Dallas G. Denery à ce propos :

It is an odd concluding note for a discussion so self-consciously pushing against traditional theological views about hypocrisy, an account of hypocrisy that justifies itself through a comparison with pagan hypocrisy, a justification that operates entirely at the practical level and, in so doing, implicitly suggests that in certain cases, in this case, in the case of the noble lady embroiled in the dangerous affairs of early fifteenth-century French politics, practical success trumps theological quibbles about helpful lies and simulations 100 .

Nous ne pouvons que nous accorder à ses conclusions, la dimension pratique des leçons de Prudence Mondaine nous semblant essentielle à leur appréhension. La portée sociale des conseils dispensés par cette figure allégorique fonctionne comme une clé de lecture de ses spécificités, ce qui nous paraissait justifier ce troisième volet de nos analyses du réseau Faux Semblant. Mais elle éclaire aussi justement les décalages qui y sont introduits. Le plus important dentre eux se situe évidemment du côté de cette contamination quelle implique de vertus chrétiennes telles que la charité. Dans ce contexte, elle ne peut échapper à la confrontation avec la problématique du mensonge forgée dans la tradition théologique. La considération par Christine de Pizan dune forme dhypocrisie justifiable, voire nécessaire et louable, détone en effet parmi les réflexions menées par la plupart des penseurs chrétiens, pourtant essentiels dans le développement de son traité. Il savérerait donc intéressant de sarrêter à lhistoire du mensonge telle quelle sesquisse encore à la fin de Moyen Âge, dans la continuité de celle que nous avions déjà pu en proposer au chapitre précédent101. Cela nous permettra déclairer 570la posture endossée par Christine de Pizan, mais aussi la place quelle réserve aux jeux émotionnels.

La défense proposée par Christine de Pizan de cette juste ypocrisie témoigne de sa difficulté à en affirmer la nécessité en regard de la longue tradition de condamnation du mensonge. Saint Augustin offre bien sûr lautorité la plus incontournable en la matière. Nous lavons souligné déjà, il est à la source de la définition et de la classification élaborée autour du mensonge et surtout de la condamnation très ferme quil en livre, principalement dans ses traités De Mendacio et Contra Mendacium. Le mensonge y est traité comme un vice, dans les huit formes qui lui sont reconnues. Cette conception exerce une influence profonde tout au long du Moyen Âge, aux xiie et xiiie siècles surtout, nous lavons vu. Mais nous pourrions aussi relever tout lintérêt, pour lécho dont sen fera Christine de Pizan, du nouvel essor qui marque alors la réflexion autour du mensonge. En-dehors de la lignée de condamnation absolue héritée du modèle augustinien – et les exemples en restent nombreux –, on perçoit une volonté douverture à ce sujet. Jean Duns Scotus par exemple soutient un tout autre discours. Le théologien franciscain, qui évolue en Écosse aux xiiie et tout début du xive siècles, reconnaît les dangers pratiques, mais surtout sociaux du mensonge, comme source de troubles dans les rapports humains, mais rejette la considération de la faute morale inhérente quil constituerait. Se fondant sur la définition augustinienne, il établit comme critère décisif lintention de tromper102. Notion essentielle dans lappréhension des dynamiques émotionnelles, lintention poursuivie au gré de la tromperie éclaire ainsi aussi, selon Jean Duns Scotus, la possibilité dun mensonge dénué de vice. Il insiste surtout sur la dimension sociale pour évaluer les défauts qui lui seraient liés et ouvre la voie à une acceptation morale fondée sur des facteurs sociaux et non intrinsèques103. Angelus de Clavisio, frère mineur italien du xive siècle, joue également un rôle certain dans la révision de la notion de mensonge. Il distingue en particulier lacte hypocrite de la 571simulation et défend sur cette base certaines formes de simulation dites prudentes, qui nimpliquent aucune tromperie à proprement parler et donc aucun mal et qui, au contraire même, visent à éviter le mal104. Il est aisé de relever déjà les points de comparaison qui sesquissent entre la pensée de ces deux auteurs et celle de Christine de Pizan. Nous pouvons aussi mettre en regard les réflexions dAlbert le Grand et de Thomas dAquin. Dans son commentaire à lÉthique à Nicomaque, Albert le Grand met également en exergue cet objectif déviter le mal. Il introduit surtout une nuance entre les perspectives théologique, pour lesquelles le mensonge ne peut en aucun cas être toléré, et civile. Dans ce cas, la vertu est définie selon le bien temporel de lÉtat. Une règle différente émerge ainsi dans lappréhension du mensonge, toujours considéré comme un vice en soi, mais autorisé quand il senvisage pour le bien commun. Lévaluation du mensonge sassouplit selon les circonstances et les objectifs qui le caractérisent105. Cette considération empreint bien sûr celle de Christine de Pizan, mais, avant cela, celle du célèbre disciple dAlbert le Grand. Thomas dAquin consacre plusieurs de ses quaestiones au mensonge, nous avons eu loccasion de les détailler. Rappelons quelles débutaient par une définition de la vertu de vérité, selon laccord quelle induit entre intérieur et extérieur106. Sa théorie nous semble bien sûr pour le moins intéressante pour appréhender les jeux émotionnels au cœur de nos analyses, plus encore dans le cadre quoffre Le Livre des Trois Vertus, qui joue du décalage entre ces deux états. Mais surtout, Thomas dAquin fondait sa condamnation sur la mauvaise intention et proposait dans ce cadre une nuance éclairante avec la notion de simulation107. Celle-ci dépend de la nature de la simulation, fondée sur lapparence de juste que lhypocrite se donne. Or, Christine de Pizan veille plutôt à qualifier de juste lhypocrisie que la charité ainsi affichée. À ce stade, il serait difficile de ne pas condamner la forme de fausse charité recommandée au fil de cette pratique de laumône publique. Il convient néanmoins de considérer aussi linfluence 572exercée par la tradition des miroirs aux princes à ce niveau, et surtout celle, essentielle, de Jean de Salisbury. Son Policraticus livre un constat sans appel de lomniprésence de la flatterie autour du prince. Quoique condamnée, la flatterie doit donc être cernée pour être détectée par le prince qui veut se prémunir de ce fléau parmi ses courtisans108. Dans ce cadre, la nécessité de contourner les évaluations uniquement morales et de les envisager avant tout dans leur contexte social simpose. De la même manière, la perception du mensonge semble revue au gré de critères plus variables, qui prennent en compte la dimension civile ou sociale – comme le proposent Albert le Grand ou Jean Duns Scotus –, lobjectif poursuivi – celui du bien commun défendu par Albert le Grand est essentiel –, mais surtout lintention prêtée, sur laquelle insistent en particulier Jean Duns Scotus et Thomas dAquin. La question du mal impliqué, traitée surtout par Angelus de Clavisio, est elle aussi très porteuse dans le cadre des réflexions menées ensuite par Christine de Pizan. Sil est clair que Le Livre des Trois Vertus détone avec sa défense haute en couleurs de lhypocrisie, dune simulation explicite démotions essentielles au système de pensée médiéval comme celle de la charité, mais aussi comme celle de lamour, ou de la confiance à afficher dans les relations familiales mais aussi ennemies, il se construit en regard de lignes dinfluence indubitables. Le rapprochement avec la prudence auquel recourt Angelus de Clavisio, la prise en compte des facteurs sociaux dont témoignent ces théologiens, mais surtout Jean de Salisbury, irriguent la réflexion développée par Christine de Pizan. Mais cest avant tout largument de lobjectif poursuivi qui semble porter les justifications quoffre Prudence Mondaine. On peut comprendre dans ce sens lemphase mise demblée sur la recherche du bien commun répétée à lenvi dans bon nombre de ses enseignements, mais aussi sur la dynamique dévitement du mal et des conséquences néfastes, pour la société et la dame elle-même. Dans ce sens, linsistance sur lamour de lépoux à préserver en simulant lamitié aux beaux-parents ou aux ennemis est révélatrice dune réorientation de la racine émotionnelle cruciale dans lévaluation du jeu mené, selon le carré sémiotique que nous avons identifié. En reconnaissant la réalité sociale dans toute son 573exigence, sur le modèle que lui offre Jean de Salisbury, Christine de Pizan parvient à dessiner une véritable éthique, non plus théologique, mais morale, de la juste hypocrisie. Au nom du bien commun quelle intègre au cœur de nombreuses stratégies préconisées dans son traité, mais aussi et surtout de lhonneur féminin qui constitue son deuxième fer de lance, elle justifie une attitude volontiers mystificatrice, faite de dissimulation des points de tension, et des émotions qui y seraient liées, mais aussi de simulation explicite, quelle avait pourtant jusqualors âprement critiquée dans le cadre du débat sur le Roman de la Rose. La nuance semble avant tout tenir à ce facteur social mis en lumière par la source dénonciation même de ces conseils quest Prudence Mondaine. Nest plus en jeu ici le seul intérêt de lAmant, que mettait bien en lumière Jean de Meun dans la prise abrupte de la Rose en particulier, mais le bien commun, comme le souligne Linda Rouillard dans un article éclairant consacré au « virtuous artifice » de Christine de Pizan :

In the Roman de la rose, Faux Semblant boasted about his proficient hypocrisy which allowed him to hurt his enemy; here in the Trois vertus, the vice has been turned around to benefit everyone in the princesss entourage and becomes “justifiable” hypocrisy. Personal interest is recast as intended for the common good; in fact, it is a duty109.

Cest donc au nom de ce détournement des ambitions de Faux Semblant de tromper dans le seul but de nuire que sopère ce changement de faux semblant en faire semblant etque Prudence Mondaine peut défendre la dissimulation comme relevant du « greater good110 ». Bien loin des attitudes autocentrées soutenues dans les artes amandi et, surtout, dans celui de Jean de Meun, cest le bien commun que vise Christine de Pizan. Notre parcours parmi les recommandations de Prudence Mondaine est significatif à ce niveau, ce que Linda Rouillard met encore en lumière :

[]but unlike Andreas and Jean de Meuns Faux Semblant, the ultimate goal is not one of the selfish concern and satisfaction, loosely termed “love”, but rather one that engenders social stability and the common good, in which love is governed by something more generally termed “honour”111.

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Lenjeu de lhonneur distingue les recours hypocrites de Faux Semblant de ceux de Prudence Mondaine. La nuance est claire pour le lecteur, Linda Rouillard le précise dans une réflexion intéressante dailleurs quand on considère les critiques portées par Christine de Pizan à lencontre de lœuvre de Jean de Meun en terme de lisibilité et de réception : « We all, of course, understand this kind of covering up to be, at the literal level, a deception, but a socially acceptable and even necessary one112 ». La dimension sociale de cette hypocrisie recommandée par Christine de Pizan est centrale, nous lavons vu. Elle réaffirme limpératif de stabilité sociale quillustraient déjà les exemples des rois Marc et Arthur dans notre analyse du principe de garde113. Mais elle lui confère une portée particulière dans ces astuces préconisées par Prudence Mondaine, même au cœur des émotions supposées les plus intimes de la dame. Ce code du faire semblant sinscrit dans une véritable politique de la visibilité, selon lexpression de Rosalind Brown-Grant114. Christine de Pizan remobilise toute limportance conférée dans la société médiévale à la notion dapparence et la concentration primordiale quelle propose sur lhomo exterior. Dans une ligne dinfluence offerte par Tertullien, il semblerait même que lapparence importe davantage que lhomo interior en soi, en particulier pour les femmes dailleurs. Le Père de lÉglise soulignait déjà lintérêt des apparences offertes en public, dans un traité dédié, de manière notable, à lapparence des femmes, le De cultu feminarum. Il y soutient même quil ne suffit pas de cultiver la charité chrétienne, il convient également den faire preuve, de la laisser paraître115. De la même manière, il convient, selon Christine de Pizan, dafficher la charité dans le cadre de laumône, quelles que soient les prescriptions bibliques en la matière. Mais les nuances quelle implique dans ses recommandations attestent un développement supérieur de cet idéal dapparence des vertus. Le décalage entre cœur et bouche, ou visage en général, souvent évoqué au gré des allusions à la tromperie préconisée, est révélateur du dépassement proposé de la théorie de Tertullien. Peu importe que 575la charité soit présente au cœur de la princesse, il est surtout essentiel quelle laffiche, par souci dexemplarité, mais aussi dintérêt personnel donc, comme nous lavons mis en lumière. Les intentions se doivent néanmoins de rester louables bien sûr, mais on ne peut que constater le pas de côté proposé par Christine de Pizan. Sintroduit ainsi dans son Livre des Trois Vertus une tout aussi, voire plus grande encore, attention à lextérieur quà lintérieur, à lapparence plutôt quaux émotions. Une forme de paradoxe paraît ainsi émerger en association avec la réflexion de Tertullien. La vertu ne saurait suffire en elle-même, il convient quelle soit elle-même rendue visible, affichée et démontrée, ce que Christine de Pizan intègre à la perfection dans le discours de Prudence Mondaine. Même dans une perspective sincère, lextériorisation est donc valorisée avant tout. Dans cette politics of visibility116, Christine de Pizan réaffirme avec force la valeur indicielle des apparences émotionnelles. Elle les définit comme des « signes de par dehors par lesquelz on juge communement du courage, car autrement ne puet on jugier de lentencion des gens fors par les œuvres117 ». Leur fonction signifiante et même évaluative les pose au cœur de sa réflexion fondée sur la place prise par la scène publique. Limportance conférée à tout ce qui relève de lhomo exterior permet déclairer la transition du refus total du faux semblant à un idéal du faire semblant revendiqué tout au long du manuel de comportement des Trois Vertus. Cest dans lorientation de la vertu de Prudence en Prudence Mondaine que semble se fonder la justification offerte à cet intérêt devenu même ambigu pour les apparences et surtout pour leur manipulation. Les dérives présentées face à lharmonie entre homo interior et exterior vantée tout au long du Moyen Âge séclairent donc en regard des impératifs dictés par la scène sociale. Tout lintérêt réside bien sûr dans le détournement qui sy opère des enjeux initiaux, tout à fait purs dintention, de cette dynamique politique. Les exemples de Marc et Arthur illustraient la logique bienséante fondée dans lobjectif dassurer le maintien de la cohésion sociale. Les catégories et les visées du jeu se brouillent sous la plume de Christine de Pizan qui tend à révéler lomniprésence de la sphère publique. Lattitude préconisée envers lépoux est révélatrice de cette tendance, elle qui pouvait relever de la 576seule intimité conjugale et de logiques émotionnelles tout autres alors. Lemphase mise sur les conséquences plus générales de la moquerie et de la honte en cas de mésentente avec le mari signale le débordement de la sphère privée dans ses conséquences publiques elles aussi118. Là réside toute limportance conférée aux semblants émotionnels, garants contre la médisance et la honte. Ainsi, la frontière entre prudence et hypocrisie sefface dans cette mise en lumière de ces composantes publiques. Christine de Pizan joue de la tradition préexistante pour livrer cette leçon ambigüe. Lidéal de garde requiert demblée une forme de dissimulation inscrite dans une optique de prudence et surtout de bienséance. Elle continue dailleurs dy appeler, dans un respect bien plus strict des lignes de conduite toujours prescrites à ce niveau :

Adonc congnut la dame la cause de lire de son mary, quelle navoit oncques mais sceue. Mais comme tres prudent et ferme quelle estoit, tres saigment le voulst dissimuler jusques en temps et en lieu. Si fist semblant davoir de ceste chose moult grant soulas119.

Le Livre de la Cité des Dames témoigne de cette importance toujours conférée à la dissimulation convenante dans ces efforts de maîtrise de la femme de Bernabo le Génois. On retrouve la dynamique double de dissimulation renforcée par la simulation quattestaient si bien les rois Arthur et Marc. La visée bienséante transparaît ainsi, notamment par la valorisation commune à cet égard de la prudence et de la sagesse démontrées. Ces mêmes critères réapparaissaient, alors détournés, dans le Livre des Trois Vertus. Christine de Pizan fait donc preuve dune maîtrise parfaite des codes émotionnels, quelle nhésite pas à remobiliser à laune des objectifs quelle sest fixés. Ce parcours parmi les enseignements éloquents de Prudence Mondaine éclaire les enjeux essentiels de ce détournement des idéaux de cohésion sociale. Ils tiennent à cette morale de lintention que Christine de Pizan insuffle aux jeux émotionnels, de manière tout à fait particulière dans son Livre des Trois Vertus. Elle mériterait dêtre envisagée plus globalement dans lœuvre de Christine de Pizan. Nous pourrions ainsi mieux appréhender le retournement opéré autour du jeu des émotions, de la simulation bienséante à lhypocrisie éhontée et 577défendue en tant que telle. Ce nouveau traitement des manipulations émotionnelles répond en effet à une logique intentionnelle remise au cœur de la réflexion au nom du combat mené pour défendre la cause féminine, selon des nuances qui nous semblent nécessiter une meilleure approche des logiques de cette forme déthique du semblant.

De la morale de lintention à la défense féminine, une nouvelle éthique du semblant

En-dehors du seul traité des Trois Vertus ou même du diptyque quil forme avec le Livre de la Cité des Dames, nous voudrions envisager le traitement réservé aux codes émotionnels prescrits par Christine de Pizan dans le reste de son œuvre. La portée didactique de ces deux ouvrages trouve un écho intéressant à considérer dans le miroir aux princes plus traditionnel quelle livre dans son Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V. Il permet dappréhender la place offerte, une fois sorti du contexte féminin, à cette morale politique venue remplacer la théologie morale détournée au gré du nom donné à Prudence Mondaine. Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V paraît occuper une position médiane entre les miroirs aux princes que nous avions pu citer en amorce de nos analyses et le Livre des Trois Vertus, miroir aux dames écritpar une dame. Il permet de découvrir la teneur des conseils dispensés cette fois aux hommes et de la comparer à celle des leçons des Trois Vertus, en particulier au niveau des efforts de maîtrise voire de manipulation des apparences émotionnelles recommandés. La perspective presque sociologique qui anime cette réflexion des nuances de genre nous poussera aussi à considérer le traitement réservé aux autres classes sociales que celle qui se trouve visée par les enseignements de Prudence Mondaine. La volonté généralisante des conseils des Trois Vertus connaît une déclinaison intéressante quand elle touche aux jeux des émotions, nous le verrons. Nous pourrons aussi en confronter les ressorts à ceux de la veine amoureuse qui irrigue les réflexions de Christine de Pizan, de ses ballades à ce manuel de savoir-vivre qui ne peut faire limpasse sur cette problématique sensible pour lauteure des Epistres sur leRommant de la Rose. 578Toutes les nuances qui sesquissent dans ce modèle des manipulations émotionnelles peuvent se lire à laune de la morale de lintention qui y trouve une confirmation éclatante et surtout de la défense féminine quelle vient servir.

Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V constitue un exemple parfait dadaptation des conseils féminins dispensés au gré du Livre des Trois Vertus. Il propose un panorama des qualités du roi Charles V comme modèle de bon gouvernement, tel que Christine de Pizan souhaite lélaborer pour la gent féminine. Il est révélateur de limportance conférée à ce facteur essentiel quest celui de lobjectif poursuivi au gré des actions ainsi valorisées du souverain. Lun des chapitres est consacré à la dissimulation, dans une grande proximité avec le point de vue défendu par Prudence Mondaine :

Comment souventes fois avenist que le roy Charles sesbatoit et desrenoit avec ses familiers, entre les autres propos chut à parler de dissimulacion, et disoient les aucuns que dissimuler estoit un rain de traïson. « Certes, ce dist adonc le Roy, les circonstances font les choses bonnes ou mauvaises, car en tel maniere peut estre dissimulé, que cest vertu, et en tel maniere, vice, sçavoir : dissimuler contre la fureur des gens pervers, quant il est besoing, cest grant sens, mais dissimuler et faindre son courage, en attendant oportunité de grever aucun, ce peut appeler vice120. »

Il est intéressant de constater à nouveau lutilisation de la formule réductrice du rain de qui semble demblée marquer la distance avec laccusation portée, de la même manière que dans Le Livre des Trois Vertus121. Plus que dypocrisie, il serait ici question de traïson, ce que le roi dénie au nom des circonstances, elles aussi posées au cœur des justifications de la juste ypocrisie recommandée par Prudence Mondaine. Ce sont ici la qualité des personnes à qui se présente la dissimulation et surtout la nécessité – également convoquée au rang des arguments du Livre des Trois Vertus – qui légitiment sa perception vertueuse. La qualification de la dissimulation comme vice repose surtout sur le fait de nuire à autrui, répété aussi à plusieurs reprises dans les enseignements de Prudence Mondaine. Le doublet dissimuler et faindre laisse peu de doutes sur la nature du vice 579que présente le roi Charles V. Surtout, il y est précisé que cest le cœur qui se voit alors objet de dissimulation et de tromperie. On rejoue lopposition entre le cœur et lapparence qui en est livrée pour mieux marquer la dépréciation dune telle attitude. Lévocation du courage permet denglober toutes les émotions négatives qui peuvent conduire à ce souhait de grever. On retrouve ainsi les paramètres identifiés du carré sémiotique que nous avons mis à jour, la ruse résidant dans la dissimulation démotions néfastes, dans leurs effets et dans leurs intentions surtout. Étrangement cependant, dans Le Livre des Trois Vertus, pareille opposition à la voix du cœur semblait au contraire valorisée, presque vantée même pour la difficulté quelle impliquait. Ce contraste pourrait séclairer à la lueur du combat mené par Christine de Pizan contre la tradition misogyne qui déconsidère la gent féminine comme faible et emportée par ses passions. On pourrait en effet lire cette capacité de maîtrise absolue de lintériorité, du moins dans ses apparences, comme un renversement de ces critiques. Christine de Pizan flirterait alors avec un autre pan de la déconsidération misogyne, de la femme manipulatrice, bien illustrée par les femmes de fabliaux ou par le personnage de la Vieille du Roman de la Rose, à limportante nuance près une fois encore quest celle que nous mettions aussi en exergue dans le dernier exemple cité du Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V : celle de lintention. Le cas de figure critiqué par Charles V se comprend en effet selon sa mauvaise intention, au contraire de celui recommandé par Prudence Mondaine animé dun souci dexemplarité et de recherche du bien commun. Ainsi, si Christine de Pizan joue des frontières volontiers floues entre ces formes de jeu des émotions, elle maintient la distinction au nom des objectifs poursuivis par de telles manipulations. Dans une belle démonstration de la portée générale de son message hors du combat misogyne, Christine de Pizan applique ses recommandations de prudent cautele en-dehors du seul champ féminin, dans Le Livre du corps de policie notamment. Elle y incite les chevaliers à se montrer « sages et cautilleux » – cest-à-dire donc rusés et malhonnêtes, mais aussi prévoyants, prudents et habiles selon le sémantisme précisé dans lédition même de louvrage – dans tous leurs faits darmes, mais surtout envers leurs ennemis122, dans une veine 580similaire à celle du quatrième enseignement de Prudence Mondaine. Elle étaye encore ces conseils dans la suite de son exposé, dans un chapitre dédié aux « saiges cautelles darmes de quoy les chevaliers doivent user » pour insister sur limportance de prendre garde aux ennemis qui ont tendance à user de « cautelles et voies couvertes123 ». Ainsi, la prudente feintise préconisée sinscrit en réaction des propres feintes des ennemis, mais au cœur de léthique chevaleresque esquissée au gré du Livre de corps de policie. Réapparaît ici en filigranes linjonction de tromper pour ne pas lêtre, assenée à de nombreuses reprises dans le Roman de la Rose de Jean de Meun124, pourtant dénoncé par Christine de Pizan notamment pour la vilenie de ses leçons trompeuses. La nuance, cette fois encore, réside dans lintention qui est prêtée à la tromperie recommandée, mais aussi sûrement dans le contexte dans lequel elle se situe. Nul ressort amoureux intéressé ici, puisque Christine de Pizan se concentre sur la sphère sociale dans son ensemble, dans son harmonie nécessaire, plus encore sûrement dans la situation des hommes darmes. La formule quelle rapporte du roi Charles V pourrait résumer la philosophie du Livre des Trois Vertus que nous parcourions : la vertu réside dans le besoing. Le rapprochement avec léthique machiavélienne est immanquable. Son célèbre credo, « la fin justifie les moyens », semble en effet tout autant pouvoir sappliquer à la pensée de Christine de Pizan. Roberta L. Krueger souligne loriginalité de la démarche du Livre des Trois Vertus dans lœuvre de Christine de Pizan et en particulier face au Livre de la Cité des Dames dans ce contexte dailleurs. Elle fait ainsi le lien entre le projet des Trois Vertus, cette dimension politique sur laquelle nous insistions pour éclairer les justifications de la juste ypocrisie qui sy esquisse, et lanticipation des idées de Machiavel : « In the Trois Vertus, she turns to the real world, where the constraints of society mean that women must learn to negotiate their limited powers and resources with skillful speech, respectful maintenance of court etiquette and vestimentary codes, and Machiavellian domestic diplomacy125 ». On perçoit bien dans ces propos linfluence sur Christine de Pizan de Jean de Salisbury, qui éclaire ses réflexions dune 581grande acuité dans ses observations des conditions sociales du monde princier quil dépeint. Prudence Mondaine fait preuve dune même propension à la justification selon les circonstances sociales et même politiques qui peuvent exiger des pratiques plus tendancieuses de la part de la dame. On pourrait voir ces dérives et ces appels explicites à la manipulation des apparences émotionnelles comme autant dindices de la diplomatie machiavélienne ainsi anticipée chez Christine de Pizan. Pareil rapprochement témoigne de loriginalité, et ainsi de toute la modernité, du traité des Trois Vertus. Mais il donne aussi une force particulière aux penchants trompeurs qui y sont revendiqués. À la lumière de léthique machiavélienne, on ne peut manquer la proximité entre les leçons de Prudence Mondaine et celles de Faux Semblant, elles aussi légitimées selon leur besoing au gré de la démonstration de leur grande utilité et efficacité126. La comparaison gagne en pertinence bien sûr quand on en envisage les ramifications similaires liées aux enjeux des apparences, autant avec Faux Semblant quavec Machiavel127. Les remarques conclusives apportées par Dallas G. Denery à son étude des rapports entretenus par Christine de Pizan avec les théologiens autour de la question du mensonge soulignent néanmoins les nuances existantes dans cet effet dannonce quoffre Le Livre des Trois Vertus à la Renaissance, en particulier dans le tableau qui y est dressé de lhypocrisie. Certes, lemphase mise sur la prudence comme moyen de justification des méthodes manipulatrices préfigure les stratégies de façade positive de la Renaissance. Mais, au contraire de Christine de Pizan, Machiavel et Castiglione instaurent une distinction totale entre des considérations pragmatiques et celles qui relèvent de la morale ou du spirituel128, là où Prudence Mondaine nhésite pas à qualifier cette juste ypocrisie de vertu et à en faire déborder les ressorts jusquaux pratiques de la charité. Surtout, si la société du spectacle129582que nous savons être celle de la fin du Moyen Âge implique un grand contrôle de soi, des apparences offertes de soi et de son intériorité, les émotions manipulées et les enjeux de ces manipulations sont en réalité tout autres dans Le Livre des Trois Vertus. Les enjeux de cohésion sociale voire de pacification se retrouvaient en effet déjà dans les efforts de maîtrise de soi et de manipulation de lexpression émotionnelle dans nos premières analyses du principe de garde130. On perçoit donc linfluence exercée par la tradition émotionologique sur Christine de Pizan dans son élaboration dune nouvelle forme de publicité émotionnelle, qui ne se conçoit néanmoins plus seulement comme une manifestation de joie peut-être forcée dans une perspective politique, mais qui sinstille même dans les univers plus intimes de la famille ou de laumône. La portée politique et son objectif dharmonie restent cependant au cœur des objectifs poursuivis dans de tels appels à la manipulation émotionnelle. En effet, cette fin qui vient justifier les moyens préconisés par Christine de Pizan est toujours conditionnée à la fois par la bonne intention qui la préside et par la poursuite du bien et par lévitement du mal, selon un double critère qui fonctionne le plus souvent de pair comme pour mieux légitimer cette pratique dont elle a conscience du caractère inattendu. Pareille insistance ne peut quattirer lattention sur les raisons de cette construction argumentative, en regard des dynamiques sociales ainsi mises en exergue, mais plus encore dans le cadre de réflexion qua été celui de Christine de Pizan dans son approche de la tromperie.

Le Livre des Trois Vertus nest en effet pas tout à fait cohérent sur la question de lhypocrisie. Nous avons pu lire léloge de la vérité présentée dans ses premiers chapitres131, peu compatible avec pareille revendication dune juste ypocrisie, même si elle semblait quelque part aussi déjà nuancée. Mais nous pourrions également noter dautres traces de la condamnation du mensonge qui sous-tend de nombreux enseignements. De manière intéressante, ceux-ci se concentrent surtout dans ses deuxième et troisième livres, qui ne sont donc plus dédiés à un public princier ou noble. Le règne des apparences dépeint dans la première partie du traité est ainsi remis en question au gré de dénonciations parfois fort explicites 583de la fausseté des émotions affichées. Le chapitre consacré aux servantes et chambrières fait le tour des défauts qui menacent cette partie de la population féminine envisagée dans le manuel de comportement. Sous un appel général à la bonté du cœur se regroupent les critiques des excès, de la flatterie et des tromperies quelle occasionne, et, plus largement, des fausses bonnes apparences :

De tieulz gloutes est il chamberieres, si est moult grant peril en un hostel ; car le beau service que faire scevent, leurs flateries, bien appareillier a mengier, tenir tout nettement et ordonneement, bel parler et beau respondre, aveuglent tellement les gens que on ne sen prent garde de leurs tres grans mauvaistiéz : car elles se meslent de devocion parmy, pour mieulz tout couvrir, et vont au mostier a tout patenostres, et la est le peril132.

La répétition du péril que représentent de telles femmes de chambre est significative de lemphase que met Christine de Pizan sur leur vice, fondé sur la fausseté de leur bonne attitude. La qualité de leur service, de leur parole, de leur dévotion même est exposée comme hypocrite, servant seulement à mieulz tout couvrir. Ce tout paraît englober lensemble des ruses évoquées pour aveugler les maîtres, toutes ces tres grans mauvaisetiéz dont il conviendrait de prendre garde. La critique est immanquable, le lexique en est révélateur, tout comme la diversité des tromperies convoquées, du service concret à la parole, source bien connue dhypocrisie, et même à la dévotion. La dépréciation na dégal que la justification qui était apportée dans les enseignements de Prudence Mondaine pour de telles manigances. La manipulation des apparences offertes de la dévotion faisait lobjet de cette valorisation de la juste ypocrisie133, tandis que cet appel à couvrir la simulation évoque sans doute possible celui adressé à la dame qui doit faire face à ses ennemis134. La nuance appelle à réfléchir aux ambitions universalisantes des leçons dispensées par les Trois Vertus. La conclusion de ce chapitre est plus nette encore dans la tendance critique : « Si vous en prenez garde, entre vous qui estes serviz, que deceus ny soiez ; et a vous qui servez, le disons afin que abhominacion aiez de tieux choses faire. Car sans faille celles qui le font se dampnent et desservent mort dame et de corps, car de telles sont arses 584ou vives enfouies qui tant ne lont desservi135 ». Outre la réitération de lappel à la garde, on observe un jeu intéressant sur le service, celui reçu par ceux qui se trouvent ainsi deceus et celui rendu, condamné comme source dabomination et même de damnation. Pareille mise en lumière de la part trompeuse du service proposé ne va pas sans rappeler celle quen offraient la Vieille ou lAmi dans le Roman de la Rose. La recommandation de se garder pour ne pas être deceus évoque en effet celle de la Vieille qui incite à se prémunir des tromperies des faux amants et justifie sur cette base sa propre tromperie136. Et la dépravation du service ainsi rendu ne va pas sans évoquer celle que révélait lAmi en détournant les codes du service de la finamor137. La question du service réapparaît finalement, de manière négative, mais pour les servantes qui y récoltent les fruits mérités de leur péché. Le retournement opéré dans la logique du service paraît rejouer celui que prônait la Vieille une fois encore de punir les trompeurs138. Les promesses infernales, bien détaillées, laissent peu de doute sur la déconsidération de telles pratiques. Il sagit là dune autre stratégie argumentative fréquente dans le Livre des Trois Vertus qui insiste sur les châtiments des attitudes néfastes abordées dans ces deux livres. La précision quoffrent la formule sans faille ou le doublet des verbes damner et desservirmort tout comme celle des punitions proposées jouent encore de cette dynamique dinsistance sur la répression désirée. Surtout, elle évoque le propre appel à la répression du vice de Malebouche, dont lensemble de la triade trompeuse du Roman de la Rose clamait la sentence de mort. Faux Semblant, en particulier, concluait sa confession du losengier sur ce jugement sans appel à la mort quil avait bien desservie139. Il est intéressant bien sûr de compter, parmi les objets de critique, la devoction qui paraît fonctionner comme le paroxysme des facteurs de condamnation. Cétait aussi le cas dans le Roman de la Rose : la fausse dévotion de Faux Semblant semblait y fonctionner comme un outil pour éclairer la fausseté vicieuse, quoiquindispensable, du ribaus dAmour140. 585Or, cette pratique religieuse affichée faisait justement lobjet des recommandations de Prudence Mondaine, comme source dexemplarité à défaut dintentions plus pieuses141. Un retournement sopère donc entre le premier et le troisième livre, qui peut séclairer sous diverses lumières. Bien sûr, le pouvoir dexemplarité de la princesse qui servait à légitimer pareille posture est bien plus important que celui de la chambrière, moins influente puisque moins haut placée sur léchelle sociale. Ainsi, la réalité sociale justifie une fois encore les attitudes préconisées dans le manuel de comportement, tout comme leur variabilité. Ce qui simpose ici, cest la limite posée à la volonté universalisante des conseils dispensés à lensemble de la communauté féminine. La morale des classes sy trouve préservée, les chambrières restant exclues du système politique dans lequel Christine de Pizan inscrit la gent féminine. On décèle dans cette exception une nuance entre le statut dacteur de plein droit que les Trois Vertus accordent aux femmes et celui de subalterne que conservent les servantes. Ce clivage paraît se bâtir sur la notion de service et de domination qui y est directement liée. Il permet de réactiver la théologie morale écartée dans le reste du traité, fondée sur un rapport de domination. Si elle présente des ambitions délévation, cest en effet pour le prince seulement, selon le modèle exemplaire quen offre Gilles de Rome. Ce sont les mêmes enjeux qui sont présentés ici, la bonne attitude de la chambrière servant avant tout à la bonne réputation de sa maîtresse. Une nuance peut être posée à cette répartition du combat mené par Christine de Pizan pour la cause féminine selon la classe sociale envisagée. Il faut en effet rappeler quelle se présente elle-même comme la chamberiere des Trois Vertus dans lintroduction de son traité142. Le parallèle qui se tisse ainsi entre les servantes de la dame et Christine de Pizan elle-même pourrait alors éclairer la tendance conservée à la création dune véritable communauté féminine. Si celle-ci ne saffranchit pas dune logique des classes bien maintenue, elle peut se comprendre dans lentrelacement des responsabilités des dames dans la préservation de leur honneur. Ainsi, on pourrait comprendre que les bonnes actions de la chambrière sont appelées à rejaillir sur la réputation de sa maîtresse de la même manière que les efforts de Christine de Pizan contribuent 586au règne des Trois Vertus. La logique de domination se trouverait de la sorte non pas réduite, mais réorientée dans une perspective communautaire induite dans cette défense de luniversité des femmes143. Lintention joue aussi une fois de plus un rôle important dans la prise en compte du jeu émotionnel. Le seul objectif qui semble être prêté à la servante déshonnête relève de son propre profit, lui-même peu louable dans sa dimension bassement matérielle. Il est par exemple question des intérêts financiers quelle peut retirer de ses manigances envers ses employeurs : « Si ont ycelles office dacheter la viande et aler a la char, ou trop bien batent le cabaz – qui est un mot communement dit, qui est a entendre : faire acroitre que la chose couste plus que elle ne fait, et retenir largent144 ». À coup dexemples qui suivent et précisent encore cette pensée, Christine de Pizan sefforce de rendre accessible à son auditoire la critique quelle dresse à lencontre de pareilles machinations. Dans un souci dadaptation qui lui est courant, elle recourt à une formule proverbiale, quelle explicite encore pour sassurer que nul doute ne puisse subsister à cet endroit. Surtout, la répétition du peril, ou encore du « grant dommage145 », que les chambrières de cet acabit peuvent représenter pour lhôtel concerné, souligne, outre labsence de bien impliqué dans leurs démarches, le mal occasionné. Les critères de justification présentés chez Prudence Mondaine sont donc réorientés pour assurer la critique ici. La question du profit, pourtant elle aussi convoquée avec insistance dans la première partie du traité, est elle aussi remodulée ce faisant. Le profit en terme de bonne renommée se voit en effet valorisé, de manière logique au vu de lobjectif même du Livre des Trois Vertus, là où ses ressorts plus triviaux sont dépréciés et reprochés aux dames. Le problème des flatteurs, qui servait daccroche à cette réflexion sur les chambrières, préoccupe bien plus encore Christine de Pizan, qui ne pouvait manquer de le développer dans son traité inscrit dans une optique politique. Elle insiste aussi sur cette question dans LeLivre du corps de policie, où elle sappesantit longuement sur le défaut des flatteurs, dépeints comme les ennemis de toute vertu146. Elle en livre une critique exacerbée pour dénoncer leur 587« grant malice pour cautelleusement tappir leurs vices soubz fainte simulacion en ombre et en couleur de bien147 ». La tromperie apparaît une fois encore dans le sémantisme de la cautelle, bien précisé ici par les formules de grant malice, à lassociation diabolique évidente, de fainte simulacion ou des vices tappis quelle recèle, mais surtout de la fausse apparence de bien quelle permet de livrer. Bien sûr, limportance accordée au vice de flatterie répond à la réflexion plus globale menée sur lharmonie de la scène sociale, et sur limpératif voire le danger quy induit le règne des apparences. Telle est sûrement lune des raisons essentielles de linsistance portée sur la bonne intention pour légitimer les pratiques hypocrites. La société du spectacle se conçoit en effet selon deux prismes fort distincts, pour la difficulté et les risques de perturbation que comporte laccès aux vérités au-delà des apparences, ou pour loutil de manipulation que Prudence Mondaine y trouve et valorise. Dans la suite des réflexions du Livre des Trois Vertus, on paraît plutôt se concentrer sur le premier, qui fait passer à la trappe le second, une fois délaissés le devant de la scène et tous les ressorts de la vie publique de la princesse. Il en va de même au onzième chapitre de cette même troisième partie, dédié à léloge des « femmes honnestes et chastes148 », à lissue de la section consacrée aux « femmes de fole vie149 ». Christine de Pizan revient ainsi sur la qualité essentielle de la chasteté, bien défendue déjà dans la première partie de son traité selon les autorités de saint Ambroise, de saint Bernard et des Écritures bien sûr150. Ces louanges sont suivies dune longue critique des atteintes portées à lencontre de cet idéal essentiel pour la défense de la vertu féminine. Sont alors dénoncées les femmes qui se contentent de se parer de toutes les vertus et surtout celles qui font seulement mine dêtre chastes :

Si vous y vueilliez doncques delicter de plus en plus entre vous, preudesfemmes, non mie par faintise monstrer par signes et paroles que le soiez et que couvertement ait en vous le contraire, car Dieu, a qui riens nest mucié, le saroit bien, qui vous en puniroit ; mais en royale verité soit telle vostre conscience par droit effect151.

588

La manipulation émotionnelle est explicite cette fois encore, une véritable accumulation de termes de ce registre latteste. Surtout, ce comportement se voit opposé à la royale verité qui sassocie à lexercice de la conscience, au-delà de la puissance divine domniscience et de dépassement, justement, des apparences. La couverture soppose ainsi au dévoilement pour Dieu pour qui rien ne saurait être mucié. La démonstration par signes, préconisée par exemple dans le cas de lattitude à adopter envers lépoux au début des enseignements de Prudence Mondaine152, est ici rattachée à la faintise, tout autant que les démarches couvertes donc, qui relèvent pourtant souvent de la simple prudence dans le premier livre. Lautorité divine contrecarre bien sûr les efforts de légitimation des autres modes de couvertures recommandées et défendues comme relevant de la vertu dans le reste du traité. Si la prudent dissimulacion ne peut être cachée aux yeux de Dieu, son caractère trompeur, aussi juste soit-il revendiqué, ne peut être validé de manière absolue. Une fois encore, deux rangs de feintise sopposent, selon la distinction essentielle de lobjectif visé. Le péché du manque de charité est clairement évoqué dans ce cadre-ci, là où Prudence Mondaine insistait sur la nécessité que « soubz umbre de ceste chose maulx et pechiéz se doient commettre153 ». Lhypocrisie mal intentionnée reste donc inenvisageable chez Christine de Pizan. La tromperie doit sinscrire dans une dynamique de recherche de la renommée, dharmonie sociale et dexemplarité et se légitimer par une certaine pureté dintention. Bien sûr, celle-ci peut sembler infime, comme cest le cas dans le chapitre dédié à lattitude recommandée envers les ennemis. Mais cette situation est sûrement la plus illustrative de limportance conférée à la dimension politique, tandis que celle liée au clergé et à la pratique de laumône témoigne à la perfection du décalage possible selon les rangs sociaux dans cette manipulation des apparences émotionnelles recommandée, comme notre lecture du chapitre dédié aux chambrières tend à le prouver. Lemphase mise sur la question était significative au gré des enseignements de Prudence Mondaine, le contraste au sein des livres suivants le rend peut-être plus explicite encore. On comprend ainsi le poids exercé par les paramètres sociaux dans la réflexion esquissée par Christine de Pizan autour des pratiques trompeuses. Elles nous semblent en effet devoir se lire en regard dun régime dopposition entre vérité et 589espace social. Danielle Bohler met en lumière le chaos qui peut résulter de ce double facteur dévaluation, mais aussi limportance que prend celui du cadre social quil convient de ménager et de respecter154. Ce régime dopposition permettrait, nous semble-t-il, de penser les choix posés par Christine de Pizan. Il nous paraît en effet fonctionner dans Le Livre des Trois Vertus sur la base dune considération pragmatique dudit espace social, qui transcende le critère de vérité pour peu que son importance le justifie. De la sorte, la manipulation démotions fondamentales peut se légitimer dans le cadre social élevé quest celui de la princesse, source dexemplarité et de bien commun, là où celle des dames de plus basse condition ne peut relever que dintentions plus mesquines. Cest, en particulier, le cas de la dévotion, dont nous avons pu appréhender le caractère intouchable dans le chapitre précédent. Surtout, Christine de Pizan a tout à fait conscience du vice de sa manipulation en regard de lexemple quen livre le Roman de la Rose. Son choix de lintégrer dans cette nouvelle éthique du semblant paraît ainsi sinscrire dans un souci de démonstration éclatant du pouvoir des apparences, des enjeux et des limites quelle y dessine.

Quelles que soient ses nuances de nature sociologique, le contrôle de soi, de ses émotions et de leurs apparences, reste central dans lensemble du traité, toutes classes sociales confondues. Le chapitre dédié aux femmes détat et aux bourgeoises au tout début de la troisième partie reprend en effet les appels à lattemprance du rire et des manières en général :

Et avec ce, la maniere et contenance y fait moult : car si que ja est touchié cy devant, il nest rien plus desseant a femme que laide maniere effrayee et mal rassise, ne chose plus plaisant que belle contenance et maintien. Et quoy que elle soit joenne, doit estre en ses jeux et ris attrempee et sans desordennance et le savoir prendre par apoint, si que ilz soient bien seans ; et le parler sans mignotise, mais propre et doulz, ordonné et attrait ; en regart simple, tardif, et non vague, et joyeuse par apoint155.

Le champ lexical de la convenance est bien développé, de manière tout à fait conforme aux codes de la garde bienséante envisagée en amorce 590de nos analyses. Il permet de confirmer limportance, donnée déjà en introduction, aux manières et à la retenue. La plupart des termes liés à ces questions fonctionne dailleurs en couple opposant la bonne attitude et la mauvaise. Ainsi en va-t-il du caractère desseant de la dame posé en contraste avec ses jeux et rires bien seans, de sa laide maniere opposée à la plaisance de sa belle contenance. La logique oppositive renforce bien sûr la portée argumentative, tout autant que les répétitions, de la formule par apoint qui souligne encore lobjectif de convenance diversement appliquée aux rires et au regard, ou encore de la dimension ordonnée. De manière tout à fait similaire au tableau dressé aussi par Prudence Mondaine, lordre est loué comme un impératif essentiel, mis en exergue ici par une double négation qui ne laisse aucune possibilité de lecture positive du désordre. Lidéal de retenue ainsi proposé sétend à de nombreux champs daction, du maintien général, aux jeux et aux rires en passant par la parole, par le regard, mais aussi par la joie en elle-même, par les émotions de la dame donc. Limportance accordée à la belle contenance et maintien laisse peu de doute à ce stade déjà, mais Christine de Pizan la renforce encore en insistant sur les risques de mésinterprétation liés à une expression trop libérée. Elle reprend donc cette logique desquive instillée dans la première partie de son traité pour éclairer la double tension qui entoure lexpression émotionnelle, qui savère aussi indispensable que dangereuse. Elle poursuit ainsi :

Mais en suivant la matiere de dessus, est assavoir que avec le mauvais lenguage et blasme qui puet sourdre a femme par abit desordenné et par maniere malhonneste, y a un autre plus perilleux inconvenient : cest lamusement des folz hommes qui peuent penser que elle le face pour estre convoitee et desiree par fole amour156.

Les conséquences néfastes pour la dame qui ne se fie pas à ces recommandations sont une fois de plus soulignées demblée. Christine de Pizan débute dailleurs par celles-ci avant de revenir aux causes du mauvais lenguage et blasme qui peuvent en survenir, mais surtout à la plus perilleuse des conséquences. La fole amour et surtout le regard des folz hommes sont placés au cœur des dangers pour les dames qui se risquent aux tenues et manières desordennées et malhonnestes. La reprise de 591ladjectif fol oriente le propos et rapproche ainsi cette réflexion de lun des combats les plus acharnés de Christine de Pizan. Lenjeu central de sa critique paraît en effet concerner les dérives amoureuses. Or, il nous permettrait justement de souligner les facteurs de distinction qui nous semblent apparaître dans sa conception nouvelle de lhypocrisie. La légitimation repose sur des critères politiques, mais ceux-ci semblent en réalité sinscrire aussi en opposition à la sphère amoureuse. Nous avons observé combien la tromperie masculine avait marqué Christine de Pizan au gré de sa lecture et du débat suscité autour du Roman de la Rose. Il est donc intéressant denvisager les modalités de la réévaluation quelle propose de lhypocrisie, de lintérêt de lamant, personnel et nuisible aux dames, aux bienfaits féminins et sociaux. Nulle bonne intention ne peut être prêtée au fol amant, là réside sûrement largument-phare de Christine de Pizan à cet égard. Et cest sûrement dans ce sens que peut se lire son insistance sur lhonneur féminin dans la justification du jeu des émotions quelle recommande au contraire. Elle révèle ce faisant latteinte portée par Jean de Meun aux codes de la finamor. Les manipulations émotionnelles, le bel semblant indispensable à maintenir devant les losengiers en particulier, devaient en effet sy justifier en regard de la préservation de lhonneur de la dame aimée. Or, la prise abrupte de la Rose et les attitudes trompeuses démontrées pour y parvenir semblaient annuler cette forme de morale inscrite dans les feeling rules des amants. Face à pareil modèle, Christine de Pizan désapprouve lensemble des manipulations émotionnelles requises dans la sphère amoureuse, quelle vient opposer à celles quelle accepte et revendique dans une perspective politique. Lemphase mise, au chapitre cité à linstant, sur cet inconvenient le plus perilleux, davantage que sur tous les autres liés à la mauvaise renommée en soi, en constitue déjà un bon indice. Mais lexposé se poursuit encore bien longuement, dans une démonstration implacable des dangers quelle perçoit dans les relations amoureuses. Il lui permet aussi de réitérer limportance conférée aux apparences, sources du danger, mais aussi de la solution que Christine de Pizan veille à offrir face à la menace des folz hommes. Elle veille avant tout à souligner le déshonneur que peut occasionner lattitude désordonnée et plus encore le contact avec les folz hommes. Elle le martèle à coup de répétitions éloquentes à ce niveau du blasme, 592du prejudice, du deshonneur157. Pour mieux léviter, elle recommande la plus grande prudence aux dames, à appliquer avant tout dans les manières démontrées : « Et pour ce la sage dessusdicte, si tost que elle aperçoit par aucun signe ou semblant que quelque homme a vers elle pensee, lui doit donner toutes occasions de sen retraire en manieres, paroles et semblans, et tant faire que il aperçoive que elle ny a courage ne veult avoir158 ». Le caractère révélateur des apparences est bien mis en exergue ici : il est essentiellement question de ce que lun et lautre peuvent apercevoir, et ce sont les signes, semblans, manieres et paroles qui peuvent renseigner sur la pensee ou le courage. Laccumulation des indices qui peuvent être offerts du courage vient exacerber le pouvoir signifiant et révélateur que Christine de Pizan veille à leur rendre. Elle restaure le lien entre homo interior et homo exterior éclaté par Faux Semblant, avec toute lambigüité du jeu quelle y prescrit elle-même bien sûr. Le culte des apparences quelle rend dans son traité renoue ainsi avec leur tension initiale, à la fois comme sources dinterprétations et de conséquences lourdes de significations. Poursuivant dans le détail cet appel au contrôle des semblans, Christine de Pizan soutient également limportance que ces divers signes soient cohérents pour ne laisser aucune place aux mésinterprétations : « Et avec ce, que aussi soient les semblans pareilz aux paroles, cest assavoir que de regart ne de maintien ne face aucun semblant par quoy il puisse nullement penser que jamais y peust avenir159 ». Les apparences physiques sont ainsi tout aussi dignes dattention que les paroles, la polysyndète de ne de lindique bien. La défense des apparences que livre Christine de Pizan se construit ainsi en écho à la tradition établie à leur endroit. Le rapprochement des semblans et des paroles se trouvait en effet au cœur des efforts de définition du mensonge et du lien étroit quil présente avec la simulation dans les réflexions de Thomas dAquin160. Le culte du secret, fondamental dans la tradition amoureuse courtoise161, reste cependant de rigueur, quels que soient les torts réels de la dame :

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Et aussi dire ne le doit a voisin ne voisine ne a autre, car paroles sont raportees par quoy il avient aucunes foiz que hommes contreuvent mauvaistiéz sur les femmes par despit de ce quilz sont refuséz, et ilz scevent que elles en parlent ou ont parlé. Si ne grieve riens taire la chose de quoy on ne puet de riens mieulx valoir de la dire, – et nest point belle vantance a femme162.

La recommandation de silence ainsi proposée peut paraître moins originale : il est souvent question de cette discrétion que la dame doit cultiver, surtout quand elle sest accordée à lamour. Mais la menace de la divulgation paraît déplacée et réactivée comme cause non plus de médisance en soi, mais de colère de la part des hommes repoussés. La critique à lencontre des folz hommes sen voit bien sûr renforcée, puisquils deviennent eux-mêmes la source des calomnies portées à lencontre de la dame aimée. Le combat mené par Christine de Pizan pour la cause féminine est éclatant dans ce cadre de dénonciation des méfaits que causent les amants eux-mêmes à leur aimée. Il lest en réalité aussi tout au long de sa carrière littéraire. La célèbre lettre de Sebile de la Tour, reprise, de manière si intéressante, du Livre du duc des vrais amants dans Le Livre des Trois Vertus, en constitue lun des exemples les plus forts.

Le chapitre qui clôture la première et la plus longue des parties du Livre des Trois Vertus prend la forme dun emprunt du « dittié damour » que Christine de Pizan livre peu de temps avant son manuel de comportement, Le Livre du duc des vrais amants. Le recours à lun de ses propres textes contribue à nen pas douter à laffirmation de son autorité qui se dessine au gré du Livre des Trois Vertus, où les exemples cités sont rares et le plus souvent seulement liés aux autorités bibliques et ecclésiastiques, comme nous le soulignions en introduction. Linsertion de cette lettre est en ceci déjà remarquable, mais elle lest dautant plus au vu de son contenu. Elle peut en effet être lue comme un véritable condensé des remises en cause des schémas de lamour courtois conçues dans la dynamique de protection de lhonneur féminin si cher à Christine de Pizan. Elle sinscrit en conclusion du premier pan de réflexions déployées par les Trois Vertus, à lissue dune dernière recommandation placée dans la bouche de Prudence Mondaine. Celle-ci envisage la situation de la dame responsable dune jeune fille qui se serait « desvoiee en fole amour163 ». En dernier recours, 594Prudence Mondaine conseille à la gouvernante de quitter sa maîtresse si elle reste sourde à ses exhortations. Cest dans ce contexte que peut émerger la possibilité de faire parvenir une lettre à la jeune dame, selon un modèle que Christine de Pizan livre ainsi sur la base de celle de Sebile de la Tour. Tenue de l« ammonester164 », la dame entreprend un réquisitoire contre le « decheement d[u] bon loz » de sa maîtresse165, selon cette insistance, habituelle dans le traité, sur lhonneur de la dame. De manière intéressante, la gouvernante commence par établir une véritable liste des qualités nécessaires à la bonne jeune fille, qui semble fonctionner comme un résumé de lensemble des enseignements dispensés au gré de la première partie du traité. La portée didactique du manuel de comportement transparaît sans doute possible en cet instant de clôture de la réflexion, mais aussi de concentration sur ses éléments cruciaux. La gouvernante insiste tour à tour sur la dévotion, le bon maintien surtout et le comportement à adopter envers tous ses familiers, ses femmes, ses serviteurs, ses sujets, mais aussi ses ennemis ou les étrangers. Elle se concentre déjà sur le besoin de discrétion, voire de secret, que doit cultiver la jeune fille et sur les dangers quelle risque dans le cas contraire166. De ce condensé de manuel de bon comportement, elle passe ensuite à lexposé des torts présentés par la jeune fille face à ce code de conduite :

Et comme ces dictes condicions et toutes manieres convenables a haulte princepce fussent en vous le temps passé, estes a present toute changee, si come on dit, car vous estes devenue trop plus esgaiee, plus enparlee, et plus jolie que ne soliez estre, et cest ce qui fait communement jugier les cuers changiéz quant les contenances se changent. Car vous voulez estre seule et retraicte de gens fors dune ou de deux de voz femmes et aucuns de voz serviteurs a qui vous conseilliez et riez meismes devant gens, et dites paroles couvertes comme se vous vous entreentendissiez bien, et ne vous plaist fors la compagnie dyceulx, ne les autres ne vous peuent servir a gré, – lesquelles choses et contenances sont cause de mouvoir a envie voz autres servans et de jugier que vostre cuer soit enamouréz ou que ce soit167.

La transition se fonde sur une opposition entre temps passé et présent. La jeune fille possédait toutes ces qualités, caractérisées par leur 595convenance. Mais elle est à présent toute changee, et la formule révèle déjà lintensité de ce changement. Il est intéressant de constater comment les dictes condicions étaient dabord dépeintes comme le sujet et linstance de contrôle de la jeune dame, qui devient ensuite elle-même sujet, une fois évacuées toutes manieres convenables. Lindépendance prise par la jeune fille face à ces recommandations paraît très claire, avec tous les risques que cela présente dans la rupture opérée face à la convenance requise. La gouvernante recourt à un style argumentatif exploité dans lensemble du manuel des Trois Vertus, qui met en exergue les rapports de cause à effet, comme cela est le cas quant à ce changement dont la jeune fille est accusée. La répétition de ladverbe plus renforce laccusation, tout comme la portée du changement critiqué ainsi dans son excès. Aux trois plus répond la formule de ne soloir etre, qui insiste encore sur le changement opéré. Cest bien sûr la sentence proverbiale qui conclut cette première phrase qui marque le mieux lemphase mise sur le changement, par le recours au savoir commun, source dun jugement bien souvent incontournable. Sa formulation est remarquable, pour sa portée générale envisagée avec ladverbe communement, mais surtout pour les instances de changement. Les cœurs sont en effet passivement altérés pour peu que les contenances laient été. Le seul sujet de cette modification réside donc dans les manières et attitudes démontrées, selon un jeu de renversement intéressant. Le comportement manifesté est le plus souvent dépeint comme le miroir de lintériorité, mais limportance quil prend ici le rend alors influent sur lintériorité elle-même. Dans un nouveau rapport de causalité, la dame justifie, en décryptant les manières de la jeune fille dans tous leurs détails, les raisons de juger de ce changement. Les enjeux de la visibilité sont explicites dans la description quelle en offre, et la restauration du lien entre homo exterior et homo interior complète. La place que prend la jeune fille entre sphères privée et publique est bien soulignée, dans son désir dêtre seule et retraicte de gens ou justement de se conseillier et rire meismes devant gens. Sebile de la Tour insiste surtout sur le danger du jugement qui peut être porté sur cette base. Ces paroles couvertes et ces conseils et ces rires bien trop publics peuvent en effet conduire à penser comme si la jeune fille et ses proches cachaient quelque chose. La formule illustre le risque de la médisance liée aux apparences trop manifestes. Elle évoque surtout celle qui servait à qualifier les attitudes de Faux Semblant et lAmant au seuil 596de leurs pèlerinages respectifs168. Tout le danger des apparences trouve une confirmation certaine dans ce parallèle. Il prend en charge autant leur non-fiabilité que leur efficacité. De cette impression offerte par la jeune fille à sa critique par les autres servans, il ny a bien sûr quun pas. Une fois de plus, le lien de cause à effet est clair : ce sont ces contenances qui sont à la source du jugement. Le rapport dinfluence entre cœur et apparence se trouve ainsi encore réinvesti dans cette concentration sur les dangers de la visibilité. La menace se fait plus grande dans la mobilisation de lenvie à la source de ce jugement. Elle touche à un vice bien ancré dans la dénonciation idéologique médiévale, dans une association fréquente avec lhypocrisie dailleurs169, et plus encore dans la sphère sociale. La publicité des attitudes et des pensées de la jeune princesse se révèle donc centrale, et la nécessité de les contrôler plus pressante. Le règne des apparences mis en scène tout au long du Livre des Trois Vertus prend ici sa forme la plus menaçante, la gouvernante en précise aussitôt les dangers :

Ha ! ma tres chiere dame, pour Dieu mercy. Prenez garde qui vous estes et la haultece ou Dieu vous a eslevee, ne ne veilliez vostre ame et vostre honneur pour aucune fole plaisance mettre en oubli ; et ne vous fiez es foles pensees que pluseurs joennes femmes ont, qui se donnent a croire que ce nest point de mal damer par amours, mais quil ny ait villennie – car je me rens certaine que autrement ne le vouldriez penser pour mourir –, et que on vit plus lieement et que de ce faire on fait un homme devenir vaillant et renommé a tousjours mais. Ha ! ma chiere dame, il va tout autrement. Et pour Dieu ! ne vous y decevez ne laissiez decepvoir. Prenez exemple a de telles grandes maistresses avez vous veu en vostre temps, qui pour seulement estre souspeçonnees de telle amour, sans que la verité en fust oncques atteincte, en perdoient honneur et la vie170.

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On retrouve linjonction tout à fait courante à la garde, qui se concentre ici sur la position de la jeune fille – dans une nouvelle démonstration de limportance conférée à la sphère sociale, appuyée par lautorité divine à la source de ladite position. Le défaut que constitue ce type damour est bien mis en lumière, par la répétition de ladjectif fol qui qualifie la plaisance source doubli de lâme et de lhonneur, ainsi que les pensées des jeunes femmes qui pensent pouvoir minimiser la villennie quil constitue. Lapplication du même adjectif souligne la transition de la condamnation de cette plaisance amoureuse en elle-même aux justifications qui paraissent pouvoir en être données. Les impératifs émaillent dès lors la lettre, incitant la dame à prendre garde, veiller, ne pas se laisser tromper, prendre exemple aussi pour mieux prendre conscience du danger encouru. La gouvernante oppose ainsi les croyances et les fausses impressions aux faits. Une fois encore, on peut souligner toute lironie du parallèle possible avec la propre leçon de Faux Semblant qui insistait lui aussi sur la vérité des actions dans sa mise en garde de la tromperie potentielle des apparences171. Les foles pensees en question relèvent dune idée reçue commune à la tradition amoureuse courtoise combattue par Christine de Pizan. Le peu de mal causé, la joie retirée et surtout lélévation de lhonneur masculin constituent des arguments fréquents dans ce débat autour des avantages amoureux, tour à tour révoqués par Sebile de la Tour. Les formules exclamatives participent de cette volonté de souligner lerreur de telles considérations, tout comme le dédoublement des affirmations derreur qui se suivent directement. La question de la deception, répétée, est évidemment intéressante à ce niveau. Elle fait écho à lune des plus grandes menaces dénoncées par Christine de Pizan dans lunivers amoureux. La tromperie reste globale à ce stade néanmoins : il sagit encore seulement de la tromperie générale quimplique une telle perception de lamour courtois, de celle des médisants et non des faux amants qui concentrent sa critique. Selon une autre stratégie argumentative récurrente dans le Livre des Trois Vertus, des exemples précis sont proposés pour concrétiser son message. Celui choisi dans ce cas se veut dailleurs proche, dans la temporalité, et donc dautant plus transposable au cas de la jeune fille, mais aussi dans lexpérience de la jeune dame 598même, puisquil sagit de grandes maistresses quelle a pu elle-même voir. La gouvernante expose dans toute son ampleur le danger du soupçon, présenté de manière distincte de la vérité, mais non moins nuisible à lhonneur et à la vie des femmes concernées. Conformément à la tradition amoureuse courtoise, la médisance constitue le cœur des dangers auxquels sexposent les amants, mais aussi les dames qui ne se prêtent pourtant pas même au jeu amoureux. Il sagit là dun argument fréquent chez Christine de Pizan pour déconstruire lidéal amoureux quelle dénonce au gré de bon nombre de ses œuvres. La médisance se concentre ici sur lhonneur féminin, selon un enjeu supposé incontournable de léthique de la finamor, mais dont le Roman de la Rose a démontré les limites et les dérives. Cest sûrement dans ce sens que se lit lopposition entre la renommee de lamant choisi et lhonneur de la dame. Son importance est mise en exergue par sa présentation en doublet avec la vie même de la jeune fille. Le déséquilibre entre les avantages pour les hommes et ceux que pourraient en tirer les femmes est ainsi mis en lumière. Du même mouvement, largument premier des jeunes filles qui justifient ces amours par labsence de mal quelles y risqueraient se trouve annulé : mal il y a forcément si leur futur dans son ensemble peut sen trouver remis en question. La déconstruction argumentative est notable : sur la base de linjonction à ne pas se laisser abuser, la dame est appelée à revoir son jugement selon des exemples renforcés par leur proximité et par leur fondement dans sa propre expérience, qui attestent le danger vital même quelle peut encourir. Tout ceci est envisagé en-dehors de toute réflexion sur la véridicité des médisances portées à son encontre, dans une prise en compte parfaite une fois encore de la réalité sociale peu soucieuse de leur réalité. Constamment scrutée et jugée, la dame doit tout mettre en œuvre pour contourner cette menace, et seule la bienséance de son apparence peut ly aider dans une réaffirmation éclatante de lidéal de garde. La gouvernante y revient encore dans la suite de sa missive. Au gré dune liste ample et expressive des risques de la folle amour, elle insiste sur lexemplarité indispensable de la jeune princesse et surtout sur la place fondamentale, dans ce contexte, des ouï-dire et des apparences comme socle du jugement social172. Sa haute position ne peut que linciter à davantage de prudence, et ce rappel fonctionne 599comme le prétexte dune nouvelle mise en lumière des conséquences des scrutations dont elle est toujours lobjet :

Et aussi est neccessaire a une chascune grant maistresse avoir plus grant regart en toutes ses manieres, contenances et paroles qua autres femmes : la cause si est quar quant on vient en la presence dune haulte dame, toute personne adrece son regart a elle et ses oreilles a ouïr ce quelle dira, et son entendement a noter tout son fait. Si ne puet la dame ouvrir lueil, dire parole, rire ou faire semblant aucun que tout ne soit recueilli, avisé et retenue de pluseurs personnes, et puis raporté en maintes places. Et que cuidiez vous, ma tres redoubtee dame, que ce soit mauvaise contenance a une grant maistresse, voire a toute femme, quant plus quelle ne seult devient esgaiee, jolie, et plus veult ouïr parler damours ; et puis quant son cuer sen change par aucun cas, tout a coup devient rechignee, malgracieuse, tenceresse, et ne la puet on servir a gré, et ne lui chault de son habit et attour ? Certes, adonc dient les gens quelle souloit estre amoureuse, or ne lest plus. Madame, si nest mie maniere que dame doie avoir, car elle doit prendre garde, encore quelque pensee que elle ait, que tousjours soit dun maintien et contenance a celle fin que telz jugemens ne puissent estre faiz sur elle, mais puet bien estre que fort seroit en la vie amoureuse garder tel mesure. Et pour ce le plus seur est du tout eschivier et fuir telle vie173.

Les manières de la dame sont une fois de plus envisagées dans toute leur diversité, pour mieux en souligner limportance, dans leur seule perspective apparente toujours. La diversité de ses objets de contrôle na dégal que la diversité des moyens de contrôle quexerce la société à son égard : vue, ouïe, réflexion sont tour à tour convoquées pour analyser tout son fait. La menace du regard extérieur est réitérée dans la suite du passage comme pour la rendre plus explicite encore. Lapparence dans son ensemble est intégrée aux objets indispensables de mesure, puisquelle est le premier des objets dobservation, de jugement, de mémorisation et surtout de diffusion. Le temps de pause laissé à la suite des trois premiers mouvements quimplique le regard critique porté sur les actions de la jeune femme met bien sûr mieux en lumière encore le dernier et le plus important, ou du moins le plus dangereux, quest celui de la propagation, base de la médisance. Sa force est également demblée soulignée, puisquelle seffectue en maintes places174. Le rappel quoffre ce tableau du contrôle 600social permet à la gouvernante den revenir au cas particulier de sa jeune maîtresse qui faillit aux injonctions de maîtrise de soi qui ont rythmé lensemble du traité. Les changements dattitude déjà mis en lumière au début de la lettre sont ici à nouveau au cœur des préoccupations, pour le jugement si risqué quils occasionnent. La question rhétorique dans laquelle ils sont dépeints révèle aussitôt la position de la gouvernante sur cette attitude changeante, et par trop révélatrice comme elle le met bien en exergue. Lévaluation de lattitude en question est aussi explicite demblée : la qualification de mauvaise laisse peu de doute sur sa déconsidération et soppose clairement aux recommandations de bonne tenue assénées jusqualors. On retrouve en outre un motif cher à Christine de Pizan dans Le Livre des Trois Vertus, qui procède à une généralisation de ladresse et ainsi du conseil dispensé pour mieux insister sur son importance. Les jeunes filles de haute noblesse sont davantage objets de surveillance, mais toutes les femmes devraient veiller à leur bonne contenance. Lallusion aux reproches initiaux liés à cette mauvaise contenance est nette : il y est également question dune attitude plus joyeuse que celle qui était habituelle à la jeune dame, comme la reprise de la formule plus quelle ne seult le marque bien. Le pouvoir signifiant des apparences émotionnelles reste ainsi au cœur de la critique portée par la gouvernante. Un second temps de réflexion est envisagé ensuite, introduit par la même transition et puis, qui rythmait le degré de conséquences pour la dame de ne pas mesurer son apparence. Les défauts présentés vont ainsi croissant, ce qui paraît confirmé par le redoublement du changement dattitude, lui-même fondé sur un changement précisé comme étant celui du cœur. Au contraire du passage précédent dans lequel nous révélions la prépondérance des apparences comme sujets du changement, cest bien le cœur ici qui se voit au centre du processus de modification. La critique se renforce sûrement ce faisant en allusion à linconstance si souvent prêtée à la gent féminine – même sil paraît étrange de trouver réactivé ici un stéréotype misogyne. Ce qui importe bien sûr davantage, cest la source du mauvais jugement que constitue ce nouveau revirement émotionnel, tout aussi apparent que le précédent. On observe en effet lemphase mise sur la sphère émotionnelle qui sous-tend ces modifications dattitude. La jeune fille passe de lesgaiement au rechignement, selon ce que son cuer sen change. Les manifestations visibles de ces émotions sont exacerbées, selon lattention portée en conséquence à lapparence et à la conversation à laquelle elle 601peut se prêter. La question rhétorique introduite pour mieux dénoncer lerreur de la jeune fille trouve une réponse éloquente, inscrite dans la même logique dexpression. Elle se concentre de la même manière sur le changement présenté sous la formule de souloir, comme pour mieux mettre en exergue le défaut de ce changement. Surtout, elle présente un constat indéniable, exposé dans toute sa clarté, de son introduction par ladverbe certes à sa conclusion concise et formelle qui marque la rupture entre ces deux temps de lattitude démontrée par la jeune fille. La dimension publique de la sentence exprimée est aussi rendue limpide, ce sont les gens qui dient, selon une autre formule frappante par sa simplicité expressive, tout à fait conforme aux codes de la parole volante quest celle de la médisance. Ladresse ici réitérée à la jeune maîtresse annonce lemphase mise sur ce qui suit. La gouvernante reprend et conclut sur cette question des apparences offertes au gré des émotions variables de la jeune fille. Cest sur une idée de rupture que se fonde sa prise de parole, non pas entre cœur et apparence cette fois, mais face à cette maniere que nulle dame ne devrait avoir. Selon une tendance bien attestée dans le traité, largumentation se veut logique et raisonnée, expliquée et justifiée. La nécessité de prendre garde se conçoit ainsi comme une justification du refus de la gouvernante, mais est elle-même justifiée par la subordonnée finale introduite à la suite de la causale dans laquelle se voit rappelée cette recommandation centrale de contrôle de soi – et la portée argumentative du propos est éclatante ce faisant. Le maintien et la contenance à laquelle la jeune fille est appelée à veiller, dans un autre doublet synonymique révélateur du poids qui y est accordé, visent à lui éviter de telz jugemens. La jeune fille nest plus quobjet des regards portés sur elle, et la seule manière de garder prise sur sa considération et ainsi son honneur réside dans cette garde. Lopposition présentée entre son maintien et sa pensee rejoue celle entre intériorité et extériorité, en délaissant totalement lintériorité ici, insignifiante face à ses manifestations sources de tels jugemenz. Et ainsi, lopposition na dégal que le lien de cause à effet entre la mauvaise contenance et ces telz jugemens. Tout en se réaffirmant dans un rapport de continuité risqué, le lien entre cœur et expression est appelé à être rompu pour préserver la jeune fille. Une exception, du moins une nuance, est encore introduite. Dans cet exposé à la construction argumentative immanquable, ladverbe adversatif mais dénote au cœur des conseils dispensés. Loin de poser une exception à la nécessité de la garde, 602la nuance esquissée la renforce encore. Elle en présente seulement la grande difficulté dans le cadre amoureux, un autre topos bien attesté de la tradition amoureuse courtoise175. Christine de Pizan réélabore ce constat comme tremplin à sa propre considération de lamour courtois, qui ne peut être quesquivé et même fui, la mesure étant impossible à garder dans ce cadre. Le contraste avec la tradition offerte par le Roman de la Rose de Jean de Meun est notable. Le constat de linsuffisance de la garde et du bel semblant quelle implique justifiait en effet lirruption de Faux Semblant et son aide capitale à la quête de lAmant. Ce modèle trouvait une confirmation éclatante dans ce registre dopposition entre la difficulté impliquée de veiller au secret de lamour et les mesures prises pour y pallier chez Évrart de Conty. Bien loin de la solution émise par Christine de Pizan de fuir lamour, il recommandait justement, en raison de cette impossibilité reconnue depuis Ovide du secret de lamour, le faulx samblant176.La volonté de réorientation des logiques amoureuses ne saurait être plus manifeste. Sur cette base, la gouvernante reprend les arguments de la joie supposée de lamour à laquelle elle oppose, avec plus de force encore peut-être, les « dueil, cuisançons, et dongiers perilleux177 », quelle précise exister « par especial du cousté des dames178 ». La crainte de perdre lhonneur est mise en exergue comme incapable dégaler la prétendue « plaisance179 » retirée dune telle relation. Surtout, elle revient sur ce « vray ami et serviteur180 » que la dame gagnerait en son amant, une supposition on ne peut plus fausse, les hommes se « serv[a]nt eulx mesmes [] et non mie a la dame181 ». Cette description du service ambigu, égoïste et intéressé des hommes trouve à nen pas douter une origine haute en couleurs dans la description quen faisait lui-même lAmi182. La gouvernante ne sappesantit cependant pas ici sur 603les défauts masculins. Elle préfère insister encore et encore sur les risques encourus, tout dabord en lien avec la colère ainsi suscitée de Dieu, puis avec la mort ou les reproches qui surviendraient si lépoux ou la famille surprenaient cet amour183. Face à une telle menace, qui implique lensemble des relations sociales de la dame et même celle quelle entretient à Dieu, une mesure absolue est la seule solution. Et puisque lamour en rend lexercice impossible, elle doit dautant plus se prêter à ce contrôle complet de son apparence pour éviter que la fumée ne puisse prendre même sans feu184. Limage du feu est intéressante et révélatrice de ce combat mené par Christine de Pizan pour la cause féminine. Elle fait allusion à un motif bien connu de la finamor comme symbole tout indiqué de la puissance de lamour185. La valorisation du secret amoureux y était éloquente, selon des feeling rules bien attestées pour la communauté émotionnelle des amants. Caché et discret, lamour se voulait plus fort encore. Ici, lenjeu nest plus lintensité du feu, que Christine de Pizan recommande dailleurs de laisser tout à fait éteint186, ni la cendre qui peut le dissimuler, mais seulement la fumée qui peut sen échapper. La lutte contre la médisance se voit ainsi redessinée non pas à laune de lutilité de lhypocrisie, mais selon une version renforcée de la garde, si ce nest un refus absolu de lamour.

Le principe de tempérance émotionnelle qui anime lensemble de lémotionologie médiévale trouve une illustration éclatante sous la plume de Christine de Pizan, pas seulement dans le cas de la jeune fille amoureuse qui risque sa réputation ni même de la gent féminine par trop confrontée aux retombées négatives de ces amours. Elle se fait donc porte-voix de cette recommandation essentielle de la maîtrise des émotions, réorientée en regard dune logique sociale épurée. Nous citions déjà dans ce sens le discours de la déesse Othéa dans notre chapitre sur la garde :

604

Pour ce dit que le bon chevalier, qui par ses bonnes vertus resjouit les autres, ne doit estre triste, mais joyeux et envoysiez gracieusement. Pour ce dit Aristote a Alixandre le Grant : « Quelque tristece que ton cuer ait, tu dois tous jours monstrer lié visage devant ta gent187 ».

Placée dans la bouche dAristote, le maître dAlexandre le Grand, mais aussi le maître à penser de lidéal de juste milieu qui irrigue lémotionologie médiévale, linjonction prend plus de force encore. On y retrouve lopposition entre cœur et expression, rythmée par la même formule quelque employée par Sebile de la Tour188. Mais, ici, limportance est réaccordée à la vérité du cœur. Il paraît en effet gagner une forme dautonomie, puisquil sagit de la tristesse que lui ressent. La déesse Othéa souligne donc limportance de la réalité du cœur, quelles que soient les apparences manifestées. Cela permet de révéler la teneur de lémotion camouflée et la logique du jeu mis sur pied, selon ces critères essentiels du carré sémiotique que nous avons identifié. La dimension bien intentionnée et bienséante du jeu recommandé est explicite ainsi. Il est dailleurs question de cette bonne chiere qui doit assurer la convenance recherchée, de manière dautant plus claire quelle vise à resjouir les autres. La perspective politique que Christine de Pizan pose au cœur de sa compréhension du jeu des émotions vaut ainsi aussi bien pour les dames destinataires du Livre des Trois Vertus que pour les chevaliers et hommes sages de la trempe dAlexandre.

Cette égalité des appels à la mesure des apparences aussi bien pour les hommes que pour les femmes nen implique pas moins lémergence dun regard critique plus spécifique sur la gent masculine. Le débat que Christine de Pizan porte à lencontre du Roman de la Rose exerce une influence durable sur sa réflexion et sur son œuvre, qui veut dénoncer la tromperie à laquelle pareil appel à la garde peut mener selon le modèle quen offre Faux Semblant. La longue lettre de Sebile de la Tour ne pouvait faire limpasse sur la tromperie et les défauts des faux amants ainsi mis en lumière. Déjà dans les Cent ballades damant et de dame, elle met en avant à plusieurs occasions lhypocrisie masculine. Elle dénonce par exemple la manière dont « aiment hommes damour de feu de paille / 605qui si faignent estre damours destroit189 ». Cet amour de feu de paille convoque une fois encore la métaphore du feu, quelle détourne ici aussi, comme dans le cas de la lettre de Sebile de la Tour190, où le feu nest plus celui de lamour, mais de la faute féminine source de cette fumee qui lui est si néfaste. La feintise masculine se trouve également au cœur des attaques de Sebile de la Tour :

Encore supposé que ce naviengne, disons du cousté des amans – encore que tous fussent loyaulx, secréz et voir disans, ce quilz ne sont mie, ains sont fains et pour les dames decepvoir dient ce quilz ne pensent ne vouldroient faire –, toutevoies est chose vraye que lardeur de celle amour ne dure mie longuement meismement aux plus loyaulx, et cest chose certaine191.

Une fois encore, la construction est marquante : la critique se dissimule derrière une conditionnelle, en réalité rapidement détournée. La dynamique est dautant plus claire quelle est dédoublée : on retrouve à deux reprises, et de manière très proche, la formule encore que, qui, dans les deux cas, établit un véritable constat, quelle que soit sa présentation hypothétique. Il va de soi pour la prudente gouvernante que ce adviendra, et surtout que tous ne sont pas loyaulx, secréz et voir disans. Elle lexprime avec la plus grande franchise, et dans une formulation qui contraste avec les tournures conditionnelles employées jusqualors : ce quilz ne sont mie. Elle recourt à nouveau à la transition adversative pour mieux souligner la rupture avec ces fausses impressions qui pourraient être celles des dames occupées par ces amours. Lindicatif présent employé dès lors témoigne également de la rupture et insiste sur la véracité des faits présentés et dénoncés. La tromperie masculine est dépeinte avec une grande simplicité, qui joue de la force stratégique conférée à ces arguments. Lobjectif de leurs fausses paroles est clairement introduit aussi : il se résume à la seule volonté de decepvoir, indubitable en regard des leçons offertes par le Roman de la Rose. Ce type daffirmation martelée sans lombre dun doute se retrouvait également dans Le Livre de la Cité des Dames : « et toutesvoyes est ce chose certaine que tres souvent et menu ilz deçoivent les femmes par leurs cautelles et faulx 606semblans192 ». Contredisant ici aussi une probable idée reçue, Christine de Pizan, par la voix de Droiture, assène comme certitude la deception des hommes, précisée par lusage des cautelles – dont le sens paraît peu sujet à hésitations dans ce cas – et de faulx semblans. Au cœur dune section dénonçant les dérives amoureuses déployées chez Ovide et Jean de Meun, lexpression de faulx semblans est explicite. Elle témoigne encore de la portée de cette formule forgée sur le nom du personnage ambigu du Roman de la Rose qui nous a longuement occupée. Tel est le cœur des critiques portées par Christine de Pizan en réponse aux misogynes : plus que linconstance des femmes ou même la ruse qui leur est associée, ce sont les tromperies masculines qui dépravent lamour, ce sont les hommes qui trompent plus que les femmes. À la croisée de cette dénonciation et de lappel à la mesure plutôt quà la dissimulation pour les femmes, cest lensemble des stratégies dissimulatrices propres à lamour courtois qui est porté aux nues. Nulle place ne subsiste pour le secret, détourné au profit dune stratégie bien plus ferme : la fuite totale des amours de ce type, comme nous le lisions dans le passage précédent du Livre des Trois Vertus193. Sebile de la Tour recourt une fois encore à une formule conditionnelle qui sous-entend son manque de foi en la matière. Elle met ainsi en exergue les dangers qui subsistent, les amants fussent-ils loyaulx. Elle souligne ce faisant limpossibilité totale des bienfaits de lamour. Le caractère éphémère de lamour est mis en lumière, dans une autre formulation explicite et redoublée une fois encore. Cest chose vraye et même certaine – une qualification qui rythmait également laffirmation de Droiture – que lamour ne dure pas. Celle amour est dailleurs demblée présentée négativement, par lassociation à lardeur qui la caractérise. On retrouve limage du feu, qui convoque toute la force qui peut être celle de ce type damour, mais dans une réorientation dépréciative immanquable. Elle permet de mettre en exergue le risque de brûlure de lamour davantage que sa force. Ainsi, quelle que soit la trempe de lamant, la chute ne peut être que certaine. On peut dailleurs y lire un autre détournement des leçons de Faux Semblant, à lincertitude indépassable. Lintroduction, similaire à celle du Livre de la Cité des Dames, de ce constat par ladverbe toutevois signe 607encore le renversement quexpose Christine de Pizan dans la conception amoureuse. Elle poursuit dans cette dynamique dopposition à la tradition de la finamor :

Et oultre, se vous et toutes les autres pouez veoir quelle folie est de mettre son corps et son honneur ou dongier des langues et es mains de telz servans, puisque serviteurs sappellent, mais la fin du service est communement telle : que, quoy quilz vous ayent promis et juré du tenir secret, ilz ne sen tairont mie, et en la fin de celle amour souventes fois le blasme et parler des gens aux dames en demeurent, et a tout le moins la craintte et paour en leurs cuers que ceulx a qui se sont fiees le dient et sen vantent, ou aucun autre qui le fait sache, et ainsi se sont mises de franchise en servage, – et veéz la fin du service de celle amour194.

Par un nouvel argument, bien introduit, la gouvernante insiste encore sur la folie des femmes qui choisissent de livrer leur corps et leur honneur à de telz servans. Outre la dépréciation générale de ce type damour par son association à la folie, elle souligne la réalité du service offert par les amants aux dames. Prenant nettement ses distances avec le topos du service damour, elle en expose les dérives, dans un écho indubitable aux affirmations de lAmi195, et ainsi tout son dongier et son issue défavorable. Par trois fois, elle souligne quelle est la fin, comme pour mieux attirer lattention de la dame quelle souhaite avertir. Elle dénonce ce faisant la vanité de la promesse de secret, en opposant les serments de le tenir, mis en valeur dans un doublet synonymique qui atteste leur importance, et lincapacité de sen taire. Ainsi, la rupture est encore consommée dans une formule oppositive dune grande concision. Ce faisant, le blasme et le parler, les armes habituelles de la médisance, sont soulignés comme conséquences pour les dames, tout autant que la craintte et paour quils impliquent, selon un autre doublet significatif. La peur se fonde dailleurs dans leurs cœurs même, ce qui souligne ainsi lerreur des dames qui se sont fiees. Plus que la peur, on comprend donc que cest lerreur qui se loge dans le cœur de la dame. Le décalage avec la tromperie qui animait le propre cœur de Faux Semblant et de ses acolytes du Roman de la Rose atteste la volonté de réorienter la leçon de léthique amoureuse196. 608Outre la répétition de la fin du service qui en martèle le danger pour les femmes, la gouvernante recourt à une autre formule qui marque la rupture quelle souhaite mettre en lumière. Elle résume tout le danger encouru comme relevant dune transition de la franchise en servage, la dame devenant elle-même la servante, voire, davantage même, lesclave de lhomme auquel elle a choisi de se fier et qui était supposé, lui, être son servans dans la logique de la finamor. Tout comme lappel conclusif à la fuite et à lévitement total de tout amour de cette forme que nous lisions plus haut dans la missive – et dailleurs réitéré en conclusion197 –, la fin de cet exposé sur la métaphore du service damour confronte la jeune maîtresse à une réalité difficile à contredire, tant elle est assénée avec vigueur, répétition et clarté. Le retournement de la dame comme suzeraine de lamant, telle quelle est considérée dans la tradition amoureuse, à sa serve est frappant. Surtout, il rend compte de la menace que représente la rupture de cette promesse de secret, inhérente aux codes amoureux, mais bien trop fragile. Le reste de la lettre le met en lumière, le désir de « dire et eulx vanter quilz soient améz198 » est bien trop fort. La condamnation de lattitude masculine est formelle, mais elle peut encore gagner en force à la lumière du critère de lintention. Les amants, en songeant davantage au « grant honneur199 » quils pensent en retirer quà celui de leur dame, se parent dintentions bien moins louables que celles quils prétendent être les leurs. Nous avons pu voir les effets dune telle réflexion chez Martin le Franc qui construit son portrait du Champion des Dames en réponse à la critique de Christine de Pizan. Il clame dès le nom même de son héros les bonnes intentions qui laniment dans sa volonté de préserver avant tout lhonneur féminin200. Mais ce que Christine de Pizan met surtout en lumière, au travers de cette lettre, tout comme du Livre de la Cité des Dames, cest lhypocrisie propre aux hommes, et la nature fugace de leur amour. Sa réflexion se fonde de manière indubitable sur LeRoman de la Rose quelle critique avec emphase au gré du débat quelle y dédie. La question des fausses 609promesses fait très probablement écho aux recommandations de lAmi qui incite lAmant à promettre et justement à offrir ses services, quelles que soient ses intentions201. Les Cent Ballades damant et de dame portent également la trace du roman de Jean de Meun : les critiques que la dame peut adresser à son amant présentent des ressemblances certaines avec les stratégies hypocrites préconisées par lAmi. Ainsi, quand la dame accuse les faux amants, elle dénonce les fausses larmes quils exposent : « Ceulx ressemblés qui pleurent a la fois, / mais ne leur tient au cuer pas dune maille202 ». On ne peut manquer le parallèle avec les conseils, les plus marquants peut-être en terme de tromperie convoquant les manifestations émotionnelles, de lAmi qui détaille les astuces et ruses possibles pour feindre les larmes, sans que nulle tristesse ny préexiste203. La dame blâme plus largement la rupture entre les émotions réelles de son amant, son amour surtout, et les manifestations, surtout orales, quil en livre : « Mais quil mamast, ce seroit bien merveilles, / car ne men fait semblant, fors par ses dis204 ». Ici, une nuance sesquisse entre semblant et dis et révèle ainsi une idée essentielle en ce qui concerne les modalités de lexpression émotionnelle. Le premier objet de contrôle, et de dérive, se situe toujours du côté de la parole, nous lavons vu au gré de nos réflexions consacrées au mensonge en particulier205. Par ce contraste, Christine de Pizan manifeste sa volonté de renouer avec la tradition qui loue ladéquation entre intérieur et extérieur quest supposée impliquer le semblant. Nombreux sont les exemples dans la littérature amoureuse courtoise qui célèbrent, ou du moins reconnaissent, le pouvoir révélateur des émotions par le biais des symptômes qui en sont offerts, parfois malgré la volonté du personnage. Cest le cas encore dans Le Livre du duc des vrais amants dailleurs. Le récit dans lequel sinscrit la lettre de Sebile de la Tour présente toutes les limites du secret amoureux. Il ne se contente dailleurs pas de témoigner de la force irrépressible de lamour 610qui y porte atteinte, mais il révèle aussi son danger, quand il sinstille entre les amants, plutôt quautour deux pour les protéger206. Le duc se lamente en effet de ne pas parvenir à dissimuler son amour, selon ce topos courant de la puissance de lamour devenu incontrôlable207 :

« Si que croiez seurement

Que si sage pas nestoye

Que le grief mal que portoye

Je sceusse tres bien couvrir,

Tout ne voulsisse je ouvrir

Mon penser a homme né

Na femme. Mais si mené

Estoye et en si grant rage

Que mon semblant le courage

Demoustroit, malgré quen eusse208. »

Il expose son souci de couvrir son penser, mais la rage quil ressent len empêche, et ainsi son semblantdemonstre son courage. Le rapprochement opéré entre le semblant et le courage est révélateur de la proximité entre le cœur et lapparence qui en est offerte et ainsi de la difficulté de ressentir sans révéler. La force de ses sentiments est explicite, la reprise de ladverbe intensif si en témoigne bien. Christine de Pizan témoigne, par cette description évocatrice, de sa volonté de restaurer le lien entre homo interior et homo exterior. Elle insistait de la même manière sur le vide du cœur des amants trompeurs des Cent Ballades pour mieux insister sur la vanité de leurs larmes209, mais aussi sur limportance que leurs sentiments, sils sont réels, transparaissent sur leur semblant210. Mais, selon toute la tension que porte lidéal de garde dans lémotionologie médiévale, lenjeu reste clair : il sagit de couvrir pour ne pas ouvrir. La rime atteste limportance de cette double dynamique du secret amoureux. Le 611duc va plus loin : il dénonce presque la trahison de son corps, incapable de dissimuler son amour quil tente pourtant de taire : « Car dire par nulle voye / mon fait a nul ne voulsisse211 ». La parole paraît ainsi sous contrôle, puisque par nulle voye elle ne révèlerait son fait. Néanmoins, de nombreux symptômes physiques dévoilent son état, il les détaille avec emphase, en se dépeignant : « palir, fremir et teindre / et souvent couleur muer212 ». Pareille insistance sur les manifestations physiologiques des émotions renoue avec la crainte qui inspire le souci de retenue que nous avons pu explorer en amorce de nos analyses. Christine de Pizan paraît ainsi vouloir gommer les leçons trompeuses du Roman de la Rose pour restaurer le pouvoir signifiant des apparences émotionnelles, seuls indices de la vérité du cœur autrement inaccessible. Sa dénonciation de lœuvre de Jean de Meun sinscrit ainsi autant dans son souhait de réorienter les enjeux de la manipulation du semblant que den vanter la dimension expressive inaliénable.

Des Epistres sur le Rommant de la Rose
au Livre des Trois Vertus ou du refus
du faux semblant à la juste ypocrisie

Christine de Pizan restaure ainsi toute limportance des apparences dans leur rapport de transparence avec la réalité émotionnelle quelles viennent refléter. Sources de la révélation tant crainte des émotions, elles concentrent les appels à la contenance, selon une tradition bien ancrée en la matière que Christine de Pizan remobilise au gré de son Livre des Trois Vertus. Les listes exposées des objets de mesure – jeux, rire, parler, regard, joie213 – témoignent de la diversité et donc de lintensité du principe de garde. Le traitement que Christine de Pizan réserve aux apparences émotionnelles sintègre dans le combat quelle mène pour lhonneur des femmes. La réflexion que nous voulions y consacrer se voulait le 612reflet des logiques de cette « grammaire du paraître » quelle fonde au nom dune morale de lintention réinvestie pour la cause féminine. Le Livre des Trois Vertus est souvent considéré comme laboutissement de la lutte menée en faveur des femmes contre les critiques misogynes depuis Les Epistres sur le Rommant de la Rose. Ce constat nous paraît confirmé à la lecture que nous en avons proposée, centrée sur le jeu des émotions qui y est instillé à cette fin. Christine de Pizan renoue pour cela avec toute lambivalence du rapport de transparence autant craint quindispensable entre homo interior et homo exterior. En parfait accord avec les codes émotionnels fondés sur la garde, elle fait preuve dune véritable obsession pour les apparences, conçues à la fois comme le reflet incontrôlable des émotions et comme la seule voie daccès possible à leur réalité. Mais elle fait également preuve dune obsession toute particulière à ce sujet, révélatrice du rôle accordé à une véritable politique de la visibilité quelle instaure dans ses œuvres. Elle la place au cœur des stratégies de défense féminine et érige ainsi les apparences en véritables armes de protection. La nature des feeling rules quelle décline dans le traité des Trois Vertus, mais aussi dans lensemble de ses œuvres, se comprend à la lumière de la perspective politique qui dicte cette politique de la visibilité. Là réside peut-être toute loriginalité de sa posture, a fortiori parce quelle vise lintégration des femmes sur la scène sociale. Les nuances présentées dans le jeu des émotions, avec toutes les ambiguïtés quelles recèlent en regard de la réaction de Christine de Pizan à lencontre de Jean de Meun, séclairent à laune de cet objectif de démonstration du pouvoir féminin dans une portée politique dont elles étaient jusqualors exclues. Ce pouvoir que Christine de Pizan reconnaît aux femmes inclut peut-être avant tout celui du gouvernement de soi et des émotions, à rebours des critiques misogynes portées à leur encontre. Selon le modèle des miroirs aux princes qui fondent le bon gouvernement sur celui quils présentent deux-mêmes, Christine de Pizan dédie une bonne part de son traité de savoir-vivre à la maîtrise émotionnelle nécessaire à asseoir le droit dintervention des femmes dans la sphère publique. De manière intéressante, les Trois Vertus revêtent pour cela lensemble des relations des dames dune composante publique. Les enjeux de maîtrise voire de manipulation du semblant émotionnel y gagnent ainsi en importance. En accord avec les manuels de comportement masculins comme féminins, Christine de Pizan vante 613le pouvoir de la bonne chiere. Mais elle recommande bien davantage que de faire bonne figure, selon cette tension irrésolue entre les impératifs de transparence et de contrôle des apparences livrées des émotions. Elle prône dailleurs la manipulation démotions éminemment délicates, telles que nous avons pu le révéler dans ce carré sémiotique que nous avons mis à jour. Sans grandes nuances avec les exemples évoqués des rois Marc ou Arthur214, Christine de Pizan conseille de dissimuler la colère, et même la haine – ce qui savère déjà plus problématique, on la vu avec lAmi215 –, sous un dehors bienveillant ou joyeux. Mais elle incite même à simuler lamour ou la charité, sans aucune considération pour la réalité émotionnelle sur laquelle ces apparences se fonderaient. Certes, ces conseils sont inscrits dans les meilleures des intentions. Mais ils ne posent pas moins question. La manipulation de la charité, vertu centrale dans lidéologie chrétienne, offre un aboutissement haut en couleurs de la réflexion développée autour des semblants émotionnels. De manière révélatrice, cest à cette occasion que la justification est la plus explicite : sa qualification comme juste ypocrisie laisse peu de doutes sur la nature du jeu. Elle simpose par la propre honnêteté de Faux Semblant qui ne permet plus de laisser sous silence la fausseté de telles attitudes. Les idéaux dharmonie et surtout dexemplarité sociale prévalent ainsi sur les idéaux moraux de vérité.

Positive

Négative

Dissimulation

Dissimulation démotions jugées malséantes

Dissimulation de labsence démotion (par la simulation démotions jugées bienséantes)

Simulation

Simulation démotions

jugées bienséantes

Simulation démotions jugées malséantes, à vocation rusée

Simulation démotions jugées bienséantes, mais sans fondement émotionnel évident

Juste Ypocrisie

Pareille reconfiguration séclaire par les réflexions développées alors autour du mensonge et de ses critères de légitimation en regard de 614lintention poursuivie ou de ses ressorts sur la sphère sociale. Mais elle nen constitue pas moins un cas limite, notamment par la proximité quelle conserve avec le modèle de Faux Semblant, qui nhésite pas, lui aussi, à détourner des émotions aussi pures que celle de la dévotion au nom des objectifs quil assure et qui relèvent alors aussi de son profit. Surtout, ce nouveau schéma proposé par Christine de Pizan détone face au modèle biblique de lhumilité, vantée en particulier dans la pratique de laumône dailleurs. Le contraste est aussi saisissant avec le tableau dressé par Guillaume de Diguleville des jeux émotionnels acceptables ou non216. Lenjeu, et même le trésor, résidait alors dans la réalité du cœur, sans grand souci pour les apparences qui en étaient données. Ici au contraire, Christine de Pizan accorde peu dimportance à lintériorité elle-même pour se concentrer sur la façade offerte, de manière cruciale, sur la scène sociale. Elle linvestit dans ce sens à tous les niveaux des relations de la dame, de lintimité de son affection pour son époux, ou du moins de celle quelle lui manifeste, ou de sa dévotion mobilisée dans sa pratique de laumône, à la confiance dont elle revêt, en apparence, ses ennemis, dans une portée sociale croissante bien mise en exergue au fil des enseignements de Prudence Mondaine. Ils témoignent ainsi de la place essentielle quoccupent les femmes dans lespace public, aux frontières pour cela gommées avec lespace privé. Cette emphase mise sur la publicité de toutes les relations de la dame permet de témoigner de sa capacité de contrôle et même dexploitation de ses émotions, même dans les aspects les plus investis de sa vie privée. Le pouvoir rationnel de retenue qui lui est reconnu fonde celui de son agentivité dans lunivers social, selon le modèle des manuels de gouvernement. La dame est ainsi faite sujet politique, et lensemble de ses relations sintègrent alors dans lobjectif de cohésion générale que peut assurer la dame par sa bonne maîtrise delle-même. Le débordement de lunivers social dans la sphère intime atteste une déstabilisation complète du système entre intérieur et extérieur. Elle témoigne de lambiguïté du rapport entre homo interior et homo exterior, que Christine de Pizan paraît réhabiliter, après la rupture éclatante quen opérait Faux Semblant, avant tout pour mettre laccent sur lhomo exterior. Dans lattention quelle lui porte, elle en finit par délaisser tout à fait la vérité de lhomo interior. Et ainsi, en dépit de son 615opposition formelle à la morale de Jean de Meun, Christine de Pizan en vient elle aussi à illustrer toute la puissance des apparences.

Mais si tous deux mettent en scène un monde dans lequel les apparences font loi, leur rapport à celles-ci varie en réalité considérablement. Avec la distance ironique qui est la sienne, Jean de Meun appelait en vérité à dépasser les apparences, les leçons de Faux Semblant en constituaient un exemple remarquable217. Incapable de concevoir ce sens de lecture second du Roman de la Rose, Christine de Pizan condamne les dérives mises en scène par Jean de Meun au chapitre des manipulations du semblant surtout parce quelles se trouvent à la source de la duperie des dames. Il est dailleurs intéressant de constater que, dans leur critique du message que les personnages tels que Faux Semblant délivrent, ce que Jean Gerson et Christine de Pizan refusent de percevoir, ce sont les objectifs et circonstances de leurs discours. Or, ce sont justement les intentions qui permettent à Christine de Pizan de justifier sa juste ypocrisie. La critique devient dautant plus ambigüe quand on considère le traitement quelle réserve aux apparences. Si Jean de Meun vise le dépassement des apparences, par le biais dun tableau corrompu haut en couleurs à leur endroit, Christine de Pizan en souligne au contraire limportance profonde dans cet idéal dharmonie quelle voit entre intérieur et extérieur. Nous pourrions revenir à ce sujet aux analyses de Lionel J. Friedman qui cherchaient à penser le rapport entre homo interior et homo exterior218 et tentaient den dégager les ressorts dans lœuvre de Christine de Pizan. Au contraire de Jean de Meun qui exacerbait et jouait de la rupture entre ces deux instances, Christine de Pizan en refuse la scission puisque, sur la scène publique, lhomo exterior constitue la seule voie daccès à lhomo interior et peut donc être interprété et valorisé comme tel. Ainsi, cest la réalité sociale, à laquelle Le Livre des Trois Vertus accorde une telle importance, qui porte le renversement que lon peut lire entre Jean de Meun et Christine de Pizan. En réalité, leurs lectures respectives se rapprochent aussi : tous deux ont bien conscience du pouvoir signifiant de lhomo exterior et choisissent den tirer parti. La frontière entre signifiant et signifié que ses opposants dans la querelle lui reprochent de ne pas saisir, Christine de Pizan la comprend donc 616parfaitement. Elle la cultive même jusquà en faire le cœur des stratégies quelle préconise. La mise à distance quelle introduit avec lappellation dhypocrisie en constitue un excellent exemple219. En la qualifiant comme telle, elle fait preuve de la même honnêteté paradoxale qui était celle de Faux Semblant. Surtout, la défense quelle en livre se rapproche de la sienne, fondée sur la démonstration de lutilité incontournable dune telle pratique. Loin de dénoncer les apparences comme fausses, elle les exploite donc pour leur pouvoir de signification quelle maintient dans sa valorisation du rapport entre intérieur et extérieur. Elle aiguise encore les instances de contrôle à leur endroit jusquà les intégrer, non comme obstacles, mais comme armes pour les dames quelle entend défendre. Christine de Pizan manie toutes les règles induites dans lunivers social animé dun idéal de bienséance plus ferme encore à lencontre des femmes. La surveillance dont elles, et leurs émotions, font lobjet est mise en exergue pour justifier limportance accordée à leurs apparences. Lauteure paraît dans ce sens délaisser les émotions en elles-mêmes, peu convoquées au gré du Livre des Trois Vertus, et seulement envisagées pour leur manifestation. Plus encore que dans toute la littérature qui précède – dont nous avons souligné la préférence donnée aux manifestations psychosomatiques des émotions plutôt quà leur description psychique –, Christine de Pizan se concentre sur les apparences offertes des émotions. Elle finit ainsi par leur reconnaître une forme de performativité. Les émotions sont productives par le biais de leur manifestation physique, et il convient que le sens ainsi produit soit valorisable, quelle que soit la manipulation dont elles ont fait lobjet pour ce faire. On pourrait rapprocher cette considération de la notion de production de Paul Zumthor220, et surtout de la lecture quen fait Éric Méchoulan dans son analyse de la valeur du geste qui fait signe davantage quil ne montre dans le réseau normatif de bienséance qui dicte lunivers social221. Bien avant le développement des pretense theories, Christine de Pizan saisit toute la difficulté daccéder aux émotions dautrui, si ce nest par le biais 617de leur manifestation. Mais soucieuse de tourner cette difficulté à son avantage, et surtout à celui de toute luniversité des femmes, elle choisit de tirer parti de cette lecture des émotions toujours conditionnée par leur expression. Ce faisant, les émotions jouent en réalité un rôle prépondérant, puisquelles rythment les relations sociales, envisagées dans toute leur diversité et dans tous leurs détails par Prudence Mondaine. Le contrôle des apparences requis se fonde en effet sur des émotions, essentielles, telles que celle de lamour dû à lépoux, de la joie de le côtoyer lui ou ses parents, de la haine ou justement de labsence de haine à manifester aux ennemis et aux médisants, de la confiance à leur prouver, et de la dévotion quil faut afficher plus que ressentir. Pour Christine de Pizan, les émotions importent donc davantage comme indices sur cette scène sociale quelle sefforce de dépeindre dans toute sa complexité que comme réalités éprouvées. Elle a conscience de la portée signifiante des apparences, et plus encore de celles livrées des émotions. Dans ce sens, elle nhésite pas à les manipuler jusquà les dissocier de leur véritable nature, les nombreuses formules qui minimisent la véritable pensee lillustrent bien. Christine de Pizan favorise donc lexigence de contrôle sur celle de sincérité qui imprègnent toutes deux lexpression émotionnelle, dans une tension que nous avons pu révéler dès lintroduction de nos réflexions. Le règne des apparences quelle met à jour dans son traité a la particularité de sopposer à la valorisation de la sincérité qui anime les opposants de Jean de Meun et de son personnage de Faux Semblant. Au contraire de Guillaume de Diguleville ou, encore après elle, de Martin le Franc, lauteure ne restaure pas labsolu de sincérité qui doit côtoyer limpératif de contrôle émotionnel. Quoique, car, si elle reconnaît lhypocrisie à laquelle il peut mener, elle en défend la justesse. La transition du faux semblant à la juste hypocrisie est notable bien sûr. Le retournement est dautant plus marquant que sa critique du Roman de la Rose porte dans une grande mesure sur les faux semblants des faux amants. Mais toute lambiguïté de la position de Christine de Pizan face à lœuvre de Jean de Meun peut également se concevoir à laune de lobjet de ses propres justifications. Il est presque ironique de constater que sa défense de la juste ypocrisie concerne la manipulation quelle recommande de la dévotion et de la charité, là où elle faisait lobjet dune critique assez indubitable dans le discours tendancieux de Faux Semblant. Christine de Pizan fait ainsi preuve dun jeu de décalages 618intéressant, omniprésent dans son Livre des Trois Vertus. Sa compréhension de ladéquation entre homo interior et homo exterior peut se lire à cette lumière. Mais sa compréhension de lhypocrisie se veut plus intéressante encore dans cette dynamique. En effet, si elle se fait, pour légitimer sa forme de juste ypocrisie, lécho de réorientations de sa définition en regard de sa moralité inhérente et surtout du contexte social et des idéaux de bienséance qui viennent y primer, elle nhésite pas à rompre avec la tradition biblique et augustinienne au passage. Pourtant soucieuse de souligner les racines bibliques de ses conseils, elle soppose à lidéal de discrétion de laumône prêché dans lévangile selon Matthieu ou à lautorité persistante de saint Augustin dans lappréhension du mensonge pour justifier sa pratique sociale de laumône. Mais le décalage est également, voire dautant plus, intéressant quand il touche au rapport entretenu au Roman de la Rose. Décriée tout au long des Epistres, mais aussi du reste de ses œuvres, la tromperie que Jean de Meun met en scène par le biais de Faux Semblant paraît finalement inspirer la défense que lauteure propose dune forme dhypocrisie nécessaire. La nuance tient aux objectifs poursuivis, quelle construit dans une opposition flagrante à celles dépeintes comme nuisibles et égoïstes du personnage de Faux Semblant. Le jeu opéré face au modèle quil incarne des apparences fausses est immanquable. Il sintègre dans une perspective double à la fois dopposition et de reprise. La légitimation de la juste ypocrisie répond aux objets de la critique portée à lencontre de Faux Semblant et de sa prétendue utilité que Christine de Pizan refuse de reconnaître, eu égard à latteinte quelle implique pour lhonneur féminin. Néanmoins, la tendance reste ambivalente. Du profit de lAmant auquel veillait Faux Semblant en laidant à vaincre Malebouche ou en lui recommandant lhabit du pèlerin pour approcher la Rose, on en passe à celui de la dame. Certes, celui-ci se conçoit en regard de limportance sociale du développement de son honneur. La « grammaire du paraître » se comprend dans une mise en exergue essentielle des risques de désordre social quelle vise à échapper222, selon cette dynamique desquive que revêt si souvent lenseignement de Prudence Mondaine. La dynamique de reprise dans laquelle sinscrit Christine de Pizan face au personnage de Jean 619de Meun nest pas moins paradoxale. Elle permet surtout, par les comparaisons quelle induit, déclairer la portée sans doute trompeuse des recommandations de Prudence Mondaine. On peut lire dans ce sens lemphase mise sur la nécessité de dissimuler la tromperie, répétée à lenvi par lAmi223. Ainsi, la critique des faux semblants et la construction de la juste ypocrisie paraissent constituer les deux pans dune même médaille, que Christine de Pizan décide de retourner à son avantage, et à celui des femmes. Mais la réaction tout en ambiguïté de Christine de Pizan à légard de Jean de Meun permet également déclairer les ressorts du retournement opéré. Dans sa critique de lidéologie misogyne quelle pose au cœur de sa condamnation du Roman de la Rose, elle cherche à dénoncer les stéréotypes qui pèsent sur les femmes et les dangers auxquels elles sont exposées. Elle veille à les défendre contre les abus tels que celui que subit la pauvre Rose déflorée sans scrupule à cause des attitudes trompeuses de lAmant. On peut lire dans ce sens son obsession pour les apparences. Elle appelle pour cela à leur maîtrise absolue de la part des femmes, premières victimes de la menace quelles représentent, mais aussi aux dérives quune telle maîtrise peut impliquer pour mieux contrer cette menace. Christine de Pizan se permet de renouer avec la tension inhérente du principe de garde en le réorientant hors de la sphère amoureuse, dont les dérives ont été mises en lumière avec éclat par Jean de Meun et dénoncées sous cette forme dans les Epistres. En vérité, limportance quelle confère au contrôle des apparences prend sans doute racine dans les risques mêmes quinduisent les relations amoureuses. Le long développement qui y est consacré dans la lettre reprise de Sebile de la Tour, à un endroit aussi stratégique que la conclusion du premier et plus ample livre de son traité, en est révélateur. Nous avons dans ce sens construit notre analyse, des enjeux des Epistressur le Rommant de la Rose aux jeux émotionnels propres à la communauté des amants que Christine de Pizan met en scène dans ses Ballades ou dans le Livre du Duc des vrais amants quelle reprend en partie dans son traité de savoir-vivre féminin. Les ressorts du jeu des émotions dans lunivers amoureux occupent une place particulière dans son œuvre. Elle se comprend en regard de son désaccord avec la tradition amoureuse misogyne telle 620quelle la dénonce chez Jean de Meun, mais surtout des décalages que lon peut trouver dans les conseils dispensés dans son manuel de comportement. Le ton se veut bien plus ferme quand ils touchent aux problèmes que posent, plus que ses relations sociales, les relations amoureuses de la dame. Il permet de révéler, certes toute la difficulté, mais surtout la capacité de maîtrise émotionnelle des femmes. Christine de Pizan éclaire ainsi la dissymétrie des positions des hommes et des femmes dans la tradition amoureuse courtoise. Si les femmes se voyaient moins souvent appelées à la retenue que les hommes dans les arts daimer produits sur le modèle ovidien, nous lavons constaté224, elles font preuve defforts et de talents exemplaires à ce niveau. Lécole de maîtrise de soi féminine mise en lumière par Christine de Pizan avait en réalité bien des disciples avant elle. Les exemples de la reine Guenièvre ou de la dame de Fayel témoignent de cette tendance déjà attestée à la retenue de la part des femmes et même des amantes225. De manière intéressante, Christine de Pizan vient donc jouer les effets de loupe, à linstar de Jean de Meun qui mettait en exergue les jeux émotionnels requis dans la sphère amoureuse, sans aucune véritable innovation. La démarche sinverse cependant ici, elle sert à insister sur le principe de garde comme meilleure des solutions contre la médisance, ainsi extrapolée hors de la seule problématique amoureuse. Le renversement se fonde bien sûr avant tout dans loptique de cohésion sociale et de recherche du bien commun auxquels les femmes sont démontrées savoir aussi bien veiller. Cest par le biais de ce gouvernement de soi voulu bienséant jusquà lhypocrisie, si elle savère nécessaire, que peut se fonder le gouvernement féminin forgé dans la Cité des Dames. La nuance entre le faux semblant et la juste ypocrisie de Christine de Pizan se comprend ainsi dans la volonté de défendre la cause féminine et dans la morale de lintention quelle pose au cœur de son manuel de comportement. En accord avec toute une tradition théorique développée autant autour du mensonge que des émotions elles-mêmes, lintention se fait critère essentiel de lévaluation du jeu des émotions. Prudence Mondaine concentre cet effort de 621justification, dans ses raisonnements comme dans son nom même. La dynamique politique du Livre des Trois Vertus anime sa définition de la bonne intention. La visée du bien commun permet lélaboration dune nouvelle éthique du semblant de lémotion, dans une portée universalisante qui lui confère plus de force encore. Cette leçon que Christine de Pizan livre dans son traité de savoir-vivre se veut commune à lensemble de la communauté des femmes, selon les objectifs posés par les Trois Vertus dès la Cité des Dames. Elle opère ainsi un transfert de léthique aristocratique adaptée et élargie à lintention des femmes, et même de toutes les femmes. Limportance conférée aux apparences émotionnelles est dans ce cadre on ne peut plus explicite au vu de la place fondamentale quelles prennent dans lœuvre christinienne.

Ainsi, si Faux Semblant napparaît jamais dans les critiques, pourtant amples et développées, de Christine de Pizan, il incarne les pratiques trompeuses quelle dénonce pour le tableau qui en est dressé comme indispensable à la conquête amoureuse. La condamnation quelle porte des faux amants et la valorisation quelle présente des signes émotionnels garants de lamour trouvent cependant un contrepoint important dans la veine politique féminine quelle dépeint dans le Livre des Trois Vertus. Au culte des apparences fait place la nécessité de les contrôler voire de les manipuler au nom de lharmonie et de la cohésion sociale et, surtout, de la bonne renommée de la dame. Cet objectif même paraît répondre à la menace des misogynes et amants trompeurs. À la lumière des critiques quelle livre de lœuvre de Jean de Meun et des ruses des amants, Christine de Pizan fonde de nouveaux critères dappréciation. Et ainsi, de la dénonciation du faux semblant des folz amants, elle passe à la valorisation dune juste ypocrisie de la sage dame. Jouant avec la tradition émotionologique, elle la justifie en regard de lintention poursuivie et surtout de la défense des femmes quelle vient y intégrer. La prise en charge des paramètres politiques de la vie féminine éclaire cette transition. Elle dépasse ainsi les ressorts et les dangers propres à la sphère amoureuse, déborde pour cela de lintimité conjugale et envisage même dans sa composante publique les tenants de la pratique dévotionnelle. Dépassant les logiques amoureuses et religieuses, Christine de Pizan met à jour un nouveau régime du jeu des émotions. Elle y réaffirme toute limportance du semblant, autant dans son pouvoir signifiant que dans les manipulations possibles à son endroit. Elle en martèle la 622nécessité avec une modernité éclatante, déclinée autant dans sa défense de la cause féminine que des impératifs politiques qui viennent dicter de tels recours aux jeux des émotions.

1 Voir la définition du Trésor de la Langue Française, version en ligne consultée le 18 avril 2022. Il sagit par ailleurs du sens que donne elle-même Christine de Pizan de cette étiquette dans son Livre du corps de policie. Voir à ce sujet les exemples cités par le Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 18 avril 2022.

2 Pour rappel, voir lanalyse que nous y dédiions, en particulier dans une logique courtoise centrée sur la sociabilité, dans notre chapitre sur la garde : p. 147-160.

3 Voir par exemple lanalyse que Sarah Delale propose à ce sujet : S. Delale, « Guillaume de Lorris, contre-exemple de Jean de Meun. Christine de Pizan et le modèle littéraire du Roman de la Rose », Camenulae, 2015, p. 1-21.

4 Christine de Pizan, Le débat sur le Roman de la Rose, éd. É. Hicks, Paris, Champion, 1977, p. 5-6, I, l. 20-42.

5 Ibid., p. 8-9, III, l. 1-23.

6 Ibid., p. 11-12, V, l. 1-25.

7 Comme le rappelle notamment Rosalind Brown-Grant dans lanalyse quelle propose de la querelle sur le Roman de la Rose : R. Brown-Grant, Christine de Pizan and the Moral Defence of Women : Reading Beyond Gender, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 30.

8 Christine de Pizan, Le débat sur le Roman de la Rose, op. cit., p. 21-22, V, l. 306-357.

9 Comme le rappelle encore Rosalind Brown-Grant : R. Brown-Grant, op. cit., p. 32-40.

10 Nous avons pu souligner le rôle essentiel joué par Faux Semblant dans la mise en lumière dune subtilité impérative pour mener à bien lexercice de lecture requis dans notre analyse du Roman de la Rose. Nous renvoyons en particulier à la conclusion que nous y consacrions. Pour rappel : p. 339-355.

11 S. Stakel, False Roses. Structures of Duality and Deceit in Jean de Meuns Roman de la rose, Stanford, Anma Libri, 1991, p. 55.

12 L. J. Friedman, « La Mesnie Faux Semblant : Homo interior =/= Homo exterior », French Forum, no 14, 1989, p. 435-445, ici p. 440-443.

13 Nous devons à Guillemette Bolens notre connaissance de ces théories tout à fait porteuses pour notre problématique de recherche. Les analyses quelle en propose dans LeStyle des gestes ont pu éclairer notre perception (particulièrement par le biais des réflexions offertes en introduction autour du corps social) : G. Bolens, Le Style des gestes. Corporéité et kinésie dans le récit littéraire, Lausanne, BHMS, 2008, en particulier p. 28-33.

14 Christine de Pizan, Le Livre de la Cité des Dames, éd. M. C. Curnow, Michigan, Ann Arbor, 1975, prologue.

15 Ibid., III, 19.

16 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, éd. É. Hicks et C. C. Williard, Paris, Champion, 1989, I, 1, l. 27-50.

17 Andrea Tarnowski explore notamment le rapport complexe quentretient Christine de Pizan à la première personne du singulier, en particulier dans Le Livre des Trois Vertus où le passage de la célèbre signature de Christine de Pizan varie du « moy » au « je » comme pour mieux souligner la prise dautorité de Christine dans ce traité : A. Tarnowski, « Autobiography and advice in Le Livre des Trois Vertus », dans Une femme de lettres au Moyen Âge. Études autour de Christine de Pizan, dir. L. Dulac et B. Ribémont, Orléans, Paradigme, 1995, p. 151-160, ici p. 156. Nous pouvons également souligner toute lironie de cette démarche, qui était aussi celle de la Vieille du Roman de la Rose, pourtant critiquée par Christine de Pizan. Voir, pour rappel, linsistance que le personnage de Jean de Meun mettait sur cette question dans le chapitre dédié à Faux Semblant : p. 320.

18 Karen Pratt a notamment souligné cette dynamique de construction particulière de largumentation proposée dans Le Livre des Trois Vertus : K. Pratt, « The Context of Christines Livre des trois vertus : Exploiting and Rewriting Tradition », dans Contexts and Continuities. Proceedings of the IVth International Colloquium on Christine de Pizan (Glasgow 21-27 July 2000), published in honour of Liliane Dulac, dir. A. J. Kennedy, R. Brown-Grant, J. C. Laidlaw et C. M. Müller, Glasgow, University of Glasgow Press, 2002, t. 3, p. 671-684, ici p. 675.

19 R. L. Krueger, « Christines Anxious Lessons : Gender, Morality, and the Social Order from the Enseignemens to the Avision », dans Christine de Pizan and the Categories of Difference, dir. M. Desmond, Londres, University of Minnesota Press, 1998, p. 16-40, ici p. 27.

20 Nous avons pu, pour toute cette présentation de la tradition didactique à lintention des femmes, bénéficier des analyses de Marie-Thérèse Lorcin notamment : M.-T. Lorcin, « Le Livre des Trois Vertus et le sermo ad status », dans Une femme de lettres au Moyen Âge, op. cit., p. 139-149.

21 Christine de Pizan reçoit en effet du duc paiement pour son Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, ainsi que pour un autre livre, qui nest pas nommé et qui pourrait donc être notre traité. Il peut également plus simplement sagir pour Christine de Pizan, alors en pleine réflexion sur le statut des femmes, dune occasion de proposer un livre sur léducation féminine au moment de ce mariage, mais lon peut noter dans tous les cas que son Charles V tout autant que Le Livre des Trois Vertus furent salués par le duc de Bourgogne.

22 Lors des premières phases de sa réception moderne, il a néanmoins fait lobjet de dépréciations importantes, jugé rétrograde, du moins bien trop conservateur après les éclats du Livre de la Cité des Dames en terme de défense de la cause féminine. Il convient bien sûr de relativiser ces critiques en replaçant le traité dans son contexte historique. Aucun féminisme avant lheure au sommaire du Livre des Trois Vertus : Christine de Pizan ne remet en cause ni lordre hiérarchique de la société médiévale ni la place qui y est accordée à la femme. Pour ce débat autour du féminisme si souvent prêté à Christine de Pizan, voir surtout : R. Brown-Grant, op. cit. et R. L. Krueger, « Towards Feminism : Christine de Pizan, Female Advocacy, and Womens Textual Communities in the Late Middle Ages and Beyond », dans The Oxford Handbook of Women and Gender in medieval Europe, dir. J. M. Bennett et R. Mazo Karras, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 590-606.

23 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., prologue, l. 16-23.

24 Li livres du gouvernement des rois : a XIIth century French version of Egidio Colonna s treatise de Regimine principum, éd. S. P. Molenaer, Londres, MacMillan & Co., 1899, p. 167-168.

25 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 2, l. 1-17.

26 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 26 mai 2019.

27 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 15, l. 5-13.

28 Ibid., I, 9, l. 47-66.

29 Elle y louait la souveraine pour son intervention favorable auprès du comte Thibaut de Champagne, à lorigine dun projet de rébellion fomenté par une ligue de grands vassaux opposés au sacre du futur Louis IX, mais qui, par linfluence de la reine, se ravise et rallie le camp du jeune roi. Christine de Pizan, Le Livre de la Cité des Dames, op. cit., II, 65.

30 Pour rappel, voir lexposé que nous en faisions dans notre présentation des logiques dappréciation de linstance émotionnelle et de son principe de garde : p. 102 par exemple.

31 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 6-7.

32 L. Dulac, « La gestuelle chez Christine de Pizan : quelques aperçus », dans « Au champ des escriptures ». IIIe colloque international sur Christine de Pizan (Lausanne, 18-22 juillet 1998), dir. É. Hicks, D. Gonzalez et P. Simon, Paris, Champion, 2000, p. 609-626, ici p. 619.

33 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 7, l. 67-75.

34 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 27 mai 2019.

35 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 11, l. 61-64.

36 Thomas dAquin, Somme théologique, Paris/Tournai/Rome, Desclée et Cie, 1949, 1ae-2ae, q. 149.

37 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 11, l. 64-128.

38 Ibid., I, 11, l. 106-110.

39 L. Dulac, op. cit., p. 612.

40 Ibid., p. 619.

41 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 11, l. 90-91.

42 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 27 mai 2019.

43 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 11, l. 94-105.

44 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 27 mai 2019.

45 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., II, 13, l. 87-97.

46 Ibid., II, 13, l. 23-27.

47 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 28 mai 2019.

48 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 28 mai 2019.

49 Le Mesnagier de Paris, éd. et trad. K. Veltschi, Paris, Le Livre de Poche, 1994, I, 3-8.

50 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 13, l. 57-58.

51 Ibid., I, 13, l. 58-70.

52 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 28 mai 2019.

53 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche, 1992, v. 7 454-7 488 et v. 12 829-12 834, cités p. 313-314 et p. 321.

54 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 13, l. 71-87.

55 Voir, par exemple : ibid., II, 1, l. 6.

56 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 29 mai 2019.

57 Pour rappel, voir les passages cités du Livres dAmours dans notre analyse des prescriptions typiques de la communauté amoureuse : Drouart La Vache, Li Livres dAmours, éd. R. Bossuat, Paris, Champion, 1926, v. 657-659 et v. 4 574-4 582, cités p. 174 et p. 175.

58 A. Vélissariou, « Discrete dissimulation et prudent cautele : les stratégies comportementales de la princesse dans le Livre des Trois Vertus de Christine de Pizan », Le Moyen Âge, no CXVI/3, 2010, p. 577-590, ici p. 586.

59 La formule, éloquente, est de Claire Le Brun-Gouanvic qui la développe au fil dun article consacré à la dimension de spectacle chez Christine de Pizan et qui nous semble particulièrement adaptée à celui que sous-tend Le Livre des Trois Vertus dans le tableau quil offre de la société du début du xve siècle : C. Le Brun-Gouanvic, « Spectacles aristocratiques et spectacles bourgeois chez Christine de Pizan », dans Les arts du spectacle dans la ville (1404-1721), dir. C. Le Brun-Gouanvic et M.-F. Wagner, Paris, Champion, 2001, p. 19-36, ici p. 35.

60 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 14, l. 4-10.

61 Ibid., I, 14, l. 24-41.

62 Voir les définitions qui en sont données par le Dictionnaire du Moyen Français en particulier, version en ligne consultée le 30 mai 2019.

63 Selon la formule, déjà citée à de nombreuses reprises, de Damien Boquet et de Piroska Nagy. Pour rappel : D. Boquet et P. Nagy, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans lOccident médiéval, Paris, Seuil, 2015, p. 153, cité p. 91.

64 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 15, l. 19.

65 Ibid., I, 15, l. 23-25.

66 Ibid., I, 16, l. 1-4.

67 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 16, l. 5-16.

68 Pour rappel : ibid., I, 15, l. 5-13, cité p. 530.

69 Pour rappel : ibid., I, 9, l. 47-66, cité p. 531.

70 Ibid., I, 16, l. 29-30.

71 Ibid., I, 16, l. 33.

72 Ibid., I, 16, l. 36-37.

73 Ibid., I, 16, l. 38.

74 Ibid., I, 16, l. 38-47.

75 Ibid., I, 16, l. 47-50.

76 Ibid., I, 16, l. 50-57.

77 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422, cité dans le chapitre sur Faux Semblant, p. 312.

78 Pour rappel : ibid., v. 7 335-7 356, cité p. 311.

79 Pour rappel, voir cette section de notre exposé sur la garde : p. 129-147.

80 Pour rappel : Brunetto Latini, Tresor, éd. P. G. Beltrami, P. Squillacioti, P. Torri et S. Vatteroni, Turin, Giulio Einaudi, 2007, L. II, 72, cité p. 116.

81 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 16, l. 57-89.

82 Nous appuyons nos analyses sur les définitions données par le Dictionnaire du Moyen Français, le Dictionnaire de Godefroy et son complément, ainsi que par le Trésor de la Langue Française, versions en ligne consultées le 11 et le 18 juin 2019.

83 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 9, l. 47-66, cité p. 531.

84 Ibid., I, 16, l. 89-91.

85 Ibid., I, 16, l. 92-93.

86 Ibid., I, 16, l. 108-114.

87 Pour rappel : ibid., I, 7, cité p. 536.

88 Ibid., I, 17, l. 3-4.

89 Ibid., I, 17, l. 16-24.

90 Ibid., I, 17, l. 3.

91 Ibid., I, 17, l. 36-50.

92 Voir notamment les réflexions de Dallas G. Denery que nous avons pu citer à ce sujet : D. G. Denery II, Seeing and Being Seen in the Late Medieval World : Optics, Theology and Religious Life, Cambridge, Cambridge University Press, 2009, p. 28, cité p. 141.

93 Pour rappel : Guillaume de Diguleville, Le Livre du pèlerin de vie humaine, éd. et trad. G. R. Edwards et P. Maupeu, Paris, Le Livre de Poche, 2015, v. 3 245-3 260, cité p. 505.

94 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 17, l. 51-65.

95 Li livres du gouvernement des rois, op. cit., II, xxx, p. 87 l. 28-p. 87 l. 34.

96 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 17, l. 16-24, cité p. 562.

97 Pour rappel : ibid., I, 16, l. 57-89, cité p. 558.

98 Nous avons pu la mettre en lumière dans le chapitre précédent de nos analyses. Voir, pour rappel : p. 439-447.

99 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 493, cité p. 242.

100 D. G. Denery II, « Christine de Pizan against theologians : the virtue of lies in The Book of the Three Virtues », Viator, no 39, 2008, p. 229-247, ici p. 238.

101 Pour rappel, voir la réflexion développée autour du vice de mensonge dans la perspective chrétienne des jeux émotionnels envisagés dans le chapitre précédent : p. 439-447.

102 Saint Augustin déjà insistait sur ce point : « Mendacium est quippe falsa significatio cum voluntate fallendi » : Augustin, Contra Mendacium, dans Première série : Opuscules. II. Problèmes moraux, texte de lédition bénédictine, trad. G. Combès, Paris, Desclée De Brouwer, 1937, XII, 26, déjà cité p. 444.

103 Jean Duns Scotus, In librum tertium sententiarum, dist. 38, quaest. 1, dans Opera Omnia, vol. 25, éd. L. Waddington, Paris, L. Vives, 1894, p. 866.

104 Angelus de Clavisio, Summa angelica de casibus conscientie, « simulatio », cité par Dallas G. Denery II : D. G. Denery II, « Christine de Pizan against theologians », op. cit., p. 235.

105 Albert le Grand, Super Ethica,IV, lectio 14, 288, dans Opera omnia, vol. 14, éd. W. Kübel, Münster, Aschendorff, 1968.

106 Pour rappel : Thomas dAquin, op. cit., 2a-2ae, q. 111, a. 1, cité p. 442.

107 Pour rappel : ibid., q. 111, a. 2, cité p. 487.

108 Nous citons la version française offerte par Denis Foulechat, qui est celle sur laquelle travaille Christine de Pizan : Denis Foulechat, Le Policratique de Jean de Salisbury (1372), livres 1-3, éd. C. Bruckner, Genève, Droz, 1994, 3, IV-X, p. 211-228.

109 L. Rouillard, « “Faux semblant ou faire semblant ?” Christine de Pizan and virtuous artifice », Forum for Modern Language Studies, no 46/1, 2009, p. 16-28, ici p. 22.

110 Ibid., p. 24.

111 Ibid., p. 25.

112 Ibid., p. 19.

113 Pour rappel, voir les analyses que nous en proposions dans ce chapitre : p. 147-160.

114 R. Brown-Grant, op. cit., p. 200.

115 Tertullien, De cultu feminarum, II, 1, cité dans A. Blamires, C. W. Marx et K. Pratt (éd.), Woman defamed and woman defended. An anthology of medieval texts, Oxford, Clarendon Press, 1992, p. 51.

116 Pour rappel : R. Brown-Grant, op. cit., p. 200, cité p. 574.

117 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 13, l. 131-133.

118 Ibid., I, 13, l. 84-86.

119 Christine de Pizan, Le Livre de la Cité des Dames, op. cit., II, lii, 215e.

120 Christine de Pizan, Le Livre des fais et bonnes meurs du sage Roy Charles V, éd. N. Desgrugillers-Billard, Clermont-Ferrand, Paleo, 2009, III, xxvi.

121 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 17, l. 36-65, cité p. 563.

122 Christine de Pizan, Le Livre du corps de policie, éd. A. J. Kennedy, Paris, Champion, 1998, 2.5.

123 Ibid., 2.19.

124 Cétait la leçon à la fois de Raison, de lAmi, de la Vieille et de Faux Semblant bien sûr. Pour rappel, par exemple : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 4 387-4 398, v. 7 335-7 356, cités p. 309 et p. 311.

125 R. L. Krueger, « Christines Anxious Lessons », op. cit., p. 28.

126 Telle était la leçon que nous pouvions tirer du modèle offert par Faux Semblant à lAmant dans son succès de la quête de la Rose. Voir, pour rappel, nos analyses dans le chapitre sur Faux Semblant : p. 329-339.

127 M. Bella Mirabella a dailleurs mis en lumière limportance du règne des apparences mis en scène dans Le Livre des Trois Vertus pour justifier les comparaisons avec lœuvre de Machiavel ou de Castiglione : M. B. Mirabella, « Feminist Self-Fashioning. Christine de Pizan and The Treasure of the City of Ladies », The European Journal of Womens Studies, no 6, 1999, p. 9-20, ici p. 15.

128 D. G. Denery II, « Christine de Pizan against theologians », op. cit., p. 247.

129 Selon la formule déjà citée de Damien Boquet et de Piroska Nagy. Pour rappel : D. Boquet et P. Nagy, op. cit., p. 153, cité p. 91.

130 Pour rappel, voir les analyses proposées des jeux émotionnels manifestés par Arthur ou Marc dans notre chapitre sur la garde : p. 147-160.

131 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 11, l. 94-105, cité p. 540.

132 Ibid., III, 9, l. 101-107.

133 Pour rappel : ibid., I, 17, l. 36-65, cité p. 563.

134 Pour rappel : ibid., I, 16, l. 57-89, cité p. 558.

135 Ibid., III, 9, l. 107-112.

136 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 829-12 834, cité p. 321.

137 Pour rappel : ibid., v. 7 418-7 422, cité p. 312.

138 Pour rappel encore : ibid., v. 12 829-12 834, cité p. 321.

139 Pour rappel : ibid., v. 12 328-12 339, cité p. 298.

140 Voir, pour rappel, nos analyses proposées à ce niveau dans le chapitre sur Faux Semblant.

141 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 17, l. 36-65, cité p. 563.

142 Pour rappel : ibid., I, 1, l. 27-50, cité p. 525.

143 Pour rappel, la formule apparaît aussi en introduction du traité : ibid., I, 2, l. 1-17, cité p. 530.

144 Ibid., III, 9, l. 55-58.

145 Ibid., III, 9, l. 62.

146 Christine de Pizan, Le Livre du corps de policie, op. cit., 1.10.

147 Ibid.

148 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., III, 11, l. 1.

149 Ibid., III, 10.

150 Ibid., III, 11, l. 27-37.

151 Ibid., III, 11, l. 44-49.

152 Pour rappel : ibid., I, 13, l. 58-70, cité p. 543.

153 Pour rappel : ibid., I, 17, l. 55-56, cité p. 563.

154 D. Bohler, « Civilités langagières : le bon taire ou le parler hastif. Brèves réflexions sur la fonction sociale et symbolique du langage », dans Norm und Krise von Kommunikation. Inszenierungen literarischer und sozialer Interaktion im Mittelalter. Für Peter Moos, dir. A. Hahn, G. Melville et W. Röcke, Berlin, Lit, 2006, p. 115-133, ici p. 121.

155 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., III, 2, l. 46-53.

156 Ibid., III, 2, l. 54-59.

157 Ibid., III, 2, l. 63-75.

158 Ibid., III, 2, l. 75-79.

159 Ibid., III, 2, l. 93-96.

160 Pour rappel : Thomas dAquin, op. cit., 2a-2ae, q. 111, a. 1, cité p. 442.

161 Pour rappel, voir limportance quil prend dans les feeling rules des amants que nous avons souhaité éclairer dans notre analyse des codes de cette communauté émotionnelle : p. 160-209.

162 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., III, 2, l. 110-116.

163 Ibid., I, 26, l. 1-2.

164 Ibid., I, 27, l. 26.

165 Ibid., I, 27, l. 38.

166 Ibid., I, 27, l. 36-68.

167 Ibid., I, 27, l. 68-81.

168 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 037-12 047 et v. 12 086-12 104, cités p. 273 et p. 274 pour Faux Semblant, mais aussi pour lAmant v. 21 350-21 356, selon un rapprochement que nous avions eu à cœur de souligner, dans lanalyse que nous dédiions à ce passage, p. 335. Rappelons dailleurs que Fabienne Pomel résume sous cette formule lart de Faux Semblant. Pour rappel : F. Pomel, « Lart du Faux Semblant chez Jean de Meun ou “la langue doublée en diverses plications” », Bien dire et bien aprandre, no 23, 2005, p. 295-313, ici p. 297-299, cité p. 232.

169 Pour rappel, voir les analyses que nous consacrions à ce rapprochement dans le chapitre précédent, notamment dans le cadre de la réflexion sur la décomposition du nom de Fauvel, mais aussi sous la plume de Guillaume de Diguleville qui fait dEnvie la mère de Detraction, source dune médisance tout à fait similaire à celle décriée ici par la gouvernante : p. 457 et p. 488-490.

170 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 82-95.

171 Pour rappel, voir par exemple : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 027-11 053, cité p. 261.

172 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 95-114.

173 Ibid., I, 27, l. 114-135.

174 Et cette mention nest pas sans rappeler la propre propagation de la tromperie que Faux Semblant mettait en scène dans sa présentation. Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422, cité p. 312.

175 Pour rappel, voir par exemple la démonstration quen faisait, aussi pour en réaffirmer la nécessité, Évrart de Conty : Évrart de Conty, Le Livre des Eschez amoureux moralisés, éd. F. Guichard-Tesson et B. Roy, Montréal, CERES, 1993, f. 247v39-f. 247v52, cité p. 384.

176 Pour rappel : ibid., cité p. 384.

177 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 149.

178 Ibid., I, 27, l. 150.

179 Ibid., I, 27, l. 153.

180 Ibid., I, 27, l. 63-64.

181 Ibid., I, 27, l. 170-171.

182 Pour rappel, une fois encore : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422, cité p. 312.

183 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 209-214.

184 Ibid., I, 27, l. 159.

185 On retrouvait par exemple cette métaphore sous la plume de Chrétien de Troyes qui dépeignait alors la plus grande chaleur encore de lamour sous la cendre qui servait à en camoufler la flamme. Pour rappel : Chrétien de Troyes, Cligès, éd. W. Foerster et trad. M. Rousse, Paris, Flammarion, 2006, v. 601-615, cité p. 188.

186 On peut noter le parallèle avec le pouvoir pacificateur que Christine de Pizan reconnaît aux femmes capables déteindre, au nom de la théorie humorale, le feu conflictuel de leur époux. Voir, pour rappel, Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 9, l. 47-66, cité p. 531.

187 Christine de Pizan, Epistre Othea, éd. G. Parussa, Genève, Droz, 1999, [44], l. 17-22.

188 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 114-135, cité p. 599.

189 Christine de Pizan, Cent ballades damant et de dame, éd. J. Cerquiglini, Paris, 1018, 1982, XC, v. 26-28.

190 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 159, cité p. 602.

191 Ibid., I, 27, l. 215-220.

192 Christine de Pizan, Le Livre de la Cité des Dames, op. cit., II, liiii, 219a.

193 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 114-135, cité p. 599.

194 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 228-238.

195 Pour rappel, une fois encore : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422, cité p. 312.

196 Lemphase était en effet mise sur le vide du cœur de Faux Semblant, et lenjeu de la dissimulation centré non pas sur les émotions quil cherchait à camoufler, mais sur son hypocrisie même. Pour rappel : ibid., v. 10 493 et, par exemple, v. 11 503-11 528, cités dans le chapitre sur Faux Semblant, p. 242 et p. 254.

197 Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 27, l. 268-272.

198 Ibid., I, 27, l. 240.

199 Ibid., I, 27, l. 239-240.

200 Pour rappel, voir lanalyse que nous consacrions à cette œuvre dans le chapitre dédié aux logiques amoureuses du jeu des émotions : p. 409.

201 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 351-7 352, cité dans le chapitre sur Faux Semblant, p. 311.

202 Christine de Pizan, Cent ballades damant et de dame, op. cit., XC, v. 23-24.

203 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 454-7 488, cité p. 314.

204 Christine de Pizan, Cent ballades damant et de dame, op. cit., XCVI, v. 3-5.

205 Pour rappel, voir la section consacrée à la définition du mensonge et à la place que peuvent aussi prendre les apparences dans sa dénonciation que nous avons voulues mettre en lumière dans le chapitre dédié à la sphère religieuse des jeux émotionnels : p. 439-447.

206 La leçon fait écho à celle que lon pouvait lire au sujet du mariage malheureux de Tristan et dYseut aux Blanches Mains dans le Tristan de Thomas. Pour rappel, voir lanalyse que nous y consacrions dans le chapitre dédié à la garde des amants : p. 79-93.

207 Pour rappel, voir les exemples offerts à ce niveau par Guillaume de Machaut ou Eustache Deschamps cités dans le chapitre sur les dynamiques amoureux du jeu des émotions : p. 393-395.

208 Christine de Pizan, Le Livre du Duc des Vrais Amants, éd. D. Demartini et D. Lechat, Paris, Champion, 2013, v. 1 334-1 343.

209 Pour rappel : Christine de Pizan, Cent ballades damant et de dame, op. cit., XC, v. 23-24, cité p. 609.

210 Pour rappel : ibid., XCVI, v. 3-5, cité p. 609.

211 Christine de Pizan, Le Livre du Duc des Vrais Amants, op. cit., v. 1 366-1 367.

212 Ibid., v. 1 352-1 353.

213 Comme elle les détaille dans la section consacrée aux femmes bourgeoises par exemple. Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., III, 2, l. 50-53, cité p. 589.

214 Pour rappel, par exemple : Le Roman de Tristan en Prose, éd. R. Curtis, t. 2, Leiden, Brill, 1976, p. 135, cité p. 89.

215 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 335-7 356, cité p. 311.

216 Pour rappel : Guillaume de Diguleville, op. cit., v. 3 245-3 260, rappelé déjà p. 564.

217 Pour rappel, voir nos conclusions de lanalyse consacrée au message instillé par le faux moine ribaus dAmour dans le chapitre consacré à Faux Semblant.

218 Pour rappel : L. J. Friedman, op. cit., cité p. 522.

219 Pour rappel : Christine de Pizan, Le Livre des Trois Vertus, op. cit., I, 17, l. 50-53, cité p. 563.

220 P. Zumthor, Introduction à la poésie orale, Paris, Seuil, 1983, p. 196.

221 É. Méchoulan, « Un geste très simple et très irréparable : Gestes et dispositifs dans Le Doulos de Jean-Pierre Melville », dans Les Gestes de lArt. Quatrième rencontre internationale Paul-Zumthor, Genève, 27-29 novembre 2014, dir. G. Bolens, C. Carnaille, Y. Foehr-Janssens, L. Jenny et J.-Y. Tilliette, Paris, Garnier, 2020, p. 249-264.

222 Telle est la thèse éloquente défendue par Claire Le Brun-Gouanvic, comme nous lavons déjà citée. Pour rappel : C. Le Brun-Gouanvic, op. cit., p. 35, cité p. 548.

223 Pour rappel, encore une fois : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422, cité p. 312.

224 Pour rappel, voir la remarque que nous faisions à ce sujet pour relativiser les nuances de genre dans lémotionologie amoureuse : p. 172.

225 Pour rappel, voir nos conclusions au sujet des répartitions des jeux émotionnels du côté masculin et du côté féminin proposées dans le chapitre consacré à lunivers amoureux : p. 427-429.