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Classiques Garnier

Du Bel Semblant au Faux Semblant Réflexions autour de la mise en scène émotionnelle du Roman de la Rose

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Du Bel Semblant au Faux Semblant

Réflexions autour de la mise en scène émotionnelle
du Roman de la Rose

À la recherche des faux semblants

Introduction

La réflexion menée autour des recommandations de garde, prégnantes au Moyen Âge, nous conduit en toute logique à envisager la place réservée à lapparence des émotions dans ce jeu émotionnel que nous souhaitons interroger. La société médiévale se révèle obsédée par le rapport établi entre intérieur et extérieur et par sa concordance impérative. Mais, de manière paradoxale peut-être, elle accorde aussi une importance capitale à la bienséance à assurer en public. Lintérêt porté aux apparences savère ainsi ambivalent, ce qui ne les rend peut-être que plus pertinentes à examiner. Il sagit tout à la fois de préserver le rapport de transparence entre cœur et apparence et de veiller à leur juste mesure sur la scène sociale. Cest donc au cœur du semblant offert des émotions que se tisse à proprement parler le jeu qui les entoure. Cest à son niveau que se construisent les dynamiques de dissimulation, mais aussi de simulation. Au-delà de la simple préservation des apparences induite par ces codes sociaux décortiqués au chapitre précédent, le semblant peut faire lobjet dune manipulation plus vaste des émotions affichées. On dépasse ainsi la dimension de maîtrise des émotions pour envisager les jeux dont elles peuvent aussi se parer.

Le Roman de la Rose cristallise cette transition. Il met en scène la métamorphose du bel semblant, qui relève de linjonction au contrôle de soi et à la convenance courtoise, au faux semblant, qui symbolise toutes les connotations trompeuses dont peuvent se revêtir ces instances régulatrices. 224Le personnage de Faux Semblant témoigne de limportance accordée aux apparences émotionnelles et surtout de leur ambiguïté. Il révèle, voire il dénonce leur rôle incontournable dans lapproche des émotions. Sa place dans le roman et surtout dans la réception quil connaît comme objet de concentration des réflexions portées autour des apparences nous paraît justifier lanalyse que nous souhaitons lui dédier dans ce chapitre. Ce faux moine nommé ribaus dAmour offre un exemple éclatant du règne des apparences que sous-entendait déjà la recommandation obsessionnelle de garde, dont Jean de Meun met en lumière toutes les nuances. Il éclaire ce faisant la place fondamentale des émotions, et avant tout du semblant qui en est manifesté, aussi bien dans la sphère amoureuse que dans la sphère religieuse. Par son intégration dans larmée du dieu Amour et son discours lié à la querelle autour des Ordres Mendiants, Faux Semblant contamine ces deux univers que nous aimerions considérer sous leur prisme affectif. Dans les deux cas, Faux Semblant expose lhypocrisie qui empreint linvestissement émotionnel requis. Il trahit ainsi, dès son nom même, la fausseté du semblant offert de ces émotions cruciales que sont lamour et la dévotion. En croisant ces deux univers, Jean de Meun met mieux encore en exergue les enjeux fondamentaux des apparences émotionnelles et de leurs dérives. Ses continuateurs ne sy tromperont pas, nous aurons loccasion de le constater : pareille mise en lumière ne pouvait rester sous silence.

Suivant lexemple de ce curieux personnage, nous voudrions nous consacrer aux logiques et spécificités de cette notion cruciale, multiforme, mouvante et ambigüe quest celle du semblant. Au-delà de la problématique que soulève la personnification du Roman de la Rose, le terme de semblant véhicule une conception ambivalente de la physionomie. Celui du faux témoigne pour sa part dune orientation dans la veine religieuse dans laquelle simmiscera le faux moine. Les jeux auxquels Jean de Meun se livre à leur entour méritent dêtre éclairés par un détour lexical qui permettra une meilleure compréhension de la figure de Faux Semblant. Nous pourrons aussi appréhender toute limportance de ces notions et les nuances dont elles se parent pour donner lieu à lambiguïté inhérente de Faux Semblant. Elles offrent surtout une entrée en matière éclairante de lévaluation qui pèse sur la manipulation des apparences émotionnelles, quand elles se voient teintées de la fausseté incarnée par le personnage de Jean de Meun. De la dissimulation bienséante, mais 225non sans nuances déjà, envisagée au chapitre précédent, on passe à une tout autre forme du jeu des émotions, dont Faux Semblant revendique sans détour la malignité, mais aussi lutilité. Il met à jour un véritable système du jeu des émotions par ses aveux et techniques à la fois critiquées et louées au fil de la quête de lAmant. Nous chercherons à approcher ce code sémiotique des semblants émotionnels, à la lueur des dynamiques religieuses, mais aussi amoureuses, investies par Faux Semblant. À lissue de cet exposé introductif de la polysémie et de la tension du faux semblant, nous pourrons construire, selon ce double volet, nos analyses de lépisode consacré au faux moine nommé ribaus dAmour, de ses origines et de ses implications dans la querelle de lUniversité de Paris, mais aussi de ses alliés et de son influence décisive sur les aventures de lAmant. Nous percevrons ainsi toutes les nuances dont se parent les confessions et recommandations quil offre, mais surtout limportance cruciale quil gagne dans la diégèse et dans la leçon délivrée par ce biais par Jean de Meun. Nous souhaitons de la sorte contribuer à défendre la place centrale dans le Roman de la Rose de Faux Semblant et, ainsi, celle des manipulations émotionnelles dans les univers religieux et amoureux que Jean de Meun présente contaminés par Faux Semblant.

Approches lexicales et sémantiques du faux semblant

La consultation des dictionnaires de référence offre un accès immédiat à toute la complexité de la notion de semblant1. Elle recèle une ambiguïté inhérente au réseau sémantique quelle véhicule, au cœur des nuances quelle présente. Surtout, elle connaît une évolution révélatrice de la tension qui la traverse. De manière intéressante, cette évolution paraît concorder avec lépoque de rédaction de la seconde partie du Roman de la Rose qui donne naissance à Faux Semblant. Elle tient en effet avant tout à limportance croissante donnée à la sphère trompeuse, à laquelle le personnage de Jean de Meun ne semblerait pas étranger. Elle relève dune prise de conscience de la rupture potentielle de lidée de similitude que recèle la notion de semblant et donc de la manipulation possible des apparences livrées.

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Le semblant porte dans son étymon un idéal de ressemblance, qui se lie à celui de concordance entre intérieur et extérieur dont nous avons pu souligner la prégnance dans la compréhension médiévale des émotions en particulier. Les émotions se conçoivent dans une tendance à lextériorisation révélatrice de limportance conférée à la visibilité qui porte la notion de semblant. Le semblant recèle ainsi demblée une portée signifiante, qui dicte sa définition comme signe, voire comme preuve. Il connaît une déclinaison importante sur le corps, qui relève dans ce sens de limage offerte de quelquun. Dans cette dynamique de manifestation physique, lémotion prend une place importante, comme objet possible de la révélation impliquée par cette visibilité qui en est ainsi offerte. La considération physique du semblant fait en effet écho à celle des émotions, toujours appréhendées par les signaux corporels qui en sont donnés. La fonction communicative conférée au semblant porte en elle la possibilité de rompre la ressemblance quil devrait aussi induire2. Dans la conscience prise du pouvoir signifiant du semblant, le signe quil offre peut se voir manipulé. Lexpression, aujourdhui très équivoque, de faire semblant prend ainsi le sens de laisser apparaître, dans cette optique dextériorisation fondamentale, mais aussi celui de feindre. Le Trésor de la Langue française, qui présente ces définitions dans sa section étymologique et historique, souligne la proximité de leur apparition, sur une trentaine dannées à peine dans le courant du xiie siècle. La dimension extérieure qui sous-tend le rapport de ressemblance du semblant mène donc à sa rupture potentielle. Nous pourrions alors lire le caractère ambigu du semblant en lien avec une perturbation identitaire due au jeu sur lapparence qui en est livrée. Cette concentration sur lapparence rejoint très exactement la dimension dextériorisation qui nous intéresse dans le phénomène de manifestation émotionnelle. La notion de conformité, elle aussi centrale dans la définition du semblant, induit pour sa part une réflexion autour des normes pesant sur lapparence, celle qui est livrée des émotions en particulier, dans la culture médiévale. Cette notion se révèle dautant plus intéressante quelle semble directement conduire 227au phénomène de dissimulation qui concentre nos réflexions autour des manipulations émotionnelles. Nous lavons vu au chapitre précédent, la dissimulation découle de la pression de la conformité3, mais elle ouvre ainsi la voie à dautres manipulations encore du semblant4, enjeu crucial du contrôle des émotions.

On touche ainsi aux enjeux du semblant, qui ne peut, de par son ambiguïté, se cantonner à une étiquette. Le semblant prend plus dimportance encore, nous le verrons, dans la sphère amoureuse, dans laquelle il assure le lien entre lamant et la dame, mais aussi avec la société dans son ensemble5. Cette dimension dobservation sociale implique, malheureusement pour les amants, la présence de leur ennemi, le losengier. Cest dans ce cadre que le semblant se charge aussitôt dun potentiel dillusion6 que la littérature, et en premier lieu le Roman de la Rose, se plaît à cultiver. Les apparences se situent au carrefour de préceptes monastiques et aristocratiques, fondés sur leur contrôle, que les codes amoureux adoptent à leur tour7. On observe une tension indissoluble entre ces appels dordres variés à la maîtrise de soi et lidéal de concordance, développé en particulier sur la base du nouveau modèle duel de lâme, qui remplace au xiiie siècle le schéma tertiaire, ainsi que de linfluence aristotélicienne8. Gil Bartholeyns confronte de manière intéressante ces 228deux injonctions de lidéal de transparence et de lopacité nécessaire9. Il démontre surtout tout lintérêt de cette confrontation en refusant lopposition stricte entre les couples être-paraître et vérité-fausseté. Il insiste sur la nature variable dune telle articulation, dépendante du point de vue sous lequel la question est envisagée. La transition quopère Jean de Meun du bel au faux semblant témoigne de ce phénomène. Il choisit de mettre en exergue le regard quil porte sur la pratique des beaux semblants en les qualifiant explicitement de faux. Cest à cette association entre faux et semblant que nous voudrions nous dédier, comme y invite le personnage de Faux Semblant. Il permet de révéler toute la portée rusée des apparences, tel quArmand Strubel le met en exergue : « Sans la manipulation des apparences, il nest pas de ruse : cacher sa véritable identité et sa nature, feindre un sentiment, une émotion ou un état qui nexistent pas ou se travestir sous des accessoires vestimentaires, ce sont les armes classiques de la fourberie10 ».

Pour appréhender au mieux les modalités du jeu mené sur lapparence émotionnelle, il convient de nous arrêter également sur la dynamique de fausseté qui peut lentourer et qui la définit même dans le cas de Faux Semblant. La dénomination dun personnage aussi important du récit par cet adjectif pour le moins connoté, dans le christianisme médiéval en particulier, interpelle et pousse à la réflexion. Son sémantisme est lui aussi révélateur des dynamiques essentielles dont Jean de Meun entoure son personnage11. Il témoigne très vite dune tendance religieuse, marquée dans des définitions données en lien avec la fausse religion par exemple. Le jugement que recèle la notion de faux tient surtout à son opposition à la vérité et se trouve donc dépendante des facteurs de sa compréhension dans lidéologie médiévale, on le verra. Mais il peut aussi prendre le sens de contrefaçon, significatif dans le cas de Faux Semblant. 229Il peut dans ce cas sagir du faux bruit, de la fausse nouvelle et donc toucher à la question de la réputation, elle aussi pertinente pour notre analyse. Elle évoque la problématique de la médisance qui se trouve au cœur des justifications des manipulations émotionnelles requises pour les amants, la lutte de Faux Semblant contre Malebouche en offre un exemple éclatant. Lassociation quopère Jean de Meun entre le faux et le semblant est plus nette encore dans lidée de falsification des apparences quinduit également la notion de faux. Le Dictionnaire du Moyen Français insiste sur cette définition du faux comme ce qui nest pas ce quil paraît, et même qui ne mérite pas son nom. Elle pose question en regard du personnage de Faux Semblant, qui mérite justement son nom de par le caractère faux de son apparence, mais qui savère aussi problématique en laffirmant de manière aussi explicite. Dans la sphère subjective et non plus objective du faux, sa dimension morale gagne en importance. Lintention trompeuse est soulignée, selon un paramètre de grand intérêt pour linstance émotionnelle. Il est aussi question parfois demblée du menteur, dans une orientation langagière que nous aimerions dailleurs nuancer dans la suite de nos analyses. Surtout, on découvre une orientation émotionnelle, liée à laffectation démotions inexistantes. La notion de faux se veut donc elle aussi vaste et complexe, ce que le Dictionnaire étymologique de lancien français atteste dans le triple niveau dopposition quil en présente à la fois à la réalité, à la justice et à la morale. Nous ne manquerons pas dexploiter ces spécificités et nuances révélées au gré de cette analyse sémantique, riche en allusions et effets dannonce. Les connotations déjà trompeuses du semblant, la dynamique morale qui entoure la notion de fausseté, ou encore leur perspective intentionnelle nous paraissent enrichissantes pour appréhender le rôle de Faux Semblant, et tout son réseau dinfluences posé au cœur de la compréhension médiévale de la fausseté.

Lidéologie médiévale se caractérise par un refus absolu de la fausseté, avec une influence certaine de la pensée chrétienne. La notion de Verbe comme vérité dans la foi dun Dieu omniscient empreint les réflexions portées autour de la fausseté au Moyen Âge12. Ce rapport à Dieu marque dailleurs en particulier lapproche de la fausseté des apparences, loin de la seule considération de la fausse parole :

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Lhomme ayant été créé à limage de Dieu, toute simulation ou dissimulation du sujet est considérée comme une falsification, quelle soit physique (masque, travestissement, métamorphose, fard, qui mettent en question lintégrité de lêtre) ou morale (tromperie, mensonge, supercherie, hypocrisie, parjure)13.

Au-delà dune concentration explicite sur la simulation, qui nous intéressera au premier plan, on note limportance prise par la notion dhypocrisie, plus encore que par celle de fausseté. Cette orientation logique de la dynamique trompeuse vers lhypocrisie nous paraît porteuse au vu de lassociation que Faux Semblant effectue entre fausseté et apparence. Lhypocrisie condense cette fausseté particulière quest celle des apparences14 et la dimension émotionnelle quelle implique15. Il est surtout question alors des émotions religieuses qui se trouvent simulées, ainsi que, de manière révélatrice, de la vertu. Lhypocrisie se définit dailleurs bien vite avant tout comme un vice. Pareille compréhension témoigne dune perspective dépréciative importante, qui se lie même à une portée dénonciatrice, volontiers développée dans la littérature médiévale, satirique en particulier. La critique de lhypocrisie occupe dans ce contexte une place centrale, au sein du texte biblique déjà. Cest le cas dans la parabole de Mathieu qui promet la damnation éternelle aux hypocrites comme les faux Christs et les faux prophètes (7:15). La figure de lAntéchrist cristallise cette condamnation de lhypocrisie par larchétype quelle en offre et qui irrigue lunivers de la tromperie réprouvée dans les Écritures. Mais la dénonciation de la fausse dévotion prend la forme de bien dautres accusations, des pharisiens ou des hérétiques en passant par les gnostiques ou les pseudo-apôtres. Une autre caractéristique intéressante de ce regard chrétien porté sur le faux se situe ainsi du côté de lassociation, presquimmédiate, qui est faite avec la problématique 231du vêtement comme moyen de tromper ou dimpressionner son prochain16. Lattention portée à la critique de lhypocrisie se concentre ainsi sur lécart établi entre réalité et apparence, davantage quentre vérité et fausseté. Cette orientation éclaire bien sûr la construction de la personnification de lhypocrisie quest Faux Semblant. Le choix de Jean de Meun de prêter à son personnage laspect dun faux moine, dont la fausseté se dissimule sous la sainteté de son habit, répond de manière significative à cette interprétation de laffectation quinduit la notion dhypocrisie. Cest dans la lignée de la dénonciation des hypocrites comme des loups dissimulés sous leur habit de mouton, selon limage de saint Matthieu (7:15), que semble se tisser cette critique spécifique de lhypocrisie liée à lhabit. Cette condamnation ne va pas sans nuances. On observe dans la littérature médiévale des courants humoristiques fondés sur ces jeux de simulation ou de dissimulation qui animent les pratiques hypocrites17, comme la veine satiriste anticléricale endossée par Faux Semblant. Mais on constate aussi lapparition de toutes sortes de justifications, du secret amoureux par exemple18, dont se joue Jean de Meun dans sa construction de la duplicité de Faux Semblant. On verra limportance prise par la réflexion autour de la fausseté tant dans lunivers religieux que dans lunivers amoureux que convoque tour à tour Faux Semblant. Cet entremêlement est marqué dans lévocation incessante du faux quinscrit Jean de Meun dans le Roman de la Rose19. Faux Semblant incarne la volonté de Jean de Meun de mettre en lumière toute linstabilité de la notion de vérité et surtout la faillibilité des sens humains pour y accéder20. Cest ainsi que Susan Stakel en vient à considérer la plus grande stabilité du champ de la tromperie que de 232celui de la vérité sous la plume de Jean de Meun. Elle souligne le critère essentiel de lintention dans le système quelle crée autour du vrai et du faux, du secret ou de lillusion. Cette notion dillusion surtout nous paraît intéressante : elle vient qualifier un second régime de manipulation qui dépasse celui, envisagé au chapitre précédent, du contrôle ou du secret. Elle détermine ce qui relève du non-être et seulement du paraître par contraste avec le secret qui réside dans lêtre qui napparaît pas21. Ces réflexions attestent la richesse des jeux développés autour de la tromperie et de la manipulation, en particulier des apparences dailleurs comme en témoigne la place prise par Faux Semblant. Fabienne Pomel insiste sur la valeur demblème que prend le faux moine dans cette réflexion produite autour de la fausseté :

Le personnage de Faux-Semblant fédère à lui seul linterrogation sur la fausseté, déclinée sur le plan historique avec la querelle des ordres mendiants en toile de fond, sur le plan amoureux et moral, mais aussi, et cest ce qui nous retiendra principalement, sur le plan de la parole et de lécriture22.

Dans une grande diversité des sphères dactions considérées, Faux Semblant sérige comme le symbole de lart du comme si, jouant des contraires quil expose et incarne entre le parler et le faire ou lhabit et le cœur23. De manière dautant plus intéressante, nous aurons à cœur de le souligner, Faux Semblant permet autant de définir que daccuser lhypocrisie24. Il entretient un rapport paradoxal à la quête du vrai qui anime Jean de Meun, en revendiquant le vrai par lévocation du faux25. Sa fausseté sert dappel au discernement, et cest dans ce sens que lon peut analyser le véritable fourmillement de modèles de la fausseté quil convoque, de leiron de Théophraste au caméléon de Protée, quil vient même surpasser26. Faux Semblant nincarne dailleurs pas seulement une incertitude radicale de la vérité, mais aussi du langage, et cest en ceci quil sintègre le mieux dans le projet décriture de Jean de Meun. Il ne touche pas seulement au dévoilement des apparences trompeuses, 233mais aussi au discernement du vrai du faux de la parole et, plus encore, de la pratique allégorique. Jean de Meun semble en effet rapprocher le défi de laccès aux vraies intentions derrière les apparences et celui posé par la poésie allégorique, Faux Semblant fonctionnant dans ces deux cas comme un véritable levier de compréhension des enjeux de lecture de la vérité. En faisant exploser le rapport de personnification de lallégorie, il symbolise tout larbitraire du signe que Jean de Meun cherche à mettre en lumière27.

Ce parcours lexicographique visait à prendre conscience du poids des instances de contrôle qui régissent cet arbitraire du signe, en particulier, des apparences émotionnelles, mais aussi des dérives quil implique. Nous lavons déjà constaté : dans cette obsession de maîtrise, le semblant se pare dautres possibilités de manipulations, quelles relèvent de la bienséance ou, davantage, de la fausseté explicite. Le personnage de Faux Semblant nous paraissait dans ce sens offrir lobjet de réflexion le plus pertinent et passionnant pour cette analyse du semblant, cest donc à son portrait, à sa généalogie et à ses fonctions dans le Roman de la Rose et le projet de Jean de Meun que nous voudrions dès à présent nous dédier.

Le système Faux Semblant au cœur du Roman de la Rose

Limportance conférée au personnage de Faux Semblant influence beaucoup la réception du Roman de la Rose, avec les débats que lon sait et auxquels nous aurons loccasion de revenir dans la suite de nos analyses. Sans prétendre entrer en matière quant au projet exact de Jean de Meun, nous aimerions tenter de lapprocher par le biais du symbole quen offre Faux Semblant. Son discours ample et ambigu vise en effet à interpeller bien davantage que son public à la fois naïf et réticent quest le dieu Amour, mais aussi les lecteurs de Jean de Meun. Il permet surtout de poser un critère central pour lévaluation de lémotion, tout comme pour celle la vérité ou de lœuvre littéraire conçue dans une dynamique horatienne : le critère de lintention. Cette orientation poétique éclaire le souci de Jean de Meun à la fois de plaire et dinstruire28, 234mais sous un prisme particulier. Son œuvre ne se laisse en effet aisément approcher. Simon Gaunt la définit même selon sa nature profondément insaisissable : « It is characteristic of Jean de Meun that it is not possible to glean a clear sense of his own views: he presents us rather with a series of competing voices that sometimes complement, sometimes contradict each other29 ». Tous les spécialistes du Roman de la Rose sy accordent, lœuvre de Jean de Meun est une œuvre polyphonique30, marquée par une pluralité de personnages31 et un entremêlement de voix32, souvent contradictoires33, fondé sur un jeu constant autour du langage34. Dans un véritable art du brouillage35, son opinion reste ainsi insondable parmi toutes celles de ses personnages36, Faux Semblant au premier plan bien sûr. Nous pourrons revenir aux modalités de la querelle de lUniversité de Paris dans laquelle Jean de Meun sinscrit, ou semble sinscrire, par le biais de son personnage, ou celles de lapologie de la ruse amoureuse quil introduit, elles constituent un excellent exemple de cette détermination confuse du point de vue de lauteur dans son œuvre. Sarah Kay résume avec éloquence toute lambiguïté de ces points de vue entremêlés au gré des discours pris en charge de cette seconde moitié du roman : « Taken in conjunction, they illustrate Jean de Meuns perverse and playful refusal to commit himself to any unambiguous position37 ». Cette insaisissabilité prend 235plus dintérêt encore dans le cadre allégorique, défini chez Quintilien comme le fait de dire une chose et de vouloir en dire une autre38. Le rôle de Faux Semblant séclaire ainsi, lui dont le discours repose sur le paradoxe insurmontable du mensonge. Quelle que soit son atteinte aux conventions du genre, il sinscrit en réalité à merveille dans cet art décrire que Douglas Kelly qualifie de mensonger, voilant la vérité, selon la pratique de lintegumentum qui inspire la lecture allégorique39. Estelle Doudet rappelle également que la personnification classique repose sur la transparence entre le nom et lêtre, par appui sur le système platonico-réaliste qui promeut lallégorie, mais surtout sur les qualités herméneutiques de ses récepteurs40. Toute lintervention de Faux Semblant semble jouer de cette finalité essentielle du décryptage, à laquelle Malebouche se prête si mal. Mais elle se conçoit avant tout dans le rapport ironique que Jean de Meun entretient avec lécriture allégorique41, que le faux moine permet également de symboliser. Cette ironie irrigue tout le travail de reprise de lœuvre de Guillaume de Lorris, qui procède par décalages, voire par inversions42. Le dédoublement même des voix narratives auquel procède Jean de Meun avec la figure de Papelardie43, mais aussi le guide de lAmant quincarne dès lors Faux Semblant peut-être plus que tout autre, joue de cette ironie. Cette pratique ironique de lallégorie permet de développer cette leçon de duplicité que Faux Semblant servira à lAmant, avec laide de lAmi, et éclaire, plus largement, la volonté qui anime Jean de Meun de proposer une réflexion sur lintelligibilité du monde44 et notamment 236de lunivers amoureux sur lequel il jette le discrédit45. Lensemble des objectifs didactiques poursuivis dans la seconde partie du Roman de la Rose semblent ainsi soutenus par ce montage allégorique teinté dironie. Lœuvre de Jean de Meun fonctionne comme une allégorie de la lecture pour les lecteurs que sont lAmant, avec un succès relatif comme on le sait, mais aussi le public que nous sommes46. LAmant démontre bien lenjeu des enseignements du roman : il reste lui-même bloqué au niveau littéral, quil invite le lecteur à dépasser. Cet exercice de lecture que devient le Roman de la Rose inspire la pratique décriture de Jean de Meun. Il la conçoit comme un exercice dinterprétation et de glose, en recourant à ses connaissances des autorités antiques, religieuses, mais aussi de la partie de Guillaume de Lorris47. La leçon quil nous incite à en tirer est claire : ne jamais se contenter du niveau littéral, plus encore dans le cadre de lallégorie et de la continuation, construite comme une réinterprétation48, quil propose. Faux Semblant occupe dans ce contexte une place essentielle. Il incarne cette tension insufflée par Jean de Meun, révélatrice de leffort de lecture quil requiert49. Elle invite à considérer le type de connaissance que Jean de Meun souhaite transmettre50. Il savère explicite dans lapologie composée pour son œuvre, révélatrice du jeu quil mène sur la figure auctoriale51, mais aussi de la portée universalisante quil souhaite insuffler à son œuvre. Il ne sadresse en effet plus seulement à lhomme courtois, tel que le faisait Guillaume de Lorris, mais à lensemble des hommes52. Il démontre bien ainsi quil vise non seulement la subversion de léthique amoureuse, mais celle du système poétique entier. La provocation sérige comme moteur de son 237œuvre, quil subvertit ainsi53. Une fois encore, Faux Semblant permet une entrée en matière exemplaire de cette dynamique de lœuvre de Jean de Meun. Son échange avec Amour et peut-être plus encore celui avec Malebouche exemplifient le souci de toucher à la subtilité du lecteur. Il invite à ne pas se laisser tromper par la duplicité du sophisme, en écho à la technique du syllogisme employée par les maîtres du xiiie siècle54. Le cœur de la leçon que Jean de Meun met de cette façon en exergue touche à la vérité même55, présentée comme insaisissable et donc dautant plus nécessaire56.

Cette ambition de Jean de Meun dapprocher la vérité témoigne de son souhait de mener une enquête totale, qui embrasse tous les registres de lexistence humaine. Aussi diverse soit-elle, cette enquête se veut néanmoins cohérente, parfaitement entremêlée. Faux Semblant atteste 238ce souci de faire concorder lensemble des champs de réflexion, animés par cette question fondamentale quest celle de laccès à la vérité. La véritable débauche dérudition que cela occasionne ne souffre cependant aucune digression57, en dépit des critiques souvent émises notamment à lencontre de la section Faux Semblant, tant lensemble se coordonne au gré des personnifications qui incarnent les divers aspects de cette réflexion générale. Davantage quune attitude ironique, létiquette de Miroer que Jean de Meun donne à son œuvre révèle sa volonté doffrir sa leçon avant tout aus amoureus, lamour restant la principale science traitée58. Il souhaite pour cela compléter lœuvre de Guillaume de Lorris, à la manière du Nouveau Testament qui offre une continuation fondamentale à lAncien59. À la quête de la Rose que dépeint Guillaume de Lorris se superpose donc la véritable enquête sur lamour quy greffe Jean de Meun60. Cest ainsi quil y entretient ce rapport ambigu, à comprendre à laune de sa volonté de révéler la vérité de lamour. Claire Nouvet éclairait dans ce contexte la contradiction souvent perçue dans la seconde moitié du Roman de la Rose entre style courtois et non courtois61. Elle sexpliquerait par la tendance de Jean de Meun à jouer et déjouer les oppositions pour mettre en jeu linterprétation quil souhaite in fine en apporter, au gré de cet exercice de lecture qui inspire toute son œuvre. Faux Semblant nous paraît offrir une représentation éclatante de ce didactisme ambivalent, qui reste caché et ne se dévoile quau gré des efforts requis pour en saisir toute la subtilité. Ces dernières remarques tendent à signaler limportance que nous souhaiterions à notre tour accorder à la dynamique amoureuse de cette réflexion incarnée par Faux Semblant. Quelle que soit son implication dans la polémique religieuse, Faux Semblant est avant tout nommé baron dAmour et rendu indispensable au succès de lAmant.

Toute la richesse de ce personnage exemplaire de la finesse de composition de Jean de Meun nous paraît nécessiter que nous nous arrêtions sur ses origines. Nous lavons souligné à de multiples occasions, 239Faux Semblant offre un concentré de la pratique allégorique de Jean de Meun, et de ses limites62, par lironie quil y instille63. Placé au cœur des objectifs décriture de la seconde partie du Roman de la Rose, Faux Semblant se construit également en regard dun vaste réseau de références qui lui permettent de résonner plus encore, mais bien sûr aussi de gagner en importance au vu de lampleur des réseaux quil mobilise. Sa source la plus évidente, et longtemps la seule considérée, le rattache aux événements historiques de la querelle de lUniversité de Paris qui marque les années 1250. Faux Semblant naît dans ce contexte sous la plume de Rutebeuf qui sen sert pour défendre Guillaume de Saint-Amour dans le débat qui loppose aux Ordres Mendiants. Mais en réalité, Faux Semblant sinscrit dans un réseau plus large, notamment de par le lien quil tisse avec Papelardie, ou encore avec les personnages du Roman de Renart64. Son association au champ de la ruse ne saurait être plus explicite au gré des parallèles quil présente avec Renart, pour son comportement insidieux et surtout trompeur, mais aussi avec Tibert le Chat qui se définit lui aussi selon son attitude extérieure65. Il est intéressant que Faux Semblant y fasse lui-même mention : il prend ainsi une fois de plus en charge le jeu quil opère sur le semblant, comme son nom le révèle demblée. Faux Semblant revendique lensemble de ce tissu de références et ce rapprochement entre les deux figures les plus représentatives de la dynamique trompeuse quil vient à son tour incarner. Il emploie pour se définir une rime qui associe la papelardie et la renardie66, comme pour mieux témoigner de sa fausseté quil veut totale. Lautoportrait auquel le faux moine se prête à la demande dAmour latteste : il offre un symbole généralisé de lhypocrisie67. Il importe de ne pas cantonner Faux Semblant au seul univers religieux 240auquel il porte atteinte sous son manteau de moine. Il savère dautant plus intéressant quand, à linstar de nombreux spécialistes du Roman de la Rose aujourdhui, on envisage la réflexion quil induit sur le principe allégorique lui-même comme cachant la vérité derrière les fables de la fiction68. Dans cette incarnation dun projet littéraire, Faux Semblant figure linvasion générale de lhypocrisie, associée à tous les vices69. Peter F. Dembowski résume limportance quil prend dans le récit, et dans sa postérité : « La littérature du Moyen Âge a créé ce quon peut appeler le “genre Faux Semblant” : le mal déguisé en bien, cest-à-dire lhypocrisie, source de tous les vices, envahit tous les domaines de la vie et paraît y régner de façon constante70 ». La menace quil représente est à la hauteur de ce règne absolu de lhypocrisie.

Elle se révèle dès son entrée dans la trame du roman en marquant une rupture nette avec le reste de larmée dAmour, au « cuer gent », à lexception dAbstinence Constrainte et lui-même71. De manière intéressante pour notre propos, mais aussi pour la réflexion induite sur le genre allégorique bien sûr, lopposition se concentre sur leur apparence trompeuse et surtout sur la dissociation entre leur « samblant par dehors » et leur « pensee » ou leur « cuer72 ». On perçoit ainsi demblée limportance accordée à la vérité des émotions et surtout au dévoilement de leur potentiel fallacieux. Jean de Meun joue pour cela de lopposition consommée entre dedans et dehors qui rythme souvent les exemples de jeux émotionnels. Le vocabulaire de lapparence irrigue la présentation du nouvel allié dAmour, tout autant que celui de la fausseté, selon le sémantisme même du nom de Faux Semblant. Sa description enchaîne sur celle de sa parenté, révélatrice de cette fausseté généralisée qui lui est accolée :

Baraz engendra faus semblant

Qui va les cuers des genz enblant.

Sa mere ot non ypocrisie

La larronnesse, la honnie :

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Ceste laleita et norri,

Lort ypocrite au cuer porri

Qui traÿst mainte region

Par habit de religion73.

Jean de Meun applique une logique rigoureuse à ce portrait, en choisissant de justifier le barat qui habite les pensées de son nouveau protagoniste par sa filiation. Lexposé quil y consacre ne laisse aucun doute sur sa nature trompeuse : le lexique en la matière abonde et fait transparaître la menace quelle représente et la dénonciation quelle nécessite. Le semblant rime immédiatement avec la tromperie, une tromperie fondée sur le cœur, comme pour mieux en souligner tant la portée émotionnelle que le vice. Jean de Meun redouble lassociation à lunivers de la ruse, en présentant également la mère de Faux Semblant sous la figure dHypocrisie. Susan Stakel perçoit cette double filiation comme un dédoublement de la capacité au mal de Faux Semblant74. Elle permet également de démontrer la prégnance de la ruse dans le sang de Faux Semblant, descendant de Barat, nourri dHypocrisie. Celle-ci insuffle la portée religieuse de la propre hypocrisie de Faux Semblant. Elle concentre aussi la fausseté de Faux Semblant sur lapparence, telle que nous la détaillions au gré de lanalyse lexicale de la notion dhypocrisie. La parenté de Faux Semblant joue aussi bien de la dénonciation du vice dhypocrisie que de leffet dannonce de la trahison perpétrée par le biais de son habit de religion. La menace quil incarne est également demblée révélée par la précision de la portée de sa trahison, qui se veut multiple comme latteste lindication des maintes regions quil contamine. Le jeu de rimes témoigne de la source attribuée à ce danger, associé à cet habit trompeur dont Faux Semblant fera si bon usage. La formule cuer porri semble jouer du contraste avec le cuer gent du reste des barons dAmour. Elle symbolise aussi, dès son arrivée, la malignité de Faux Semblant et latteinte quil incarne à légard de lexpression émotionnelle, lui qui camoufle ce cuer porri sous un habit de religion. Jean de Meun lève donc aussitôt le voile sur la fausseté et lincongruité de son personnage. La réaction dAmour est à la hauteur de la rupture opérée par Faux Semblant dans ses rangs : il est « esmeü » dans son 242« cuer » même75, selon une mise en lumière immédiate de linfluence émotionnelle de Faux Semblant. Amour croit dailleurs avoir « songié », tant il est surpris de cette irruption, et multiplie les interrogations à son allié impromptu76. La deuxième dentre elles fait allusion à la fameuse rime songe-mensonge de Guillaume de Lorris77 et témoigne du jeu instauré par Jean de Meun avec la première partie du roman, au moment dintroduire lélément le plus disruptif peut-être de sa continuation. Abstinence Contrainte en livre une défense enflammée, au nom des « mainte honnor » et « mainte aise » que lui a offertes son compagnon78. Elle appelle pour cela le dieu Amour à ce « quil ne [lui] deplaise79 ». Outre lassociation formelle entre ces deux protagonistes liés « par compagnie80 », son intervention fournit sa propre définition. Elle qui est dénommée Abstinence Contrainte remercie donc son compagnon de lui permettre de ne garder quapparente cette abstinence quelle est supposée incarner. Elle annonce du même mouvement la propre atteinte de Faux Semblant aux préceptes quil est censé représenter par la contamination quil induit sur sa partenaire. Mais surtout, sa défense comme « preudon et sainz hom clamez81 » témoigne de la nécessité de Faux Semblant, pour le dieu Amour lui-même auquel elle le recommande. Entre sa double filiation qui le prédispose à la fausseté et son influence sur Abstinence Contrainte, lhypocrisie de Faux Semblant se fait déjà omniprésente. Il laffirme dailleurs à lissue de sa tirade au dieu Amour : ses parents, Barat et Hypocrisie, sont empereur et impératrice de « tout le monde », « mau gré quen ait sainz esperis82 ». Cette nouvelle allusion à sa parenté permet de mieux exacerber encore le danger quil représente, fondé sur sa capacité à « deçoivre » sans que « nus ne sen puet aperçoivre83 ». Faux Semblant joue les effets dannonce de cette incapacité de Malebouche à détecter le faux de son semblant. Surtout, il martèle ainsi déjà sa leçon de révélation de la menace des hypocrites.

243

Faux Semblant le reconnaît lui-même : lui et sa parenté compliquent la compréhension de lensemble du monde, de la nature humaine rendue inaccessible par cette hypocrisie totale ainsi incarnée84. Il illustre lillusion du genre définie par Peter L. Allen85 en référence à la définition brouillée, modulable à lenvi que donne Faux Semblant de lui-même86. Ce jeu mené sur le genre semble trouver écho chez ses acolytes, lAmi et la Vieille, dont les conseils se répondent pour la gent masculine comme féminine. Faux Semblant soppose ainsi à la vérité, à Dieu, et même au sens commun87. Il brouille lensemble de la nature, par sa seule apparence. Sa seule constante repose dans son essence protéenne88, lui qui expose sa capacité à changer didentité à souhait89. Il affirme lui-même son rapprochement avec ce symbole bien connu de la mutabilité des signes pour souligner combien est « forz la decevance » quelle en rend difficile « lapercevance90 ». Cette référence lui permet surtout de vanter sa supériorité sur le mythique Protée, « qui ne sot onc tant barat ne guile91 ». Cest tout lintérêt de Faux Semblant : parfaitement conscient de ses pouvoirs, fondés sur une rupture entre vue et connaissance92, il nhésite pas à en rendre tout aussi conscient son auditoire et à révéler la fausseté de son semblant inidentifiable. Telle est lambiguïté fondamentale du discours et des apparences de Faux Semblant qui peut ainsi porter la réflexion autour des conventions allégoriques et plus largement des rapports à la vérité. Faux Semblant trouble en effet laccès à la vérité elle-même par cette instabilité des signes qui le caractérise :

244

« Sire, jai mansions diverses

Que ja ne vous quier reciter,

Sil vous plaist a men respiter.

Car se je le voir vous raconte,

Gi puis avoir damage et honte.

Se mi compaignon le savoient,

Certainement il men harroient

Et men procurroient anui,

Sonques leur cruauté connui ;

Quar il veulent en tous lieus taire

Verité, qui leur est contraire93. »

Faux Semblant létablit dès ses tout premiers mots au dieu Amour : la vérité leur est contraire à lui et ses compaignon. Il joue dailleurs avec son rapport à la vérité, quil ne peut révéler sans mécontenter les autres pratiquants de la fausseté dont il fait partie. Mais bien davantage, le paradoxe quil vient personnifier empêche toute résolution de lénigme de sa fausseté quil dévoilera pourtant en toute sincérité. Selon une ambivalence indépassable, son discours vise lexposition dune vérité rendue impossible par son hypocrisie94. Carolynn van Dyke résume toute limportance de Faux Semblant dans ce jeu mené autour de la lecture même des signes :

Voicing the most straightforward correctives to his dishonesty without seeming any less dishonest, False Seeming casts doubt on the efficacy of truth. Insincere in his virtue but sincere about his insincerity, he baffles our ability to distinguish truth from falsehood 95 .

Ce paradoxe prend toute son ampleur dans le cadre du discours dautodéfinition de Faux Semblant. Il offre tout le relief et surtout tout le piquant de sa présentation, qui se veut sans ambages :

« Sanz faille traÿstres sui gié,

Et pour larron ma dieus jugié ;

Parjurs sui. Mais ce que jafin

Set len anviz devant la fin,

Car pluseur par moi mort reçurent

Qui ainc mon barat naperçurent,

245

Et reçoivent et recevront,

Qui jamais ne lapercevront.

Qui lapercevra, sil est sages,

Gart sen, ou ciert ses granz damages96. »

Il affirme son identité de trompeur, de traître même, condamné par Dieu. Il expose même tout le danger quil incarne, les méfaits quil a accomplis et les morts quil a occasionnées par sa traîtrise. Il livre ce faisant une leçon dune grande force contre la faillibilité des apparences. La rime recevront-apercevront formalise le lien de cause à effet entre lincapacité de déceler le barat et la mort que Faux Semblant inflige. Elle se redouble dailleurs juste ensuite comme pour mieux souligner cette menace à valeur prophétique. Plus encore, Faux Semblant valorise la sagesse de celui qui parviendrait à lidentifier comme trompeur, du même mouvement quil insiste sur le danger de ne pas y arriver. Cette capacité de Faux Semblant à dresser son autoportrait, sans nuances ni demi-teintes, concentre autant la subtilité que la menace de son échange avec le dieu Amour97. Si Faux Semblant finit par accepter de se présenter à Amour, il ne lui révèle en réalité absolument rien98. Il cultive le flou par la dimension dialogique de cette autoreprésentation adressée à Amour99. Surtout, sa description se fonde sur une opposition constante, selon lart de la définition par contraires exposée par Aristote. Nous y avons déjà fait allusion, cette autoreprésentation offre un exemple éclatant du paradoxe du menteur100. On prend toute la mesure de ce discours dautodéfinition ambigüe à la lumière du modèle du paradoxe du Crétois. Celui-ci permet, depuis la Grèce antique, denvisager la vérité dans la fausseté101. Le Moyen Âge le connaît sous la formule popularisée ego dico falsum102, qui irrigue la confidence de 246Faux Semblant. Faux Semblant a en effet la particularité davouer sa tromperie avec une honnêteté incompatible avec son essence. Son affirmation « parjurs sui103 » pourrait résumer lensemble de sa longue définition104. Faux Semblant est un contradicteur, avec tout lintérêt quil concentre son mensonge sur lui-même. Il soppose au principe de non-contradiction par ladage quil défend et exemplifie Lhabit ne fait pas le moine105, auquel nous reviendrons au vu de son intérêt dans notre perspective. Cette autodéfinition toute en ambiguïté se fonde sur les contradictions quil multiplie jusquà la confusion :

« Trop sai bien mes habiz changier,

Prendre lun et lautre estrangier :

Or sui chevaliers, or sui moines,

Or sui prelaz, or sui chanoines,

Or sui clers, autre heure sui prestres

Or sui deciples, or sui mestres,

Or chastelains or forestiers ;

Briement, je sui de touz mestiers.

Or sui princes, or resui pages,

Et sai par cuer trestouz langages.

Autre heure sui vieulz et chenuz,

Or resui juenes devenuz.

Or sui Roberz, or sui Robins,

Or cordeliers or jacobins.

Si preign pour sivre ma compaingne

Qui me soulace et me compaingne :

Cest dame astinence contrainte,

Autre desguiseüre mainte,

Si com il li vient a plaisir,

Pour acomplir le sien plaisir.

Autre heure vest robe de fame :

Or sui damoisele, or sui dame ;

Autre heure sui religieuse :

Or sui rendue or sui prieuse,

Or sui nonnain, ore abesse,

Or sui novice, or sui professe,

Et vois par toutes regions

Cerchant toutes religions106. »

247

Lanaphore or sui illustre à merveille ce culte de la mutabilité de lidentité qui caractérise Faux Semblant et inspire cette confidence biaisée quil livre à Amour. Elle sinscrit dans la démonstration que fait Faux Semblant de sa capacité à changer dapparence, à la manière de Protée auquel il se comparait juste auparavant. Elle permet de concentrer linsaisissabilité du faux moine, dans la multitude des identités quil peut endosser. Il se mêle à celles dAbstinence Contrainte qui paraît presque confondue avec son confrère dans cette présentation, ce qui permettait à Peter L. Allen de démontrer latteinte que Faux Semblant constitue également à la notion de genre. Cette association éclaire aussi lentremêlement des vices dans la figure de Faux Semblant, lui qui incarne autant la fausseté que labstinence simulée de sa compagne. Faux Semblant brouille ainsi lensemble des rapports définitoires de la société médiévale fondée sur les apparences, quelles relèvent de la profession, du statut ou de lâge. La richesse stylistique de ce passage dicte également dinsister sur le talent rhétorique que Faux Semblant déploie pour asséner sa leçon. Il lui confère une force révélatrice de la portée didactique dont Jean de Meun linvestit bien au-delà de la diégèse, avec toute loriginalité de faire dévoiler lhypocrisie par un hypocrite. Faux Semblant sinscrit pour ce faire dans la tradition satiriste, dont il rejoue lindignatio caractéristique ici, dans une mobilisation émotionnelle dintérêt dailleurs. En le déclinant à la première personne, Faux Semblant semble jouer de la ventriloquie qui peut lui être prêtée dans lœuvre de Jean de Meun. Il nous semble en tout cas témoigner dune prise dautorité qui dépasse la fonction du personnage. Cette leçon doit se comprendre dans toute sa subtilité, exacerbée jusquà la confusion dans cette démultiplication des voix et identités endossées par Faux Semblant. Il devient ainsi son propre metteur en scène, dans une performance incroyable marquée par limportance donnée à une première personne du singulier employée ici pour démontrer sa pluralité. Ce passage atteste ainsi la place de Faux Semblant comme emblème de la polyphonie cultivée par Jean de Meun, mais aussi du rapport dialogique que Faux Semblant tisse avec Amour107. Cette dynamique dentremêlement de voix conduit à considérer linfluence, voire la contamination, de Faux Semblant sur 248le dieu Amour, nous y reviendrons. En brouillant son rapport identitaire, Faux Semblant sérige en arme fatale à lencontre des règles du genre allégorique avec lesquelles il joue, notamment par ce discours auto-définitoire, lun de ses artifices les plus fréquents108. Plus encore, Faux Semblant démontre la rupture des signes linguistiques dans leur ensemble. En brisant le rapport de transparence entre intérieur et extérieur, il se fait symbole du détachement radical du signe de son référent et expose toute lambiguïté inhérente à la pratique discursive109. En résumé, « Faux Semblant is a destroyer of mimesis110 ».

La menace quil fait peser sur lensemble du système signifiant touche également, et avant tout, aux apparences, même au plus infime et fondamental des signes quest lémotion. Il est intéressant de noter que limportance que Jean de Meun confère aux apparences davantage quaux seuls mots – avec lesquels Faux Semblant joue également, son nom même en témoigne – tient une fois de plus à la logique allégorique quil travaille et à la relation quil cherche à tisser avec la première partie du roman. Guillaume de Lorris déjà sattachait aux apparences pour définir ses personnages, en particulier les Images du Mur du Verger. Quand il en débute la description, il précise en effet son objectif de donner « de ces ymages la semblance111 ». Au-delà de la seule logique allégorique, le choix même de les qualifier dimages témoigne de ce rapport obsédant que la société médiévale entretient aux apparences112. Guillaume de Lorris y revient à chacun des portraits des vices dépeints à lextérieur du Verger. Celui de Tristesse est éloquent : elle est présentée « a duel faire ententive113 ». Cette remarque nous semble révélatrice de lattention portée aux apparences par Tristesse, qui ne se contente pas dêtre triste, mais de faire, cest-à-dire manifester sa tristesse. Il sagit là dun mouvement commun au jeu des émotions, celui de la manifestation, qui paraît demblée calculatrice ici, comme la formule employée le démontre. Le 249jeu émotionnel, sil sintègre déjà chez Guillaume de Lorris, se trouve donc du côté avant tout du vice. La concentration de cette attention portée aux apparences sur les Images du Mur révèle en tout cas leur pouvoir de signification crucial dans le processus didentification des vices. Tel pourrait être le cœur de la leçon que livrera Faux Semblant, au dépens de Malebouche. La subtilité de cette leçon tient bien sûr à lambiguïté du discours de Faux Semblant dont nous tenions à mettre en lumière la richesse en amorce de nos analyses. En biaisant demblée sa définition, Faux Semblant révèle la réflexion quil induit sur le travail décriture de Jean de Meun, fondé sur une pratique ironique de lallégorie, non sans rapport à la fausseté des apparences quil dévoile autant quil condamne. Ce constat fondamental concentre lambiguïté de son discours de représentation minée : « Faux Semblant est ce quil nest pas, ou plus exactement il dit le contraire de ce quil prétend dire, car sa profession de foi hypocrite, se donnant comme telle, se dénonce en même temps quelle se définit114 ». Influent en maintes regions, Faux Semblant fait peser les ramifications de cette défense/dénonciation de la fausseté des apparences aussi bien sur linvestissement émotionnel dévotionnel quamoureux. Il met ainsi en lumière la nature conventionnelle, et potentiellement faussée, des signes requis aussi bien dans lun comme dans lautre de ces univers fondés sur lémotion et sur sa fiabilité aussi indispensable quimpénétrable.

Pour mieux apprécier tout le talent déployé par Jean de Meun pour entremêler ces communautés émotionnelles dapparence fort distincte que sont les hommes religieux et amoureux, nous nous y consacrerons séparément. Quoi que convaincue de lintérêt de Faux Semblant dans ces deux dynamiques, il nous semblait plus efficace de les envisager une à une pour mieux en considérer les nuances et ainsi mieux percevoir toute la portée de Faux Semblant comme emblème dune fausseté totale des apparences émotionnelles. Limportance parfois seulement accordée à la sphère religieuse du discours de Faux Semblant nous a convaincue de nous y dédier en premier lieu, pour mieux appréhender ensuite son utilité dans le cadre plus général de son dialogue avec le dieu Amour.

250

Faux Semblant, vallez antecrist115

Faux Semblant au cœur de la querelle anti-fraternaliste

On a longtemps cantonné Faux Semblant à la figure du faux ypocrites inscrite dans la ligne critique du débat de lUniversité de Paris. Il nous paraît essentiel de sortir de cette seule perspective pour envisager tout lintérêt de ce personnage haut en couleurs, selon cette double dynamique religieuse et amoureuse. Nous ne pouvons néanmoins manquer de nous arrêter sur cet aspect effectivement primordial de sa personnification, comme symbole du jeu émotionnel dans le rapport dévotionnel. Il témoigne ainsi de limportance des apparences et de la fiabilité des signes de la foi au Moyen Âge.

Sans prétendre nous inscrire dans lanalyse du débat qui opposa les maîtres de lUniversité de Paris aux Frères Mendiants, nous voudrions proposer un rapide rappel des événements comme base de réflexion au personnage de Faux Semblant et au discours anticlérical quil porte au gré de son dialogue avec Amour. Nous lavons évoqué, le nom même de Faux Semblant apparaît dans ce contexte, sous la plume de Rutebeuf qui sinvestit grandement au sein de cette querelle116. Il développe dans ce cadre la figure dHypocrisie dans le Dit du Pharisien et surtout celle de Faux Semblant dans la Complainte maitre Guillaume de saint Amour117. Cest donc en défense de lun des plus célèbres acteurs de cette polémique que nous trouvons la première mention de Faux Semblant, parmi la liste des coupables de tant de vilenie que sont « Ypocrisie / et Vainne Gloire et Tricherie / et Faux Semblant et dame Envie118 ». Cette première allusion à Faux Semblant résume tous les traits caractéristiques qui seront les siens au gré de son histoire littéraire. On note déjà sa proximité avec Hypocrisie bien sûr, mais aussi avec Vaine Gloire et 251Envie, qui révèle lentremêlement de vices auquel il se prêtera aussi chez Jean de Meun. On perçoit aussi son inscription dans la dénonciation des vices déglise, en particulier de celui qui relève de « doute[r] plus le cors que lame119 ». Rutebeuf ouvre ainsi un cycle de poèmes allégoriques de critique sociale dans lequel la deuxième partie du Roman de la Rose vient se greffer120. Cest aussi au travers de la poétique de Rutebeuf que se marquerait lorientation sémantique de la guile vers lhypocrisie religieuse121. Lintervention de Rutebeuf dans la polémique des chansonniers contre les Mendiants semble déterminer la propre construction du Faux Semblant comme symbole de la participation de Jean de Meun à la querelle de lUniversité de Paris122. Le Roman de la Rose sinscrit dans ce sens dans la lignée offerte par Rutebeuf de mise en scène littéraire de cette polémique123, à laquelle nous voudrions revenir pour en envisager les lignes dinfluence sur le personnage de Jean de Meun.

Guillaume de Saint-Amour, dont Rutebeuf prend la défense dans sa Complainte, incarne le vent de révolte qui souffle au sein de lUniversité de Paris dans la première moitié du xiiie siècle. Face aux privilèges et à la popularité croissante des Frères Mendiants dans la scolarité et dans lÉglise, la grogne enfle parmi les maîtres de lUniversité. Le conflit va croissant, le clergé entre alors en scène au début de lannée 1254 sous limpulsion du Pape Innocent IV qui, dans une volonté pacificatrice, prend la défense des clercs et des maîtres. La situation sinverse cependant sous son successeur, Alexandre IV. Cest dans ce contexte que paraît le De Periculis de Guillaume de Saint-Amour, au début de lannée 1255, comme un résumé des griefs de lUniversité et du clergé pour démontrer les torts des Frères Prêcheurs et les faire chasser. Guillaume de Saint-Amour les accuse notamment de causer la mort spirituelle des fidèles dupés par ces faux docteurs. Il blâme également leur pratique de la mendicité, la pauvreté devant résider dans le mépris des biens terrestres et non dans la mendicité en soi, que les maîtres dénoncent comme relevant de cette 252hypocrisie tant reprochée aux Frères. Le danger que représenteraient les Mendiants, tout autant que les Béguines par ailleurs, est alors condamné comme un signe avant-coureur de la fin des temps. Son accusation des vices dont il revêt les Ordres Mendiants vaut à Guillaume de Saint-Amour de se voir exilé par Alexandre IV. Cest dans ce cadre que Rutebeuf prend sa défense. Il transforme la polémique en pamphlet et lui fait gagner une dimension proprement littéraire. Jean de Meun assure ensuite le passage du pamphlet au livre, en explorant lensemble de cette tradition critique124. Il convient de souligner linfluence, au-delà de celle de Rutebeuf, de Guillaume de Saint-Amour lui-même. Constant J. Mews note dans ce sens la concentration que présente Jean de Meun sur la critique de la pauvreté davantage que de lorgueil, à la manière du maître parisien et au contraire de Rutebeuf. Il souligne également limportance des tonalités apocalyptiques, surtout dues à Guillaume de Saint-Amour125, qui irriguent en effet le portrait de Faux Semblant. La volonté de Jean de Meun de sinscrire dans la querelle contre les Ordres Mendiants ne laisse aucun doute : il revêt son personnage de lhabit de cordelier ou de jacobin pour mieux discréditer ceux quil vient ainsi incarner126.

En preuve de sa relation complexe à ce débat, quil investit et dépasse à la fois, Jean de Meun y apporte une dimension supplémentaire en y investissant une dénonciation importante, en-dehors du cadre même de la querelle, du vice du sophisme127. Faux Semblant illustre tout le danger de cette logique insidieuse : on le verra, il en fait un usage fatal contre Malebouche. Il en révèle déjà toute la dynamique fallacieuse au tout début de son explication au dieu Amour :

253

« Ne sont religieus ne monde ;

Il font .i. argument au monde,

Ou conclusion a honteuse :

Cist a robe religieuse,

Donques est il religieus.

Cist argumenz est touz fieus,

Il ne vaut pas .i. coustiau troine ;

Li abiz ne fait pas le moine.

Nepourquant nus ni set respondre,

Tant sache haut sa teste tondre

Voire rere au rasoir dellanches

Qui barat trenche en .xiij. branches ;

Nus nel set si bien distinter

Quil en ose .i. seul mot tinter128. »

De manière révélatrice, cest au cœur dun exposé sur la fausseté des apparences que sintègre cette critique des argumentations sophistiques. Elle sert à déconstruire ladage lhabit fait le moine que Faux Semblant vient problématiser. La dénonciation est explicite, Faux Semblant jugeant, avec lironie qui le caractérise, ce type de raisonnement de honteux, fieus, mais aussi malheureusement difficile à distinguer. Sa dénonciation semble gagner en importance en sappuyant sur la seule citation à laquelle recourt Faux Semblant avec son allusion au De Sophisticis Elenchis dAristote. Elle joue dailleurs les effets dannonce du propre rasoir de Faux Semblant, quil emploie exactement dans loptique quil décrie ici pour tromper et vaincre Malebouche. Selon ce paradoxe inhérent à la nature de Faux Semblant, il révèle donc autant lerreur de se fier à son apparence, à sa robe religieuse, que ses stratégies à venir. Aussi transparent soit-il, nus nel saura distinter, en tout cas pas Malebouche qui se verra en effet trenché. Cette critique vise les hypocrites qui ne sont ni religieus ne monde, ces faux Frères qui sont accusés de se prêter à cet argumenttouz fieuz. Il sagit là aussi dune influence de Guillaume de Saint-Amour, mais la question dépasse déjà celle des seuls Frères Mendiants. Cette condamnation des raisonnements fallacieux infiltre lensemble de lœuvre de Jean de Meun, en tout cas toute la partie dédiée à la triade trompeuse formée par lAmi, Faux Semblant et la Vieille. Cest comme si Jean de Meun insérait ces références à la polémique universitaire au service dune contestation générale de la sophistique129 et, de manière 254plus générale encore, du vice des conclusions hâtives, fondées sur des logiques non fiables telles que celles des manifestations émotionnelles, dont lhabit religieux devrait faire partie. La référence à la problématique des Frères Mendiants nen est pas moins certaine, quelle doive être affinée ou relativisée à laune de questions plus générales du projet rédactionnel de Jean de Meun. Faux Semblant avoue dailleurs sans ambages son adhésion au parti de Guillaume de Saint-Amour : quimporte quon « grouce » ou « sen courrouce », même sil devait « perdre vie », il martèle quil « ne [s]en tairoie mie130 ». À la liste des risques quil accepte de prendre pour affirmer son point de vue, il ajoute celui dêtre « mis contre droiture », à linstar de Guillaume de Saint Amour « baniz [] a tort », à linstigation « par grant envie » dYpocrisie, « [s]a mere131 ». De manière intéressante, il associe donc le pape Alexandre IV lui-même à Ypocrisie, avec une association marquante également au péché capital denvie, découlant directement de lorgueil dans la morale chrétienne du xiiie siècle. Le rapprochement avec le propre sort de « saint Pol en chartre oscure » est plus significatif encore de sa volonté de dénoncer celui de Guillaume de Saint-Amour132. De manière plus concise mais tout aussi efficace, il juge cet exil comme une décision prise a tort – et lenjambement met encore en exergue la portée de ce jugement – et opposée à la droiture. De manière intéressante, Faux Semblant mêle à sa défense de la « verité » de Guillaume de Saint-Amour son opposition à celui qui souhaite lui faire renier sa « mendicité » et le faire « laborer133 ». Selon tout le paradoxe de sa figure, Faux Semblant intègre ainsi à la critique quil en a livrée jusqualors une sorte de plaidoyer de la pratique de la mendicité. Loisiveté des Frères Mendiants est dévoilée sans nuances dans leur goût trop prononcé pour le prêche, par un rapprochement éloquent avec le vice dhypocrisie. Il vante ainsi sa préférence à « devant les genz orer » en lien avec sa tendance à « affubler [s]a renardie / du mantel de papelardie134 ». Cette mise en parallèle témoigne de la force rhétorique que Faux Semblant insuffle à sa critique des Frères Mendiants, hors même de la seule diégèse et de son échange avec Amour. Son investissement dans la querelle universitaire va bien sûr dans ce sens. Mais le talent dont il fait 255preuve pour ce faire atteste aussi ce souci de Jean de Meun de dépasser le cadre dialogique avec Amour pour envisager celui quil noue par ce biais avec son propre auditoire. Il insuffle à son personnage une colère digne de celle mobilisée par les satiristes, dans un jeu déchos évident, mais dautant plus ironique dans la bouche de cette incarnation des vices déglise quest Faux Semblant. Mais cette condamnation des Frères Mendiants se voit aussi demblée dépassée. La rime renardie-papelardie, au-delà de la révélation quelle induit du pouvoir de lhabit, signale la volonté de Jean de Meun dinscrire son personnage dans un réseau référentiel plus large que celui de la seule querelle universitaire. Les allusions faites aux deux personnages les plus représentatifs de la critique de lhypocrisie religieuse que sont Renart et Papelardie nous incitent à envisager plus globalement la place de Faux Semblant.

Faux Semblant comme égérie de lhypocrisie religieuse

Les appels à ne pas réduire Faux Semblant à cette seule perspective de critique à lencontre des Frères Mendiants se sont multipliés au gré des analyses qui lui ont été dédiées135. Guy Geltner surtout a souligné le fonctionnement de Faux Semblant comme personnification de lhypocrisie générale, et non dun ordre en particulier136. Il démontre notamment la large diffusion du motif du faux Frère servant le diable pour dépasser ce rattachement à la querelle universitaire. Il résume : « Faux Semblant does not “depict” anyone; he typifies hypocrisy137 ». Il convient en outre de prendre quelque distance avec cette association de Jean de Meun à la défense des maîtres de lUniversité de Paris. Il convient surtout de dissocier son point de vue de celui de son personnage et de considérer lironie potentielle dont il a pu teinter son discours à cet égard138. Nous voudrions porter un regard plus large sur le discours de Faux Semblant, à linstar de Fabienne Pomel qui insiste sur la nécessité de prendre la pleine mesure de limage 256de fausse dévotion dans lensemble de la deuxième partie du roman139. Elle souligne limportance prise par Faux Semblant au sein du roman, qui invite à une réflexion plus vaste et fondamentale que celle qui concerne seulement le cas des Frères Mendiants. Bien davantage, il inciterait à « sinterroger sur les feintes du langage et le statut de la métaphore comme faux-semblant140 ». Pareille réflexion se concentre demblée, dans sa portée critique, sur le pan religieux, propice aux condamnations de lhypocrisie incompatible avec la morale chrétienne. Nous aimerions nous arrêter à cet aspect central de la figure de Faux Semblant et démontrer ainsi la portée de la réflexion quelle induit sur les jeux émotionnels qui infiltrent la pratique dévotionnelle tout entière.

La rime entre renardie et papelardie, par laquelle nous amorcions cette transition depuis le dernier passage cité, nous paraît constituer un exemple éclatant de la nécessité de considérer lensemble du réseau référentiel de Faux Semblant. Elle conclut en effet son exposé des griefs reprochés aux Frères Mendiants sur la technique qui paraît les résumer : le fait daffubler sa renardie du mantel de papelardie. Elle témoigne ainsi de sa proximité à la fois avec la figure, bien connue, de Renart et avec celle de Papelardie, introduite dans la première partie du Roman de la Rose. Présenté comme le père littéraire de Faux Semblant141, Renart sinsère dans cette description comme pour mieux démontrer lassociation de Faux Semblant à tous les vices. Symbole de lenvie, de la gourmandise, du sacrilège et de la tromperie, Renart se mêle à lhypocrisie pour déterminer Faux Semblant. Tous ces vices se cachent derrière le mantel de Papelardie, en allusion à la neuvième Image du Mur du Verger décrite par Guillaume de Lorris. Si son manteau nétait pas dépeint, cest sûrement là un clin dœil de Jean de Meun au propre manteau de Faux Semblant et à lentremêlement quil souhaite proposer de ces deux personnages. Papelardie incarnait déjà, alors hors du Verger, toute la malignité de lhypocrisie. Armand Strubel atteste le rapprochement des deux figures à la lumière de la critique cléricale, non sans en relever les divergences : « lenjeu nest pas le même et la portée de la transgression na pas de commune mesure, entre le “vice” individuel (la fausse dévote insérée entre Vieillesse et Pauvreté) et 257la perversion sociale, voire ontologique (le faux moine)142 ». Surtout, lhypocrisie nest alors quun attribut de Papelardie. Elle ne peut donc que préfigurer le rôle tenu par Faux Semblant comme véritable appellatif de ce vice ainsi intégré au Verger de Déduit143. Car telle est bien sûr la principale différence à noter quant à Papelardie : chez Guillaume de Lorris, la fausseté figurée sous ce « vis simple et piteus144 » ne peut que se cantonner au Mur aux Images, ses fausses prières laissées inaudibles aux personnages de la Carole. Surtout, elle reste alors hors de la sphère du Verger du Déduit, sans aucun lien possible avec le dieu Amour145. Elle offre un premier temps aux deux états successifs de lhypocrisie intégrés dans le Roman de la Rose, une première réflexion autour de la dévotion prétendue, interdite daccès au Verger qui symbolise lunivers courtois. On note déjà un important recours au lexique du paraître pour déterminer le vice de Papelardie, avec les références à son attitude par « dehors », à son « vis » ou les occurrences du verbe sembler qui qualifient autant son hypocrisie que son apparence sainte146. Avec une ironie que son continuateur sefforcera de cultiver bien plus encore, Guillaume de Lorris présente donc son hypocrisie selon lapparence qui en est justement révélée. Il atteste le pouvoir signifiant des semblants, tout en le problématisant déjà au cœur de sa description des Images. Il définit sur cette base le nom de Papelardie en lien avec lexpression « en recelee », comme la rime « appelee-recelee » le signale147. Celle-ci témoigne de la dynamique dissimulatrice qui vient déterminer Papelardie. Elle nest certes alors vêtue daucun manteau, mais Guillaume de Lorris vient insister sur ses dehors trompeurs. Il souligne surtout ses mauvaises intentions, elle qui « soz ciel na male aventure / quele ne pens en son corage148 ». Son attitude sournoise se met au service de son souhait « de nul mal fere », quelle ne se prive jamais daccomplir, à linsu de ses victimes plus encore149. Son attitude de « marmiteus150 » condense ce jeu dapparences manipulatrices. 258Elle sert en effet avant tout à qualifier un état soucieux et préoccupé, comme cest le cas dans la Vie saint-Alexis, parfait exemple de linvestissement émotionnel requis dans la vie spirituelle que véhicule cet adjectif151. Mais il peut aussi prendre un sens plus ambigu et suggestif, surtout dans cette expression de faire le marmiteus qui en vient à signifier le jeu hypocrite152. On rejoint ainsi lambivalence du terme semblant, plus encore du semblant émotionnel, seule voie daccès à lintériorité, a fortiori quand elle touche à la dévotion, infiniment intime. Guillaume de Lorris paraît insister sur la dimension seulement extérieure de cette tristesse affichée par Papelardie, en précisant encore quelle apparaît seulement par dehors. Pour souligner la fausseté de cette apparence, il la met aussitôt en opposition avec la réalité de son corage, selon un jeu on ne peut plus clair sur les émotions manifestées. La nuance est de taille, puisquà la sainteté de son apparence soppose la male aventure qui anime son cœur. Cette fausse affliction empreinte de sainteté répond parfaitement à la définition de la papelardie relevant de la religiosité affectée153. La suite de la description de Papelardie continue à jouer sur les indices cultivés de sa dévotion. Comme pour mieux la dénoncer, Guillaume de Lorris insiste sur la fiabilité du portrait dressé sur le Mur des Images qui « mout la resembloit / qui faite fu a sa semblance154 ». Il étaye ainsi encore le lexique des apparences qui irrigue sa description. Il soutient un portrait fondé sur la « simple contenance » et la pauvreté affichée par Papelardie, « tout aussi com fame rendue155 ». Le recours aux signes extérieurs de la dévotion se développe avec la présentation du « sautier » tenu par Papelardie, mais plus encore des « proieres saintes » quelle « mout se penoit » de faire156. La dimension deffort rejoue celle souvent convoquée pour qualifier la garde émotionnelle, dans un jeu de décalage explicite. Le jeu mené sur les conventions dévotionnelles est plus net encore pour conclure sa description. Linvestissement émotionnel gagne en importance : non contente de simuler la tristesse ou la dévotion, Papelardie réfrène toute manifestation de joie, au profit dune concentration, toute apparente – la formule « par semblant » rompt avec certitude, et intérêt, avec ses prétendus efforts –, sur son souhait de « bones oevres 259faire157 ». Bien sûr, son attention ne relève que du semblant, selon une rupture importante avec cette charité bien intentionnée qui est supposée animer les dévots. Comme pour mieux souligner cette dimension seulement apparente, une présentation de sa « heire »suit directement158. Lempreinte religieuse que prend lhypocrisie se fait plus claire encore ainsi, tout comme son ancrage affectif. La heire vient jouer de lesprit de mortification feint par Papelardie, fondé sur laffliction qui lanime159. Dans cette même logique, on dépeint ensuite laspect de Papelardie et les impressions quil offre de son investissement spirituel. Amaigrie, elle « sembloit de jeuner estre lasse » jusquà en apparaître « pale et morte160 ». La ruse sous-entendue dans cette description est immanquable à cette allusion du cheval de lApocalypse, lui aussi caractérisé par sa pâleur morbide161. Si le vice que Papelardie incarne nétait pas assez clair, Guillaume de Lorris conclut sur la tromperie quelle induit en se concentrant, bien davantage que sur les ressorts spirituels de son existence, sur des considérations purement mondaines, selon une critique portée par « levangile » même : le « los par mi la vile » et la recherche de la « vainegloire162 ». On retrouvera chez Faux Semblant, et plus encore, de manière logique, chez Abstinence Contrainte, ces contradictions entre les apparences dévotes et la recherche des honneurs. Ce portrait inspire sans aucun doute celui que Jean de Meun dressera de ces héros atypiques. Le Roman de la Rose offre ainsi deux états successifs de lhypocrisie, dont Jean de Meun se joue pour mieux dénoncer le propre vice de Faux Semblant en écho à celui, clairement mis en lumière, de Papelardie. Exclue du Verger, elle ne peut porter atteinte au système amoureux mis en scène au gré des rencontres de lAmant, au contraire de son homologue Faux Semblant. Nous aurons bien sûr à cœur de nuancer ce parallèle établi entre les deux grandes figures de lhypocrisie, mais il nous semblait intéressant à souligner pour dévoiler la place occupée par Faux Semblant dans une réflexion globale sur la fausseté religieuse.

260

Le faux moine insiste en effet sur le danger de la dévotion feinte tout au long de la présentation quil accepte de donner au dieu Amour. Son adresse se veut néanmoins demblée plus générale et prend une valeur proclamatrice qui signale limportance de sa prise de parole comme un véritable discours de sagesse. Il revêt pour cela les habits du satiriste pour dénoncer ceux des religieux, au potentiel trompeur bien plus menaçant que lhabit séculier :

« Baron, entendez ma sentence !

Qui faus samblant vorra connoistre

Si le quiere au siecle ou en cloistre.

Nul lieu fors en ces .ii. ne mains

Mais en lun plus, en lautre mains.

Briement, je me vois osteler

La ou je me puis mieus celer,

Sest la celee plus seüre

Souz la plus simple vesteüre.

Religieus sont mout couvert,

Seculier sont plus a ouvert.

Si ne vueill je mie blamer

Religion ne diffamer

En quel quabit que len la truisse ;

Ja religion, que je puisse,

Humble et loial ne blamerai,

Nepourquant ja ne lamerai163. »

Entamant sa longue tirade dautodéfinition, Faux Semblant commence par identifier les lieux qui lui sont le plus propices, les cloîtres bien davantage que le siècle. Les jeux de rimes sont révélateurs de lassociation effectuée par Faux Semblant entre le cloître et son hypocrisie : cest encloistre que lon semble pouvoir mieux le connoistre, son choix du lieu où il veut osteler se comprend selon sa possibilité de sy celer, et celui de son habit avec la sécurité de son camouflage. Surtout, ces jeux de rime permettent de cristalliser lopposition entre religieux et séculiers selon leur degré de couverture. Faux Semblant se prête ainsi à une dénonciation générale de lhypocrisie religieuse. On retrouve dans ce sens lidée de la simplicité de lapparence que cultivait Papelardie dans cette optique trompeuse164. Elle devient ici le moteur de Faux Semblant, le premier des critères quil 261accepte dexposer à lensemble des barons dAmour, pour mieux révéler déjà la portée de sa condamnation, mais aussi le lien tissé avec lImage de Guillaume de Lorris. Il précise dailleurs quil ne vise aucun habit en particulier, quelle que soit la portée de ses critiques orientées vers les Frères Mendiants dans la suite de son discours. Comme en annonce de lapologie à laquelle se livrera Jean de Meun, Faux Semblant prend la peine de justifier quil ne blâme pas la religion en soi. Cest sur cette base quil porte sa condamnation des « faus religieux165 ». Selon une tradition critique bien établie, chez les Cisterciens en particulier, Faux Semblant oppose la vraie religion au culte des apparences166. Cest la rupture entre ceux « qui labit en veulent vestir / et ne veulent leur cuer mestir » qui anime laccusation « des felons, des malicieus » que sont les faux religieux167. Faux Semblant la met en exergue par lopposition des verbes vestir et mestir, à la rime. La reprise du verbe vouloir rythme encore cette opposition. Ainsi, toute la critique, et la pratique, de Faux Semblant se fonde sur le jeu émotionnel prêté aux faux religieux qui se contentent de vestir, sans mestirleur cuer. Il détermine sur cette base la véritable pratique religieuse, fondée sur une autre opposition entre les tendances à « orgeuill ensivre » ou à « humblement vivre168 ». Avec lironie qui lui est propre, Faux Semblant dénigre ces véritables religieux, avec lesquels il ne pourrait rester que par ruse169. Selon cette sincérité paradoxale qui le caractérise, il expose lessence de sa nature trompeuse basée sur un habit revêtu seulement par feintise170. Il confesse son usage détourné de lhabit religieux, lui qui ne peut se résoudre à ce que « de [s]on propos ississe, / quelque chiere qu[il] y feïsse171 ». Il instaure ainsi une nouvelle nuance, qui lui sera chère, entre lapparence et la parole ou, plus encore, les actes. Faux Semblant renoue ici avec lenjeu de son exposé au dieu Amour pour préciser avec qui il réside réellement, bien loin des religieux dont il ne peut sapprocher que par feintise : « les orgueilleus172 ». Faux Semblant saccorde ainsi au premier et plus grand 262des vices pour mieux dévoiler sa fausseté et le mal quil véhicule. Dans cette volonté de joindre tous les vices sous son manteau dhypocrite, il y associe encore lastuce des « artilleus » et surtout la vanité de ceux qui « mondaines honnors couvoitent173 », un péché condamné avec emphase chez les Frères, et chez les Frères Mendiants en particulier. Faux Semblant se définit ainsi à lexact opposé exact de la religion quil détermine selon lhumilité et la miséricorde. De manière intéressante, le qualificatif de « piteus174 » employé pour qualifier les religieux apparaissait également dans le portrait de Papelardie, dont Faux Semblant se rapproche par ce double épithète de simple et de piteus qui servait à décrire son apparence175. Tout comme lImage cantonnée à lextérieur du Verger, Faux Semblant ne recourt quaux signes extérieurs de la dévotion. Sa critique des vices infiltrés dans lÉglise nen est que plus claire. Leurs objectifs de « couvoite[r] » et « esploite[r] » illustrent labus dont ils sont accusés176. Surtout, et la condamnation se concentre ainsi sans aucun doute vers les Frères Mendiants, il leur reproche de « se f[aire] povre177 ». Là semble résider le cœur de leur péché, tel que la rime entre la « povreté [quils] preeschent » et « les granz richesses [quils] peeschent » le révèle en dénonçant lhypocrisie de leurs recommandations178. Faux Semblant fait alors allusion à leur droit, si contesté dans la querelle universitaire, au prêche. Il renforce cette impression dexcès par une anaphore de et pour qualifier le contraste entre la pauvreté prétendue et le goût des « bons morsiaus » et des « vins precieus179 ». Tel est largument, et, nous le verrons, la leçon essentielle de Faux Semblant : la vraie religion doit safficher dans les actes davantage que sur lhabit :

« Mais en quelque lieu que je viengne,

Ne comment que je mi contiengne,

Nient plus fors barat ni chaz.

Aussi com dant Tyberz li chaz

Nentent qua soriz et a raz,

Nentent je a riens fors a baraz.

263

Ne ja certes pour mon habit

Ne savrez o quel gent jabit ;

Non ferez vous voir as paroles,

Ja tant nierent simples ne moles.

Les oevres regarder devez,

Si vous navez les ieulz crevez,

Car sil font el que il ne dient,

Certainement il vous conchient,

Quelconques robes que il aient,

De quelconques estat quil soient,

Soit clers soit lais, soit hons soit fame,

Sire, serjanz, baiasse ou dame180. »

Il clôture ce premier volet de sa réponse à Amour en revenant à sa question première : le lieu où il réside. Il sen sert pour rapprocher ce lieu et sa contenance, tous deux dépeints comme trompeurs. Faux Semblant se compare sur cette base au personnage de Tibert le Chat du Roman de Renart, avec lequel il aime jouer pour mieux dévoiler la fausseté qui le caractérise. Il se contente ici de rapprocher lobsession du chat pour les rats et les souris avec la sienne pour le baraz. Le parallélisme nentent témoigne, dans cette concentration quelle présente sur les appétits du chat, de la déconsidération du baraz de Faux Semblant, qui touche au bas-ventre et à cet entremêlement de vices déjà évoqué. Mais nous avons aussi pu noter que Tibert servait de symbole à une attention excessive sur les signes extérieurs181. La référence paraît intéressante au moment de conclure ce premier temps de laveu que Faux Semblant offre de la fausseté de son semblant. Il affirme la non-fiabilité de son habit, de son lieu de vie comme de ses paroles, dans une dénonciation globale de lhypocrisie. Tout comme il sest attardé à dénoncer la bonne impression que peuvent offrir lhabit religieux comme le cloître, il veille à prémunir contre les paroles, aussi simples et douces soient-elles. La collusion du voir et des paroles met en exergue le danger de prendre les mots à la lettre. Faux Semblant lassène sans ambages : ce sont les oevres quil faut regarder. Dans un nouveau jeu dannonce, teinté dironie, il souligne dailleurs quil faut être aveugle pour manquer à cette recommandation. La rime entre le verbe devoir et les yeux crevés quil faut avoir pour ne pas le faire le met en lumière. Faux Semblant livre sur cette base la 264conclusion de sa réflexion : peu importe le lieu ou lhabit, le statut ou même le genre, celui qui nest pas fidèle, dans ses actes, à ses paroles est animé dintentions trompeuses. Il révèle le potentiel trompeur de lensemble des signes, physiques ou langagiers, qui comportent le risque de rompre la concordance impérative entre extérieur et intérieur. Cette menace se veut plus forte encore dans la sphère religieuse, en regard de lexemplarité supposée des Frères, directeurs de pensée attitrés, avec tout le débat que cela peut provoquer. Dans son investissement dans la querelle universitaire, Jean de Meun y fait dailleurs écho en rendant Faux Semblant porte-parole de la dénonciation portée à lencontre des Ordres Mendiants qui comptent parmi leurs privilèges, condamnés par Guillaume de Saint-Amour, le droit de « confesser et assoudre182 ». La rime entre le fait de « cheoir dedenz [s]es pieges » et « [s]es privileges183 » atteste linscription de Faux Semblant dans la querelle : il associe directement sa tromperie et ses privilèges, à raison au vu du sort subi par Malebouche. Mais la portée critique de Faux Semblant dépasse ce seul privilège, la conclusion du passage précédent lillustrait : peu importe la robe, si les actes ne concordent avec les dires, la tromperie est indubitable. Il lassène, la robe noffre aucune garantie :

« Bon cuer fait la pensee bonne ;

La robe ni tost ne ne donne ;

Et la bonne pensee loevre,

Qui la religion descoevre.

Illuec gist la religion

Selonc la droite entencion184. »

Bien au contraire de la robe, cest loevre qui se fait lindice de la pensee bonne. Cest même elle qui permet de découvrir la religion, comme la proposition relative, et le jeu de rimes, le révèlent. La répétition de cette pensee bonne ainsi issue du bon cuer porte lemphase sur la pureté des intentions, et des émotions, affirmée en fin de passage. La religion est affaire de droite entencion. La dénonciation des attitudes mystificatrices soriente ainsi avant tout dans une dynamique religieuse. Jean de Meun sinscrit en ceci dans une tradition critique bien établie, développée déjà chez Jean 265de Salisbury, de lhypocrisie condamnée comme un travers religieux185. Cest sûrement dans ce sens que peut se comprendre lassociation de Faux Semblant avec Abstinence Contrainte, autre vice dÉglise186. Bien sûr, ils se retrouvent également dans la personnification quils offrent des abus des apparences. Ils se combinent ainsi à merveille dans la dénonciation voulue par Jean de Meun du règne des apparences qui subvertit linvestissement émotionnel indispensable à la pratique dévotionnelle :

Si Faux Semblant se présente dans lhabit de pauvreté, son amie, Attenance (Abstinence) Contrainte se présente comme le visage de la chasteté hypocrite, dans la robe dune béguine. Dans un milieu saturé didéaux religieux, Jean de Meun se moque de limportance accordée aux formes externes de la religion et sattache à dénoncer lhypocrisie que permet cette valorisation des apparences187.

On voit combien le personnage de Faux Semblant dépasse la seule question des privilèges des Ordres Mendiants. Il vise une remise en question fondamentale de ladéquation entre extérieur et intérieur, bien révélée par ladage lhabit ne pas fait le moine.

L habit fait ou ne fait pas le moine : réflexions
autour du semblant dévotionnel

Faux Semblant dédie une bonne part de son discours à condamner lartifice et le vice de largument lhabit fait le moine188. La formule semble porter lensemble de son raisonnement. Il sinscrit ainsi dans une réflexion importante développée au Moyen Âge à ce sujet. Innocent III serait à lorigine de son développement. Il diffuse dans ce cadre un exemplum du viie siècle dorigine arabe, quil reprend dans son De Miseria condicionis humane, dun philosophe, refusé à la cour en habit misérable, mais accepté aussitôt quand il se présente en habits somptueux, qui baise son habit pour vanter cette source dhonneur plus grande que la vertu elle-même189. Cest ensuite sous Grégoire IX que lexpression de prendre 266lhabit prend son sens le plus connu, lié à lentrée, au transfert ou à la sortie dun couvent190. Cette identification du moine par lhabit suscite néanmoins demblée la réflexion, par exemple chez saint Bernard191. Ainsi, la critique des dérives qui peuvent en découler apparaît aussitôt. On retrouve déjà la condamnation de la tromperie de lhabit dans le De hypocritis du satiriste carolingien Theodolphus192. Cest ainsi que la dénonciation de lhypocrisie se concentre sur lhabit193, selon une tendance à laquelle Faux Semblant offre un éclat particulier. Aelred de Rievaulx contribue à la dénonciation de la duplicité de lhabit religieux : « Forsitan enim sub habitu religionis uentrem colunt ; sub tunica paenitentium, ad mundiales glorias et honores anhelant194 ». Faux Semblant sinscrit dans la même ligne critique en opposant la fiabilité supposée de lhabit religieux au vice de vanité. Il sévertue ainsi à redéfinir ladage Lhabit fait le moine, dans une mise en lumière obsessionnelle de la non-fiabilité des apparences. Cette dénonciation se construit au cœur de sa critique des Ordres Mendiants, et plus largement de lhypocrisie religieuse, mais la dépasse par lampleur des questions quelle suscite :

Hiding his motives behind his holy garb, Faus Semblant s “habiz” illustrates the admittedly banal danger associated with the notion of habitus: the possibility of disguising bad motives behind the clothing, gestures and comportment associated with a particular social group. He warns, “la robe ne fet pas le moine” (11,028). But, more importantly for the present analysis, the character illustrates very precisely how habitus develops–how emotions and sexuality are acquired195.

Tracy Adams atteste limportance des émotions dans le développement de lhabitus et lentremêlement de linvestissement affectif et des signes requis dans ce contexte. Faux Semblant éclate cependant cette association, dans le cadre sexuel et amoureux comme dans le cadre religieux 267dailleurs. Ainsi, bien loin dassocier lhabit à létat religieux, il le lie à la tromperie :

« Mais je qui vest ma simple robe,

Lobanz lobez et lobeours,

Robe robez et robeours.

Par ma lobe entasse et amasse

Grant tresor en tas et en masse,

Qui ne puet pour riens affonder ;

Car se jen faz palais fonder

Et acomplis touz mes deliz,

De compaignies et de liz,

De tables plaines dentremais

– Car ne vueill autre vie mais –

Recroist mes argenz et mes ors,

Car ainz que soit vuiz mes tresors,

Deniers me vienent a resours196. »

Dans un jeu subtil de sonorités, paronomases, allitérations et assonances, caractéristique de la veine satiriste pour porter lindignatio, Faux Semblant entremêle la robe et la lobe. De la robe, une fois encore qualifiée de simple, il passe à la lobe qui lui permet damasser richesses et honneurs. Il joue ainsi avec lensemble de la tradition critique des vices du clergé. Il sapproprie les indices dinvestissement personnel de la figure thymique du satiriste en portant son discours à la première personne du singulier, avec tout lintérêt quil soit tenu par un personnage lui-même hypocrite. Faux Semblant complique la donne en dénonçant sa propre hypocrisie par ce jeu de masques quil met en scène. Pareille construction atteste la richesse de son discours déjà dans ce seul cadre religieux. La rupture entre apparence et état est formelle : les robeours ne peuvent rimer quavec les lobeours. On retrouve ainsi tout à fait lesprit critique dAelred de Rievaulx197. Le vice de la ruse est bien souligné, par un jeu dhomophonie et de parallèle syntaxique sur le grant tresor que la lobe permet damasseren masse. Comme souvent, Faux Semblant 268sattarde sur lensemble des richesses et divertissements auxquels son hypocrisie lui ouvre la voie. Pas un des plaisirs mondains ne semble omis de la liste quil dresse. On perçoit une fois encore la critique de lhypocrisie religieuse bien sûr, mais aussi sa concentration sur lhabit. Faux Semblant se construit ainsi dans le cadre dune véritable dénonciation de la fiabilité des signes et démontre le pouvoir de communication de lhabit lui aussi dans ce contexte. Sa révélation est à la hauteur de sa propre maîtrise du signe vestimentaire, rendue éclatante dans sa ruse à lencontre de Malebouche. Il fait preuve dautant de savoir-faire quant à la manipulation des apparences quà celle du langage198, dans un entremêlement complet des moyens de communication tous dénoncés pour leur potentiel fallacieux. Il dramatise ainsi limpératif de stabilité sociale à laquelle le vêtement contribue et incarne la crainte que provoque lhypocrisie vestimentaire199. Le pouvoir de la visibilité est clair au gré de son intervention, tout comme ses dérives dans cette critique de lhypocrisie religieuse : « sil font oevres qui bonnes soient, / cest pour ce que les genz les voient200 ». Si sa dénonciation se cristallise autour de ladage lhabit fait le moine, elle déborde de la question de la robe monastique pour envisager tous les aspects de la manipulation de la dévotion. Même les oevres, dont Faux Semblant vante souvent la fiabilité par contraste avec celle des mots ou des apparences, peuvent sinvestir dans une logique uniquement extérieure et frauduleuse. Mais plus que tout, il y revient de manière plus affirmée, les robes ne peuvent rimer quavec les lobes. Cest dans les faiz quil faut chercher la connaissance, quelles que soient les précautions dont il les entourait juste auparavant :

« Ja ne les connistrez as robes,

Les faus traÿstres plains de lobes :

Leur faiz vous estuet regarder

Se vous voulez deuls bien garder201. »

Toute la stratégie de défense que Faux Semblant délivre contre les hypocrites repose sur lobservation des faits, la rime regarder-garder269en témoigne. Lobsession des apparences transparaît, tout comme la difficulté de les décoder correctement. Quant à la dénonciation de la fausseté des habits, elle est explicite. Elle sert même à déterminer la trahison, mise en exergue au gré dune véritable accumulation des indices trompeurs : la fausseté, la trahison, la lobe, le tout coordonné à cette robe décidément non fiable. Cette manipulation généralisée des signes émotionnels induit une véritable réflexion, davantage que sur lhabit, sur lidentité elle-même. Susan Stakel insistait sur limportance prise par lhabit dans le portrait identitaire dressé par Faux Semblant, lun comme lautre se voyant contaminés par la tromperie quil instille tout au long de son discours202. Toute lintervention de Faux Semblant repose sur cette association : en acceptant de sautodéfinir, il se concentre sur ses apparences, trompeuses, mais déterminantes pour la présentation quil livre. Il démontre ainsi la place réservée aux apparences dans le processus cognitif et identificatoire. Il induit surtout une réflexion importante sur la concordance obsédante entre intérieur et extérieur, de manière exemplaire dans lopposition quil met en exergue entre la blancheur de son habit et la noirceur de son cœur203.

Limportance quil accorde à la condamnation de lhypocrisie religieuse paraît plus grande encore dans le contexte dans lequel il linscrit. Cest en écho à une tradition critique bien établie quil la développe, en témoignent ces références répétées à la fiabilité de lhabit ou ces indices rhétoriques déployés sur le modèle des satiristes. Faux Semblant fait preuve dun grand respect à légard du réseau critique sur lequel il fonde son argumentaire. Il sagit de lun des nombreux paradoxes de son discours : déterminé par sa fausseté, il se révèle néanmoins dune grande justesse. Il veille à rester conforme à la pensée dominante quil instille au gré de son intervention. On a ainsi pu noter lexactitude de ses remarques exégétiques, surprenantes chez un personnage aussi sulfureux204. Largumentation quil déploie contre les hypocrites en vient par exemple à trouver appui sur une réflexion de « saint Machi / – cest a savoir levangelistre – / el vintetroisiesme chapistre205 ». De manière intéressante, les réfé270rences auxquelles il recourt servent à développer les conseils dispensés « pour les felons aperçoivre206 ». Elles confèrent une force décisive à cette argumentation déployée tout au long de son discours. Il cite et commente avec justesse le texte biblique, autorité incontournable ainsi mise au service de sa critique des apparences trompeuses et, en particulier, de la foi seulement ostentatoire des hypocrites. Une fois de plus, Faux Semblant veille à mettre en exergue toute la difficulté de discerner la tromperie, au gré de la première rime entre aperçoivre et sa critique de la tendance des hypocrites à« deçoivre207 ». Mais cest sa citation qui savère la plus marquante dans ce discours, qui vise à linscrire directement dans le sillage de saint Matthieu. La tendance exégétique se prête ainsi également aux attaques de Faux Semblant, selon un paradoxe digne dintérêt chez cette incarnation de la tromperie. Il exploite de manière tout aussi appropriée le réseau référentiel religieux par le biais de limage du loup en habit de mouton, quil tire également de lévangile selon Matthieu (7:15). Lieu commun des homélies patristiques, lassociation des hypocrites aux loups se trouve par exemple chez saint Augustin qui contribue à sa diffusion208. Elle permet de cristalliser la dénonciation de la pureté prétendue des faux prophètes et sert dès lors de base à lattaque livrée contre lhypocrisie du clergé209. Elle se mêle ainsi à lunivers renardien convoqué pour mettre en lumière les dangers de la tromperie de lhabit religieux :

« Qui de la toison dant Belin

En lieu de mantiau sebelin

Sire Ysangrin affubleroit,

Le leu, qui mouton sambleroit,

Pour co les berbiz demorast,

Cuidiez vous quil nes devorast ?

Ja de leur sanc mains ne bevroit,

Mais plus tost les en decevroit,

Car puis quels ne le connistroient,

Sil vouloit fuir, els le sivroient210. »

271

Lanalogie avec les personnages du Roman de Renart démontre à la fois le vice et la popularité de limage de saint Matthieu. Le rapprochement de lapparence de Bélin avec un manteau de zibeline révèle les ambitions malintentionnées du loup qui sen affublerait. La conjugaison des références bibliques et littéraires permet une mise en lumière efficace du vice de lhypocrisie et de son omniprésence. La figure du loup offre un exemple révélateur de la menace de ces apparences trompeuses et du vice quelles peuvent dissimuler. Bien davantage, elle permet de personnifier tous les excès. Elle mêle au vice dhypocrisie celui de la bestialité des appétits humains211, le loup étant un symbole bien connu de lenvie et de la voracité212. Limage connaît un certain succès au Moyen Âge, avec notamment un poème satirique du xie siècle consacré au loup qui feint la conversion par sa tonsure et son habit de mouton, puis lYsengrimus, exemple marquant de cette tradition213. Faux Semblant démontre à ce niveau également son inscription dans un réseau critique bien identifiable, avec lequel il joue avec aisance pour donner plus de force à sa critique.

Lunivers biblique qui irrigue son discours se retrouve aussi dans les références apocalyptiques qui contribuent à la définition de Faux Semblant. Il sassocie de manière frappante à lAntéchrist :

« Je sui des vallez antecrist,

Des larrons dont il est escrist

Quil ont habit de sainteé

Et vivent en tel fainteé.

Dehors semblons aigniaus pitables

Dedenz sommes leus ravissables ;

Si avironnons mer et terre :

A tout le monde avons pris guerre

Et volons du tout ordener

Quel vie len i doit mener214. »

Faux Semblant recourt encore à limage du loup, dans une belle démonstration de son succès pour révéler le danger des apparences. Mais cest bien sûr lassociation à lAntéchrist dont est dite enceinte Abstinence 272Contrainte qui constitue largument le plus éclatant de la menace de Faux Semblant. Pour mettre en lumière toute lampleur de sa fausseté, Jean de Meun va jusquà prêter à son personnage la parenté de lAntéchrist. Il démontre ainsi à la fois la parfaite maîtrise exégétique du faux moine et sa tendance trompeuse. Il offre ce faisant une nouvelle allusion indubitable aux critiques anti-fraternalistes. Les Frères Mendiants et les Béguines symbolisent en effet, selon les dénonciations de Guillaume de Saint-Amour, les signes annonciateurs de la venue de lAntéchrist215. Les références de Faux Semblant au souhait de tout ordener sinscrivent dans cette ligne critique, en allusion à linterférence que les maîtres de lUniversité voient dans la pratique de la confession par les Frères Mendiants. Mais plus largement, la figure de lAntéchrist véhicule une dénonciation remarquable de lhypocrisie ecclésiastique. Saint Augustin contribue à la diffusion de cette critique des hypocrites qui prétendent servir le Christ par leurs paroles seules plutôt que par leurs actes216. On a pu noter combien Faux Semblant aimait recourir à cet argument. Loin dune véritable application des préceptes religieux, la sainteé ne rime plus quavec la fainteé, lhabit sopposant de manière révélatrice à la vie.

Toute la description de Faux Semblant se conforme à cet univers, lui qui se montre tricheur, menteur et même meurtrier. Sa rencontre avec Malebouche témoigne elle aussi de cette inspiration apocalyptique. Le portrait dAbstinence Contrainte joue également de cette influence, linsistance sur sa pâleur la rapproche de manière explicite de « la puste lisse, / le cheval de lapocalisse217 ». Abstinence Contrainte prend donc le chemin de son pèlerinage prétendu qui les mène à la porte de Malebouche vêtue « comme beguine218 », drapée dune « robe cameline219 » et du « blanc drap » qui lui couvre le visage220. Elle témoigne à son tour de linscription dans la critique des Ordres Mendiants, souvent associée à celle des Béguines qui connaissent aussi tout à la fois un succès et une condamnation importants à cette époque. Sa description se clôture sur ses traits physiques et surtout sur sa pâleur. À trois reprises, cet élément 273distinctif du dernier cheval de lApocalypse est souligné. Symbolisé par Fraude et Hypocrisie, il représente le passé immédiat au moment de la fin des temps221. La compagne de Faux Semblant contribue ainsi par ses propres attributs au tableau quils offrent des vices de lÉglise et à leur dénonciation comme indices de limminence de lApocalypse. Fils dHypocrisie, futur père de lAntéchrist, Faux Semblant incarne la menace de leffondrement du monde directement associée à la fausse apparence de sainteté. La description du départ des deux envoyés dAmour pour vaincre Malebouche est révélatrice de la dénonciation de la manipulation des signes émotionnels religieux :

Or vous dirai la contenance

De faus samblant et dastinance

Qui contre male bouche vindrent :

Entreuls un parlement tindrent,

Comment contenir se devroient,

Ou se connoistre se feroient

Ou sil iroient desguisé.

Si ont par acort devisé

Quil sen iront en tapinage

Ausi comme en pelerinage,

Com bonne gent piteuse et sainte222.

Au moment dentamer le récit de leur mission meurtrière, la narration sarrête sur un nouveau tableau de Faux Semblant et dAbstinence Contrainte. Cest à leur apparence même quelle se consacre, comme pour révéler son importance que Malebouche ne prendra pas la peine de déchiffrer. Dans ce contexte, la compagne de Faux Semblant est qualifiée seulement dAbstinence, sans précision de sa nature contrainte. La rime produite est significative de la nature seulement apparente de ces personnages. Leur seule stratégie repose dailleurs sur lapparence quils vont offrir à Malebouche pour mieux le tromper, comme en témoigne la reprise du champ lexical de la contenance. Sa portée fallacieuse est également démontrée au gré de lalternative proposée : se faire connaître ou se déguiser. Lapparence ne peut donc mener à la connaissance, le lien entre intérieur et extérieur se voyant définitivement rompu. Selon cette ambiguïté propre à tout lépisode de Faux Semblant, il se trouve 274aussi valorisé du même mouvement, labsence de déguisement pour le déformer signifiant la connaissance. La ruse est mise en exergue par leur décision de partir en tapinage. Elle se fonde sur une apparence non seulement fausse, mais faussement pieuse, puisque cest en pseudo-pèlerinage quils prennent la route. Trois adjectifs servent à qualifier les bonnes gens quils cherchent à imiter, comme pour mieux souligner le contraste avec les deux comparses. La rime de lexpression en tapinage avec le pelerinage révèle la déformation des pratiques dévotionnelles. Le choix de ce déguisement sinscrit dans la mise en lumière des vices que peut receler lhabit religieux. Quant à la formule ausi comme, elle pourrait résumer à elle seule lart de Faux Semblant en cet instant crucial de ses aventures223. Tout autant quAbstinence Contrainte, Faux Semblant veille dailleurs à assurer sa ruse par une apparence dévote, « vestuz [d]es dras frere Soier224 ». Réapparaît la formule « aussicom », presquironique ici quand elle sert à qualifier lessai de cette tenue de Frère225. Selon le portrait quil dressait au dieu Amour, Faux Semblant ne paraît pas à son coup dessai dun tel habillement. Le reste de sa description sattarde sur la mine quil laisse paraître. Jean de Meun démontre ainsi toute limportance quil accorde aux signes émotionnels. Faux Semblant affiche une « chiere [] simple » et « douce et paisible226 », supposée refléter létat émotionnel religieux apaisé. À linstar dAbstinence Contrainte décrite pour sa pâleur, Faux Semblant est dépeint en vertu de la simplicité de toute son attitude, lui qui « a pié sen va sans escuier227 ». Sa description évoque ainsi celle de Papelardie qui ouvrait le volet critique de lhypocrisie religieuse du Roman de la Rose. La simplicité figurait au premier rang de ses attributs, tout comme la pâleur dailleurs, dans une belle démonstration de lassociation dAbstinence Contrainte et de Faux Semblant pour personnifier le vice dhypocrisie religieuse. Papelardie se caractérisait également par son apparence maladive228, que Faux Semblant mime lui aussi en sappuyant sur une « potence », « aussi com par impotence229 ». Au moment dinscrire 275laction décisive de son personnage, Jean de Meun veille à tisser le lien avec celui de Guillaume de Lorris, ainsi infiltré parmi les rangs du dieu Amour. Il assure la transition de lhypocrisie religieuse reléguée sur les murs extérieurs du Verger de Déduit à celle, encore montée en puissance, qui va savérer déterminante au sort de lAmant. Notons dailleurs quil « a son col portoit une bible230 », comme un symbole de sa capacité à manipuler par sa parole même le texte biblique. Il avait démontré tout au long de son échange avec Amour sa parfaite maîtrise des Évangiles, il est intéressant que celle-ci soit aussi figurée au moment de sa rencontre avec Malebouche. Sa propension à la ruse se voit du même mouvement accrue et exposée dans toute sa perfidie. La nécessité de Faux Semblant dans la quête amoureuse ne fait donc pas limpasse sur le vice de sa posture. Cest dailleurs exactement à cet instant que larme fatale de Faux Semblant est introduite : « .i. bien tranchant rasoir dacier231 », en écho à celui dEllenches auquel il faisait allusion au fil de sa condamnation des défauts de la sophistique232. À limage de Faux Semblant, cette arme, et le danger quelle véhicule, est dissimulée. Il la « fist en sa manche glacier233 », dapparence dautant plus inoffensive quil sagit de celle de cet habit de Frère quil a revêtu. La menace quelle constitue pour Malebouche est néanmoins explicite, avec la précision de sa matière et de son caractère bien tranchant. Plus encore, il précise quil la fait « forgier en une forge », dénommée, de manière une fois encore annonciatrice, « coupegorge234 ». Le danger est dépeint comme imminent, puisque cest sur ce détail que la description des deux pseudo-pèlerins se conclut pour annoncer « quil sont venuz a male bouche235 ». Leur qualification comme « trespassanz » paraît elle aussi déjà évoquer le propre sort de Malebouche qui les observe arriver en des termes comme volontairement ambigus236. Mais lallusion au rasoir dEllenches permet de dépasser cette seule menace pour le losengier. Sa dissimulation le fait relever de la menace de lhypocrisie dans son ensemble. Or, son danger déborde de manière évidente du 276seul cadre diégétique à lissue de cette mise en lumière éloquente par Faux Semblant.

La dernière description de Faux Semblant réactive donc lensemble du réseau référentiel dans lequel Jean de Meun la introduit. Elle dénote lobsession des apparences offertes dans la quête décrite dans le Roman de la Rose. Elle renvoie une fois de plus à la querelle anti-fraternaliste par lhabit que choisissent de revêtir Faux Semblant comme Abstinence Contrainte. Le rasoir joue lui aussi les rappels de la dénonciation des vices prêtés aux Frères Mendiants : celui du mésusage de la parole, au-delà de celui de lhabit religieux, par le biais des sophismes reprochés à largumentation fraternaliste. Réapparaît ainsi aussi lunivers apocalyptique. Faux Semblant rassemble donc lensemble des indices de condamnation de lhypocrisie religieuse, ce que les évocations du portrait de Papelardie semblent confirmer. Mais surtout, ce qui transparaît de cet ultime portrait du faux moine, cest linsistance mise sur la fausseté de ses apparences et sur la rupture quelles présentent avec la réalité de son cœur. Le choix de ce costume de pèlerin révèle la malignité de son attitude trompeuse. En feignant le pèlerinage, il démontre toute lampleur de son hypocrisie en manipulant même ce signe hautement symbolique de la pénitence religieuse. Ce portrait décisif synthétise donc lensemble des indices trompeurs de Faux Semblant et de lunivers hypocrite dans lequel ils se greffent. Surtout, il rappelle toute la portée de ce personnage, hors de la seule querelle, hors de la seule condamnation de lhypocrisie religieuse : il officie comme lun des barons dAmour et son envoyé dans la stratégie développée pour assurer la prise du château de Jalousie. Si Jean de Meun a loriginalité de développer, sur le modèle de Rutebeuf, la querelle anti-fraternaliste au sein de sa dénonciation de lhypocrisie religieuse, il sinscrit néanmoins dans une tradition critique bien établie. Nous avons pu observer la force de la condamnation, dans cet univers référentiel, de la rupture entre apparences et réalité du cœur quand elle touche à linvestissement émotionnel indispensable à la pratique dévotionnelle. Nous pourrons dresser le même constat dans lunivers amoureux. Nous lavons observé dans ce chapitre dédié aux logiques de garde, la manipulation des émotions dévotionnelles et amoureuses se ressemble souvent, mais avec des nuances dintérêt. Or, telle est la plus grande originalité du personnage de Faux Semblant : au contraire de Papelardie qui figurait déjà lhypocrisie, Faux Semblant ne se prête pas 277seulement à la mise en lumière des manipulations de lémotion religieuse, mais aussi de celles de lamour posées au cœur du Roman de la Rose. Sa rencontre avec Malebouche, au-delà du dialogue quil entretient avec le dieu Amour, pousse à considérer le lien, et surtout latteinte portée par Faux Semblant également à la sphère amoureuse.

Faux Semblant, rois des ribaus dAmour237

Faux Semblant au cœur de léthique amoureuse de Jean de Meun : dialogue amoureux

Il nous semblait essentiel de mettre en exergue la richesse du réseau référentiel dans lequel Faux Semblant se greffe pour porter la condamnation du vice incarné par les Frères Mendiants, et, plus largement, par lhypocrisie religieuse. Mais il nous paraît plus important encore de démontrer lentremêlement que cette réflexion sur linvestissement dévotionnel présente avec celle induite autour de la sphère amoureuse. Tout autant quil révèle et dénonce la fausseté des signes religieux, Faux Semblant personnifie les attitudes trompeuses qui peuvent contaminer la relation amoureuse. Cette mise en lumière de la manipulation des signes émotionnels requis dans la conquête amoureuse semble dailleurs prendre le pas sur celle de lhypocrisie religieuse. Il convient de garder à lesprit que la longue tirade à lencontre des Frères Mendiants sinscrit dans la confession livrée au dieu Amour et que le prétendu pèlerinage entrepris par Faux Semblant et Abstinence Contrainte vise la défaite de Malebouche et ainsi le succès de lAmant. Dailleurs, si la critique a longtemps cantonné la lecture de Faux Semblant à celle dune personnification de lhypocrisie, elle a depuis reconsidéré la place de ce personnage dans la trame du récit avant tout comme allégorie de la démarche amoureuse238. Il offrait donc un cas de figure idéal pour étayer notre analyse des semblants émotionnels au cœur de loriginalité 278même du projet décriture de Jean de Meun à légard de son subversif personnage. La fonction accordée au faux moine par le dieu Amour au sein de son armée est révélatrice de limportance qui lui est conférée. De manière significative, Faux Semblant sy voit intégré avant même que le dieu Amour ne prenne la peine de linterroger. Certes, il fait part de sa surprise à lirruption dans ses rangs de Faux Semblant et de sa compagne239. Mais il accepte aussitôt la stratégie établie par ses barons, fondée sur la ruse des deux hypocrites pour défaire Malebouche240. Loin de soffusquer de la proposition de ses barons, Amour « lotroi241 ». Plus encore, il la fait sienne en affirmant son propre souhait de voir Faux Semblant à sa cour242. Le rapprochement, sur le même vers, de lordre dAmour quil « viegne avant » et de larrivée de Faux Semblant témoigne, par la rime entre sa « court » et Faux Semblant qui y « acourt243 », de linscription de ce personnage atypique dans la logique amoureuse244. Sil a déjà accepté sa présence et son rôle dans la prise du château de Jalousie, Amour paraît tenter de reprendre la main sur son armée et la place quy occupe Faux Semblant. Il formalise ainsi son accord en des termes qui relèvent du véritable contrat juridique. Il fait allusion au « couvenant » ainsi établi et au « chapistres » qui la émis, comme pour mieux souligner sa légitimité dengager Faux Semblant245. Lobjet contractuel est présenté de manière explicite : Faux Semblant « seras a [lui] tout maintenant246 ». On dépasse ici la seule idée de la stratégie développée par les barons, il est question dune forme de possession. Mais Amour ne se prémunit pas moins de Faux Semblant, dont il veut garantir linoffensivité, du moins pour « nos amis » quil doit aider et ne pas « grever247 ». Il démontre ce faisant sa parfaite connaissance du danger incarné par Faux Semblant, tout en touchant une fois encore à la question des objectifs poursuivis, essentiels dans tout processus 279dévaluation. Il oppose ainsi fermement, dans la logique combattive dans laquelle le récit est dès lors engagé, le camp adverse au sien, et démontre la place prise par Faux Semblant par le biais des déterminants possessifs « nos » employés248. Il lui assigne même une fonction précise et symbolique de limportance qui lui est accordée, celle de « rois des ribaus249 ». Il sagit dune charge administrative importante de la cour de France, qui touche à la justice et à la régulation de la prostitution, des sports et des jeux250. En lui conférant une telle fonction, Amour signale le rôle quil souhaite voir jouer par Faux Semblant. Il paraît ainsi nommé vérificateur du jeu damour, en chef même comme la précision de rois des ribaus linduirait. Il semble aussi responsable de tous les excès auxquels il peut conduire, comme les questions de jeux ou de prostitution semblent lévoquer. Lintégration de Faux Semblant nimplique cependant aucun manque de lucidité de la part dAmour quant aux travers de son nouveau baron. À sa nomination suit directement le portrait sans ambages du vice quil incarne. Plus encore, Amour cumule les défauts qui sont prêtés à Faux Semblant, de « maus traÿstres », de « lerres », de « parjurez » et de « trop desmesurez » justement251. La précision est intéressante : elle atteste la place de la mesure dans léthique de lamour courtois personnifié par Amour et latteinte quy constitue Faux Semblant. Tout le paradoxe tient bien sûr au fait quil soit lui-même nommé responsable des excès, en professionnel quil peut prétendre représenter. Dans la dynamique juridique insufflée au discours dAmour, une condition est posée à lintégration de Faux Semblant. Il lui est demandé quil « ensaingnes », « en audiance », les clés de sa connaissance, par quelques « generaus ensaingnes252 ». Il est notable que lenjeu soit de le « connoistre253 », selon la problématique épistémologique quincarne Faux Semblant. Amour souhaite ainsi libérer ses barons de toute « doutance » à légard du faux moine254. Tel est bien sûr le nœud du problème personnifié avec tant déclat par Faux Semblant. Cette seule tirade, qui clôture le mouvement dirruption de Faux Semblant 280sur lenjeu de le connaître pour le « grand sens » que lon lui connaît, suffit à révéler la menace quil représente, comme symbole du vice de fausseté, mais plus largement de limpossibilité épistémologique quil véhicule255. De manière tout aussi révélatrice, Amour introduit demblée des restrictions à sa demande, comme la formule « au mains » semble le sous-entendre256. Il paraît ainsi conscient autant des vices de Faux Semblant que de limpossibilité dobtenir sa présentation, et labsence de doutance quelle offrirait. Laide de Faux Semblant savère donc dentrée de jeu aussi cruciale que sa non-fiabilité. On peut dailleurs noter quil se voit intégré à larmée et aux stratégies dAmour avant même quil ne livre la confession que lui demande Amour. Il lui accorde le pouvoir de réguler ses troupes à une condition quil sait demblée irréalisable ou peu sen faut. Le rôle quil lui assigne révèle le jeu que Faux Semblant va mener autour de la tradition courtoise. En lui laissant ce contrôle, Amour démontre la nécessité de cette manipulation induite autour de ses préceptes édictés chez Guillaume de Lorris.

On constate en effet limportance des allusions introduites, dans tout lépisode Faux Semblant, à la première partie du Roman de la Rose. Loin de se contenter des parallèles établis avec la figure de Papelardie, Jean de Meun cultive surtout ceux que lon peut percevoir avec Bel Semblant. Peter F. Dembowski pose comme hypothèse un lien dopposition entre le Faux Semblant de Jean de Meun et le Bel Semblant de Guillaume de Lorris257. Nous souhaiterions donner plus de force à ce rapprochement, révélateur à nos yeux dune tension inhérente à la tradition amoureuse et aux codes émotionnels. Tout comme le fera Faux Semblant, la cinquième des flèches décochées par Amour258 se caractérise par le réconfort quelle offre à lAmant. Ce réconfort se veut dailleurs tout aussi ambigu que celui prodigué par Faux Semblant en tuant Malebouche, à la fois « douceur i a et amertume259 ». LAmant reconnaît demblée le caractère « mout puissant » de cette ultime flèche dAmour260. Il démontre ainsi limportance accordée aux apparences, dont semparera ensuite Faux Semblant. Mais Jean de Meun profite surtout des échos à cette description 281dans la présentation donnée du pouvoir « tranchanz » de Bel Semblant, « com rasor dacier261 », que nous retrouverons dans la propre manche de Faux Semblant262 et bientôt sous la gorge de Malebouche bien sûr. La transition du Bel au Faux Semblant nen est que plus explicite. De manière intéressante, leffet du rasoir est compensé, dans le cas de Bel Semblant, par celui dun « oignement » dans lequel Amour a plongé la pointe263. Or, cet oignement paraît lui aussi trouver écho dans le jus doignons que lAmi recommande à lAmant pour mieux convaincre de sa tristesse264. Surtout, il semble fonder le besoin dapparences avenantes, même si seulement dissimulatrices, de Faux Semblant. Tout comme Bel Semblant, Faux Semblant entoure sa menace et la douleur quil peut occasionner du manteau réconfortant de moine. Tout le paradoxe de Bel Semblant est présenté de manière explicite au gré dune double rime entre le caractère tranchant de sa « pointe » et la « ointure » qui vient le relativiser265. Il simmisce ensuite dans le rythme même, par un double parallélisme qui met en lumière la distinction entre lun et lautre : « dune part oint, dautre part cuit, / einssi maide, einssi me nuit266 ». La définition même de la flèche paraît fondée sur cet entremêlement de la douleur et du confort. On nous présente sa « costume » dans une perspective avant tout émotionnelle, elle qui est à la fois à la source de la douceur et de lamertume dans le cœur de lAmant267. La concentration sur son cœur est dailleurs soulignée pour les plaies qui lui rendent « le cuer [] toz falliz268 ». Quelle que soit lefficacité de loignement, la douleur subsiste et se marque donc directement sur les traits de lAmant. Elle lui fait même « muer la color », un indice crucial de la « dolor », comme la rime le révèle269, mais surtout selon une association courante dans la tradition amoureuse270. Ce double effet paradoxal de Bel Semblant est ainsi à la fois la garantie de la persévérance et de la sincérité de lamour. On perçoit combien le Bel Semblant de Guillaume de Lorris reste inscrit 282dans une logique respectueuse de léthique amoureuse. Si Jean de Meun construit les personnages de Faux Semblant et de lAmi en écho à celui-ci pour mettre en lumière les dérives qui peuvent lentourer, il reste ici une incarnation parfaite de la nécessité des apparences flatteuses en accord avec les recommandations courtoises.

Jean Batany assure dailleurs que Guillaume de Lorris nenvisage pas un instant un personnage tel que Faux Semblant271. La première partie du Roman de la Rose prône seulement la dissimulation, en accord avec la loi du secret et du beau semblant qui en découle dans la tradition amoureuse courtoise272. Lexposé des commandements dAmour ne fait pas limpasse sur cette règle fondamentale de la finamor. Amour insiste, dans son évocation des difficultés auxquelles les amants peuvent être confrontés, sur limpératif de ne pas permettre d« aparcevoir / le mal dont tu es angoisseus273 ». Il recommande de « partir des genz », de rester « touz seus » et de, dans ce cas seulement, laisser exprimer les « soupirs et plaintes, / friçons et autres dolors maintes274 ». La seule pensée de lamour peut suffire à ébranler lamant sincère – Amour revient dailleurs peu après sur ce critère décisif de la vérité de linvestissement émotionnel – qui doit néanmoins veiller à garder secret son émoi. La dynamique bienséante est révélée par le verbe « convenra » et par la formule « par estovoir » par lesquels Amour amorce ses conseils275. Limpératif touche directement, comme le signale la rime entre estovoir et aparcevoir, aux apparences. Il nest pas question de maîtrise de lémotion, mais seulement des signes qui en sont offerts. LAmant nest pas incité à les contrôler, mais, bien plus encore, à se dissimuler lui tout entier. Langoisse ne peut rimer quavec la solitude dans laquelle elle peut alors sexprimer276, selon une opposition nette entre lattitude émotionnelle permise en public et celle qui relève de la sphère privée, intime même. On constate cependant limportance accordée aux signes émotionnels : lamant paraît submergé par langoisse qui létreint, source de soupirs, de plaintes et même de friçons, dans une accumulation de symptômes 283propres à lintensité du mal damour. Ceux-ci doivent dans ce sens dautant plus rester cachés. Il sagit là dune injonction commune aux arts daimer fondés sur le modèle ovidien avec lequel Guillaume de Lorris compose à son tour. Cest également dans ce cadre quil prône le bel semblant que lamant doit afficher quel que soit le mal qui latteint. Au-delà du souvenir de lamour qui peut frapper lamant277, Amour insiste sur celui que lamant doit garder « danvoisseüre maintenir278 », dans une dynamique bienséante explicite. Loin des soupirs et frissons, il convient quil « a joie et a deduit [s]atorne279 ». Toute lambiguïté de cette prescription est révélée dans la formule « cest maladie mout cortoise280 » : peu importe la douleur quil suscite, lamour ne peut se départir de la courtoisie qui lui est propre. À la manière de la flèche de Bel Semblant – selon un rapprochement intéressant dailleurs –, lamant est à la fois transpercé par lamour et animé par son indispensable bienséance. La rime le souligne : léthique courtoise ne peut correspondre quau fait que lamant s« envoise281 ». Le dédain dAmour pour l« ome morne282 » est révélateur de lincompatibilité de la souffrance, du moins celle manifestée, avec la finamor. On perçoit combien Guillaume de Lorris investit la problématique des apparences émotionnelles, conformément aux canons de léthique amoureuse courtoise. Nous avons noté la concentration, notamment au gré des portraits dressés des Images du Mur, sur les apparences283, elle se réactive de manière essentielle au fil des commandements dAmour. Limportance quil accorde à la discrétion amoureuse et au maintien des apparences se voit ensuite personnifiée avec le personnage de Bien Celer. Il permet une incarnation exemplaire de la dynamique courtoise propre au Roman de la Rose284, que Jean de Meun remodèle pour en révéler toutes les dérives. Il y revient lors du combat final qui oppose larmée dAmour aux défenseurs du château de Jalousie, avec la confrontation de Honte et Pitié, épaulée par Plaisir et Bien Celer :

284

Bien celer fu mout bons guerriers,

Sages et veziez terriers,

En sa main une coie espée

Ausi com de langue coupée.

Si la brandist sanz faire noise,

Quen ne loïst pas dune toise,

Quel ne rent son ne rebondie,

Ja si fort ne sera brandie.

Ses escuz ert en lieu repost

– Onques geline en tel ne post –

Bordé de seüres alees

Et de revenues celees285.

Au-delà des qualificatifs usuels de la dissimulation comme relevant de la sagesse, on découvre à la main de Bien Celer une coie espée qui nest pas sans rappeler le propre rasoir de Faux Semblant, a fortiori par lévocation de la langue coupée286. Lintégration de Faux Semblant dans la tradition courtoise en paraît renforcée, lui qui inspire larme de Bien Celer autant que Bel Semblant avait inspiré la sienne. On trouve ainsi confirmation de la véritable transition opérée par Faux Semblant de la dissimulation à la simulation. Ce faisant, la dissimulation que Bien Celer incarne se voit connotée bien plus négativement que ce que lon pouvait lire au sein des arts daimer traditionnels. Elle lui permet en effet une attaque sournoise, rendue efficace par sa discrétion, loin de celle qui vise seulement la préservation de lamour.

On perçoit lampleur du jeu mené par Jean de Meun sur la tradition amoureuse. Il affirme dans ce sens lambition de son œuvre. Il entend livrer un « Miroer aus amoureus287 », à la manière de son prédécesseur qui présentait le titre du Roman de la Rose « ou lart damours est toute enclose288 ». Il veille dailleurs à démontrer linfluence exercée sur son œuvre par lart daimer ovidien et ses adaptations médiévales289. Linscription de Jean de Meun dans la tradition amoureuse gagne en 285importance en se prêtant ainsi aux enjeux de son écriture. Cest peut-être dans ce sens que lon peut comprendre la tension quil explore entre lidéal de sincérité et celui de bienséance comme relevant de lart poétique dans son ensemble au-delà de celui de lamour. Il sagit là dune opposition commune aux arts daimer médiévaux. Leurs auteurs se heurtent en effet au problème de la sincérité et de sa preuve, au contraire de leurs prédécesseurs antiques qui privilégiaient lhabileté de léloquence290. Jean de Meun, dans la réflexion quil porte sur le processus décriture fictionnelle, exacerbe cette tension en mêlant celle qui pèse sur lexpression amoureuse et celle dont il entoure son écriture. Il témoigne de toute la portée de linfluence ovidienne dans sa volonté de synthétiser le savoir amoureux dans son Miroer. Notons, au rang des indices de linfluence ovidienne, le souci de mêler les points de vue masculin et féminin291, tel que Jean de Meun veille à le faire en intégrant le discours de la Vieille après celui de lAmi. Tout comme les autres arts daimer médiévaux, lœuvre de Jean de Meun présuppose un projet didactique explicite, affirmé au gré de trois volets denseignements, respectivement portés par Raison, la triade trompeuse, puis Nature et Génius292. Son projet se conçoit en outre à la lumière des problèmes moraux que lamour pose à lidéologie chrétienne, de la même manière que chez André le Chapelain293. Il favorise dans ce sens lamitié dans le discours de Raison, selon les modèles offerts à ce niveau par Cicéron ou Aelred de Rievaulx ensuite294. Et, tout comme André le Chapelain, il souhaite présenter une grande diversité de situations liées à la relation amoureuse, quil tourne pour sa part à la négative comme pour mieux démontrer la calamité de lamour295. Jean de Meun se distingue en effet aussi à de 286nombreux niveaux du modèle dAndré le Chapelain ou de son traducteur Drouart la Vache. Il réintroduit dans ce sens la distinction entre lAmant et le Maître et libère ainsi des contraintes le servant damour dans lexposé qui en est offert296. Surtout, il développe et paraît même soutenir le jeu des clercs séducteurs contesté par Drouart la Vache297. Cest dans ce jeu de reprise détournée et dinfluence sans cesse remise en question que semble se situer le cœur du projet de Jean de Meun. Il souhaite porter un regard lucide et ironique sur le modèle amoureux courtois298. Il conteste le modèle du rêve damour comme source de bonheur au profit dun bonheur contemplatif, à linstar de celui défendu par Thomas dAquin299. Hermann Kleber interprète dans ce sens le rapport dopposition qui marquerait la continuation de Jean de Meun : « Lintention foncière de Jean de Meun se trouve avant tout dans une ironie polémique qui fait de la continuation narrative la réfutation réelle de lœuvre de son devancier300 ». Ce sont donc les implications émotionnelles de la relation, et de la fiction, amoureuse quil cherche à repenser, en dédiant une part importante de sa réflexion aux apparences. Essentiel dans la première partie du roman, le rapport de continuité entre intérieur et extérieur éclate chez Jean de Meun301. Il touche ainsi à une problématique centrale de léthique amoureuse, comme lexposé des commandements dAmour chez Guillaume de Lorris latteste encore. Bien que volontiers caractérisé par son intensité, lamour doit sentourer de la modération indispensable à lensemble de la morale chrétienne302. Nous lavons vu, il se caractérise par un contraste impératif entre 287intérieur et extérieur303. La loi damour se fait ainsi école de maîtrise de soi304, jusquà accorder plus dimportance aux apparences quaux émotions, dans un véritable univers dillusions305. Léthique amoureuse fonde ses leçons sur un système de signes séparables de lémotion authentique, qui substituent les signes naturels par des signes conventionnels306. La loi du secret qui anime ce souci de manipulation des signes amoureux saccompagne cependant dune réflexion importante sur la sincérité, elle aussi revendiquée dans léthique amoureuse307. La place exacte conférée à la tromperie dans les jeux de séduction se voit souvent interrogée, notamment au gré de jeux partis qui mettent en scène la décision entre la ruse et lhonnêteté des amants308. Une tradition critique importante se développe dans ce contexte à lencontre des faux amants. Le Roman de la Rose sen fait dailleurs lécho sous la plume de Guillaume de Lorris qui dénonce, au gré du discours dAmour, les faux « homages » qui lui sont rendus309. Amour martèle la condamnation de la rupture entre les hommages reçus et ses attentes « deceüz310 ». De manière intéressante, sa diatribe à lencontre des « faus amant » sarrête sur les signes quils sont si prompts à manipuler pour feindre lamour311. Avec emphase, il qualifie ces « angingneor » de « traïtor felon mortel » pour les accuser de rompre le rapport de transparence indispensable entre leurs paroles et leurs pensées312. Ils se distinguent des vrais amants surtout par le fait quils puissent « sans paor » vanter leur amour. Linvestissement émotionnel se fait donc critère de choix dans la réflexion menée sur les signes amoureux. Amour poursuit cette comparaison en identifiant les imposteurs selon leur poids. Il définit en tout cas les vrais amants comme nécessairement amaigris et pâles, une manifestation plus difficilement simulée par les hypocrites313. Notons cependant que cette pâleur et cette apparence faiblarde se retrouveront justement chez Faux Semblant et 288sa compagne, dans une belle démonstration de la manipulation totale des signes quils manifestent. Chez Guillaume de Lorris, une telle répartition du discours porté sur les signes de lamour révèle une distinction nette entre les jeux de dissimulation ou de simulation. Dun côté, on retrouve les figures de Bien Celer et de Bel Semblant, les injonctions dAmour au secret, de lautre la condamnation des faux amants caractérisés par leur aisance à manipuler les apparences amoureuses. Bien sûr, Jean de Meun la mettra bien plus en avant lui-même. Ce qui émerge surtout ici, cest limportance conférée aux apparences, selon une ambiguïté inhérente, dictée par la crainte des losengiers. Les grands ennemis des amants inspirent le souci de préservation recommandé aux amants. Dès la présentation des danseurs de la Carole, Guillaume de Lorris insiste sur la menace de ces « curieus / de desprisier et de blasmer », qui sopposent et menacent « touz qui font mieulz a amer314 », selon une distinction intéressante, parallèle à celle entre vrais et faux amants, entre amants et médisants. Cette description des flatteurs hypocrites qui écument la cour de Richesse joue aussi de lopposition, fréquente dans la mise en scène des jeux émotionnels, entre devant et derrière. Nulle rupture entre cœur et apparence ici, toute la manipulation réside dans la parole, flatteuse « par devant », diffamatoire « par desrier315 ». Le renversement sopère selon que la parole « oigne » ou « poigne316 », dans un parallèle intéressant avec la description à venir de Bel Semblant317. Le jeu sur les apparences livrées par devant est ainsi on ne peut plus clair, tout comme leur ambiguïté. Certes, lintention nest pas la même, et cest là que réside toute la nuance : le Bel Semblant cherche à encourager lamant, au contraire du « losengier » qui ne cherche quà l« abesser318 ». Par un effet sonore bien mis en exergue, le danger incarné par les losengiers est souligné : ils portent atteinte, « jusques a los », au « los319 », central dans la société médiévale de lhonneur. Le spectre des losengiers se fait plus intimidant encore sous la figure de Malebouche, qui fait peu après son apparition :

289

Male bouche qui le covine

A mainz amans pense et devine,

Et tout le mal quil set retret,

Se print garde dou bel atret

Que bel acueil me daignoit faire,

Et tant que il ne se pot taire,

Quil fu filz dune vieille ireuse,

Si ot la langue mout pugnese

Et mout poignant et mout amere,

Et bien retraoit a sa mere320.

Ce premier portrait de celui qui deviendra lopposant principal de lAmant rassemble tous les enjeux de la médisance. Le losengier personnifié menace les amants par sa lucidité quant à leurs pensées supposées secrètes. Ses mauvaises intentions sont bien indiquées : il se concentre sur le mal, sa langue est qualifiée de pugnese, et même de poignant et damere. À linstar des losengiers de la cour de Richesse, Malebouche se caractérise donc par un usage abusif de la parole. Son nom même lindique, et cette description confirme limportance conférée à sa langue traîtresse. Une fois de plus, ladjectif poignant offre un écho à la description des losengiers, mais aussi de Bel Semblant. Tout le problème de Malebouche réside dans le fait quil setle mal, mais quil ne se pot taire. On retrouve ainsi déjà les enjeux cognitifs incarnés par Faux Semblant, dont on ne peut rien connaistre et qui ne peut rien révéler. Dailleurs, la connaissance de Malebouche se veut en outre dissimulée, à la manière des losengiers manipulateurs. Il garde le savoir en retret, ce qui inspire le contraste avec Bel Accueil et son atret envers lAmant. Le rapport dopposition entre Malebouche et lAmant se marque ainsi déjà, avant de se cristalliser à la toute fin de la partie de Guillaume de Lorris. Il achève en effet sa narration sur lérection du château de Jalousie, informée par Malebouche de cet atret de Bel Accueil. LAmi avait déjà eu à cœur de mettre lAmant en garde contre les méfaits de Malebouche321, mais ses conseils paraissent insuffisants à évacuer la menace du losengier. Cest ainsi que Faux Semblant entre en scène et, surtout, que son intervention se voit justifiée. Sa confrontation avec Malebouche, avec toute la violence quelle implique, se veut à la hauteur de la malignité et de la menace du médisant.

290

Les intentions des pseudo-pèlerins transparaissent déjà dans la description fournie de leurs préparatifs. Le danger quils recèlent se manifeste notamment de manière concrète dans le rasoir dissimulé dans la manche du manteau de Faux Semblant322. Mais ils incarnent surtout la menace de la mélecture, de linterprétation difficile des signes brouillés par leur prétendue dévotion affichée dans lhabit de pèlerin. Jean de Meun dédie une part importante de sa réflexion à lexercice herméneutique et à la dénonciation de la manipulation des indices nécessaires à cette fin, dans la sphère émotionnelle surtout, inaccessible si ce nest par les apparences qui en sont offertes. Cest sur cette problématique quil se concentre à larrivée de Faux Semblant et dAbstinence Contrainte auprès de Malebouche. Tout comme lors de la description des Images du Mur323, lattention se porte aussitôt sur les apparences, sur la manière dont les pèlerins « se contienent324 ». La répétition de la formule « mout humblement » met en scène, avec une emphase ironique révélatrice de leur fausseté, lattitude émotionnelle conforme au pèlerinage quils sont supposés avoir entrepris325. Elle induit demblée Malebouche en erreur :

Astinance premierement

Le salue et de lui va pres ;

Faus samblant le salue aprés

Et cil euls, mais il ne se mut

Quil nes douta ne ne cremut,

Car quant les ot veüz ou vis

Bien les connut, ce li fu vis,

Quil connoissoit bien astinance,

Mais ni sot point de contraignance :

Ne savoit pas que fust contrainte

La larronnesse vieille fainte,

Ainz cuidoit quel venist de gré ;

Mais el venoit dautre degré !

Et sele de gré commença,

Failli le gré des lors en ça.

291

Samblant ravoit il bien veü

Mais faus ne lavoit conneü.

Faus ert il, mais de fausseté

Ne leüst il jamais reté

Car li samblanz si fort ouvroit

Que la fausseté li couvroit326.

Aux saluts dAbstinence Contrainte (seulement nommée Abstinence, de manière significative) et de Faux Semblant, le médisant répond sans inquiétude. Son absence de crainte paraît correspondre à labsence dorgueil manifestée par les deux pèlerins sous leurs dehors dhumilité. Lerreur de son interprétation est ainsi mise en lumière par ce parallèle avec une émotion seulement feinte. Comme lors de la présentation de Faux Semblant, lenjeu réside dans la connaissance, rendue impossible ici. Elle reste inaccessible et tronquée, car fondée sur la seule apparence, sur la vue et leur vis si minutieusement composé. Les verbes cognitifs abondent dans ce passage et viennent sopposer à celui de la vue. La rime veü-conneü employée pour présenter la faute dinterprétation du personnage de Faux Semblant révèle la rupture induite par cette manipulation des apparences émotionnelles. La répétition du verbe savoir vient sopposer et contrecarrer celle du verbe connaître employé seulement pour déterminer la lecture du vis ou limpression de Malebouche. Sil est capable didentifier labstinence, il échoue à percevoir son caractère contraint, tel que la rime qui décompose son nom entre abstinance et contraignance le souligne. Une anaphore sur le gré quelle paraît manifester met en exergue ce caractère forcé et les intentions en réalité bien moins louables dAbstinence Contrainte. La rime de gré-degré témoigne de cette mise en lumière de létat desprit tout autre de la fausse béguine. Ce jeu sur sa contraignance paraît révéler la nature forcément imposée et affectée des attitudes dévotes telles que labstinence ou lhumilité. Cette leçon fait en tout cas écho à celle dispensée par Faux Semblant au fil de son autodéfinition mise au service dune dénonciation haute en couleurs de la fausseté des apparences de linvestissement émotionnel religieux. Malebouche commet dailleurs la même erreur de lecture à lendroit de Faux Semblant, berné par la qualité de son samblanz. Tout comme dans le cas dAbstinence Contrainte, les adverbes adversatifs abondent pour 292souligner la naïveté de Malebouche. Lutilité du samblanz est précisée : elle sert à couvrir la fausseté qui détermine bien plus Faux Semblant que son seul semblant identifié par Malebouche. Le choix de ce verbe est intéressant, il atteste ce double jeu que Faux Semblant incarne en dissimulant sa simulation. La couverture relève de lexigence de contrôle, voire de dissimulation, souvent requise sur la scène sociale. Elle est ici détournée au profit dune dissimulation des plus malhonnêtes puisquelle cache non pas une tristesse peu séante, mais la fausseté même. Au contraire de Bien Celer qui couvre courtoisement lamour derrière un air indifférent, Faux Semblant camoufle son vice sous des dehors fiables. Cest ainsi quil parvient à sinfiltrer dans les rangs dAmour et à tromper Malebouche. Linsistance démontrée encore à ce stade de la narration sur le rapprochement de Faux Semblant et des Ordres Mendiants sert à exacerber le danger de mésinterprétation des signes trop aisément manipulés. Cest ainsi que cette nouvelle digression autour du vice des Jacobins se conclut sur la nécessité de détecter leur « duplicité327 ». Cela requiert cependant une « soutillité328 » qui dépasse Malebouche. Sa mésinterprétation des deux pèlerins place tout lépisode sous le signe de lexercice de lecture émotionnelle. Laccumulation des indices offerts des traits trompeurs des deux pèlerins éclaire la naïveté du médisant, mais aussi leur destinataire sous-entendu, le lecteur lui-même, dans un nouveau jeu sur le double niveau de compréhension possible des aventures du faux moine. La propre incompréhension de Malebouche préfigure surtout son échec et sa mort329. Celle-ci survient à lissue dun véritable parcours dintrospection, à la manière de la pénitence que se contentent de mimer Faux Semblant et sa compagne au gré de leur pèlerinage feint. Lexercice débute par une tentative de prise de conscience du vice incarné par Malebouche, menée par Abstinence Contrainte. Elle promet en effet, en échange de « lostel » quils viennent demander, un « bon sermon330 ». Celui-ci se concentre aussitôt sur le défaut de la médisance et, par contraste, sur « la vertu premeraine » de « la langue refrener331 ». Le propos se veut demblée orienté, trop dailleurs pour ne pas percevoir la manipulation induite dans 293cette condamnation de la médisance. À la manière de Faux Semblant qui usait si habilement des références aux Écritures, Abstinence Contrainte déploie son sermon dans une accusation conforme aux canons du genre. Lidentification de la vertu premeraine au fait de refrener la langue paraît néanmoins relever dune interprétation propre à Abstinence Contrainte et à son souhait de condamner la médisance. De manière intéressante, le « pechiez » ne touche pas seulement à celui qui médit, mais aussi à celui qui « lescoute332 ». On perçoit ainsi le souci de décrier dans son ensemble latteinte au secret damour, par celui qui le dévoile et par celui qui y contribue en en prenant ainsi connaissance. Lécoute incriminée rime avec labsence de peur de Dieu, défaut indéniable du bon chrétien. Il est ainsi encore question de linvestissement émotionnel, manquant quand il nest pas joué. Laccusation dAbstinence Contrainte se précise aussitôt : loccasion den revenir au cœur du récit. Elle revient en effet sur le tort causé à lAmant, à la base de toute cette stratégie développée par les barons dAmour333. Sa critique de la « fole loquence » de Malebouche sappuie sur une mise en lumière des dénonciations parfois abusives des médisants, fondées sur « chose qui na point de preuve / Fors daparence et de contreuve334 ». Abstinence Contrainte en profite pour faire une révélation forcément ironique dans ce contexte : « Dire vous os tout en apert / Quil nert pas voirs quanquil apert335 ». Elle nhésite pas à dévoiler la clé de lecture de son personnage et de son compagnon. Elle souligne surtout la faute de Malebouche et lie son péché à sa conséquence : sa mort à venir sassocie à son incapacité à dépasser les apparences et à distinguer le vrai du faux. La rime en apert laisse transparaître toute lironie de cet aveu essentiel, mais incompris. La rupture entre vérité et apparence est ce faisant formalisée. Mais elle ne suffira pas à alerter Malebouche quant à la véritable identité de ses confesseurs. La condamnation du vice de Malebouche se couple ainsi à son incapacité à lire les signes, ceux quil dévoile à tort et à travers ou ceux qui lui seront fatals. Son exemple sert de base à la leçon, en filigrane, de limportance pour le lecteur de dépasser le niveau de la couverture336.

294

Faux Semblant poursuit cette mise en lumière des indices trompeurs, au rang desquels les apparences sont ainsi élevées, en détournant également les moyens de conviction dont ils usent pour amener sa confession à sa fin. Il prend le pas sur les accusations de sa compagne, insuffisantes à conduire Malebouche à la pénitence et à la confession. La confrontation se déroule ainsi en deux temps337, dédoublés dans ce second mouvement entrepris dans la révélation des techniques trompeuses, du semblant et de la parole. Pour faire avouer à Malebouche le tort quil a eu daccuser lAmant, Faux Semblant se sert des raisonnements syllogistiques dont il avait souligné la nature fallacieuse lors de son échange avec Amour. Il conclut son intervention dans ce sens pour indiquer à Malebouche quelle a « la mort denfer bien desservie338 » :

Faus samblant ainsi le li prueve.

Cil ne set respondre la prueve

Et voit toutevois aparance.

Pres quil ne chiet en repentance

Et leur dist :

(male bouche) « Par Dieu, bien puet estre.

Samblant, je vous tieng a bon mestre

Et astinance mout a sage.

Bien samblez estre dun corage.

Que me loez vous que je face339 ? »

La répétition du champ sémantique de la prueve signale en réalité son absence, dont il ne subsiste que laparence, opposées dans lavertissement dAbstinence Contrainte340. On retrouve la logique uniquement visuelle et extérieure qui conditionne la compréhension par Malebouche de Faux Semblant et de sa compagne. Le règne des apparences marque son apogée, puisquelles permettent la repetance recherchée par les deux confesseurs. Par le biais dun raisonnement à la négative fondée sur les seules apparences visuelles – dans la lignée du propre discours dAbstinence Contrainte – et langagières, Faux Semblant parvient à convaincre Malebouche de linnocence de lAmant341. Toute lironie tient 295bien sûr au fait quil avait démontré au préalable la teneur frauduleuse dun tel raisonnement342. Il offre ainsi une illustration éclatante de la rhétorique fallacieuse du De Sophisticis Elenchis. La vérité quil fait émerger est tronquée par le syllogisme, dune forme irrégulière qui le rapproche même du sophisme : correct sur le plan formel, il ne peut lêtre sur celui du contenu343. Faux Semblant brouille ainsi lensemble des dynamiques argumentatives. Il ne conduit quà une aparence de vérité, que cela soit par son détournement de lhabit ou par cet usage frauduleux de la rhétorique confessionnelle. Malebouche est donc victime des apparences qui lui font prendre Faux Semblant pour un vrai Frère, pour seulement Samblant comme elle le dénomme ici, et son argumentation comme valide344. La conclusion de ce pseudo-sermon vise à dénoncer le traitement abusif des « gent » tels que lAmant. Laction de Malebouche y est connotée négativement comme excessive par ladverbe « outreement345 », qui porte une fois de plus lidéal de bienséance et de juste mesure manipulé par Faux Semblant à ses fins, et par la nature de son a-sservissement. Le sermon se veut formel : Malebouche mérite la mort denfer. Il témoigne de la dépréciation du vice de médisance, au-delà des critiques apportées par les deux pseudo-confesseurs, mais surtout annonce lassassinat de Malebouche. On peut bien sûr y lire aussi une condamnation dune rhétorique abusive de la part des confesseurs, adeptes des formules toutes faites et des jugements excessifs, surtout de la part des Frères Mendiants personnifiés par Faux Semblant. Cette rhétorique permet en tout cas de convaincre le losengier. Son adhésion au sermon du faux moine se veut néanmoins nuancée : cela puet bien être le cas. La narration semble ainsi révéler, par cette apparence seulement de preuve et la possibilité seulement quelle soit correcte, lerreur de Malebouche, tout comme elle insistait sur celle, répétée ici dailleurs, commise dans lidentification des deux pseudo-pèlerins. La qualification 296de Faux Semblant comme bon mestre peut constituer un nouvel écho à la querelle universitaire. Elle témoigne surtout de la ruse de sa position : ce nest que délesté de son étiquette de fausseté quil connaît ce type de valorisation. Ici aussi, les nuances sont éloquentes : Faux Semblant nest pas directement qualifié de mestre et Abstinence Contrainte de sage, cest Malebouche qui les tient ainsi. La narration prend ses distances avec son constat. Malebouche souligne également limportance, pour le convaincre, de laccord des deux confesseurs. Même celui-ci semble néanmoins dépendre des apparences, puisquils lui samblent être dun même avis. Le corage peut aussi dénoter une certaine ironie. Il est en effet intéressant que le point de vue de Faux Semblant et sa compagne soit présenté comme relevant de leur corage, eux qui nen dévoilent jamais rien derrière leur apparence trompeuse. Cette conclusion et cette adhésion bancales suffisent cependant à livrer Malebouche à la volonté de ses confesseurs. La repentance étant atteinte, ils passent à lexercice de confession, selon cette pratique centrale dans la vie dévotionnelle, mais aussi dans le conflit qui anime lUniversité de Paris. Dans une parfaite mise en scène du rituel de la confession, Faux Semblant exige que le péché soit avoué pour être formalisé et laisser place au repentir qui doit être exprimé346. Il prend néanmoins la forme dune condamnation davantage que dune invitation au repentir. La formule « en ceste place » évoque en effet davantage les lieux de châtiment que dabsolution347. Une fois de plus, Faux Semblant joue donc des effets dannonce du sort qui sera celui de Malebouche. Comme auparavant, Faux Semblant profite de son sermon à Malebouche pour réactiver lensemble de la critique quil a portée au gré de son échange avec Amour sur les faux confesseurs348. Il entremêle lensemble des griefs à lencontre des Ordres Mendiants, leur droit de confesser et denseigner. La menace quils incarnent est renforcée par son étendue, eux qui ont « de tout le monde la cure », mais aussi par lallusion quelle induit à la fin des temps qui leur est souvent associée349. La formule « com li mondes dure » peut en effet renvoyer aussi bien à sa dimension géographique que temporelle. Lune comme lautre animaient la dénonciation du danger que constitue la montée des 297Ordres Mendiants, eux qui diffusent lhypocrisie partout autour deux et se font indices de limminence de lApocalypse. Les effets dannonce sont suffisants : cest sa mort que Malebouche précipite en acceptant de se confesser. Jean Batany a mis en exergue la symbolique de ce sacrement débattu dans la mise à mort de Malebouche :

Mais Malebouche ne peut rien contre la duplicité : Faux Semblant le met à mort, et achève ainsi le passage à la guilt culture, où chacun est responsable devant sa propre conscience, et avoue dans le secret du confessionnal ses fautes commises elles aussi dans le secret, lintention étant maintenant lélément capital de la faute. Jean de Meun représente admirablement ce passage : Malebouche se confesse, fait paradoxal qui ne peut le conduire quà la mort, la confession privée relevant dun autre univers moral que la médisance350.

Ce qui se joue ici, cest lopposition entre la sphère intime, que les médisants violent, et la sphère publique, quils exploitent de manière excessive. Quant à lintention, critère essentiel de cette nouvelle culture de la faute, Faux Semblant en a dénoncé la nature pernicieuse dans le cas de Malebouche qui agit pour le seul plaisir de nuire aux pauvres amants. Linstance émotionnelle paraît posée au cœur de cette réflexion, selon son investissement, son intention, mais surtout les apparences qui en sont offertes ou non, puisque toute la pratique pénitentielle en dépend. Mais quel que soit son repentir, Malebouche ne peut prétendre à labsolution, seulement à la mort, tel que le soulignait Jean Batany :

Male bouche tantost sabesse,

Si sagenoille et se confesse,

Car veroiz repentanz ja ert.

Et cil par la gorge laert :

A .ij. poinz lestraint, si lestrangle ;

Si li a tolue sa jangle.

La langue a son rasoir li oste.

Ainsi chevirent de leur oste.

Puis le tumbent en .i. fossé,

Ne lont autrement enossé.

Sanz deffence la porte quassent.

Quassee lont, outre sen passent,

Si trouvent laienz dormanz

Trestouz les soudoiers normanz

Quil orent beü a guersai

298

Dou vin que je pas ne versai :

Euls meïsmes lorent versé

Tant que tuit jurent enversé.

Yvres en dormant les estranglent :

Ja ne seront mais tel quil janglent351 !

Le mouvement descendant de Malebouche, signe requis de la confession, marque aussi de manière très symbolique son assujettissement à Faux Semblant. Au contraire de Faux Semblant qui brouille constamment les signes quil manifeste, Malebouche les investit avec respect et sincérité. Malebouche manifeste un véritable repentir, se convainc réellement du tort quil a commis en maltraitant lAmant. Or, si lon se fie à lissue du roman, Malebouche avait en réalité raison : les intentions de lAmant savèrent tout aussi ambigües quil les avait dénoncées. La nuance saute aux yeux avec Faux Semblant et Abstinence Contrainte qui se contentent de simuler le pèlerinage. Non content de jouer avec les signes de linvestissement dévotionnel, Faux Semblant fait preuve de toute sa perfidie en profitant de la contrition de Malebouche pour lassassiner. La rime entre la présentation du repentir du médisant et le geste meurtrier de son prétendu confesseur est significative. Selon la loi du talion que cultivent les Psychomachies, Malebouche est vaincu par là où il a péché : les organes de sa parole déviante. La rime le révèle : Faux Semblant letrangle pour faire cesser sa jangle. On la retrouve dailleurs en fin de passage comme pour confirmer la nécessité de punir par la source même de la faute. Les actions se succèdent avec une grande rapidité après ces longues palabres, la répétition de ladverbe si en témoigne, tout en indiquant ce lien de cause à effet entre le discours médisant de Malebouche et son assassinat. Le récit prend ici une dimension épique dans le tableau de ce meurtre nécessaire, qui permet et signe le début du siège du château de Jalousie. Mais Faux Semblant ne sarrête pas à létranglement. Il lui tranche également la langue du rasoir quil avait dissimulé dans sa manche. Le lien avec lusage pernicieux du raisonnement rhétorique est ainsi conforté : Malebouche est mort, pris au piège du syllogisme de Faux Semblant. Cet acte brutal témoigne dune cruauté indéniable, marquée par son caractère gratuit352. Mais il symbolise aussi un geste 299de raffinement symbolique supplémentaire353. Il permet de confirmer le danger de ce rasoir, fait emblème de la duplicité de Faux Semblant et métaphore du discours fatal quil a servi au médisant. Toujours selon la loi du talion ainsi dédoublée, Malebouche meurt donc sous le coup du symbole des mauvaises langues que le rasoir représente déjà dans les Psaumes (52:4)354. Surtout, ce coup de rasoir marque le coup définitif porté à la médisance. On perçoit le lien avec le sermon dAbstinence Contrainte sur le silence à préserver autour du secret de lamour en particulier355. On peut néanmoins comprendre cette mise sous silence dun autre point de vue. Elle peut indiquer le rejet définitif de la vérité au profit de la fausseté ainsi dépeinte comme voie de succès de la quête amoureuse356. Cet acte de violence peut dailleurs faire écho à celui de la castration de Saturne. Il signalerait la fin dun âge dor et le début du règne de Vénus et de la ruse qui conditionnent la suite de la quête357. Le meurtre de Malebouche, mis en exergue par ce dédoublement de sa mise à mort, marque ainsi une étape essentielle dans la quête de lAmant. La suite du passage le souligne : il ouvre la voie à linvasion du château de Jalousie. La narration sarrête encore sur la perfidie de Faux Semblant et dAbstinence Contrainte à légard de leur hôte Malebouche, bien mal récompensé de son accueil. Sans aucune considération pour son corps ou pour le moindre signe dinvestissement religieux dans le respect de la mort, ils le laissent tomber dans un fossé. Sur cette base, ils peuvent aisément briser la porte qui gardait le château. La répétition du verbe casser et sa proximité phonique avec laction de la passer et de pénétrer dans le château révèle limportance conférée à leur action, mais aussi la brutalité dont ils font encore preuve. Les défenses quils trouvent au-delà de cette porte savèrent fort limitées : les seuls gardes présents sont endormis et ivres. Dans la ligne de dénonciation de la propre fausseté des médisants, ils sont qualifiés de normands, réputés pour leur ruse358. Leur état divresse peut en outre révéler les excès dont ils seraient friands et leur goût pour les plaisirs mondains, à la manière de ceux dénoncés 300par Faux Semblant chez les Frères hypocrites. Les points de comparaison sont intéressants, ils jouent dun entremêlement des univers critiques à lencontre des hypocrites et des médisants, de Faux Semblant et de Malebouche. Surtout, ils justifient lacte barbare de Faux Semblant, indispensable pour vaincre les médisants vaniteux et trompeurs. La leçon de tout cet épisode simpose delle-même : la dérive langagière de Malebouche légitime celle plus grande encore de Faux Semblant. On constate un rapprochement de lensemble de ces condamnations qui donnent plus de poids à la brutalité de Faux Semblant, inscrite dans la dénonciation de la diffamation des losengiers, mais aussi dans la critique des Frères Mendiants et de leur usage détourné du raisonnement logique ou de la confession, et surtout dans la libération de Bel Accueil et ainsi dans la progression de la quête amoureuse359. Tous les échos au long discours que Faux Semblant livre au dieu Amour permettent de réactiver la réflexion induite autour de lhypocrisie en général et de celle des Frères Mendiants en particulier. Son sermon à Malebouche propose une démonstration éclatante du danger du vice dhypocrisie par le biais de cette confession biaisée. Il donne ainsi toute son ampleur à la critique quil livrait des faux religieux en la mettant au service du Miroer aus amoureus. Bien plus que de contaminer le sacrement de confession, cest en effet larmée entière du dieu Amour et lidéologie quil incarne que Faux Semblant subvertit. Les retombées directes de cette pseudo-confession et du meurtre qui sen suit touchent en effet au dieu Amour, à ses barons qui peuvent ainsi mener lattaque du château de Jalousie et, bien sûr, à lAmant qui peut sur cette base mener à bien sa quête. Notons à ce niveau le parallèle qui peut être perçu entre la propre posture de Faux Semblant, assujetti au dieu Amour, et celle de Malebouche qui lest à lui dans cet épisode. Si Malebouche sagenouille face au faux moine, cest ainsi en réalité, par cet effet déchos, face au rois des ribaus dAmour quil sincline. Cette fonction prend tout son sens à lissue de cet épisode. Faux Semblant est chargé de réguler les instances disruptives de la sphère amoureuse. Il porte donc la condamnation de la plus grande dentre elles, celle de la médisance, et livre sa sentence sans scrupules, armé des droits dont Amour la investi. La leçon qui 301émerge du sermon à Malebouche se veut donc multiple. De manière intéressante, Faux Semblant ne la livre pas aussi explicitement quil ne le fait pour sa dénonciation du vice des Frères Mendiants. Mais sil est avant tout question de lhypocrisie religieuse – celle qui détourne les signes dévotionnels au profit de ruses qui sopposent à lhumilité quils sont censés incarner, qui touchent donc au péché dorgueil –, cest finalement la fausseté immiscée dans la sphère amoureuse qui est mise en lumière. Au-delà des confirmations du vice du syllogisme ou de la confession conduite par un moine hypocrite, cest la nécessité de la tromperie dans la conquête amoureuse que lon trouve au cœur de cet épisode. On ne peut manquer lironie de cette révélation. Faux Semblant recourt en effet à toutes ces stratégies hypocrites, détaillées au fil de son échange avec Amour, pour être mieux condamnées, mais finalement érigées en armes utiles, voire indispensables à la conquête amoureuse. Plus encore, elles se voient valorisées par lacceptation, bien consciente, dAmour, formalisée par lintégration de Faux Semblant parmi les siens.

En tuant Malebouche, Faux Semblant se contente en effet de remplir la mission qui lui a été confiée par les barons du dieu Amour. Son rôle, endossé avec tant de panache, était explicite dès lirruption du faux moine. Nous lavions souligné, Amour acceptait et reconnaissait lutilité de Faux Semblant avant même quil ne pose comme condition la présentation exigée du faux moine360. Elle savère néanmoins nécessaire au plein accord dAmour, finalement donné à lissue de cette longue parenthèse que constitue lautodéfinition de Faux Semblant. Amour doit quelque peu insister pour obtenir ce portrait ambigu, offert lui-même sous forme de confession. Ses barons ne faisaient pas preuve du même zèle, ils reconnaissaient demblée lutilité de Faux Semblant intégré à leur plan avant même quAmour nait pu faire part de sa stupéfaction. Ils savéraient ainsi moins naïfs que le dieu Amour sur le caractère indispensable de laide fournie par cette incarnation de la fausseté361, non seulement religieuse, mais aussi amoureuse. On peut noter la tension dans la posture du dieu Amour, entre réticence et pleine acceptation. Il se veut plus prudent que ses barons, mais livre aussi son accord avant même la présentation de Faux Semblant, ce qui paraît annuler 302tout lintérêt de cette tirade auto-définitoire, dans la diégèse tout au moins. De la même manière que les retombées des avertissements à Malebouche semblent annulées par son manque de lucidité, celles du dialogue avec Amour paraissent aussi concerner avant tout le lecteur extradiégétique. Sil complexifie la propre figure de lecteur dAmour, le discours de Faux Semblant lui reste adressé avant tout pour la simple et bonne raison que cest sa morale quil cherche à atteindre. Linfluence exercée par Faux Semblant sur la sphère amoureuse est indubitable. Son intégration dans larmée dAmour est significative, mais cest surtout le long dialogue quils entretiennent lun avec lautre qui marque limpact de Faux Semblant sur lidéologie amoureuse. Il est en effet intéressant que ce soit à Amour lui-même que Faux Semblant offre sa leçon, plutôt quà lAmant. Susan Stakel interprète dans ce sens cet épisode comme le lieu de transformation définitive de la notion damour362. Le fait que cet échange se présente sous cette forme dialogique, si chère à Jean de Meun363, dénote ce rapport dinfluence. Sa tendance confessionnelle renforce encore cette impression364. Selon cette dynamique dialogique, les rôles de confesseur et de confessé sinversent au gré de leur échange, révélant une véritable remise en question dAmour, bien plus que de Faux Semblant. Ce long exposé sur la fausseté et le vice personnifiés par le faux moine nempêche pas Amour de donner son accord à lentrée de Faux Semblant dans ses rangs. Celui-ci se veut révélateur de lacceptation dAmour de lunivers insidieux personnifié par Faux Semblant et de sa place dans le système amoureux :

Li dieus sozrit de la merveille.

Chascuns sen rit et sen merveille

Et dient : « ci a biau sergent

Ou bien se doivent fier gent ! »

« Faus semblant, dist amours, di moi

Puis que de moi tant taprimoi

Ken ma court si grant pooir as

Que rois des ribaus mi seras,

Me tendras tu ma couvenance ? »

303

« Oill, jel vous jur et fiance,

Nainc norent serjant plus loiaus

Vostre pere ne vostre oiaus365 ! »

La longue présentation de Faux Semblant se clôture enfin, sur la réaction dAmour et de ses barons. Elle fait écho à celle quil avait manifestée à larrivée du faux moine. Lépisode entier se voit ainsi encadré par les émotions dAmour, esmeü366 par lirruption de Faux Semblant parmi ses rangs et émerveillé de leur échange. Cela démontre une fois de plus linfluence de Faux Semblant, directement sur le cœur dAmour. Tout autant que la première, cette émotion dAmour témoigne de la nature ambigüe de Faux Semblant. Lémerveillement dénote un rapport détrangeté inaltérable367, en dépit de son intégration dans larmée dAmour. Il révèle surtout le caractère paradoxal du discours de Faux Semblant qui ne peut se laisser appréhender, peu importe la sincérité dont il a fait preuve. Ce qui ressort donc de cette autodéfinition, cest la nature protéenne de Faux Semblant, le paradoxe quil incarne et limpossibilité daccéder à la connaissance quil fait mine de dévoiler. Or, les barons vantent gaiement sa fiabilité. Lensemble du discours paraît ainsi réduit à sa vanité. Faux Semblant a pourtant bien souligné quil était par essence hypocrite, il y revient dailleurs encore au moment de sceller le pacte qui le lie à Amour. Cette impression de vanité est renforcée par la déclaration dAmour qui revient à la fonction déjà accordée à Faux Semblant en amont de sa présentation368. De la même manière, lallusion à lensemble des barons dAmour rappelle que ceux-ci avaient déjà reconnu le rôle de Faux Semblant avant même quAmour ne le fasse ou nobtienne les réponses quil exige. Lultime demande dAmour révèle également combien lenseignement de Faux Semblant reste incompris du public auquel il la livré et éclaire ainsi son importance pour le public situé en-dehors du cadre diégétique. Amour linterroge sur sa couvenance, comme si elle pouvait savérer fiable. Elle offre en outre un nouvel écho au début de léchange lors duquel Amour insistait sur le couvenant qui permettait dintégrer Faux Semblant parmi 304les siens369. La décision ne repose plus entièrement sur Amour ainsi, même sil est toujours avant tout question de son autorité. Le serment qui est demandé à Faux Semblant se veut lui aussi superflu. Amour laffirme de manière significative : Faux Semblant a déjà démontré sa proximité et son pouvoir dans la cour dAmour. La contamination est déjà entamée avant même que Faux Semblant naccomplisse sa mission et subvertisse, par son hypocrisie meurtrière, la conquête amoureuse. Amour fait ainsi dépendre de manière logique – la dynamique causale de son exposé en témoigne – son accord de la place que Faux Semblant a déjà prise. Lentremêlement des temps verbaux va également dans ce sens. La proximité de Faux Semblant avec Amour est déjà démontrée : son pouvoir est effectif à cet instant et sa fonction se veut inscrite sur le long terme par le temps futur employé pour la présenter, alors quelle était déjà inscrite en amont du discours du faux moine. Amour lui demande néanmoins sa pleine adhésion au plan élaboré par ses barons sur la base même du rôle que doit y jouer Faux Semblant. Sa réponse est à la hauteur de sa confession préalable. Il promet dêtre loyal, plus que tout autre serjant qui ne sest jamais mis au service des forces dAmour. La valeur superlative et répétée – le doublet est significatif – témoigne de la force de cette promesse, ou de sa bizarrerie, ou de son hypocrisie. Au vu de lissue de cet épisode, on sait néanmoins quil prête ce serment avec lhonnêteté paradoxale qui le caractérise. Il nhésite dailleurs pas à la souligner une fois encore quand Amour manifeste sa surprise face à sa promesse :

(Li dieus damour)

« Comment ? Cest contre ta nature ! »

(Faus semblant)

« Metez vous en en aventure ! 

Car se pleges en requerrez

Ja plus aseür nen serez ;

Non voir, se jen bailloie ostages

Ou lettres ou tesmoins ou gages.

Car a tesmoing vous en appel :

Lon ne puet oster de sa pel

Le leu tant quil soit escorchiez,

Ja tant niert batuz ne torchiez.

Cuidiez que je ne triche et lobe

305

Pour ce que je vest simple robe

Souz cui jai maint grant mal ouvré ?

Ja par dieu mon cuer nen mouvré

Et se jai chiere simple et coie,

Que de mal faire me recroie ?

Mamie contrainte astinance

A grant mestier de porveance :

Pieça fust morte et malbaillie

Sel ne meüst en sa baillie.

Laissiez nous, moi et li, chevir370. »

Létonnement dAmour se veut presquaussi paradoxal que les affirmations de Faux Semblant. Il alterne en effet entre une crédulité et une lucidité, tout aussi surprenantes lune que lautre, à lencontre de son rois des ribaus. Cest en tout cas loccasion pour Faux Semblant doffrir un résumé de sa définition première, hors de toute considération liée à la querelle mendiante : il est impossible de se fier à lui et surtout à son apparence. Il assène ainsi sa leçon dans un ultime rappel, qui ne suffit cependant toujours pas, au vu de la réaction dAmour. Plutôt que jurer encore et exiger la confiance dAmour – il est bien conscient quil nest pas digne de cette confiance –, Faux Semblant insiste sur le fait quil est inutile de la chercher. Il propose plutôt laventure, dans une dynamique ludique de grand intérêt. Cest la seule option valable au vu de sa nature non fiable. Peu importent les pleges ou même les ostages, les lettres, les tesmoins ou gages – selon une véritable accumulation, teintée dironie voire de déconsidération, des signes de confiance qui peuvent être exigés –, Amour ne trouvera aucune certitude à son endroit. Faux Semblant profite de cette occasion qui lui est encore offerte pour rappeler lensemble du réseau trompeur dans lequel il sinscrit. Lexemple du loup fait écho à la citation de saint Matthieu qui fondait son exposé de la fausseté et du danger de son habit. De manière peut-être plus explicite encore, Faux Semblant révèle ici que le loup ne peut se dissocier de sa nature trompeuse, quels que soient les efforts fournis pour len défaire par la violence ou la flatterie371. Il reprend à cette fin la rime entre lobe et robe pour mieux les associer au moment de se voir 306adoubé par Amour372. Sans plus aucun détour, Faux Semblant martèle sa fausseté et son vice. Il dévoile tout le mal quil peut accomplir sous son manteau de simplicité. Il intègre à son propos lopposition, typique des jeux émotionnels, entre chiere et cuer pour mieux mettre en exergue la rupture entre cette simplicité affichée et le mal qui lanime en réalité. Il la justifie même comme nécessaire, à son amie Abstinence Contrainte, et ainsi, par effet dannonce, à Amour et à lAmant. Sa baillie se fait condition de la survie de ses protégés, de manière révélatrice quant au caractère indispensable de lhypocrisie. Cest sur cet aveu éloquent que Faux Semblant sarrête pour prier Amour de les laisser, lui et sa compagne, prendre en charge leur mission. Il annonce à la fois leur succès, mais aussi leur nécessité indiscutable et avérée. Sur cette réponse aussi honnête quambigüe une fois encore, Amour formalise son accord. Il exprime même sa confiance à Faux Semblant :

« Or soit, je ten croi sanz plevir. »

Et li lierres enz en la place

Qui de traÿson ot la face,

Blanche dehors, dedenz nercie,

Si sagenoille et len mercie373.

La confiance quil accorde ne se fonde finalement sur aucun engagement, Faux Semblant en ayant démontré linutilité comme limpossibilité. Elle se veut donc aussi ambigüe que laveu de Faux Semblant. Armand Strubel souligne dailleurs limportance de cette dernière réplique qui illustre toute la difficulté dinsertion de ce personnage374. Faux Semblant prête alors son serment, agenouillé devant Amour auquel il marque son assujettissement375. La malignité de Faux Semblant est encore mise en exergue à cet instant. Comme lors de la première remarque dAmour à son égard376, il est qualifié de lierres, dans une nouvelle démonstration 307de labsence davancée de la compréhension dAmour à son endroit, pas plus ni moins informé de son état après cette longue tirade. Mais la lucidité dAmour semble aussi transparaître de la description finale de Faux Semblant au moment de sceller leur accord. Il le définit en effet directement selon sa traïson et son apparence. Le contraste entre cœur et visage se concentre ici uniquement sur la face. Il paraît indiquer quil sagit là de la seule chose accessible chez Faux Semblant. La nuance se décline en une opposition, elle aussi fréquente, entre le dedans et le dehors, mais du visage seulement, à la manière dun masque dont Faux Semblant serait revêtu en plus de sa robe. Celui-ci révèle les mauvaises intentions de Faux Semblant, qui saffiche simple et innocent, tel que le suggère la couleur blanche, mais est en réalité noir au-dedans. Au-delà du pouvoir symbolique de ces deux couleurs, on peut y voir une dernière allusion aux loups en habit de mouton auxquels Faux Semblant se comparait pour en dénoncer le danger377. Le jeu de rimes finales entre la couleur noire et la reconnaissance de Faux Semblant envers Amour témoigne de la contamination des stratégies amoureuses avant même que Faux Semblant naccomplisse son noir dessein. Si Faux Semblant ne cesse de surprendre, ce nest pas en raison du projet quil poursuit, dévoilé aussitôt quil intègre la narration. Cette absence totale de suspense laissé à lendroit de laction la plus essentielle peut-être de la conquête amoureuse – elle en permet laccomplissement – atteste son importance, incontournable et décisive.

Quelque dissonant quil puisse paraître de prime abord, Faux Semblant prend donc une place certaine, et essentielle, dans léconomie de la quête amoureuse. Il ne se contente pas de porter son accusation à lencontre des Ordres Mendiants ou du vice de lhypocrisie religieuse plus globalement, il la met au service dune mise en lumière de la nécessité de lhypocrisie dans la sphère amoureuse. Loin de limpression de digression quil a longtemps laissée, il sinvestit dans la fonction que lui accorde Amour. En tant que ribaus, Faux Semblant est chargé de faire respecter la loi dAmour. La nature de sa mission témoigne de latteinte que constitue la médisance à celle-ci. Cest ainsi quil peut livrer sa justice, au nom même dAmour, au-delà de sa leçon incomprise par Malebouche et de sa confession détournée. Laction de Faux Semblant se conçoit donc 308comme une mission officielle, légitime à lamour, mais révélatrice dune subversion importante de léthique amoureuse. Pour faire face à la menace des médisants, Amour na dautre choix que dinvestir Faux Semblant, à la fausseté émotionnelle pourtant proclamée. Non content de personnifier lhypocrisie religieuse, il incarne la nécessité de manipuler les apparences offertes dans la quête amoureuse. Mais il nen est pas le seul indice. Il sinscrit au contraire dans un mouvement croissant vers lhypocrisie mis en scène par Jean de Meun, en-dehors de la seule intervention du faux moine. La place de Faux Semblant séclaire dans son association avec lAmi et la Vieille avec lesquels il forme une véritable triade trompeuse qui joue de limpérativité de la ruse dans la sphère amoureuse. Cest dans ce contexte quArmand Strubel défend la position centrale de Faux Semblant contre les critiques persistantes quant à limpression de personnage annexe quil a longtemps laissée :

Dans la constellation de personnifications qui se met en place autour du rosier puis du château, la présence de celui qui résume dans son nom seul les paradoxes de lhypocrisie nest peut-être pas totalement incongrue : la feinte, la dissimulation ou le déguisement ont été largement sollicités dans les propos dAmi et de la Vieille, et placés au cœur de lunivers de la séduction amoureuse378.

La lecture de ce long et insaisissable épisode démontre limportance accordée à Faux Semblant. Sa dimension dialogique a poussé à considérer le faux moine comme une fonction du dieu Amour379, voire comme son double380. Or, cette perception de Faux Semblant comme fonction du dieu Amour se décline de manière intéressante au niveau émotionnel quelle induit. Par cette confession mutuelle quils se livrent, par lefficacité de son intervention dans la stratégie dAmour, Faux Semblant simmisce dans le système amoureux et le manipule jusquà y prendre plus de place que le dieu qui lincarne. Cest ainsi quil parvient à subvertir la pratique, non plus dévotionnelle, mais aussi amoureuse en une doctrine mensongère et vicieuse381. Lalliance quil présente avec lAmi 309et la Vieille ne fait que renforcer ce processus, qui aboutira à la prise brutale et sans scrupules de la Rose par un Amant converti à la loi de Faux Semblant. Elle offre une mise en application éclatante de la leçon de Faux Semblant.

Faux Semblant au cœur de léthique amoureuse de Jean de Meun : la triade trompeuse

Limportance conférée à Faux Semblant témoigne bien sûr de celle accordée à la leçon quil livre. Jean de Meun sy dédie dailleurs bien avant lirruption du faux moine dans la trame du récit. Le discours de Raison se fait déjà loccasion de dénoncer les manipulations émotionnelles intrinsèques à la conquête amoureuse382 :

« Toutevois fins amans se faignent,

Mais par amours amer ne daignent

Et se gabent ainsi des dames

Et lor promettent cors et ames,

Et jurent mensonges et fables

A ceuls quil tiennent decevables,

Tant quil ont leur delit eü.

Mais ceuls sont le mains deceü

Car adés vient il mieus, viau mestre,

Decevoir que deceüz estre ;

Meesmement en cele guerre,

Quant le moien ne sevent querent383. »

La critique de Raison en passe ainsi par la révélation des ruses des prétendus fins amants. Leur présentation révèle la dépréciation totale de Raison : elle associe les fins amants à la feintise (aux feints amants), tout en soulignant son vice. Cette feintise saccompagne dune annulation de linvestissement émotionnel requis dans la relation amoureuse. La rime entre faignent et ne daignent lindique de manière efficace. Raison insiste dailleurs sur la question par la précision superflue amer par amours. On se trouverait donc plutôt ici confronté aux fameux faux amants condamnés par Amour au fil de lexposé de ses commandements384, mais Raison 310choisit de les nommer fins amants pour dénoncer lensemble du système idéologique de lamour courtois. Cette étiquette témoigne dun code en place, ainsi détourné pour révéler la manipulation qui peut simmiscer dans les feeling rules et leurs apparences toujours aussi indispensables, mais problématiques. Lémotion amoureuse constitue en toute logique la condition sine qua non de la finamor. Raison instille déjà la déconstruction de léthique amoureuse par la ruse, que Faux Semblant viendra exemplifier avec éclat. Mais il nest pas encore question dapparences trompeuses, seulement des mensonges et fausses promesses typiques des faux amants. Raison nhésite pas à dévoiler les intentions de ces hypocrites, liées au delit quils comptent ainsi obtenir385. Loccasion pour Raison dintroduire un adage central dans la seconde partie du Roman de la Rose, dans laquelle Faux Semblant incarne la pièce maîtresse : mieux vaut decevoir que deceüz estre. La mise à mort de Malebouche pourrait se comprendre comme une illustration, extrême, de cet enseignement qui irrigue toute la leçon dispensée au gré du Miroer aus amoureus. Cest dans le discours de lAmi que ce conseil prend la plus grande place. Il tente de réconforter lAmant, désolé de lintervention de Malebouche et désespéré de parvenir à atteindre Bel Accueil retenu prisonnier sur le conseil du médisant. Il lui offre, pour sortir de cette impasse, toute une série de conseils concernant lattitude à adopter face à Malebouche :

« Mais prenez garde toute voie

Que male bouche ne vous voie.

Sil vous voit, si le saluez,

Mais gardez que vous muez

Ne ne faites chiere nesune

De haÿne ne de racune.

Et se vous ailleurs lencontrez,

Nul maltalent ne li monstrez :

Sages hons son maltalent cuevre.

Si sachiez que cil font bonne oevre

Qui les deceveors deçoivent.

Sachiez kainsi font ce quil doivent

Trestuit amant, au mains li sage.

Male bouche et tout son lignage,

Sil vous devoient acorer,

311

Vous lo servir et honnorer.

Offrez leur tout par grant faintise,

Cuer et cors, avoir et servise.

Len seult dire, et voirs est, ce cuit,

Encontre vezié recuit.

De ceuls bouler nest pas pechiez

Qui de bouler sont entenchiez386. »

LAmi incite à la garde des émotions malséantes de la haine, de la colère, de manière tout à fait conforme à la tradition émotionologique. Ces émotions dénotent néanmoins déjà la nature peut-être problématique du jeu émotionnel. Il ne touche pas à la tristesse, commune, des amants, mais à la haine ou au désir de vengeance, émotions en effet peu adaptées au bel semblant à cultiver sur la scène sociale, mais qui relèvent aussi dintentions tout autres que celle de la souffrance amoureuse. Or, ce sont les intentions qui servent de base à lévaluation des émotions. Le maltalent éprouvé par lAmant sinscrit ainsi demblée dans une optique plus contestable. LAmi souligne limportance de nen livrer aucune apparence. Il joue sur toutes les règles en la matière : les formules conformes à la tradition bien ancrée de la mesure de soi et linsistance sur la sagesse dune telle couverture. Il va cependant plus loin pour justifier la bonne oevre dont lAmant se cuevre. Il reprend pour cela la même sentence que celle dénoncée par Raison chez les finamants : mieux vaut tromper que lêtre. Il la condense sur un seul vers, vantant le bienfondé de decevoir les deceveors, dans une formule des plus efficaces. LAmi prend bien en charge la fausseté du servise quil prône doffrir à Malebouche. Il nhésite pas à souligner sa faintise, qui touche autant à ce servise et aux biens offerts quau cœur et au corps surtout. La sphère émotionnelle, et ses manifestations, sont directement convoquées dans cet exposé révélateur des astuces trompeuses dont les amants doivent sarmer pour contrer celles de leurs ennemis, les losengiers. Comme pour mieux asséner sa leçon, lAmi revient sur la nécessité, et la légitimité, de tromper les médisants. La reprise du verbe bouler concentre la justification, fondée sur labsence de pechiez dagir ainsi contre ceux qui ont eux-mêmes ainsi péché. En brodant sur la tradition de la mesure et sur ladage inscrit dans léthique amoureuse par Raison elle-même, lAmi parvient à pousser lAmant à 312la ruse. Elle se veut purement défensive selon le discours de lAmi, quoi que ses intentions peu louables transparaissent déjà au vu des émotions impliquées dans le jeu prôné. La tromperie gagne en importance tout au long de la section consacrée à cet étrange confident387. Elle dépasse bien vite la ruse défensive à lencontre des losengiers. Poursuivant le plan quil dresse à lintention de lAmant, lAmi détaille également les stratégies quil dédie à Jalousie et à la Vieille qui se trouvent aussi sur leur chemin pour atteindre Bel Accueil :

« Servez les de vostre mestier :

Faire leur devez cortoisie,

Cest une chose mout proisie.

Mais quil ne puissent aperçoivre

Que vous les beez a deçoivre388. »

LAmi détourne le service courtois requis selon les codes de la finamor. Il en démontre ainsi le caractère feint et seulement intéressé. Le devoir de courtoisie est bien mis en exergue et comme dénoncé de la sorte. Surtout, on comprend que le mestier qui fait lobjet du service en question séloigne de la courtoisie en elle-même. Bien davantage que de lactivité attendue des finamants, il sagit ici de la ruse quAmi recommande de servir. Lassociation de la fonction de lAmant à la tromperie dénote une orientation marquante. LAmi a conscience du potentiel critique dune telle pratique, cest pourquoi il conseille de la garder discrète. Débute ainsi le jeu émotionnel central dans la relation amoureuse mise en scène par Jean de Meun. Ce jeu se veut dautant plus important et développé quil ne sagit pas seulement de servir ce leurre de cortoisie, mais de camoufler quil ne sagit là que dun leurre. Le jeu se dédouble ainsi, dans une portée trompeuse immanquable puisque, bien loin des dissimulations bienséantes, renforcées à loccasion dune simulation de joie adéquate, ce quil faut ici cacher, cest lintention de ruse elle-même. La rime entre aperçoivre et deçoivre révèle lhypocrisie, et limportance conférée aux apparences, a fortiori parce quelle joue du parallèle tissé avec Faux Semblant qui y recourra également389. Le fait que cette ruse vise à tromper la Vieille peut se voir comme une incitation au deuxième 313temps des recommandations hypocrites dans la communauté amoureuse, portées de manière exemplaire du côté féminin par la Vieille. Selon la leçon défendue par lAmi, il convient en effet de tromper les trompeurs, ce que la Vieille ne manquera pas de souligner à son tour. La nécessité de parer les astuces des amants se justifie plus encore au vu de lampleur que leur fait prendre lAmi. Non content dinciter à mimer seulement la courtoisie qui est supposée fonder la conquête amoureuse, lAmi va jusquà recommander de feindre les larmes, une manipulation qui ne laisse nul doute sur sa portée trompeuse :

« Et si vostre oeill devant euls pleurent,

Ce vous iert mout granz avantages :

Plorez ! Si ferez mout que sages ;

Devant euls vous agenoilliez

Jointes mains, et vos eulz moilliez

De chaudes lermes en la place,

Qui vous coulent aval la face

Si quil les voient bien cheoir :

Cest mout granz pitié a veoir ;

Lermes ne sont pas despiteuses,

Meïsmement a genz piteuses.

Et se vous ne povez plorer,

Covertement sanz demorer,

De vostre salive preigniez,

Ou jus doignons, et lespreigniez,

Ou dauls ou dautres licors maintes,

Dont vos paupieres soient ointes ;

Sainsi le faites, si plorrez

Toutes les fois que vous vorrez.

Ainsi lont fait maint bouleour,

Qui puis furent fin ameour,

Que les dames voloient prendre

As laz quel leur voloient tendre,

Tant que par leur misericorde

Leur ostoient dou col la corde ;

Et maint par tels baraz plorerent

Qui onques par amour namerent,

Ainz decevoient les puceles

Par leur pleurs et par leur faveles.

Lermes les cuers de tex gens sachent,

Mais sanz plus que barat ni sachent.

Mais se vostre barat savoient,

314

Jamais de vous merci navroient :

Crier merci seroit naienz ;

Jamais nenterriez laienz390. »

On remarque demblée le poids accordé aux apparences émotionnelles, placées au cœur du jeu développé par lAmi sur les signes de la tristesse quil recommande de manifester. On peut relever à ce sujet limportance de leur visibilité, le verbe veoir rythmant la présentation de ces astuces. Plus que tout autre symptôme physique de lémotion, les larmes sont investies dune véritable force de conviction – dans la tradition du don des larmes par exemple391 –, et donc de manipulation. Mais lAmi ne sen contente pas pour autant : il joue aussi sur les génuflexions et les gestes de prière, et donc sur lensemble des signes de dévotion ainsi investis – faussement – dans la relation amoureuse. Un tel entremêlement des univers émotionnels religieux et amoureux nest pas sans annoncer la figure de Faux Semblant bien sûr. LAmi dévoile ainsi limportance, au-delà des fausses promesses, des jeux émotionnels dans la ruse quil prône dans la conquête amoureuse. Il compose cette fois encore avec la tradition existante à ce niveau. Cest ainsi quil associe la manipulation à la sagesse, mais le débordement de la sphère de la garde est ici formel. La mesure de soi vise la préservation des apparences, fondée sur un souci de bienséance qui conduit à leur dissimulation voire à la simulation démotions jugées plus adéquates pour y parvenir. Ici, bien au contraire, il est question de feindre la tristesse si souvent camouflée derrière un semblant plus jovial. Plus encore, la seule chose qui se voit dissimulée, cest le barat que lAmi rappelle une fois de plus de garder discret. Il incite également à camoufler les astuces nécessaires pour simuler la tristesse. Ce besoin de recourir à de véritables instruments de manipulation, aussi vulgaires que de la salive ou du jus doignons, témoigne de la portée rusée, mais aussi de limportance qui leur est conférée. On pourrait presque y trouver un parallèle avec les jeux émotionnels de pure bienséance qui ne peuvent sappuyer sur les seules capacités de contrôle du personnage concerné et doivent compenser ses difficultés par une 315dissimulation totale, dans une autre pièce par exemple. Cest dailleurs ce quAmour préconisait dans lexposé de ses commandements392. Un tel cas de figure dénote lintensité de lémotion impossible à camoufler par la seule maîtrise des indices physiques qui en sont offerts. Ici, on peut au contraire remarquer, par transposition, labsence complète démotion pour susciter la réaction attendue. LAmi met en scène une rupture complète du lien entre cœur et apparence. Elle est dailleurs elle-même mise en exergue, lAmi présentant presquen adéquation ces larmes rusées et labsence damour. Le verbe plorer en vient à rimer avec la négation du verbe amer. Ils sopposent mieux encore au gré de leurs qualificatifs, les larmes relevant du barat, tandis que labsence damour se voit encore renforcée par cette précision superflue par amour, dont usait également Raison pour mieux en souligner labsence393. LAmi scelle encore lassociation des pleurs et de la ruse dans le parallélisme par leurs pleurs et par leur faveles. La dimension rusée dune telle manipulation de la tristesse amoureuse ne laisse aucun doute. Le vocabulaire de la ruse irrigue son discours, de ces faveles liées aux larmes au barat répété à de multiples reprises, en passant par la qualification des bouleour, rapprochés de manière si intéressante des fin ameour. La rime évoque celle de Raison entre faigner et amer daigner394, dans une belle démonstration du cheminement logique de Jean de Meun parmi les recommandations trompeuses. Comme chez Raison, lassociation se légitime selon ladage « mieux vaut tromper que lêtre ». LAmi dénonce en effet les laz tendus par les dames pour prendre leurs amants. On observe ainsi le jeu déployé sur la tradition amoureuse et les astuces qui lui sont propres depuis lArs amatoria. Les lacets damour constituent en effet une métaphore bien connue, que lAmi attribue cette fois aux femmes. On verra quelle se retrouve également chez la Vieille pour condamner la propre hypocrisie des hommes. Cest un véritable cercle vicieux de la ruse que Jean de Meun met en lumière ce faisant. Cette tentative de justification à part, les intentions de lAmi paraissent peu louables. Lobjectif poursuivi par ces fausses larmes est dailleurs affirmé : elles ne visent que le seul avantage de lAmant. Bien loin de léthique amoureuse fondée sur le souci de la dame aimée, bien loin des manipulations bienséantes 316qui visent le maintien de lordre social, les jeux émotionnels prescrits par lAmi sinscrivent dans une optique hypocrite et mal intentionnée indubitable. Les conseils de lAmi sont ainsi loccasion de percevoir toutes les nuances dont se parent les jeux émotionnels. Entre Bel et Faux Semblant, Jean de Meun met en scène la montée trompeuse qui les sépare. Le personnage de Faux Semblant se trouve ainsi encadré par la propre ruse de lAmi et de la Vieille. Cette répartition égale de lhypocrisie chez les hommes comme chez les femmes participe certainement de cette omniprésence de la ruse chez Jean de Meun395. Une telle mise en lumière de lhypocrisie que lAmi cherche à intégrer à léthique amoureuse ne peut laisser lAmant indifférent. Il sindigne de tels stratagèmes quil accuse dhypocrisie et même de « deablie396 ». La sphère religieuse se fait ainsi argument de dénonciation de la fausseté qui sinfiltre dans lunivers amoureux. Elle se retrouvera dans la même optique, teintée dune ironie mordante, dans le manteau de faux Frère de Faux Semblant, baron formidable du dieu Amour. Si lexpression de « faus ypocrites » de lAmant relève avant tout du vocabulaire religieux, ce nest pas sa première utilisation dans la sphère amoureuse397. Ce mouvement de contamination est intéressant : « Lemprunt de ce mot savant nous montre bien que les auteurs courtois avaient conscience de la parenté entre leurs problèmes damour et les problèmes religieux398 ». La volonté de mêler les champs religieux et amoureux pour porter la dénonciation de lhypocrisie se marque donc dans les récriminations de lAmant, avant même que leur fusion chez Faux Semblant ne lui semble si efficace et bénéfique. Ce ne sont cependant pas les fausses larmes ou les autres conseils de fausseté manifestée à Jalousie, à la Vieille ou même à Malebouche qui choquent lAmant, mais le fait quil « ennore et serve » le losengier, « ceste gent qui est fausse et serve399 ». LAmant insiste sur ce double défaut, par loxymore « faus voirement400 », en annonce de la 317justification quoffrira lAmi. LAmant met néanmoins le doigt sur le nœud du problème : un service de « trahistres » quil ne rendrait que pour « decevoir401 ». Il ne peut se résoudre à une telle entorse au code amoureux et à son investissement émotionnel indispensable. Laccusation de trahistres sera réactivée chez Faux Semblant402, comme pour assurer la continuité entre ces figures trompeuses auxquelles lAmant finit par se greffer. Tout comme Faux Semblant, lAmi justifie donc cette hypocrisie par celle de Malebouche :

« Mais male bouche est trop couverz :

Il nest pas anemis ouverz

Car quant il het homme ou fame,

Par darrier les blasme et diffame.

Traÿstres est, dieus le honnisse !

Si est drois que len le traÿsse.

Domme traÿstre jen di “fi !”

Puis quil na foi, point ne mi fi ;

Il het les genz ou cuer dedenz

Et leur rist de bouche et de denz :

Onques tels hom ne mabeli.

De moi se gart, et je de li.

Droiz est, qui a traÿr samort,

Quil ait par traÿson sa mort

Se len ne sen puet autrement

Vangier plus honorablement403. »

Il reprend laccusation de trahistres de lAmant pour lappliquer à Malebouche et légitimer sa propre trahison à son égard. La répétition du champ lexical de la trahison atteste la transition de celle du losengier à celle de lAmi. La haine que le losengier éprouve lui aussi se veut plus condamnable encore que celle quil suscite chez les amants. Malebouche ne cherche en effet pas tant à la dissimuler, comme lAmi le recommande à lAmant dans cette optique de garde toute relative, quà en camoufler les effets plus vils encore que sont les blâmes et la diffamation qui sen inspirent. Le jeu émotionnel impliqué est bien souligné : on retrouve lopposition habituelle entre cœur et apparence et entre dedans et dehors, redoublée comme pour mieux la mettre en 318exergue. Le contraste se marque entre la haine logée dans son cœur, au dedens, et les rires quil affiche. La concentration sur les indices physiques dune émotion joyeuse qui nest pas nommée, a fortiori sur des indices tels que les dents – au-delà de lallusion à la bouche que lon sait male chez ce personnage – témoigne de la logique dépréciative. On constate en outre labsence de toute émotion positive dans la manipulation à laquelle Malebouche sefforce. On ne peut noter que labsence de la joie seulement manifestée par les rires et surtout celle de la foi qui vient encore renforcer la condamnation. Tout comme dans sa première incitation à la garde à lencontre de Malebouche, lAmi insiste sur la dynamique protectrice dune telle trahison, mais surtout sur son bienfondé. LAmi le répète deux fois sur ce passage conclusif de ses conseils de ruse à légard du losengier : cela est bien droit. La deuxième occurrence se veut plus ferme encore, dans cette optique justicière que Faux Semblant amènera encore à un degré supérieur : ce droit dicte la mort méritée par Malebouche. On perçoit leffet dannonce du sort réservé au losengier. La loi du talion est dailleurs déjà instillée ici. Avant quelle ne se voie appliquée dans la double exécution de Malebouche étranglé et à la langue coupée, elle se lit dans cette sentence, menée par trahison, pour punir sa propre trahison. Le lien tissé avec Faux Semblant laisse peu de doute à ce stade du discours de lAmi. Tous deux visent la défaite du losengier, avec plus defficacité encore de la part du faux moine qui accomplit finalement la sentence de lAmi. Il annonce dailleurs déjà dans ce sens sa mort, obligatoire si aucune autre vengeance ne savère possible. Cela sera plus encore le cas avec Faux Semblant, mais ces propos suffisent à convaincre lAmant dabandonner ses scrupules. Il doit se résoudre à la nécessité de sopposer au vil losengier, quels que soient les moyens déployés pour y parvenir. Son accord révèle la subversion du code amoureux qui se verra confirmée par lintégration de Faux Semblant parmi les rangs dAmour404. La leçon de lAmi anticipe ainsi celle de Faux Semblant dans la mise en lumière éclatante quils proposent de lutilité et de lomniprésence de la fausseté émotionnelle dans léthique amoureuse.

On constate limportance accordée aux jeux des émotions dans ces stratégies déployées pour faire face aux propres ruses des médisants405. Ils 319sinfiltrent tant et si bien dans lunivers de la finamor quils conditionnent les réactions de Bel Accueil lui-même. Face à « la pute vieille redotee », il « trestout son pensé li nia », sans savoir « sel dist voir ou ment406 ». Par manque de confiance en elle et par suspicion de sa propre ruse, il préfère lui dissimuler « ses cuers » et la peur qui y est logée, et même les tremblements quelle lui suscite407. Plus que de nen « monstrer semblant », il sefforce de faire « bele chiere408 ». Cest donc un double jeu que Bel Accueil met sur pied pour sassurer de la discrétion de son émotion et ainsi se « garder [] de mesprison » par sa « paour de traîson409 ». La garde dont il relève se veut détournée. Bel Accueil nagit pas ainsi par souci de bienséance, mais par celui de ne pas se voir trompé. La peur de la Vieille se justifie dans la rime qui la dépeint à la fois comme « redoutée » et comme la « pute vieille redotee » quelle est410. La manipulation émotionnelle de Bel Accueil se légitime donc en regard de celle dont il craint être lui-même la victime de la part de la Vieille, selon lenseignement quoffrait lAmi à lAmant. Cette transposition dans le camp de la dame anticipe la propre leçon que la Vieille délivre à Bel Accueil. Elle se veut tout aussi explicite que lAmi quant à limportance de la ruse dans la sphère amoureuse. Ce passage témoigne de limportance gagnée par ladage « mieux vaut décevoir quêtre déçu », dès lors personnifié par Faux Semblant. Il se voit ainsi intériorisé de manière remarquable chez Bel Accueil, figure de la dame, en démonstration de linfluence exercée par le faux moine sur lensemble du système de la finamor.

Le discours de la Vieille offre un contrepoint parfait à la fois à celui de lAmi, comme incitation aux manipulations émotionnelles dans la relation amoureuse, et à celui de Faux Semblant, dont elle rejoue la scène 320daveu dans une ample présentation de ses déboires et des enseignements quelle en a tirés. Elle scelle cette association trompeuse fondée sur la nécessité de tromper pour ne pas lêtre. Elle met ainsi en exergue la ruse des amants pour justifier la sienne à leur égard. La dénonciation de la Vieille porte le spectre des figures de lAmi et surtout de Faux Semblant. Les hypocrites sont décrits « bouler »et « tricher », conformément aux appels de lAmi à ruser face à la Vieille411. Ils sont surtout qualifiés de « ribaut », comme en écho à la propre fonction de Faux Semblant412. La Vieille réactive ainsi la polysémie de cette étiquette et indique par-là la tradition trompeuse dans laquelle elle sinscrit. Lentremêlement des verbes « tricher » et « ficher », à la rime, révèle la mutualisation de la tromperie, son omniprésence du côté masculin et la nécessité pour cela de ne pas « son cuer en .i. fichier413 ». Elle base donc sur ce double jeu de rimes le cœur de son argumentaire qui vise à défaire limpératif de fidélité en regard de lhypocrisie masculine. La reprise du complément direct « les » quil faut tricher, comme volontairement vague, atteste cette réciprocité de la ruse qui sinfiltre dans les relations entre hommes et femmes. Jean Batany résume : « Voilà la duplicité démasquée chez la femme et recommandée chez lhomme, dans leurs rapports mutuels414 ». Ce constat tiré de lanalyse du discours de lAmi sapplique en réalité aussi bien, en se renversant, au discours de la Vieille, qui dévoile, ou confirme, lhypocrisie masculine et prône celle des femmes. Cette prise en charge du discours féminin savère intéressante. Certes, on note linfluence ovidienne aussi bien dans les conseils de lAmi que de la Vieille, nous y reviendrons dailleurs. Les arts daimer médiévaux travaillaient à loccasion leurs personnages féminins dans cette perspective. Jean de Meun donne néanmoins à son personnage de la Vieille une autre ampleur. La portée misogyne du Roman de la Rose ne sen voit cependant pas vraiment nuancée, au contraire415. Certes, il est autant question de la ruse masculine que féminine, mais plutôt que de 321dénoircir le portrait des femmes, il sagit de dresser le tableau dune corruption généralisée de léthique de la finamor416. Le discours de la Vieille a néanmoins la particularité de se fonder sur sa propre expérience, son « sens et usage », comme pour lui conférer davantage dautorité417. Elle insiste sur le « grant damage » qui lui a conféré cet usage, dans une valorisation particulière de son expérience, qui vient pleinement justifier la nécessité de ses conseils dans lunivers amoureux courtois dominé par la ruse masculine418. Par une mise en relief de la dynamique temporelle, elle souligne limportance de cet usage qui lui a permis de renverser la tendance trompeuse. La reprise du participe passé « deceü[e] » joue de ce rapport dinversion entre lépoque où elle létait elle-même et celle où elle est devenue actrice de cette decepcion419. On retrouve les « las » dont lAmi accusait, à raison au vu de cette confession de la Vieille, les femmes de piéger les hommes420. De manière intéressante, le renversement, et ainsi lusage de la Vieille, se concentre sur sa capacité à ce quelle se « fusse aperceüe » quelle est deceüe421. On perçoit le pouvoir signifiant des apparences, celles des émotions manipulées par les prétendus amants dans ce cas. Cest en toute logique sur les apparences quelle concentre à son tour sa leçon dhypocrisie. Ses conseils laissent une large place aux jeux émotionnels à adopter pour berner les hommes :

« Si doit fame, sel nest musarde,

Faire semblant destre coarde,

De trembler, destre paoreuse,

Destre destroite et angoisseuse,

Quant son ami doit recevoir422. »

Ou encore « Puis doit la dame souspirer / Et soi par samblant aïrer423 ». La dame qui nest pas musarde doit pouvoir jouer sur une vaste palette 322émotionnelle, de la peur à simuler pour convaincre lamant du danger quelle encourt à le recevoir à la tristesse prétendue de le voir lui préférer une autre dame. Les attitudes émotionnelles se comprennent ainsi de manière tout aussi importante des côtés féminin et masculin dans cette guerre des sexes que Jean-Charles Payen discerne dans ces deux sections de lAmi et de la Vieille424. Le message qui en ressort est remarquable : pour parvenir à ses fins, ce sont sur les émotions et leurs apparences quil faut jouer pour tromper son ami.e. On peut une fois de plus noter la proximité de ces conseils avec ceux de lAmi qui incitait lui aussi à afficher tous les signes de déploration possibles425. Les parallèles induits attestent le souhait de Jean de Meun doffrir un enseignement global et symétrique des manipulations émotionnelles. Cest un véritable art daimer, ou de tromper, au féminin qui se dégage du discours de la Vieille. Quelle que soit son originalité, il embrasse toute la tradition didactique amoureuse existante. Le lien tissé avec le modèle ovidien saffirme dailleurs au moment de clore le récit du Roman de la Rose. La description des chemins que peut emprunter lAmant-pèlerin – nous tiendrons à souligner lintérêt dune telle identification – se fait loccasion dune nouvelle digression sur la ruse des vieilles femmes habiles. Avec toute lautorité que « Ovide meïsmes afferme / par sentence prouvee et ferme », la narration revient sur la ruse respectivement reprochée et recommandée par lAmi et la Vieille surtout426. Pour souligner la difficulté pour celui « qui vieille prie » (et trompe donc, par un jeu de décalage remarquable), il convient quil « si gart [] quil ne face riens ne ne die / qui ja puisse aguiet ressambler427 ». Pareille dissimulation de la ruse à servir aux vieilles rusées joue des parallèles avec les discours de la Vieille et lAmi. On retrouve la rime qui servait à la Vieille pour présenter lacquisition douloureuse de son expérience, elle qui ne sétait longtemps pas aperceüe quelle était deceüe428. Les faveles conseillées par lAmi à lAmant réapparaissent également, comme pour mieux souligner 323le lien tissé entre ces divers portraits de lhypocrisie amoureuse429. Lexpérience des vieilles, « ou jadis ont esté flastees / et seurprises et barettees », est posée en contraste avec la crédulité des « tendres puceles » qui de tels « aguiez point de ne doutent430 ». Elle se révèle en particulier dans lassociation des « baraz et guile » et de l« Evangile » quelles ne sont pas capables de différencier. Pareille naïveté ne va pas sans évoquer celle de Malebouche. La nature comparative entre vieilles et jeunes filles tend à révéler la nuance ainsi esquissée entre les capacités de perception de la Vieille et celles du pauvre médisant. Pour continuer à vanter la ruse des « dures vieilles ridees, / malicieuses et recuites », une métaphore de la chasse aux oiseaux vient révéler toute la perfidie potentielle des laz des « oiselierres » que sont les faux amants « flajoleeur », mais que, « par tans et par experience », elles sont capables de percevoir431. La nuance se construit donc entre Malebouche, comparé lui aussi à un « fols oisiaus », et la Vieille capable de percer à jour les oiselierres432. Lallusion au losengier se veut dautant plus certaine quil est question du « sophisme » qui fonde la « deception433 ». Toutes les astuces détaillées par lAmi à destination de la Vieille et de Jalousie sont ici réactivées, parfois au mot près, dans une portée presquironique. Ces recommandations témoignent dun excès explicite par laccumulation incroyable des efforts pour « souspire[r] », « sumilie[r] », « merci crie[r] », « sencline[r] et sagenouille[r] », « pleure[r] si que touz se moillent » et même « se croicefi[r]434 ». Elles révèlent ainsi, pour les dames aussi, la fausseté qui les anime. Leur défaut transparaît sans doute possible par leur inefficacité, les vieilles ne se laissant pas berner, mais aussi par leur rapprochement avec les « figure de diction » dénoncées et employées avec tant de malice par Faux Semblant435. Lensemble des instances trompeuses se rejoignent dans cette véritable synthèse des stratégies auxquelles hommes comme femmes sont présentés recourir. On ne peut manquer de constater le rapprochement entre la Vieille et Faux Semblant. Elle aussi se présente 324comme une véritable maîtresse des apparences, dont elle possède lusage et le sens. Les premiers vers de ce dernier passage sont dailleurs révélateurs de la « science » des vieilles en matière de ruse436. Linfluence du faux moine se note aussi dans les stratégies quelle prône elle-même de « la louve ressambler / quant el vait les berbiz ambler437 ». Ce jeu sur les apparences quelle recommande dafficher prend une forme des plus intéressantes en se rapprochant de ceux mis en lumière, et en pratique ensuite avec le succès que nous connaissons, par Faux Semblant438. Limage de saint Matthieu assure ainsi la continuité entre ces diverses figures dhypocrites. Les viles intentions des dames qui se prêtent à de telles manipulations laissent ce faisant peu de doute. On trouve dans la section de la Vieille beaucoup darguments similaires à ceux de Faux Semblant. Lun comme lautre fondent leur leçon sur un règne des apparences. Ils se concentrent en particulier sur lhabit, comme le remarquait Jonathan Morton pour souligner leur jeu développé autour du langage tel un voile contrastant toujours avec la vérité439. Le discours de la Vieille présente en outre un large spectre dinterprétations440. On a pu le lire dans ce sens comme lexpression de lhétérodoxie de Jean de Meun441, tout comme celui de Faux Semblant. Mais les appels se sont également multipliés pour ne pas confondre le point de vue de la Vieille avec celui de son auteur442, ce qui se retrouve également dans les analyses du personnage de Faux Semblant. Les leçons de la Vieille et de Faux Semblant se rejoignent surtout dans le cadre de cette triade trompeuse quils forment avec lAmi pour subvertir toute léthique amoureuse en portant atteinte aux lois dAmour443. Au contraire du commandement central dAmour fondé sur la fidélité, la Vieille promeut un amour libre, vanté selon limage boécienne de loiseau en cage ainsi 325détournée au profit de cette leçon licencieuse444. Plus encore, elle en détourne lessence au profit du seul plaisir. La Vieille accorde en effet une importance significative à la jouissance, quelle inclut dans la liste des attitudes émotionnelles à affecter. À labsence de plaisir de la dame, qui « ni a point de delit », doit correspondre un plaisir quelle « faindre doit445 ». Lémotion absente se voit donc annulée par celle simulée, dans une grande attention pour lensemble des « singnes » mobilisables à ce niveau446. La passivité de la dame face au plaisir sexuel se mue ainsi en une forme particulière de prise en charge par la simulation quelle en propose. Lhypocrisie dune telle attitude est mise en avant, par la répétition du verbe faindre, mais surtout par la comparaison finale de lattention réelle de la dame à une « chasteingne447 ». La Vieille ne laisse aucun doute non plus sur lobjet de son conseil : il nest pas question daffection, mais bien de seul plaisir, comme la répétition du terme delit lindique bien448. Une telle concentration sur la sphère sexuelle se voit également intégrée chez lAmant, par le biais de ce trio de maîtres que sont lAmi, Faux Semblant et la Vieille. Nous pourrions en effet généraliser à ces trois personnages le constat dAnnika Farber :

In Jean s Rose, even the characters that might typically be considered non-didactic (such as Ami and Faux Semblant) present themselves as authority figures and join the others in providing instruction for the lover-student, who, at the end of the text, poses as an instructor himself and offers his own story as an exemplary narrative449.

Bien sûr, la Vieille sadresse en réalité à Bel Accueil et non à lAmant. Mais on peut dans ce sens aussi comparer sa leçon à celle de Faux Semblant, qui dédie la sienne à Amour plutôt quà lAmant. Linfluence de ses conseils sur ce dernier simpose néanmoins avec certitude. Limportance accordée à la question du delit en constitue un parfait exemple au vu de lépisode final de la conquête de la Rose.

En inscrivant lépisode de Faux Semblant au centre des leçons livrées par lAmi et la Vieille, Jean de Meun accorde plus de poids encore à 326la mise en lumière des jeux émotionnels quil insère dans léthique amoureuse. Si lAmi faisait preuve dune sorte de progression quant à la ruse impliquée dans ses conseils, il nen va pas de même pour la Vieille qui, à la suite du discours de Faux Semblant, ne sencombre daucune demi-mesure pour prôner une forme de tromperie légitimée par celle dont elle et toutes les femmes sont elles-mêmes victimes. Linfluence exercée par Faux Semblant se lit ainsi déjà dans lépisode de la Vieille avant même quelle ne touche à lAmant. Les discours de lAmi et de la Vieille permettent en outre déclairer la portée didactique de la section consacrée à Faux Semblant. Sil noffrait aucun conseil spécifique, sa prétendue dénonciation des usages hypocrites constitue un modèle plus éclatant encore de lefficacité de telles pratiques. Celui-ci se conçoit dautant mieux encadré des recommandations des modèles que sont ces deux personnages pour lAmant et Bel Accueil. Ils appellent à une manipulation générale des signes offerts des émotions dans la relation amoureuse, de la tristesse à la haine en passant par le plaisir sexuel même. Toute une gamme de jeux émerge de leurs prescriptions rusées, des recommandations de maîtrise de la haine suscitée par Malebouche chez lAmi aux appels à feindre la jouissance chez la Vieille. La réflexion produite dans le Roman de la Rose autour des manipulations émotionnelles dépasse dailleurs le cadre de ce trio dhypocrites. Limportance accordée aux apparences dès le début du roman paraît annoncer la dénonciation de leur potentiel trompeur. Les personnages de Bel Semblant ou de Bien Celer révèlent pour leur part déjà la place essentielle de la maîtrise émotionnelle dans la conquête amoureuse. Mais la première partie de Guillaume de Lorris nimplique bien sûr aucune once rusée, si ce nest dans la condamnation des faux amants par Amour. Jean de Meun investit la place laissée aux apparences par Guillaume de Lorris et toute la tradition de la finamor avant lui pour en révéler lambiguïté. De la loi du secret à la manipulation éhontée de lémotion amoureuse, il ny a au final quun pas, incarné dans le renversement du Bel au Faux Semblant. Au fil de la narration, on obtient un véritable carré sémiotique qui oppose la dissimulation bien intentionnée à la simulation purement hypocrite :

327

Bien Celer

Faux Semblant

Positive

Négative

Dissimulation

Dissimulation démotions jugées malséantes

Dissimulation de labsence démotion

(par la simulation démotions jugées bienséantes)

Simulation

Simulation démotions

jugées bienséantes

Simulation démotions jugées malséantes, à vocation rusée

Beau Semblant

Fausses larmes de l Ami

Le critère intentionnel joue, tout comme pour lémotion elle-même450, un rôle fondamental dans lappréciation du jeu développé. Lémotion manipulée revêt aussi une grande importance, puisque le schéma varie selon que lémotion soit positive ou non, quelle fasse ainsi lobjet dune manipulation bienséante ou non. Mais le cas le plus extrême réside dans labsence démotions camouflée sous une fausse émotion. Faux Semblant vient incarner le climax du jeu mal intentionné, lui qui joue de lémotion religieuse, plus pure encore peut-être que celle damour, pour dissimuler labsence damour – ou de dévotion dailleurs aussi – qui lanime. Abstinence Contrainte faisait demblée allusion, à leur entrée à la cour dAmour, à la sécheresse du cœur de son compagnon, qui vient comme éclairer lassociation déjà soulignée chez Raison et chez lAmi entre les pseudo-finamants et les hypocrites451. Quant à labsence de dévotion de Faux Semblant, elle laisse peu de doute à lissue de sa confession au dieu Amour. Cest pourquoi lon peut analyser le personnage de Faux Semblant construit sur un renversement de celui de Bel Semblant, qui vise lapparence positive bienséante et bien intentionnée, animée du souci de réconforter lêtre aimé. Entre le symbole de la garde typiquement courtoise et de la loi du secret amoureux quest Bien Celer, cette flèche dAmour certes douloureuse, mais indispensable à la survie de lamour, et Faux Semblant, lAmi vient rythmer la progression et éclairer lensemble du système qui se bâtit entre ces deux extrêmes. Il met en scène la dissimulation mal intentionnée démotions peut-être 328plus négatives encore – si ce nest trop négatives comme dans le cas de la haine et du désir de vengeance – face à Malebouche avant doffrir un exemple éclatant de la ruse que peut receler la manipulation émotionnelle par le tableau des fausses larmes. La Vieille offre un contrepied ou, mieux encore, une confirmation de cet exposé déformé de la tradition de la finamor. En réponse à la propre hypocrisie des amants – difficilement discutable puisquelle correspond en tous points à celle prônée par lAmi juste auparavant –, la Vieille conseille aux dames dappliquer les mêmes pratiques trompeuses. Les fausses larmes de lAmi trouvent ainsi écho dans celles que la Vieille recommande de verser pour manipuler lamant. Les dissimulations convenantes sont bien éloignées de ces appels à la simulation démotions aussi peu bienséantes que la tristesse affichée grâce à du jus doignons ou le plaisir sexuel. Leur perfidie est assumée dans les deux cas par la forme de jeu quils mettent sur pied, mimant une émotion inexistante, la tristesse ou le plaisir par exemple. Le discours de la Vieille vient ainsi renforcer le constat, imposé déjà au moment de la mort de Malebouche par Faux Semblant, de la nécessité de manipuler les apparences émotionnelles dans la conquête amoureuse, des deux côtés de cette guerre des sexes. Le parallélisme indéniable des conseils de lAmi et de la Vieille induit une réflexion intéressante sur la perspective genrée de la pratique émotionnelle. Ils témoignent ainsi dune porosité des genres dans les émotions jouées dans la sphère amoureuse, trop rarement considérée452.

La réaction de lAmant joue un rôle non négligeable dans cette mise en lumière de limportance accordée à la fausseté émotionnelle. Son indignation initiale face aux conseils de lAmi signale une forme de résistance bientôt balayée par la force de persuasion, bien plus que de lAmi, de Faux Semblant. Tout comme lors de la pseudo-confession de Malebouche, Faux Semblant réussit là où lAmi – ou Abstinence 329Contrainte alors – échoue. Cest comme si la fausseté, et celle des apparences émotionnelles avant tout, avait besoin de gagner en importance pour gagner en efficacité. Faux Semblant offre ainsi une confirmation éclatante de cet adage présenté sous forme de dénonciation par Raison : mieux vaut tromper quêtre trompé. LAmi et la Vieille viennent eux-mêmes le mettre en scène en se lopposant entre gent masculine et gent féminine. Ils démontrent ce faisant lomniprésence, et ainsi le plus grand besoin encore, de cette fausseté dans la communauté amoureuse. Telle est la leçon inculquée à lAmant au gré des discours de cette triade trompeuse que forment lAmi et la Vieille avec Faux Semblant, de manière indubitable en regard de lissue du récit.

Faux Semblant au cœur de léthique amoureuse de Jean de Meun : un modèle à suivre

Si cest au dieu Amour que Faux Semblant livre son étrange confession, les impacts de la leçon dhypocrisie quelle implique se font ressentir surtout chez lAmant. Ce carré sémiotique ainsi identifié porte donc son influence, dans sa forme maximale incarnée par Faux Semblant, avant tout sur le héros et, ce faisant, sur la conclusion de la quête amoureuse. LAmant ne se contente pas des incitations de lAmi au mimétisme émotionnel face à Bel Accueil453, ni même de ses appels à feindre les larmes pour lémouvoir454. Il semble embrasser toute la fausseté promue par Faux Semblant, selon ce jeu émotionnel le plus rusé et le plus mal intentionné quil vient symboliser. On a souligné limportance du modèle que constitue Faux Semblant pour lAmant et son rôle essentiel dans la progression vers la Rose455. Faux Semblant sérige en symbole de la transition opérée par lAmant dun amour raisonnable à un amour trompeur et charnel456. Lentremêlement des leçons de la triade trom330peuse nest que plus efficace à cette lumière. Il implique en outre une répétition et ainsi une insistance sur le grand besoin du jeu émotionnel. Il est évident à la lecture de ces leçons cumulées que la trahison de Faux Semblant constitue la seule voie daccès vers la Rose457. Face à la tromperie qui sinfiltre même entre les amants, le succès de la quête amoureuse ne se conçoit quà travers un jeu de masques symbolisé par la fausse face blanche du moine458. Même lAmant reconnaît lutilité, si ce nest le grand service, quil lui rend :

« Dieus ! quel avantage me firent

Li vallet qui la deconfirent !

De Dieu et de saint Beneoit

Puissent il estre beneoit !

Ce fu faus samblant li traïstres,

Li filz barat, le faus menistres

Dame ypocrisie sa mere

Qui tant est en vertuz amere,

Et dame astinance contrainte

Qui de faus samblant est ençainte,

Preste denfanter Antecrist

– Si com je truis en livre escrit –

Cil la desconfirent sanz faille.

Si pri pour euls, vaille que vaille.

Seigneurs, qui veult traïstres estre,

De faus samblant face son mestre

Et contrainte astinance praigne :

Doubles soit et simples se faigne459 ! »

À la vue de Malebouche assassiné, lAmant ne peut contenir sa joie. Il manifeste toute sa reconnaissance à légard de ses sauveurs. Son éloge fait leffet dune absolution de la cruauté et de lhypocrisie dont ils ont fait preuve pour défaire le médisant. Cette dynamique valorisante est dautant plus marquante après la confession de tous les vices incarnés par Faux Semblant. Certes, lAmant nen était pas le destinataire, mais il paraît y faire écho lui-même pour en offrir la synthèse. On retrouve la filiation symbolique de Faux Semblant, qui paraît faire relever le meurtre de Malebouche autant de Faux Semblant et sa compagne que de 331Barat et dYpocrisie dans ce condensé du portrait dressé du faux moine. Réapparaît également son étiquette de traïstres répétée à lenvi au dieu Amour460, à tort au vu de la fiabilité démontrée par Faux Semblant dans laccomplissement de sa mission. Lappellation de vallet rappelle celle que Faux Semblant employait lui-même pour se présenter comme lenvoyé de lAntéchrist461. LAmant revient dailleurs lui-même sur la paternité révélatrice de toute la malignité du faux moine dans sa portée apocalyptique. La référence au livre joue de lautorité biblique encore invoquée pour affirmer lhypocrisie et le danger de Faux Semblant, pourtant ici mis sur un piédestal. Il évoque bien sûr aussi limplication de Faux Semblant dans la dénonciation anti-fraternaliste. La charge de menistre qui lui est associée est également intéressante. Elle pourrait faire allusion à celle de ribaus attribuée par Amour au faux moine462. Elle peut en effet qualifier à la fois ladministrateur, le directeur – un rôle quil semble en effet endosser en prenant le pas sur tous les barons dAmour pour résoudre leur problème – et le serviteur – une signification qui simposera avec le temps avec une orientation religieuse, notable au sujet de Faux Semblant463. Elle témoigne dans tous les cas dune responsabilité accordée au faux moine, au service – ambigu – dAmour. Tout le paradoxe de lintégration de Faux Semblant au sein de larmée dAmour ainsi que celui de sa posture prétendument religieuse, à son arrivée et plus encore lors de son pèlerinage macabre vers Malebouche, se voit ainsi résumé dans cette nouvelle fonction de menistre. LAmant se montre donc conscient du vice incarné par Faux Semblant au moment de le remercier. Il définit sa mère, et, avec elle, Faux Semblant lui-même, comme étant en vertu amere, une formule révélatrice de lincompatibilité de lhypocrisie personnifiée avec la vertu, avec plus de danger encore par Faux Semblant que par Ypocrisie. Ce qui ressort cependant plus encore de ce passage, cest la gratitude de lAmant pour le meurtre commis en son nom. Le verbe deconfirent apparaît deux fois, comme pour mieux souligner que la mort de Malebouche était la seule solution à lobstacle quil constituait. Avec toute lambivalence de cette scène, cette action 332suscite la joie et les bénédictions de lAmant qui en appelle à la protection de Dieu et de saint Benoît pour les deux meurtriers. La valorisation de Faux Semblant et sa compagne ne pourrait être plus grande, ni plus ambigüe bien sûr. La conclusion de son éloge révèle toute ladhésion de lAmant aux valeurs de Faux Semblant. Il le recommande en effet comme mestre. Or, nous avons vu toute limportance de ce terme dans le cadre de la querelle universitaire, mais aussi quant à la portée du faux moine dans léthique amoureuse. Sa recommandation touche aux traïstres, mais elle paraît dénoter son propre souhait de faire partie du nombre pour profiter de tels avantages. LAmant récapitule encore lattitude de Faux Semblant, selon cet état dopposition qui le caractérise entre son estre et ce quil faint. Plutôt que la couleur noire ou blanche, le vice ou la vertu, ce qui se voit ici opposé est la prétendue simplicité de Faux Semblant et sa nature double. Ce qualificatif condense lambiguïté de Faux Semblant qui insistait dans son autodéfinition sur sa pluralité464. Quant à celui de simple, il évoque une fois encore Papelardie, comme intégrée elle aussi par ce biais dans la louange de lAmant. Il joue de la menace des apparences trompeuses personnifiée par Faux Semblant, dont lAmant démontre avoir conscience au moment den vanter les mérites. Aucun doute ne subsiste quant au rôle joué par Faux Semblant et sa compagne, ni quant au vice dont ils teintent larmée dAmour et la quête de lAmant ce faisant. Jean de Meun démontre combien ces compagnons, et leur hypocrisie, savèrent nécessaires pour accomplir la conquête amoureuse465. La fausseté de Faux Semblant se voit donc une fois de plus dénoncée, mais surtout valorisée comme source dinspiration, sans objection aucune, de la part de lAmant466. Au contraire, il révèle toute limportance du faux moine et de sa leçon dhypocrisie infiltrée dans lunivers de la finamor, avec le succès remporté par son expédition. Faux Semblant vient symboliser une étape cruciale dans lacquisition nécessaire à lAmant pour progresser sur le chemin damour467.

333

Linfluence de Faux Semblant se note également dans lapplication par lAmant du plan exposé par le faux moine pour approcher Bel Accueil et la Rose. Sylvia Huot note toute limportance de cette leçon dispensée cette fois directement à lAmant468. Laide de Faux Semblant se dédouble ainsi dans ces deux temps des obstacles dressés entre lAmant et Bel Accueil. Les conseils de Faux Semblant se veulent pourtant une fois de plus explicites quant à sa nature hypocrite. Ils se fondent sur un nouvel appel à la prudence face aux apparences trompeuses469 et sur la nécessité dy recourir soi-même. Il recommande à lAmant de dissimuler son entrée en passant par le « moustier470 » une nuit sans lune471. Surtout, il prône la cueillette du bouton de la Rose « sanz deffense472 ». LAmant marque aussitôt son accord face à ce projet, décidé à « [s]e pens[er] [] com faus samblant ot pensé473 », pourtant bien éloigné de la logique de la finamor. La répétition du verbe penser pour qualifier la réflexion de Faux Semblant et celle de lAmant en est révélatrice. On sait la fin que connaît la quête de la Rose, cueillie sans scrupule par lAmant revêtu, de manière éloquente, dun habit de pèlerin. LAmant mène donc à bien sa conquête en se glissant dans les propres pas de celui qui, bien plus que lAmi, le dieu Amour ou encore Raison, se fait son maître. La question de la prise de la Rose révèle la prise de conscience de lAmant de sa propre condition déterminée par son désir, excessif et irrépressible474. Tout comme il nétait possible de vaincre Malebouche que par la ruse, la seule solution qui simpose face à cette nouvelle entorse aux codes amoureux courtois animés par la mesure, du désir avant tout autre chose peut-être475, est de recourir à laide de Faux Semblant. Les réactions de lAmant témoignent de la subversion de léthique amoureuse. Il se réjouit de la défaite de Malebouche, symbole de la médisance qui porte atteinte au système de la finamor, vaincu par 334lattitude trompeuse de Faux Semblant. La loi du secret toujours vantée pour faire face à la menace des losengiers se voit ainsi détournée au profit dun nouveau régime qui promeut lhypocrisie pour mieux y faire face et nhésite pas à recourir à toute la violence nécessaire pour ce faire. Mais la seconde atteinte aux codes de la finamor se veut bien plus ambigüe, puisquelle touche à lAmant lui-même qui, en adhérant au projet de cette cueillette abusive, avoue la force de son désir, incompatible avec la pureté et la mesure de lamour courtois. À nouveau, il ne peut que se tourner vers le faux moine, personnification de la fausseté des apparences, mais aussi de la violence et de la cruauté qui sinfiltrent dans lunivers courtois, dans une contamination générale des vices qui en étaient supposés exclus. LAmant fait ainsi de Faux Semblant son mestre à la manière des traïstres auxquels il le recommandait. Or, la première apparition de cette dénonciation de traîtrise se retrouvait dans la propre bouche dAmour qui accusait par cette étiquette les faux amants de se jouer des dames en dissociant leurs paroles de leur pensée476. LAmant sintègre ainsi parmi les séducteurs condamnés par Amour, et par la Vieille477, dans une confirmation révélatrice de lomniprésence de la ruse dans la communauté amoureuse.

Ladhésion de lAmant au modèle que lui offre Faux Semblant se marque dès lors dans toute une série de rapprochements cultivés par Jean de Meun. Le plus important dentre eux réside dans lhabit de pèlerin dont lAmant se vêt à son tour pour achever sa conquête de la Rose, « comme bons pelerins, / hastis, fervanz et enterins / de cuer comme fins amoreus478 ». Cette présentation, au moment crucial de la fin de sa quête, atteste la contamination complète de lAmant, aussi faux dans son apparence dévote que dans son amour, dans une démonstration flagrante de linfluence de son maître Faux Semblant479. Ses véritables intentions dissimulées sous son habit, lAmant ne vise plus loctroi damour, mais bien la cueillette 335brutale de la Rose. La fausseté de lAmant paraît a priori moindre que celle de Faux Semblant, qui entraîne des répercussions sur la société tout entière, en mêlant les univers religieux et amoureux notamment. Mais les allusions au contexte apocalyptique bien pris en charge par lAmant révèlent que ses propres actions prennent elles aussi une mesure plus vaste. Jean de Meun témoigne ainsi de lassociation, portée par Bernard de Clairvaux, entre hypocrisie privée et corruption publique480. Linscription de la fausseté de Faux Semblant dans la sphère religieuse prend ce faisant tout son sens, au-delà de la gravité quelle conférait à cette dénonciation. Cet habit de pèlerin dont la description détaillée rythme la progression de lAmant vers la Rose se veut significatif de son inscription dans une dynamique hypocrite et perfide. En sen revêtant à linstar de lassassin quest devenu Faux Semblant, il témoigne même de la menace dont sentoure son approche de la Rose. Le triplet dadjectifs dont lAmant se pare dénote aussi une forme dexcès révélatrice de leur ironie et de la distance prise face aux critères essentiels du véritable fins amoreus. Lironie se veut plus grande encore quand on considère les remerciements quil adresse, avant son départ, à Bel Accueil pour lui avoir donné son accord à ce quil puisse accéder à la Rose, au nom de labsence de tromperie qui lanime481. LAmant fonde sa demande sur la sincérité de son amour, quand son cœur se veut en vérité habité par le seul désir et lhypocrisie quil implique dans sa proclamation damour482. Tout comme Faux Semblant, lAmant rompt donc le rapport de transparence entre ses paroles et ses actes483. Il ne se définit dès lors plus que par les actions couvertes quil entreprend pour atteindre ses objectifs. À la manière de Faux Semblant, celles-ci visent cependant, avec une ironie délectable, le dévoilement. La fausseté de Faux Semblant à légard de Malebouche servait à faire avouer au médisant son propre vice, à lui faire porter une parole vraie, lui qui se définissait par le mensonge. Quant à la prise de la Rose que souhaite lAmant, elle peut se lire comme une ultime action de dévoilement, accomplie par ces moyens voilés484. LAmant se veut donc 336aussi hypocrite, vil et brutal que Faux Semblant et en offre un excellent relai au moment de sa disparition485. Il se voit dailleurs qualifié de sire faus par Peur, Danger et Honte, dans une formule significative du lien tissé entre le faux moine et lAmant486.

Mais plus que le vice du système du faux semblant, ce qui simpose à lissue de cette quête, cest sa nécessité. Faux Semblant vient répondre à un besoin réel pour dépasser la menace des losengiers et, davantage, pour parvenir à ses fins en amour487. Sans pourtant avoir été appelée, ni même prévue chez Guillaume de Lorris, son action savère indispensable au succès de la quête488. Là réside peut-être le cœur de la leçon délivrée par Faux Semblant, et par Jean de Meun lui-même. Le continuateur du Roman de la Rose semble animé du désir de mettre à jour une altération fondamentale de la notion damour, par lhypocrisie émotionnelle à laquelle il fait place. Le succès de lAmant est, sans doute possible, dû avant tout à Faux Semblant, à sa prise de la porte de Malebouche – et à léviction même de la menace de médisance – et à son initiative dans le projet qui mènera la conquête amoureuse à son terme. Or, lune comme lautre de ces étapes cruciales dans la progression de lAmant touchent à la manipulation des apparences émotionnelles. Plus encore, elles touchent à la plus délicate des émotions, celle de la dévotion, quelle relève de la sphère religieuse ou amoureuse. Faux Semblant mêle en effet lapparence dévote du faux moine et du prétendu pèlerin à celle de lapplication quil met à accomplir la mission dAmour. Surtout, lAmant adopte la même posture feinte de pèlerin, selon une métaphore tout à fait attendue de la progression amoureuse, mais viciée par le modèle offert à ce niveau par Faux Semblant. Mais lun comme lautre de ces pseudo-pèlerinages témoignent de lefficacité de tels jeux portés sur linvestissement émotionnel requis dans la sphère amoureuse, quel que soit leur caractère contestable. Nous pouvons encore ajouter à cette démonstration de lutilité des faux semblants les propres leçons de 337lAmi et de la Vieille qui, en se répondant, confirment lomniprésence et limpérativité plus grande encore de lhypocrisie émotionnelle. Le message est tout à la fois évident et subversif : « Ce qui simpose dans toute séduction, cest un machiavélisme avant la lettre, au nom de lefficacité489 ». Ce machiavélisme se concentre sur le vice tant critiqué de lhypocrisie. Toute la condamnation des Frères Mendiants paraît mise au service de cette révélation caractérisée par cette honnêteté paradoxale de Faux Semblant. À linstar de son personnage, Jean de Meun cherche à la fois à mettre en lumière et condamner la fausseté des apparences, religieuses comme amoureuses, mais surtout à en sous-entendre le besoin inaliénable. La leçon, de Faux Semblant comme de Jean de Meun, simpose ainsi autant quelle échappe au lecteur, qui ne peut surmonter cette ambiguïté de laccès à une vérité qui se veut entourée, si ce nest cernée, par la fausseté. La conclusion portée par Faux Semblant à son long sermon-confession à Amour en témoigne. Avec lambiguïté qui a caractérisé lensemble de ses réponses à Amour, Faux Semblant achève son discours sur la revendication de sa sincérité et de sa fausseté intrinsèque490. La condition de sa fausseté est présentée en lien avec la capacité, ou non, dAmour à « laperce[voir] ». Faux Semblant souligne le lien de cause à effet entre le manque de discernement à cet égard et le « mensonge » quil nhésite pas à mobiliser dans ce cas491. Il paraît ainsi avertir Amour de la nécessité de percer à jour la nature de son rois des ribaus et surtout de ne pas len blâmer. Plus encore, la tolérance dAmour vis-à-vis de lhypocrisie incarnée qui sinfiltre dans ses rangs devient la clause du succès de sa bataille. Cest sur cette base quAmour acceptera laventure dintégrer Faux Semblant dans son armée492. Il marque néanmoins dabord son étonnement face au serment que Faux Semblant accepte de lui livrer, contre [s]a nature493. Laccord dAmour sentoure ainsi de la lucidité requise et remplit toutes les exigences de Faux Semblant. Cest donc une véritable leçon de lecture quoffre Faux Semblant. Il révèle limportance du problème de la crédibilité, entièrement placé sous la responsabilité du récepteur. Au contraire 338dAmour qui sen montre digne, Malebouche est incapable dassumer cette responsabilité qui lui incombe. Jean de Meun met ainsi en lumière la nature ambigüe de la pratique discursive, dont il joue au gré du discours et de lintervention de Faux Semblant494. Il prouve ce faisant limportance conférée à ce personnage central de sa narration, quel que soit son caractère a priori périphérique. Faux Semblant porte la réflexion autour des faux semblants qui, dabord inscrits dans la dénonciation anti-fraternaliste, simposent comme condition sine qua non de la conquête amoureuse. Il concentre la condamnation de lhypocrisie religieuse et la mise en valeur de lhypocrisie amoureuse, selon une ambivalence qui empreint non seulement son discours, mais lensemble de celui tenu par Jean de Meun au gré des interventions de ses personnages. Surtout, il met en exergue le rôle accordé aux capacités de lecture et de discernement. Il illustre les difficultés de dépasser le niveau littéral, mais aussi limportance dy parvenir pour accéder à la connaissance et surtout à lefficacité recherchée. La défaite de Malebouche comme la fiabilité du rois des ribaus à légard dAmour le démontrent, tout autant quelles éclairent le danger et la nécessité des jeux émotionnels. Cette double leçon de Faux Semblant semble valoir pour lensemble du Roman de la Rose. Linfluence du faux moine se retrouve chez tous les personnages du roman qui jouent de cet esprit hypocrite quil personnifie et sinfiltre même dans la réflexion portée sur la démarche allégorique. Faux Semblant se trouve au cœur du Roman de la Rose à tous les niveaux investis par Jean de Meun au fil de sa rédaction. Il sintègre dans les débats de son temps pour porter la défense des maîtres de lUniversité de Paris, surtout pour mieux mettre en lumière le vice autant que limpératif des faux semblants dévotionnels. Sa sincérité toute paradoxale lui fait gagner sa place dans les rangs du dieu Amour malgré son opposition indubitable aux codes de la finamor. Il y prend une grande importance en vainquant et assassinant Malebouche. Il assied plus encore son message en sentourant de lAmi et de la Vieille et en se faisant le modèle de lAmant. Tous les niveaux de cet épisode long et dapparence tortueux se comprennent ainsi à la lumière de cette réflexion à portée herméneutique. De manière intéressante, elle joue avant tout sur les signes liés aux apparences, au-delà de ceux du langage 339détournés au gré de bon nombre de discours du Roman de la Rose495. Et au cœur de la réflexion tant religieuse, dictée par lincarnation des Ordres Mendiants par Faux Semblant, quamoureuse, logique au sein de cette allégorie de la conquête amoureuse, cest linvestissement émotionnel et lapparence qui en est offerte, dissimulée pour être mieux protégée ou jouée pour mieux manipuler ses destinataires, qui se pose. Tout en faisant mine de ne chercher en rien à sy intégrer, Faux Semblant démontre son influence sur léthique amoureuse. Son échange avec Amour en révèle toute la dynamique dialogique et problématique, son pseudo-pèlerinage et la prétendue confession de Malebouche témoigne de son efficacité et de sa vilenie, son association avec lAmi puis avec la Vieille rend compte de la portée de la contamination trompeuse quils représentent, et la place quil prend comme modèle de lAmant éclaire finalement limportance accordée à la fausseté et aux jeux émotionnels dans la conquête amoureuse. Bien loin de limpression délectron libre quil a souvent laissée, Faux Semblant revêt une importance capitale dans le récit du Roman de la Rose ainsi que dans le projet rédactionnel de Jean de Meun.

De lomniprésence des faux semblants

Le système Faux Semblant au cœur du Roman de la Rose

Nous entamions notre réflexion autour du système Faux Semblant en défendant sa position centrale au sein du Roman de la Rose. La scène de confession de Malebouche révèle limportance conférée à lexercice de lecture par la menace dont Faux Semblant linvestit. Elle permet déclairer lentremêlement subtil des dynamiques convoquées par le personnage du faux moine, du Frère Mendiant et du maître adepte du sophisme dans toute leur portée aussi dans la sphère amoureuse. Elle savère indispensable à la destruction de la porte gardée par Malebouche et à lirruption de lAmant dans le château de Jalousie puis auprès de 340la Rose. Faux Semblant incarne ainsi le souhait danalyse totale de Jean de Meun, qui nhésite pas à se prêter à une critique historiquement construite de lhypocrisie religieuse pour alimenter son entreprise de révélation de la fausseté inhérente à léthique amoureuse. Mais au-delà de son incidence dans le projet décriture de Jean de Meun, limportance de Faux Semblant se comprend à la lumière de limpulsion décisive quil offre à laction du Roman de la Rose496. Son intervention survient dans un moment de doute qui offre sa pleine mesure à lefficacité et à la nécessité du faux moine497. Le poids accordé à ce curieux personnage se marque également dans sa position véritablement centrale dans le récit498. Kevin Brownlee mettait aussi en lumière dans ce sens toute la portée de lopposition entre Amour et Faux Semblant, placée au cœur de lintrigue499. Une telle structure vient exacerber le renversement du code amoureux qui sy joue. La centralité de Faux Semblant se perçoit également dans son encadrement par les personnages de lAmi et de la Vieille, mais aussi par une autre paire contrastive formée par Raison et Génius qui rythment la réflexion de Jean de Meun500. Le spectre de Faux Semblant finit ainsi par contaminer lensemble du récit, par sa répercussion sur les autres figures du Roman, par lempreinte quil laisse sur Amour au gré de ce dialogue problématique, par le rôle quil joue en défaisant Malebouche. Cet épisode, marqué par une ironie et une cruauté déroutantes, peut se lire comme un levier de compréhension denjeux cruciaux dans la trame narrative et le projet de Jean de Meun :

Le meurtre de Male Bouche offre donc un concentré des interrogations centrales du roman sur lambivalence du faux-semblant, à la fois néfaste, dangereux et moralement condamnable, et instrument utile à lamant et à lartiste, instigateur dun plaisir lié à la transgression voire à la perversion. Le personnage double de Faux-Semblant soulève la question de lusage trouble du langage par lécrivain, lui-même falsificateur des mots501.

Cest ainsi lensemble du système Faux Semblant qui se voit mis en valeur par la centralité structurelle quil présente, par la centralité des 341questions quil pose et surtout bien sûr par son impact décisif sur la trame du récit. Son influence sur lAmant vient offrir la démonstration éclatante de la place prise par Faux Semblant dans lunivers amoureux, entièrement contaminé par son système de valeurs en dépit de sa disparition. Telle est toute lironie de Jean de Meun qui parvient à mettre en lumière lomniprésence et la fonction essentielle des faux semblants tout en en faisant disparaître le symbole.

Le sort de Faux Semblant entre disparition
et contamination générale

Avec lincertitude qui entoure lensemble de lépisode consacré à Faux Semblant, Jean de Meun choisit déliminer son personnage une fois sa mission accomplie et sa leçon délivrée. Il ne fournit pas plus dindication formelle au moment de son départ quil ne lavait fait à son arrivée, qui en paraissait presquabrupte. Sa disparition nest quant à elle constatée qua posteriori, quand Nature et Génius rejoignent larmée dAmour à lissue dune autre confession ambigüe de Nature à Génius :

Mais faus samblant ni trueve pas :

Partiz sen ert plus que le pas

Des lors que la vieille fu prise

Qui mouvri luis de la pourprise

Et tant mot fait avant aler

Ka bel acueill me lut parler.

Il ni vost onques plus atendre,

Ainz sen foï samz congié prendre502.

Le retour à la narration après la longue plainte de Nature se concentre donc aussitôt sur Faux Semblant, du moins sur labsence de Faux Semblant. Aussitôt remarquée, son absence révèle limportance quil a prise dans larmée dAmour. Son départ remonte cependant déjà à la rencontre de lAmant et de Bel Accueil, permise par le faux moine, comme le soulignait lui-même lAmant, près de cinq mille vers plus tôt. La mise sous silence du départ dun personnage aussi fracassant joue du flou qui continue à lentourer même in absentia. Elle offre surtout loccasion à lAmant de saluer une fois de plus laide salvatrice quil lui a offerte et toute lefficacité de sa mission. Les coordinateurs temporels 342mettent en lumière le souhait immédiat de Faux Semblant de quitter larmée une fois son rôle rempli. La proximité, voire lempressement, entre ces étapes est explicite. Le désir de Faux Semblant de partir sans même congié prendre illustre une dernière fois son caractère insaisissable, et dissident. Il détone parmi les barons dAmour, ne peut rester parmi eux, même une fois son utilité démontrée. Il arrive comme il est venu, auréolé du mystère que nul naura su percer, sans avoir été demandé ni demander son dû. Nature venait dailleurs doffrir un résumé de lambivalence de ce personnage, tout aussi malvenu quindispensable. Les salutations que Nature envoie à Amour et à « toute la baronnie » ne peuvent inclure le personnage de Faux Semblant, auquel elle refuse de faire preuve de cette politesse503. Le portrait quelle en dresse pour se justifier est un véritable condensé du personnage, pourtant riche et polymorphe. Elle insiste sur son association avec les « felons orgueilleus », selon un lien toujours marquant avec le premier des vices, et « les ypocrites », et sur le danger quils recèlent504. Elle revient même sur la dimension apocalyptique qui entoure les hypocrites en faisant référence à l« escripture » qui condamne de tels « seudophrophete505 ». Tout lunivers critique de lhypocrisie religieuse mobilisée par Faux Semblant se trouve ainsi réactivé, de même que sa proximité avec Abstinence Contrainte. De manière presquironique, Nature la met en exergue en reprochant à Abstinence Contrainte elle aussi « destre orgueilleuse », mais surtout « destre a faus samblant samblable », la similitude de la dissimilitude – très éloquente – étant centrée sur le samblant « humble et charitable506 ». Les émotions manipulées par Abstinence Contrainte relèvent donc une fois encore de celles, intouchables, de la dévotion la plus pure. En relevant de son seul samblant, sans aucun véritable investissement émotionnel, elles témoignent de la vilenie de ce personnage, selon ce carré sémiotique que nous avons pu identifier. Abstinence Contrainte joue ici de la plus condamnable de ces catégories, celle qui touche à la simulation démotions bienséantes, mais qui nest fondée sur aucune réalité émotionnelle et sinscrit en outre dans une optique trompeuse. Bien sûr, la condamnation 343dAbstinence Contrainte savère assez logique de la part de Nature qui prêche contre labstinence. Par transposition, cette critique peut compléter celle de Faux Semblant lui-même, bien plus concerné encore par ce jeu malintentionné des signes émotionnels. Nature insiste ainsi sur la menace que représentent de « tels traïstres prouvez » et sur la faute quelle reproche à Amour de ne pas les « bouter / hors de son ost507 ». Il est dailleurs intéressant de noter le lien de cause à effet, mis en exergue par le jeu de rimes, entre leur apparence « a redouter » et cette décision quaurait dû prendre Amour de les bouter. Il semble déjà sous-entendre quun tel raisonnement nétait pas tenable, le danger que représente Faux Semblant constituant très justement la raison de son maintien parmi les barons dAmour. La dénonciation de Nature se veut en effet aussi nuancée. Elle pose une condition à lexclusion de Faux Semblant, accusé de traïson seulement « se plus est trouvez508 ». Cela témoigne de la parfaite compréhension de la part de Nature de la confession du faux moine et de son utilité en faisant planer le même doute que celui que Faux Semblant instillait dans sa confession à Amour. Mais cela peut aussi relever dune crédulité criante à lissue de celle-ci, ou plutôt encore dune réflexion assez ironique sur la nouvelle situation de Faux Semblant, héros des barons dAmour, que lon ne pourrait, mais devrait peut-être, qualifier dans leur ensemble de traïstres provez. Cette ambivalence de perspective se trahit déjà dans le conditionnel employé pour condamner lassociation de Faux Semblant avec les felons orgueilleus509. On perçoit ainsi quà aucun moment Nature ne critique directement Faux Semblant, seulement ceux auxquels il sassemble, sans pour autant être formelle sur la question ni du côté de ces felons ni du côté dAbstinence Contrainte. La seule chose dont Nature se montre certaine réside du côté de la nécessité de ces adjuvants contestables dAmour. La décision dAmour de ne pas les bouter se marque dans une double proposition conditionnelle « sil li pleüst » et « se certainement ne seüst / quil li fussent si neccessaire / quil ne peut sanz euls rien faire510 ». On retrouve ainsi le champ lexical de la connaissance et du savoir qui restait insaisissable dans tout le discours de Faux Semblant. 344Ici au contraire, la connaissance simpose avec évidence. Lanaphore de quil révèle toute lefficacité de Faux Semblant et de sa compagne, par contraste avec Amour dont la capacité daction est directement dépendante de ses deux nouveaux barons. La logique grammaticale de ces deux vers est intéressante, au-delà de lanaphore. Elle met en exergue la passivité dAmour, respectivement objet du besoin et agent de lincapacité marquée par le verbe puet à la négative. Laction réside dans les mains seules de Faux Semblant, comme lissue de la conquête du château la dailleurs bien démontré. Nature ne se fait aucune illusion sur le caractère indispensable de Faux Semblant, quelle que soit sa volonté – relative – de le condamner. Mais plus encore, elle « pardonne » même « cest barat », qui ne peut quêtre celui de Faux Semblant au vu de son lignage, sil se met « en la cause as finsamoureus511 ». La condition, la troisième posée par Nature, paraît à coup sûr remplie : lAmant a bien remercié Faux Semblant pour laide quil lui a accordée. Le pardon de Nature constitue une absolution plus grande encore que lacceptation dAmour létait. Il témoigne de la place essentielle attribuée à Faux Semblant, indispensable à la réalisation de la quête damour et sous-entend, juste avant den constater la disparition, la pleine intégration. Nous voudrions dans ce contexte nuancer la remarque dArmand Strubel au sujet du départ de Faux Semblant, justifié par le fait que Faux Semblant a achevé sa mission, mais aussi par son caractère – certes – scandaleux et encombrant512. Il nous semble cependant important de souligner que le départ de Faux Semblant relève de sa propre volonté, bien soulignée dailleurs dans le passage cité juste auparavant. Il ne sagit là bien sûr que dun détail, mais un détail qui nous paraît éclairer la nature indécise de la disparition, comme de la dénonciation par Nature, de Faux Semblant. Il joue de la pleine intégration du faux moine au système de ce Miroer aus amoureus. Celle-ci simpose dautant plus en regard de la contamination générale quil induit sur la suite du récit513. On a noté son influence dans le Roman de la Rose au-delà de sa seule association avec lAmi et la Vieille514. Il éclaire lensemble de la 345quête, dont le discours de Raison par exemple515, tous deux menant à une remise en question du statut de finamant et de la nature de lamour. Il colore aussi celui de Nature516, comme cette condamnation en demi-teinte semble dailleurs en témoigner. Surtout, en disparaissant, Faux Semblant laisse la place à Génius, au discours fondamental lui aussi dans le projet rédactionnel de Jean de Meun517. On constate encore son influence dans le combat entre les héros de lAmant et les défenseurs de la Dame : Franchise combat avec cajolerie, Pitié nhésite pas à verser quelques larmes, Bien Celer, nous lavons vu518, recourt aux lieux cachés pour mieux tromper son adversaire519. Les armes de la tromperie sinsinuent partout, même, et surtout, chez lAmant. Faux Semblant reste ainsi présent dans le héros de la quête qui ne se dépare plus de lombre du faux moine520. Quoiquabsent, Faux Semblant savère omniprésent521, comme il lannonçait lui-même dans son exposé à Amour522.

Bien loin dêtre exclus de lintrigue, Faux Semblant y gagne encore en importance une fois son départ constaté. Sylvia Keck note dans ce sens lintérêt, finalement, de sa sortie du cadre narratif523. Cest une fois disparu quil démontre toute la portée de son intégration dans larmée dAmour. Sous ses airs de pièce rajoutée, Faux Semblant joue un rôle essentiel dans la conquête amoureuse, comme dans le projet de Jean de Meun. Il y sert de mise en garde contre les lectures simplistes, une ambition cruciale de la deuxième partie du Roman de la Rose instillée dans ce goût de lécriture oblique que cultive Jean de Meun524. La véritable leçon quil offre à ce niveau lors de sa rencontre avec Malebouche nest cependant pas la seule délivrée par Jean de Meun par le biais de Faux Semblant. Kevin Brownlee voit dans le dialogue entre Amour et Faux Semblant une autoreprésentation de lentreprise de Jean de Meun par la rencontre entre poésie courtoise et histoire quil 346véhicule525. Fabienne Pomel insiste également dans cette perspective sur la figure paradigmatique que constitue Faux Semblant, alliant problématique sexuelle et littéraire dans une réflexion sur lutilité du faux et la voie vers le plaisir526. Faux Semblant semble concentrer tout le talent de Jean de Meun, mêlant lironie et le sens de la provocation qui laniment527. La difficulté posée par ce personnage semble sinscrire dans cette perspective, voulue par Jean de Meun pour porter son projet. Elle se trouve cependant aussi à la source dun besoin de justification de sa part : « Even Jean himself seemed to feel the need to gloss and contain Faus Semblant, offering an apology and clarification528 ». Il démontre sa parfaite conscience du trouble que jette son personnage et des critiques qui pourraient sélever à son encontre. Il simmisce pour cela au cœur de son récit pour livrer une longue défense de son œuvre, et du « chapitre » Faux Semblant en particulier529. Jean de Meun veille à anticiper les réactions de ceux qui « contre [lu]i groucent, qui se tormentent et corroucent » du discours de Faux Semblant, au nom de son « entencion530 ». On retrouve ainsi ce critère dévaluation essentiel aussi bien pour lœuvre poétique que pour lémotion et sa manipulation. Le rapprochement est dailleurs significatif de limportance conférée à la réflexion autour des jeux émotionnels et de leur perception. Jean de Meun soppose ainsi à la lecture simpliste qui pourrait être faite de ce chapitre en précisant quil ny est pas question pour lui « de parler contre houme vivant / sainte religion sivant531 ». Le dédoublement des participes présents témoigne de lessence même de la distinction faite par Faux Semblant, et Jean de Meun à son tour : il convient de suivre à proprement parler la religion en question. Il se montre dailleurs plus spécifique encore ensuite en nuançant, à la rime, la vie passée « en bonne oevre » et « quelque robe » dont on « se coevre532 ». Lhabit, dont Faux Semblant 347a révélé le peu de fiabilité, ne suffit pas. La sainte religion ne doit pas se covrir, mais au contraire souvrir de manière bien plus sincère dans les œuvres qui permettent de la manifester. Jean de Meun parvient ainsi à résumer en quatre vers seulement lenjeu véritable de ce chapitre Faux Semblant. Il ne manque néanmoins pas cette occasion de revenir sur le cœur du débat relayé par son personnage. Il dresse à cette occasion un portrait de lui-même similaire à celui du dieu Amour, présenté tirer ses flèches au tout début du Roman533. La blessure bénéfique de sa « saiete », « pour connoistre » et non « pour affoler », nest elle aussi pas sans rappeler celle de Bel Semblant, dont loignement apaisait leffet tranchant de la flèche534. Ici, loignement se décline donc en cette connaissance, posée au cœur du Miroer de Jean de Meun, concentrée ici sur les « desloiauz gens », quils « fussent seculier ou de cloistre535 ». Il justifie ainsi la longue digression de Faux Semblant autour des hypocrites, de tous bords comme il le souligne, à linstar de son personnage dans sa propre présentation536, au nom du projet presquencyclopédique de son œuvre. Il offre ce faisant un résumé dune grande efficacité de la condamnation du faux moine, mais aussi de tout ce quil incarnait. Son insistance sur lomniprésence de lhypocrisie dénoncée hors même du cloître lui permet bien sûr de se laver des soupçons des Frères Mendiants. Mais il rappelle aussi sa concentration sur le vice des apparences trompeuses. La manipulation de ces desloiaus genz est mise en exergue par leur souci de « sambler plus honestes537 ». Leur recours aux signes de « penitance » et d« astinance » est dénoncé surtout en regard de la « venimeuse entencion » qui les anime538. Jean de Meun se montre explicite quant à limportance dont il investit ce critère intentionnel, pour son œuvre comme pour la condamnation des jeux émotionnels des hypocrites. Poser comme objectif de cette mise en lumière la connaissance de leur vice et du danger quils représentent permet dailleurs de mieux associer encore ces deux entencions. Il dévoile ainsi tout lintérêt quil porte au défi herméneutique que pose la 348manipulation des semblants, de ceux qui relèvent démotions aussi intouchables comme celles de la dévotion plus encore. Il linvestit dans cette réflexion générale qui anime la soif de connaissance à laquelle vient répondre le Roman de la Rose. Il lui accorde une place centrale, en regard du danger quil y perçoit, comme il le dénonce aussi bien par le biais du discours de lAmi, de la Vieille, de Raison ou de Génius encore, mais surtout de Faux Semblant, dont la connaissance restera inaccessible. Cette apologie illustre ainsi le rôle essentiel que Jean de Meun accorde à Faux Semblant. Ce qui simpose également à la lecture de cette ample excusatio, cest toute la subtilité de la critique adressée par Faux Semblant. Les arguments de Jean de Meun lélèvent même à légal du roman tout entier. Il les défend, lun comme lautre, en ceci quils ne critiquent que ceux qui sy retrouvent539. Le lien ainsi tissé entre la leçon de Faux Semblant et celle du Roman de la Rose dans son ensemble renforce bien sûr limportance conférée à son contenu. Linsistance de Jean de Meun sur lenjeu de la connaissance quil posait au cœur du chapitre de Faux Semblant signale limportance dont il dote la recherche de la vérité dans son œuvre. Nathalie Coilly et Marie-Hélène Tesnière dépeignent dans ce sens la proximité des enjeux du discours de Faux Semblant et du Roman de la Rose dans son ensemble : « Comme le discours satirique de Faux-Semblant contre les ordres mendiants, il [Jean de Meun] appelle à rechercher la vérité au-delà de la fable et des apparences, dune certaine manière à “réformer” le monde540 ». Telle semble être la conclusion que lon peut tirer de son apologie, centrée sur une justification de sa bonne intention, au contraire de celle des hypocrites quil dénonce dans un souci presque justicier. Cette mission dont il investit Faux Semblant au-delà de celle dont linvestissait Amour éclaire toutes les difficultés posées par ce curieux personnage. Cest dans ce sens quil entrelace vérité et fausseté, selon ce paradoxe immuable qui le caractérise, et en vient à incarner toute la pratique allégorique développée dans la seconde partie du Roman de la Rose541. Il se fait symbole de lusage particulier que fait Jean de Meun de lallégorie, dès lors fondé, comme Faux Semblant, sur lalliance des 349contraires pour mieux inciter à en dépasser le sens premier542. Comme le résume Daniel Poirion, Faux Semblant se définit comme un personnage masqué, mais qui a la particularité, et lambition manifeste, de laisser passer la vérité sous son masque543. Ce quil révèle ainsi, cest la place accordée à la problématique posée par les apparences dans cet exercice herméneutique, et en particulier celles des émotions si aisément, nécessairement, mais surtout si vilement manipulées.

Faux Semblant, maître à penser les jeux des émotions

Par son masque de faux moine, Faux Semblant en vient à signaler la fausseté de lensemble des masques portés dans la sphère amoureuse. Sa confession à Amour ne reconnaît pas seulement la fausseté de son semblant, elle met en lumière que le semblant ne peut quêtre faux544. Les liens quil cultive avec la première partie du roman ne témoignent pas seulement de la contamination de lhypocrisie religieuse dans lunivers de la finamor symbolisé par le Verger de Déduit. Ils servent à répandre la leçon de Faux Semblant. Tous les conseils de convenance qui y étaient prodigués relèvent de la même illusion que celle de sa robe. Le Jardin dans son ensemble sérige en royaume des illusions545, dévoilées par le faux moine qui vient le corrompre de sa fausseté et, ce faisant, en révèle la propre fausseté. Faux Semblant se fait le porte-voix de la moralité instillée par Jean de Meun dans son œuvre :

La moralité sétablit pour Jean de Meun également sur ladéquation, l« accordance » du « fet » à lintention ou de lapparence à lidée ; sa problématique éthique est à limage de sa problématique épistémologique : comme la connaissance, la qualité et la qualification morales dépendent de ladéquation, de la « leialté », de la « justece » de lacte avec lintention et de la formalisation avec la réalité, lacte et lintention se jugeant autant que selon une référence hétéronomique, naturelle ou culturelle, selon la fidélité qui les unit : « bone amor doit de fin queur nestre » (v. 4 567) et « bon quer fet la pensee bone » (v. 11 087), sont des conditions nécessaires à la vertu mais cest le « frans voloirs » (v. 17 169) qui en établit la moralité546.

350

Mais surtout, Faux Semblant vient personnifier la rupture entre le cœur et son apparence, dans la forme la plus condamnable des jeux des émotions. À la dissimulation bienséante de Bien Celer et au réconfort de Bel Semblant, Faux Semblant oppose la simulation éhontée dune dévotion sans aucun fondement affectif, mais dune efficacité indiscutable. Mais ce faisant, il révèle aussi la part de faux de tout bel semblant qui ne reflète pas la réalité du cœur. Il ré-établit lidéal de concordance entre intérieur et extérieur pour en démontrer lampleur des détournements. Il symbolise lartifice et la trahison constante des signes. La réflexion quil induit se veut totale, fondée autant sur le voile du langage que sur celui du déguisement et des apparences, sans parler de celui, joué tout au long du roman, de lallégorie. Cest sur cette base que Susan Stakel défend limportance du personnage de Faux Semblant au cœur du Roman de la Rose : « We are unable to count on anything being what it seems, a condition incarnate in Faux Semblant and implicit in the other personifications of the Roman de la Rose. Structurally and thematically, therefore, Faux Semblant is an integral part of the Rose547 ». Faux Semblant devient le symbole dune incertitude viscérale, fondée sur la non-fiabilité des apparences qui compliquent voire rendent impossible laccès à la connaissance dun être tel que lui. Lemphase mise sur sa fausseté na en effet dégal que celle qui entoure lenjeu de la connaissance souhaitée par Amour au fil des questions posées au faux moine. La seule certitude quAmour acquiert tient à limpossibilité dobtenir la moindre réponse fiable. Ce constat touche à la nature profonde de Faux Semblant, entièrement défini par son apparence, dont il met en exergue la part forcément trompeuse. Jonathan Morton souligne toute limportance de cette démonstration faite par Faux Semblant : « Faux Semblant presents both his fictional and Jean de Meuns real audiences with a disconcerting and destabilizing uncertainty about our ability to judge someones character and personality from the outside548 ». La réflexion quil propose autour de ladage de lhabit qui fait ou ne fait pas le moine sintègre bien sûr à merveille dans une telle dynamique. Lensemble de la prétendue digression de Faux Semblant autour des Ordres Mendiants se comprend ainsi dans sa volonté de remettre en question le pouvoir accordé aux apparences. Cest aussi dans ce sens quil invite à plusieurs reprises à se concentrer 351plutôt sur les actes, jugés bien plus fiables549. En prenant la pleine mesure du message de Faux Semblant, on peut saisir tout lintérêt de sa posture de moine, de sa longue diatribe à lencontre des Ordres Mendiants, de son prétendu pèlerinage vers la porte gardée par Malebouche. Toutes ses références aux signaux dévotionnels contribuent à la mise en lumière des manipulations qui peuvent entourer une émotion aussi pure et fondamentale et qui fondent sa ruse. Cest en se jouant de cette émotion dapparence périphérique à toutes celles investies dans la quête amoureuse que Faux Semblant parvient à démontrer le tout aussi grand potentiel frauduleux de lémotion amoureuse. Son intégration dans larmée dAmour et sa contribution magistrale à la prise de la Rose, dédoublée dans sa victoire contre Malebouche et dans son conseil à lAmant, viennent confirmer cette contamination de Faux Semblant. Tout lintérêt réside bien sûr dans la confession paradoxale de Faux Semblant, à la fois avertissement et leçon de lutilité des faux semblants quil incarne. En surinvestissant ainsi tous les aspects de son intervention dans la trame du Roman de la Rose, Faux Semblant sen fait le maître à penser. Il éclaire limportance conférée par Jean de Meun à cette problématique des apparences et surtout de celles qui touchent aux émotions. Son nom résume à lui seul la leçon que souhaite offrir Jean de Meun par son biais : les semblants ne sont pas beaux, ils sont faux. Il confirme et brouille à la fois le carré sémiotique auquel Bel Semblant, Bien Celer et lAmi avaient déjà contribué à donner forme. Faux Semblant vient assurer la transition dune catégorie à lautre, de la dissimulation bienséante à la simulation mal intentionnée. Mais son nom révèle combien la frontière peut être ténue. Tout le discours de lAmi lindiquait déjà : il ny a quun pas entre les attitudes bienséantes indispensables à la séduction et la ruse à proprement parler. Faux Semblant souligne néanmoins toute la malignité dont peut se parer la manipulation émotionnelle. Il en éclaire ainsi les dynamiques essentielles et surtout la place laissée au critère intentionnel. Jean de Meun y revient encore au gré de son apologie : lintention distingue de manière formelle le jeu innocent de celui qui ne peut être que blâmé. Or, la conquête de lAmant ne se conclut pas par la séduction de la Rose, mais par sa cueillette brutale. Toute lefficacité reconnue à Faux Semblant dans la progression de 352lAmant vient se parer de la lumière pour le moins ambigüe que jette la conclusion de ses aventures. LAmant porte le coup final à léthique amoureuse, décidément mise à mal par ce jeu trompeur révélé, dénoncé et exemplifié, dans tout son éclat, par Faux Semblant. La réponse quoffre le discours de la Vieille à celui de lAmi joue de leffet de miroir que Faux Semblant mettait déjà en scène en démultipliant ses identités. Lentremêlement des jeux masculin et féminin participe de cette mise en exergue de lomniprésence de la ruse en amour, à laquelle Bel Accueil vient lui-même contribuer en se dissimulant à la Vieille. Elle sinfiltre donc dans le camp même de la Dame, et même entre deux membres de son camp, dans une belle démonstration de la tension quimplique le jeu émotionnel dans la sphère amoureuse. Bien plus que Faux Semblant posé au cœur de ce chapitre, cest lensemble des instances trompeuses du Roman de la Rose que nous avons donc souhaité interroger. Elles nous semblaient dautant plus intéressantes à intégrer à notre réflexion quelles touchent elles aussi toutes à la sphère affective bien plus quaux mensonges, pourtant essentiels dans la dénonciation du péché de langue des losengiers – bien démontré par la fin de Malebouche – et de la ruse des faux amants. LAmi comme la Vieille jouent bien davantage de leurs émotions et des apparences quils sefforcent à en manifester pour manipuler lêtre – prétendument – aimé que des fausses promesses et déclarations. Surtout, lAmant fonde lui aussi son approche de la Rose sur une attitude faussement dévote davantage que sur des proclamations de sincérité quil se garde bien de faire. Tout comme Faux Semblant, lAmant finit par refuser le mensonge et se contente de jouer des apparences dont aucun défenseur de la Rose ne pense à se prémunir. Du Bel Semblant réconfortant à lAmant faussement rassurant, mais plus encore de Papelardie exclue du Verger à Faux Semblant posé au cœur de larmée dAmour, toutes les incarnations et démonstrations de lutilité reconnue aux manipulations émotionnelles ont ainsi été passées au fil de cette analyse que nous voulions consacrer au Roman de la Rose. La dimension herméneutique du projet de Jean de Meun justifiait le chapitre quil nous paraissait falloir lui dédier. Les longs détours que nous avons pris, des origines de Faux Semblant trouvées dans la querelle anti-fraternaliste aux propres discours de ses acolytes que sont lAmi et la Vieille, en passant surtout par son influence décisive sur larmée dAmour et sur son héros, visaient à donner toute lampleur des logiques induites dans 353ce récit allégorique amoureux aux jeux sur les émotions. Ils nous semblaient nécessaires pour porter lanalyse qui suivra, qui se veut révélatrice de linfluence de ce système mis en lumière par le biais de Faux Semblant. Ce long parcours permet de donner toute sa force à la transition amorcée de la partie de Guillaume de Lorris à celle de Jean de Meun, du Bel au Faux Semblant. Si la première partie du Roman de la Rose sattachait à témoigner du danger des Images fixées sur le Mur du Verger par leur apparence, sa continuation tend plutôt à illustrer tout le danger des apparences elles-mêmes. La leçon de Faux Semblant ne pourra être ignorée, plus encore au vu de la portée de sa dénonciation. Son insistance première sur lhypocrisie religieuse démontre combien les jeux émotionnels savèrent omniprésents et dautant plus périlleux quils ne restent en rien cantonnés au Mur du Verger. Mais surtout elle sert à révéler la propre hypocrisie du code amoureux courtois, pourtant lui aussi marqué par cet idéal de mesure, mais surtout de sincérité qui empreint la sphère religieuse. En les unissant sous son manteau de faux moine, Faux Semblant rend compte de la proximité de ces deux codes émotionnels. Il porte atteinte autant à lun quà lautre, ou plutôt révèle la tendance trompeuse de lun comme de lautre. Cet entremêlement caractéristique de Faux Semblant fondera la suite de nos analyses qui, à linstar de ce chapitre, se construiront en deux temps, centrés sur la dimension amoureuse des faux semblants, puis sur la sphère religieuse à laquelle sen prend dabord Faux Semblant. Autant au niveau amoureux que religieux, les questions soulevées par Faux Semblant suscitent la réaction dauteurs qui se jettent dans la réflexion lancée par Jean de Meun autour des jeux émotionnels. Ils y formulent des réponses complexes, désactivant et réactivant lensemble du système Faux Semblant. Tout un prisme de solutions, toutes dune grande originalité, voient le jour, portées tant par les détracteurs que par les défenseurs de Jean de Meun et de son personnage. On tente ainsi dencadrer et de réorienter les dynamiques propres aux jeux émotionnels sur la base de ce carré sémiotique mis en lumière par Faux Semblant, joué, détourné, légitimé ou blâmé dans des œuvres aussi essentielles que celles dÉvrart de Conty, Guillaume de Diguleville, Antoine de la Sale ou Martin le Franc. Il restait cependant un pan essentiel de notre analyse à envisager avant de conclure ce parcours parmi les grandes logiques des jeux émotionnels mis en scène dans la littérature française médiévale. Si Faux Semblant compose avec 354les univers amoureux et religieux quil veille à rapprocher, il finit par appeler, par cette généralisation totale des jeux émotionnels quil induit dans le Roman de la Rose, à une réflexion plus globale encore. Cest chez Christine de Pizan quelle aboutit, dans une réponse dune grande complexité, révélatrice de toute la tension incarnée par le faux moine ribaus dAmour. À linstar de cette figure paradoxale, Christine de Pizan paraît superposer à sa condamnation de Jean de Meun et de ses recommandations trompeuses une forme dadhésion, du moins de reconnaissance de la nécessité des jeux émotionnels requis sur la scène non seulement amoureuse, mais aussi, de manière plus large, sociale. Tout autant quil sinscrit dans la tradition émotionologique préexistante quil a le talent de mettre sous le feu des projecteurs, Faux Semblant porte en germe lensemble de sa réception, qui se veut à la fois condamnatrice et élogieuse, à la manière de cette étrange confession quil livrait au dieu Amour quant à la place des faux semblants. Ancré dans son temps par ses références à la querelle anti-fraternaliste, il joue en même temps les précurseurs, dans cette réflexion liée aux signes émotionnels comme dans celle quil porte autour de la pratique poétique et allégorique en particulier. Le théâtre du xve siècle présente en effet des usages intéressants des masques allégoriques comme « meneurs de jeu dont la puissance repose sur un masque déceptif550 ». De telles dérives paraissent tout à fait similaires à celles portées par Faux Semblant :

La fixité allégorique nest plus quun prétexte pour une effarante complexité identitaire, qui piège les autres personnages dans leur tentative dinterprétation. Les héros maléfiques de ces pièces sont alors des manipulateurs de discours []. Ceux-ci ont pour conséquence la non-reconnaissance par les autres protagonistes dun corps désormais caractérisé non plus par la fixité, mais par le mouvement551.

Cette réflexion stimulante dEstelle Doudet témoigne dun jeu riche et complexe mené au xve siècle autour des conventions allégoriques, mais qui nest en réalité pas sans rappeler celui déjà induit par Faux Semblant. La dimension historique de la réflexion quil dédie aux Ordres Mendiants ne limite donc en rien la portée de ce personnage hors norme, tant au niveau de la leçon quil délivre que de celle dont 355Jean de Meun linvestit également. Sa plus grande contribution au débat herméneutique lancé par Jean de Meun en parallèle de celui de lUniversité de Paris touche aux signes les plus ténus et aux plus problématiques dentre eux, ceux de lémotion. Son enseignement se veut aussi paradoxal que sa propre figure, lui qui dénonce autant quil loue les jeux émotionnels quil dépeint. Il en dévoile toute la malignité, mais aussi toute lefficacité, au gré des simulations malhonnêtes quil met sur pied pour mieux dissimuler, pire que les émotions négatives camouflées par Bel Accueil ou par lAmi, labsence totale démotion positive portée dans son cœur. Il vient incarner une forme maximale de la rupture entre cœur et apparence qui, bien loin du Bel Semblant de Guillaume de Lorris, ne peut plus se dénommer que Faux Semblant, tout en savérant bien plus nécessaire encore que cette flèche aux effets déjà si ambivalents dAmour. Il porte ainsi à son apogée le jeu des émotions requis tant dans la communauté religieuse quamoureuse, et en affiche les résultats éclatants. Il révèle toute lampleur de cette problématique insoluble quest la maîtrise émotionnelle, prise entre ses impératifs de bienséance et dhonnêteté inconciliables. La garde ne peut que déborder dans la ruse, ses justifications sentourer dune part de soupçon, que les auteurs médiévaux nauront de cesse de repenser sur la base de cet héritage incontournable de Faux Semblant.

1 Nous avons parcouru, pour ce rapide exposé terminologique, les entrées dédiées au semblant dans le Trésor de la Langue française, le Dictionnaire de Godefroy, le Dictionnaire du Moyen Français et le Französisches Etymologisches Wörterbuch, versions en ligne consultées le 2 février 2017.

2 Telles sont également les conclusions des quelques études qui ont été données de ce terme ambigu. Elles soulignent tant son noyau sémantique de conformité que sa rupture potentielle. Voir P. A. Messelaar, Le vocabulaire des idées dans le Trésor de Brunet Latin, Assen, Van Gorcum, ca. 1963, p. 312 et H. Solterer, « Le bel semblant. Faux Semblant, Semblants romanesques », Médiévales, no 3/6, 1984, p. 26-36.

3 P. Zagorin, « The Historical Significance of Lying and Dissimulation », Social Research, no 63/3, 1996, p. 863-912, ici p. 867.

4 Notons que le terme de chere revêt aussi toute cette équivocité. Laurent Smagghe évoque cette ambiguïté en conclusion de son ouvrage dédié aux émotions princières. Il souligne le doute qui plane le plus souvent sur les manifestations émotionnelles. Lhistorien pose ainsi lhypothèse dune véritable construction critique, dans ce cas des effusions de joie, du fait de ces références ambigües à la chere et surtout du recours, parfois abusif, au champ lexical du paraître. Voir L. Smagghe, Les émotions du prince. Émotion et discours politique dans lespace bourguignon, Paris, Garnier, 2012, p. 404.

5 Comme le remarque Helen Solterer : H. Solterer, op. cit., p. 29. La définition donnée de lapparence dans le Dictionnaire de lhistorien insiste également sur sa place centrale au cœur du contrat social. Voir G. Bartholeyns, M. Charpy, M. Meiss-Even et I. Paresys, « Apparence », dans Dictionnaire de lhistorien, dir. C. Gauvard et J.-F. Sirinelli, Paris, Presses Universitaires de France, 2015, p. 23-24, ici p. 24.

6 H. Solterer, op. cit., p. 34.

7 G. Bartholeyns, « Le tiers terme : le vêtement et la rationalité politique du corps au Moyen Âge », Revue des Langues Romanes, noCXXII/1, 2018, p. 125-165, ici p. 140.

8 G. Bartholeyns, « Lhomme au risque du vêtement. Un indice dhumanité dans la culture occidentale », dans Adam et lastragale. Essais danthropologie et dhistoire sur les limites de lhumain, dir. G. Bartholeyns, P.-O. Dittmar, T. Golsenne et al., Paris, Éditions de la Maison des sciences de lhomme, 2009, p. 99-136, ici p. 121-122.

9 G. Bartholeyns, « Le tiers terme », op. cit., p. 149-150.

10 A. Strubel, « Engins, pièges et “deceptions” : la “ruse” de Renart en mots et en actes », dans « Deceptio ». Mystifications, tromperies, illusions de lAntiquité au xviie siècle. Actes des journées détudes organisées en 1998-1999 par lÉquipe dAccueil Moyen Âge, Renaissance, Âge Baroque MA-REN-BAR, dir. F. Dubost et F. Laurent, Montpellier, Publications de lUniversité Paul-Valéry, 2000, p. 114-141, ici p. 132.

11 Nous avons parcouru, pour ce rapide exposé terminologique, les entrées dédiées au faux dans le Trésor de la Langue française, le Dictionnaire de Godefroy, le Dictionnaire du Moyen Français, le Dictionnaire étymologique de lancien français et le Französisches Etymologisches Wörterbuch, ainsi que le Dictionnaire Latin-Français de Gaffiot, versions en ligne consultées le 4 octobre 2018.

12 M. Grodet, « “Par bel mentir”. Mensonges et vérités ambigües en amour dans les récits courtois des xiie et xiiie siècles », Perspectives médiévales, no 35, 2014, p. 1-7.

13 A.-C. Fioratto, « Simulation/Dissimulation », dans Dictionnaire raisonné de la politesse et du savoir-vivre du Moyen Âge à nos jours, dir. A. Montandon, Paris, Seuil, 1995, p. 801-845, ici p. 807.

14 Son étymologie dicte demblée cette interprétation : le latin hypocrisis, lui-même tiré du grec hérité par le biais du domaine théâtral surtout, permet denvisager la rupture entre intérieur et extérieur par lopposition reconnue avec une vraie personnalité dissimulée sous des sentiments ou des qualités inexistantes. Voir le Dictionnaire étymologique de lancien français, version en ligne consultée le 7 octobre 2018.

15 Elle apparaît ainsi dans toutes les définitions données de ce terme pour lépoque médiévale : nous renvoyons une fois de plus aux définitions parcourues dans le Französisches Etymologisches Wörterbuch, le Dictionnaire de Godefroy et celui du Moyen Français, dans leurs versions en ligne consultées le 7 octobre 2018.

16 F. Amory, « Whited Sepulchres : The Semantic History of Hypocrisy to the High Middle Ages », Recherches de Théologie Ancienne et Médiévale, no 53, 1986, p. 5-39, ici p. 37.

17 A.-C. Fioratto, op. cit., p. 808-809.

18 J. Batany, Approches du Roman de la Rose, Paris/Bruxelles/Montréal, Bordas, 1973, p. 108-109.

19 De nombreux spécialistes du Roman de la Rose ont noté la prégnance de la thématique de la trahison et du jeu mené, par le biais de Faux Semblant, sur le système du vrai et du faux, voir par exemple : F. Pomel, « Lart du Faux Semblant chez Jean de Meun ou “la langue doublée en diverses plications” », Bien dire et bien aprandre, no 23, 2005, p. 295-313, ici p. 295 et Y. Roguet, « Forme et trahison dans le Roman de la Rose », dans Félonie, trahison, reniements au Moyen Âge, Aix-en-Provence, CUERMA, 1997, p. 219-231, ici p. 219.

20 S. Stakel, False Roses. Structures of Duality and Deceit in Jean de Meuns Roman de la rose, Stanford, Anma Libri, 1991, p. 19-20.

21 Ibid., p. 29.

22 F. Pomel, op. cit., p. 295.

23 Ibid., p. 297-299.

24 Ibid., p. 295.

25 Ibid.

26 Comme le notent notamment Susan Stakel et Yves Roguet : S. Stakel, op. cit., p. 100 et Y. Roguet, op. cit., p. 221.

27 F. Pomel, op. cit., p. 299.

28 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, Madison, The University of Wisconsin Press, 1995, p. 153.

29 S. Gaunt, « Bel Accueil and the Improper Allegory of the Romance of the Rose », dans New Medieval Literatures 2, dir. R. Copeland, D. Lawton et W. Scase, Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 65-93, ici p. 89.

30 N. D. Guynn, « Authorship and sexual/allegorical violence in Jean de Meuns Roman de la Rose », Speculum, no 79/3, 2004, p. 628-659, ici p. 641.

31 J.-M. Mandosio, « La classification des sciences dans le Miroir des amoureux et lérotologie de Jean de Meun », dans Jean de Meun et la culture médiévale. Littérature, art, sciences et droit aux derniers siècles du Moyen Âge, dir. J.-P. Boudet, P. Haugeard, S. Menegaldo et F. Ploton-Nicollet, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 137-173, ici p. 146.

32 D. F. Hult, « Language and Dismemberment : Abelard, Origen, and the Romance of the Rose », dans Rethinking the Romance of the Rose. Text, image, reception, dir. K. Brownlee et S. Huot, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 101-130, ici p. 105.

33 A. Strubel, « Jean de Meun figure de laucteur dans le Roman de la Rose », dans Jean de Meun et la culture médiévale, op. cit., p. 47-60, ici p. 57 et S. Kay, The Romance of the Rose, Cambridge, Grant & Culter, 1995, p. 59.

34 D. F. Hult, op. cit., p. 110.

35 R. Dragonetti, Le mirage des sources. Lart du faux dans le roman médiéval, Paris, Seuil, 1987, p. 200.

36 D. Kelly, op. cit., p. 153.

37 S. Kay, op. cit., p. 65.

38 Ibid., p. 12.

39 D. Kelly, op. cit., p. 97.

40 E. Doudet, « Théâtre de masques : allégories et déguisements sur la scène comique française des xve et xvie siècles », Apparence(s), no 2, 2008, p. 1-13, ici p. 2.

41 C. van Dyke, The Fiction of Truth : Structures of Meaning in Narrative and Dramatic Allegory, Ithaca/Londres, Cornell University Press, 1985, p. 69-105, ici p. 84.

42 S. Kay, op. cit., p. 52.

43 A. Leupin, « Lhérésie littéraire. Paradigmes textuels dans le Roman de la Rose », dans De la Rose. Texte, image, fortune, dir. C. Bel et H. Braet, Louvain/Paris, Peeters, 2006, p. 59-80, ici p. 64-66. Notons bien sûr aussi la dissociation bien étudiée de la propre voix de Jean de Meun avec celle de lAmant. Voir S. Huot, Dreams of Lovers and Lies of Poets. Poetry, Knowledge, and Desire in the Roman de la Rose, Londres, Legenda, 2010, p. 38.

44 E. J. Richards, « Les contraires choses : Irony in Jean de Meuns Part of the Roman de la Rose and the Problem of Truth and Intelligibility in Thomas Aquinas », dans Nouvelles de la Rose : actualité et perspectives du Roman de la Rose, dir. D. M. González Doreste et M. del Pilar Mendoza-Ramos, La Laguna, Universidad, 2011, p. 383-398.

45 J.-M. Mandosio, op. cit., p. 147.

46 M.-R. Jung, « Jean de Meun et lallégorie », Cahiers de lassociation internationale des études françaises, no 28, 1976, p. 21-36, ici p. 28.

47 M.-R. Jung, « Jean de Meun et son lecteur », Romanistische Zeitschrift, noII, 1978, p. 241-245, ici p. 241.

48 Ibid., p. 243.

49 S. Keck, « Faux Semblant, Guerrier du Dieu Amour », Romanistische Zeitschrift, noII, 1978, p. 263-265, ici p. 265.

50 S. Huot, op. cit., p. 84.

51 K. Brownlee, « Reflections in the Miroër aus Amoreus. The Inscribed Reader in Jean de Meuns Roman de la Rose », dans Mimesis. From Mirror to Method, Augustine to Descartes, dir. J. D. Lyons et S. G. Nichols, Hanovre/Londres, University Press of New England, 1982, p. 60-70, ici p. 61.

52 Ibid.

53 Marc-René Jung analysait dans ce sens le nom de Miroer aus amoureus en écho à la réflexion de Raison sur le caractère fallacieux des miroirs. Voir M.-R. Jung, « Jean de Meun et lallégorie », op. cit., p. 28. David F. Hult met en relation lesprit de controverse de Jean de Meun avec le concept dherméneutique de la censure dA. Patterson (Comme le qualifie Sarah Kay : S. Kay, « Womens body of knowledge : epistemology and misogyny in the Romance of the Rose », dans Framing Medieval Bodies, dir. S. Kay et M. Rubin, Manchester, Manchester University Press, 1984, p. 211-235, ici p. 232), qui sert à circonscrire les œuvres cherchant à éviter toutes formes de répression, quelle soit sociale, religieuse ou politique, dans lambiguïté fonctionnelle quelles développent par le biais dune indétermination linguistique pour problématiser la relation entre lauteur et le lecteur. Voir D. F. Hult, « Words and deeds : Jean de Meuns Romance of the Rose », New Literary History, no 28, 1997, p. 345-366, ici p. 350.

54 M.-R. Jung, « Jean de Meun et lallégorie », op. cit., p. 28. Jean de Meun intègre ainsi le jeu développé autour de la relation entre professeur et élève, sous linfluence des réflexions menées à ce sujet par Alain de Lille ou Boèce. Voir S. Kay, « Womens body of knowledge », op. cit., p. 212. Le lien que Jean de Meun entretient avec Boèce permet dailleurs déclairer divers aspects de son écriture, notamment la réflexion quil propose autour de lusage des mots. Il en offre finalement une sorte de contre-exemple, lui qui laisse Raison partir et dont le héros refuse la consolation de Philosophie (selon une remarque de Jean Dufournet, citée par Earl Jeffrey Richards : E. J. Richards, op. cit., p. 394). Voir surtout à ce sujet D. Kelly, op. cit., p. 45.

55 Ibid., p. 387.

56 Elle se comprend en regard de la notion de duplex veritas qui irrigue la réflexion théologique. Apparue chez Pierre le Chantre, elle est popularisée chez Thomas dAquin qui sen sert pour distinguer la vérité selon la raison et selon la foi. Earl Jeffrey Richards insiste dans ce contexte sur linfluence, pas assez considérée, du grand théologien sur la pensée de Jean de Meun. Il signale les échos au débat porté par Thomas dAquin dans son sermon Attendite a falsis prophetis de lannée 1260 dans lequel il revient sur cette opposition entre les deux vérités. Il note également dans ce cadre le goût pour les structures contrastées et lironie qui viendront également caractériser la deuxième partie du Roman de la Rose. Voir E. J. Richards, op. cit., p. 394.

57 Ibid., p. 145.

58 K. Brownlee, op. cit., p. 60 ; J.-M. Mandosio, op. cit., p. 147.

59 Lanalogie est dAlexandre Leupin : A. Leupin, op. cit., p. 64.

60 J.-M. Mandosio, op. cit., p. 146.

61 C. Nouvet, « Les inter-dictions courtoises : le jeu des deux bouches », Romanic Review, no 76, 1985, p. 233-250, ici p. 233.

62 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel », op. cit., p. 109.

63 S. Kay, The Romance of the Rose, op. cit., p. 29. Kevin Brownlee insiste également sur la problématisation de la pratique allégorique que révèle Faux Semblant. Voir K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant : Language, History, and Truth in the Roman de la Rose », dans The New Medievalism, dir. M. S. Bronwlee, K. Brownlee et S. G. Nichols, Baltimore/Londres, The John Hopkins University Press, 1991, p. 253-271, ici p. 254.

64 Voir Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. et trad. A. Strubel, Paris, Le Livre de Poche, 1992, v. 407-417, cité p. 257, et v. 11 069-11 086, cité p. 263.

65 J. Batany, op. cit., p. 120.

66 Voir Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 527-11 528, cité p. 254.

67 Comme le souligne par exemple Gil Bartholeyns : G. Bartholeyns, « Le tiers terme », op. cit., p. 149.

68 Cest en particulier le cas de Kevin Brownlee, comme nous lavons déjà évoqué, ou de David F. Hult par exemple : D. F. Hult, « Words and deeds », op. cit. p. 353.

69 S. Stakel, op. cit., p. 48.

70 P. F. Dembowski, « Le Faux Semblant et la problématique des masques et des déguisements », dans Masques et déguisements dans la littérature médiévale, dir. M.-L. Ollier, Paris/Montréal, Vrin / Presses Universitaires de Montréal, 1988, p. 43-53, ici p. 43.

71 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 466-10 470.

72 Ibid.

73 Ibid., v. 10 471-10 478.

74 S. Stakel, op. cit., p. 72.

75 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 479-10 480.

76 Ibid., v. 10 481-10 483.

77 Ibid., v. 1-2.

78 Ibid., v. 10 488.

79 Ibid., v. 10 487.

80 Ibid., v. 10 497.

81 Ibid., v. 10 495.

82 Ibid., v. 11 901-11 904.

83 Ibid., v. 11 909-11 910.

84 J. Morton, The Roman de la Rose in its Philosophical Context. Art, Nature, and Ethics, Oxford, Oxford University Press, 2018, p. 28.

85 P. L. Allen, « Male/Female/Both/Neither », Medieval feminist newsletter, no 14, 1992, p. 12-16, ici p. 13.

86 Nous le verrons en particulier dans la tirade dautodéfinition quil propose en se rapprochant aussi bien de protagonistes masculins que féminins : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 191-11 218, cité p. 246.

87 V. Greene, Logical fictions in medieval Literature and Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 118.

88 L. de Looze, Pseudo-autobiography in the 14th Century. Juan Ruiz, Guillaume de Machaut, Jean Froissart, and Geoffroy Chaucer, Gainesville, University Press of Florida, 1997, p. 43.

89 S.-G. Heller, « Anxiety, hierarchy and appearance in thirteenth century sumptuary laws and the Roman de la Rose », French Historical Studies, no 27, 2004, p. 311-348, ici p. 328.

90 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 183-11 185.

91 Ibid., v. 11 187.

92 Révélée par la rime « Nentrai ou fuisse conneüz / Tant i fusse oïz ne veü » à lissue de cette présentation. Ibid., v. 11 198-11 190.

93 Ibid., v. 10 956-10 966.

94 I. Wei, Intellectual Culture in medieval Paris, theologians and the university c. 1100-1300, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 364.

95 C. van Dyke, op. cit., p. 92.

96 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 173-11 182.

97 « The most terrifying aspect of Faus Semblants confession is that he is lucid in his evil ». B. L. Callay, « Jean de Meuns Romance of the Rose and the polemic on the theological method : a key to meaning ? », dans De la Rose, op. cit., p. 21-40, ici p. 38.

98 D. Kelly, op. cit., p. 65.

99 K. Brownlee, « Machauts Motet 15 and the Roman de la Rose : the literary context of “Amours qui a le pouoir / Faus Samblan ma deceu / Vidi Dominum” », Early Music History, no 10, 1991, p. 1-14, ici p. 6.

100 L. de Looze, op. cit., p. 15.

101 V. Greene, op. cit., p. 119.

102 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel », op. cit., p. 115.

103 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 175.

104 S.-G. Heller, op. cit., p. 333.

105 V. Greene, op. cit., p. 122.

106 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 191-11 218.

107 Kevin Brownlee met en exergue limportance du jeu développé autour de la multitude des postures de Faux Semblant, tout à la fois Frère hypocrite, exégète biblique, critique social, prophète radical. Voir K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 264 et p. 256, mais aussi K. Brownlee, « Machauts Motet 15 and the Roman de la Rose », op. cit., p. 11.

108 A. Strubel, La Rose, Renart et le Graal. La littérature allégorique en France au xiiie siècle, Genève/Paris, Slatkine, 1989, p. 84.

109 K. Brownlee, « Machauts Motet 15 and the Roman de la Rose », op. cit., p. 6-7 et p. 9.

110 L. de Looze, op. cit., p. 37.

111 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 137.

112 Dictionnaire de Godefroy, version en ligne consultée le 4 septembre 2020.

113 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 329.

114 D. Poirion, « Jean de Meun et la querelle de lUniversité de Paris, du libelle au livre », dans Traditions polémiques. Cahiers V. L. Saulnier2, Paris, École Normale Supérieure des Jeunes Filles, 1985, p. 9-19, ici p. 16.

115 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 717.

116 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, « The Apocalyptic Age of Hypocrisy : Faux Semblant and Amant in the Roman de la Rose », Speculum, no 62/3, 1987, p. 612-644, ici p. 613.

117 Comme le rappelle Guy Geltner : G. Geltner, « Faux Semblants : Antifraternalism reconsidered in Jean de Meun and Chaucer », Studies in Philology, no 101/4, 2004, p. 357-380, ici p. 359.

118 Rutebeuf, La complainte maitre Guillaume de Saint Amour, v. 76-78, dans Œuvres complètes, éd. et trad. M. Zink, Paris, Le Livre de Poche, 1990.

119 Ibid., v. 81.

120 A. Strubel, Guillaume de Lorris, Jean de Meun, Le Roman de la Rose, Paris, Garnier, 2012, p. 21.

121 R. Dragonetti, Le gai savoir dans la rhétorique courtoise. Flamenca et Joufroi de Poitiers, Paris, Seuil, 1982, p. 37.

122 B. L. Callay, op. cit., p. 33.

123 M.-M. Dufeil, Guillaume de Saint-Amour et la polémique universitaire parisienne 1250-1259, Paris, Éditions Picard, 1972, p. 352.

124 Pour cette rapide esquisse de la querelle parisienne, nous avons pu nous appuyer, au-delà des articles cités de manière ponctuelle, sur les présentations de Michel-Marie Dufeil, de Richard Kenneth Emmerson et de Ronald B. Herzman, de Daniel Poirion, ainsi que sur celle de Christine Thouzellier : M.-M. Dufeil, op. cit. ; M.-M. Dufeil, « Un universitaire parisien réactionnaire vers 1250 : Guillaume de Saint-Amour », dans Saint-Thomas et lHistoire, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 1991, p. 445-456 ; R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit. ; D. Poirion, op. cit. ; C. Thouzellier, « La place du De Periculis de Guillaume de Saint-Amour dans les polémiques universitaires du xiiie siècle », Revue historique, no 156/1, 1927, p. 69-83.

125 C. J. Mews, op. cit., p. 128.

126 J.-C. Payen, La Rose et lutopie : révolution sexuelle et communisme nostalgique chez Jean de Meung, Paris, éditions sociales, 1976, p. 83.

127 D. Poirion, op. cit., p. 17. Brigitte L. Callay insiste également sur la nécessité daffiner lanalyse de la réception de la querelle universitaire dans lœuvre de Jean de Meun à ce niveau : B. L. Callay, op. cit., p. 36.

128 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 055-11 068.

129 Cest le point de vue défendu par Daniel Poirion : D. Poirion, op. cit., p. 18.

130 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 503-11 506.

131 Ibid., v. 11 507-11 513.

132 Ibid., v. 11 508.

133 Ibid., v. 11 520-11 523.

134 Ibid., v. 11 526-11 528.

135 Cest notamment le cas de Richard Kenneth Emmerson et Ronald B. Herzman, de Constant J. Mews, mais surtout de Guy Geltner : R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit. ; C. J. Mews, op. cit. et G. Geltner, op. cit.

136 Ibid., p. 357. Comme le souligne aussi en particulier Constant J. Mews : C. J. Mews, op. cit., p. 139.

137 G. Geltner, op. cit., p. 365.

138 W. Wetherbee, « The Literal and the Allegorical : Jean de Meun and the De planctu naturae », Mediaeval Studies, no 33/1, 1971, p. 264-291, cité par E. J. Richards, op. cit., p. 390.

139 F. Pomel, op. cit., p. 300.

140 Ibid., p. 301.

141 G. W. Fenley, « Faus-Semblant, Fauvel, and Renart le Contrefait : A study in Kinship », The Romanic Review, no XXIII, 1932, p. 323-331, ici p. 326. Nous citerons ses analyses en détails dans le chapitre dédié à la sphère religieuse p. 447-448.

142 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel », op. cit., p. 113-114.

143 Ibid., p. 114.

144 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 414.

145 S. Keck, op. cit., p. 264.

146 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 407-415.

147 Ibid., v. 409-410.

148 Ibid., v. 415-416.

149 Ibid., v. 411-412.

150 Ibid., v. 413.

151 Dictionnaire de Godefroy, version en ligne consultée le 4 février 2017.

152 Dictionnaire du Moyen Français, version en ligne consultée le 4 février 2017.

153 J. Batany, op. cit., p. 118.

154 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 418-419.

155 Ibid., v. 420-422.

156 Ibid., v. 423-426.

157 Ibid., v. 427-429. Notons par ailleurs le parallèle avec la description donnée de la figure de Tristesse qui était présentée « a duel faire ententive ».

158 Ibid., v. 430.

159 Dictionnaire de Godefroy, version en ligne consultée 5 septembre 2020.

160 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 431-433.

161 On la retrouvera dailleurs dans la description dAbstinence Contrainte : ibid., v. 12 069-12 076, cité p. 272.

162 Ibid., v. 437-440.

163 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 010-11 026.

164 Pour rappel : ibid., v. 407-417, cité p. 257.

165 Ibid., v. 11 027.

166 C. J. Mews, op. cit., p. 130.

167 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 028-11 030.

168 Ibid., v. 11 033-11 034.

169 Ibid., v. 11 035-11 036.

170 Ibid., v. 11 037-11 040.

171 Ibid., v. 11 042-11 043.

172 Ibid., v. 11 044.

173 Ibid., v. 11 045-11 046.

174 Ibid., v. 11 031.

175 Pour rappel : ibid., v. 407-417, cité p. 257.

176 Ibid., v. 11 046-11 047.

177 Ibid., v. 11 048.

178 Ibid., v. 11 051-11 052.

179 Ibid., v. 11 049-11 050.

180 Ibid., v. 11 069-11 086.

181 Pour rappel : J. Batany, op. cit., p. 120, cité p. 239.

182 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 3 de linterpolation.

183 Ibid., v. 1-2.

184 Ibid., v. 11 121-11 126.

185 P. F. Dembowski, op. cit., p. 45.

186 Ibid., p. 46.

187 C. J. Mews, op. cit., p. 131.

188 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 062, cité p. 253.

189 Lothaire de Segni, De Miseria condicionis humane, II, 39, cité par Peter Von Moos : P. von Moos, « Le vêtement identificateur. Lhabit fait-il ou ne pas-il pas le moine ? », dans Le corps et sa parure, Florence, Edizioni del Galluzzo, 2007, p. 41-60, ici p. 41-42.

190 Ibid., p. 42.

191 « Aut si idoneum crediderunt ob habitum religionis, quod induor, in habitu species est sanctitatis, non sanctitas ». Bernard de Clairvaux, Epistolae 449, dans Sancti Bernardi Opera, éd. J. Leclercq, Rome, Éditions cisterciennes, 1957-1977, t. VIII, p. 426, cité par Constant J. Mews : C. J. Mews, op. cit., p. 130.

192 F. Amory, op. cit., p. 30-31.

193 Pour rappel : ibid., p. 37, cité p. 231.

194 Aelred de Rievaulx, Compendium speculi caritatis, 6, éd. A. Hoste et C. Talbot, Turnhout, Brepols, 1971, p. 182, cité par Constant J. Mews : C. J. Mews, op. cit., p. 130.

195 T. Adams, « Faux Semblant and the Psychology of Clerical Masculinity », Exemplaria, no 23/2, 2011, p. 171-193, ici p. 179.

196 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 554-11 567.

197 Pour rappel : Aelred de Rievaulx, op. cit., cité p. 266. Le lien perceptible entre ses réflexions et celles de Jean de Meun a été mis en lumière par Damien Boquet dailleurs : D. Boquet, « Jean de Meun et Aelred de Rievaulx : une amitié textuelle », dans Les écoles de pensée du xiie siècle et la littérature romane (Oc et Oïl), dir. V. Fasseur et J.-R. Valette, Turnhout, Brepols, 2016, p. 301-311.

198 S.-G. Heller, op. cit., p. 330.

199 Ibid., p. 331.

200 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 627-11 628.

201 Ibid., v. 11 791-11 794.

202 S. Stakel, op. cit., p. 52-53.

203 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 017, cité p. 306.

204 K. Brownlee, « Machauts Motet 15 and the Roman de la Rose », op. cit., p. 8.

205 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 606-11 608.

206 Ibid., v. 11 603.

207 Ibid., v. 11 604.

208 Saint Augustin, Sermon sur la Montagne, II, xii, 41, cité par Frederic Amory : F. Amory, op. cit., p. 17.

209 J. Morton, « Wolves in human skin : questions of animal appetite in Jean de Meuns Roman de la Rose », The Modern Language Review, no 105/4, 2010, p. 976-997, ici p. 979-982.

210 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 127-11 136.

211 J. Morton, « Wolves in human skin », op. cit., p. 986.

212 Selon les modèles bibliques du livre dÉzéchiel (22:27) ou de celui de Sophonie (3:3) où son opposition au mouton prend forme, comme le rappelle Jonathan Morton : ibid., p. 978.

213 Ibid., p. 979.

214 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 717-11 726.

215 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 619.

216 Ibid., p. 621.

217 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 069-12 076.

218 Ibid., v. 12 050.

219 Ibid., v. 12 049.

220 Ibid., v. 12 052.

221 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 612.

222 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 037-12 047.

223 F. Pomel, op. cit., p. 296.

224 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 087.

225 Ibid., v. 12 088.

226 Ibid., v. 12 089-12 091.

227 Ibid., v. 12 093.

228 Pour rappel : ibid., v. 407-417, cité p. 257.

229 Ibid., v. 12 094-12 096.

230 Ibid., v. 12 092.

231 Ibid., v. 12 098.

232 Pour rappel : ibid., v. 11 055-11 068, cité p. 253.

233 Ibid., v. 12 097.

234 Ibid., v. 12 099-12 100.

235 Ibid.,, v. 12 102.

236 Ibid., v. 12 103-12 104.

237 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 942 et v. 11 988.

238 J.-C. Payen, op. cit., p. 82. Cest aussi dans ce sens que soriente lanalyse quHelen Solterer consacre à lexpression du semblant : en incarnant la fausseté des apparences, Faux Semblant ne représente pas seulement la problématique liée à la sphère religieuse, mais aussi et surtout laspect mensonger des attributs courtois. Voir H. Solterer, op. cit., p. 27.

239 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 479-10 497, cité p. 242.

240 Ibid., v. 10 723-10 728.

241 Ibid., v. 10 932.

242 Ibid., v. 10 933-10 934.

243 Ibid., v. 10 933-10 934.

244 Ibid., v. 10 934.

245 Ibid., v. 10 935 et v. 10 943.

246 Ibid., v. 10 936.

247 Ibid., v. 10 937-10 938.

248 Encore ensuite : ibid., v. 10 940.

249 Ibid., v. 10 942.

250 Comme le rappelle Douglas Kelly : D. Kelly, op. cit., p. 102-103.

251 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 944-10 946.

252 Ibid., v. 10 947-10 950.

253 Ibid., v. 10 953-10 954.

254 Ibid., v. 10 948.

255 Ibid., v. 10 953-10 954.

256 Ibid., v. 10 949.

257 P. F. Dembowski, op. cit., p. 46.

258 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 946.

259 Ibid., v. 1 871.

260 Ibid., v. 1 838.

261 Ibid., v. 1 843.

262 Pour rappel : ibid., v. 12 086-12 104, cité p. 274.

263 Ibid., v. 1 844-1 845.

264 Voir ibid., v. 7 454-7 488, cité p. 314.

265 Ibid., v. 1 844-1 845 pour le premier cas et v. 1 874-1 875 pour le second.

266 Ibid., v. 1 876-1 877.

267 Ibid., v. 1 870-1 871.

268 Ibid., v. 1 857-1 858.

269 Ibid., v. 1 868-1 869.

270 Nous nous y arrêterons plus en détails dans le chapitre prochain. Voir p. 369.

271 J. Batany, op. cit., p. 101.

272 Nous renvoyons à nos analyses présentées sur cette dimension importante de lidéal de garde.

273 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 2 270-2 271.

274 Ibid., v. 2 269-2 274.

275 Ibid., v. 2 268-2 269.

276 Ibid., v. 2 270-2 271.

277 Ibid., v. 2 267-2 268.

278 Ibid., v. 2 173-2 174.

279 Ibid., v. 2 175.

280 Ibid., v. 2 177.

281 Ibid., v. 2 177-2 178.

282 Ibid., v. 2 176.

283 Pour rappel : ibid., v. 137, cité p. 248.

284 S. Stakel, op. cit., p. 28-29.

285 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 15 491-15 502.

286 Pour rappel : ibid., v. 12 086-12 104, cité p. 274.

287 Ibid., v. 10 655.

288 Ibid., v. 38.

289 P. L. Allen, The Art of Love : Amatory Fiction from Ovid to the Romance of the Rose, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 108. Il souligne notamment que tout comme Ovide, Jean de Meun comprend le processus poétique comme une expérience amoureuse.

290 M. Gally, Lintelligence de lamour dOvide à Dante. Arts daimer et poésie au Moyen Âge, Paris, CNRS, 2005, p. 104. Roger Dragonetti distinguait dans ce sens lart daimer de la finamor, le premier appartenant à la stratégie de la parole. Voir R. Dragonetti, Le gai savoir dans la rhétorique courtoise, op. cit., p. 33.

291 D. Kelly, op. cit., p. 35.

292 A. Strubel, « Lapprentissage de la passion », dans LArt daimer au Moyen Âge, dir. M. Cazenave, D. Poirion, A. Strubel et M. Zink, Paris, Philippe Lebaud, 1997, p. 125-184, ici p. 172.

293 P. L. Allen, The Art of Love, op. cit., p. 108.

294 D. Kelly, « Amitié comme anti-amour. Au-delà du “fin amour” de Jean de Meun à Christine de Pizan », dans Anteros. Actes du colloque de Madison (Wisconsin), mars 1994, dir. U. Langer et J. Miernowski, Orléans, Paradigme, 1994, p. 75-97, ici p. 75.

295 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 37-38.

296 L. Wood, « The Art of Clerkly Love : Drouart la Vache Translates Andreas Capellanus », Medievalia et Humanistica, no 40, 2015, p. 113-149, ici p. 119-120.

297 Ibid., p. 137.

298 A. Strubel, « Lapprentissage de la passion », op. cit., p. 172.

299 H. Kleber, « La théorie thomiste du bonheur et ses rapports avec le Roman de la Rose », dans Lidée de bonheur au Moyen Âge. Actes du colloque dAmiens de mars 1984, dir. D. Buschinger, Göppingen, Kümmerle, 1990, p. 235-246, ici p. 242. Cette réflexion constitue un argument intéressant pour une meilleure considération des liens que Jean de Meun entretient avec les théories de Thomas dAquin, qui touchent ainsi autant aux enjeux émotionnels quà ceux liés à la tromperie et aux apparences.

300 Ibid., p. 240.

301 T. Adams, « Performing the medieval art of love : medieval theories of the emotions and the social logic of the Roman de la Rose of Guillaume de Lorris », Viator, no 38/2, 2007, p. 55-74, ici p. 60.

302 R. Schnell, « Lamour courtois en tant que discours courtois sur lamour (I) », Romania, no 110/437-438, 1989, p. 72-126, ici p. 112.

303 Ibid., p. 96.

304 A. Strubel, « Lapprentissage de la passion », op. cit., p. 136.

305 P. L. Allen, The Art of Love, op. cit., p. 92.

306 T. Adams, « Performing the medieval art of love », op. cit., p. 55-58.

307 M. Grodet, « “Par bel mentir” », op. cit.

308 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 35.

309 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 1 957.

310 Ibid., v. 1 958-1 959.

311 Ibid., v. 2 404-2 408.

312 Ibid., v. 2 406-2 408.

313 Ibid., v. 2 547-2 554.

314 Ibid., v. 1 031-1 033.

315 Ibid., v. 1 034-1 038.

316 Ibid., v. 1 036-1 037.

317 Pour rappel : ibid., v. 1 836-1 877, cité p. 280-281.

318 Ibid., v. 1 035-1 039.

319 Ibid., v. 1 040-1 041.

320 Ibid., v. 3 509-3 518.

321 Ibid., v. 7 387-7 395.

322 Pour rappel : ibid., v. 12 086-12 104, cité p. 274.

323 Pour rappel, une fois encore : ibid., v. 137, cité p. 248.

324 Ibid., v. 12 106.

325 Ibid., v. 12 106-12 107. Lhumilité figurait aussi au premier rang des fausses apparences de Faux Semblant, en rapport direct avec la réflexion quil porte sur la querelle anti-fraternaliste. Cette scène darrivée, essentielle dans laction de Faux Semblant, revient dailleurs sur ce débat, dans une nouvelle parenthèse critique des Jacobins. Voir ibid., v. 12 129-12 134.

326 Ibid., v. 12 108-12 128.

327 Ibid., v. 12 150.

328 Ibid., v. 12 149.

329 J.-C. Payen, op. cit., p. 104.

330 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 171 et v. 12 175.

331 Ibid., v. 12 183-12 187.

332 Ibid., v. 12 191-12 193.

333 Ibid., v. 12 195-12 211.

334 Ibid., v. 12 115 et v. 12 219-12 220.

335 Ibid., v. 12 221-12 222.

336 F. Pomel, op. cit., p. 304.

337 Ibid., p. 302.

338 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 329.

339 Ibid., v. 12 331-12 339.

340 Pour rappel : ibid., v. 12 219-12 220, cité p. 293.

341 F. Pomel, op. cit., p. 302.

342 Pour rappel, nous insistions surtout sur la conclusion de sa réflexion qui soulignait la subtilité nécessaire à détecter la duplicité : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 143-12 150, cité p. 192. Cest Fabienne Pomel qui a mis en lumière le rapport entre ces deux passages : F. Pomel, op. cit., p. 302.

343 Selon lanalyse de Marc-René Jung : M.-R. Jung, « Jean de Meun et lallégorie », op. cit., p. 28-29.

344 Selon la conclusion éclairante de limportance herméneutique de cette scène de Fabienne Pomel : F. Pomel, op. cit., p. 304.

345 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 328-13 330.

346 Ibid., v. 12 340-12 342.

347 Ibid., v. 12 340.

348 Ibid., v. 12 343-12 352.

349 Ibid., v. 12 345-12 346.

350 J. Batany, op. cit., p. 108.

351 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 365-12 384.

352 Voire même de la bestialité de Faux Semblant : J. Morton, « Wolves in human skin », op. cit., p. 985.

353 F. Pomel, op. cit., p. 306.

354 Ibid.

355 S. Kay, The Romance of the Rose, op. cit., p. 30.

356 B. L. Callay, op. cit., p. 38.

357 F. Pomel, op. cit., p. 306.

358 Comme le rappelle par exemple Leslie C. Brook : L. C. Brook, « Malebouche dans le Roman de la Rose et le Champion des Dames », dans De la Rose, op. cit., p. 421-434, ici p. 427.

359 Selon un entremêlement dobjectifs poursuivis dans lépisode de Malebouche que G. Ward Fenley met en lumière : G. W. Fenley, op. cit., p. 324.

360 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 932-10 955, cité p. 278-279.

361 T. Adams, « Faux Semblant and the Psychology of Clerical Masculinity », op. cit., p. 171.

362 S. Stakel, op. cit., p. 61.

363 Kevin Brownlee, comme nous lavons déjà évoqué, sest en particulier consacré à cette dynamique propre à lépisode Faux Semblant : K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 256.

364 S. Stakel, op. cit., p. 61.

365 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 981-11 992.

366 Pour rappel : ibid., v. 10 480, cité p. 242.

367 Nous avons souligné limportance de cette émotion révélatrice dans un article publié dans la revue Questes, no 35, 2017.

368 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 942, cité p. 279.

369 Pour rappel : ibid., v. 10 935, cité p. 278.

370 Ibid., v. 11 993-12 013.

371 Le verbe torchier propose un effet dannonce intéressant à la figure de Fauvel inspirée de cette mise en lumière pleine dironie de la fausseté.

372 Pour rappel, voir le jeu sur cette rime déjà analysée : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 554-11 567, cité p. 267.

373 Ibid., v. 12 014-12 018.

374 Ibid., p. 643, note 1.

375 Nous avons noté le parallèle avec la propre posture de Malebouche à son égard, lui aussi à genoux en la place au moment de sa confession fatale. Il paraît assurer la continuité entre laction de Faux Semblant envers le médisant et celle dAmour qui intronise son nouveau baron. Pour rappel : ibid., v. 12 366, cité p. 298 et v. 12 340, cité p. 296.

376 Pour rappel : ibid., v. 10 945, cité p. 279.

377 Pour rappel : ibid., v. 11 127-11 136, cité p. 270, et v. 11 717-11 726, cité p. 271.

378 A. Strubel, « De Faux-Semblant à Fauvel », op. cit., p. 115.

379 K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 256.

380 F. Pomel, op. cit., p. 299.

381 C. McWebb, Le Roman de la Rose de Jean de Meunet le Livre des Trois Vertus de Christine de Pizan : un palimpseste catoptrique, Londres, University of Western Ontario, 1998, p. 134.

382 Jean Batany a relevé lintérêt de cette première association entre amour et ruse : J. Batany, op. cit., p. 102.

383 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 4 387-4 398.

384 Pour rappel : ibid., v. 2 401-2 408, cité p. 287.

385 Notons que tel semble aussi être le seul objectif de la quête de lAmant, au vu de la conclusion que Jean de Meun y apporte.

386 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 335-7 356.

387 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 127.

388 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 418-7 422.

389 Pour rappel : ibid., v. 11 909-11 910, cité p. 242, et v. 11 603-11 604, cité p. 270.

390 Ibid., v. 7 454-7 488.

391 Nous avons eu loccasion de souligner cette particularité importante de la pratique dévotionnelle, en renvoyant notamment aux travaux de Piroska Nagy : Nagy, Piroska, Le Don des larmes au Moyen Âge. Un instrument spirituel en quête dinstitution (ve-xiie siècle), Paris, Albin Michel, 2000.

392 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 2 267-2 274, cité p. 282-283.

393 Pour rappel : ibid., v. 4 388, cité p. 309.

394 Pour rappel : ibid., v. 4 387-4 388, cité p. 309.

395 Sarah Kay a souligné que la séduction se fonde dans cette seconde partie du Roman sur la tromperie : S. Kay, The Romance of the Rose, op. cit., p. 52-53.

396 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 798-7 799.

397 Ibid., v. 7 798. Chrétien de Troyes lemploie par exemple dans Yvain pour qualifier lamoureux déloyal qui abandonne son amie, comme le rappelle Jean Batany : J. Batany, op. cit., p. 102.

398 Ibid.

399 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 802-7 803.

400 Ibid., v. 7 804.

401 Ibid., v. 7 806-7 807.

402 Pour rappel : ibid., v. 11 173-11 182, cité p. 245.

403 Ibid., v. 7 823-7 838.

404 McWebb, Christine, op. cit., p. 316.

405 Une double comparaison simpose ici : à lart daimer de Drouart la Vache qui incitait ainsi, dans cette perspective amoureuse teintée de ruse réactivée ici avec une telle emphase, à tromper les dames pour anticiper et parer leurs propres tromperies ; mais aussi aux exemples révélateurs de la dynamique protectrice de tels jeux émotionnels, et de la possibilité de les justifier dans ce sens, mis sur pied par Guenièvre face à Mordred et par la reine de Sicile face à Maragot. Voir Drouart La Vache, Li Livres dAmours, éd. R. Bossuat, Paris, Champion, 1926, v. 5 670-5 677, cité p. 177 ; La Mort le Roi Arthur,éd. et trad. D. F. Hult, Paris, Le Livre de Poche, 2009, § 148, l. 9-12, cité p. 204 et Floriant et Florete, éd. et trad. A. Combes et R. Trachsler, Paris, Champion, 2003, v. 451-453, cité p. 205.

406 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 565-12 581.

407 Ibid., v. 12 569-12 572.

408 Ibid., v. 12 581-12 586.

409 Ibid., v. 12 582-12 583.

410 Ibid., v. 12 580-12 581. Armand Strubel note dailleurs dans son édition quil sagit là dune parfaite synthèse des caractéristiques de la Vieille. Voir ibid., p. 671, note 1.

411 Ibid., v. 13 269. Pour rappel : ibid., v. 7 335-7 356, cité p. 311, et v. 7 454-7 488, cité p. 314.

412 Ibid., v. 13 270. Pour rappel : ibid., v. 10 942, cité p. 279, et v. 11 988, cité p. 277.

413 Ibid., v. 13 271-13 272.

414 J. Batany, op. cit., p. 101.

415 Comme Christine de Pizan le dénoncera dailleurs quelques siècles plus tard. Nous aurons loccasion dy revenir dans notre dernier chapitre danalyse consacré à lœuvre de Christine de Pizan et au regard quelle porte, avec une influence certaine de lœuvre de Jean de Meun dailleurs, sur les manipulations émotionnelles dans la sphère amoureuse et au-delà.

416 J.-M. Mandosio, op. cit., p. 160.

417 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 829. Il peut dailleurs être intéressant, sinon ironique, de constater que Christine de Pizan usera du même procédé pour revendiquer lautorité de sa posture décrivaine. Nous reviendrons à lambiguïté de son rapport au Roman de la Rose dans le chapitre que nous lui dédierons.

418 Ibid., v. 12 830.

419 Ibid., v. 12 831 et v. 12 833.

420 Ibid., v. 12 832. Pour rappel : ibid., v. 7 454-7 488, cité p. 314.

421 Ibid., v. 12 833-12 834.

422 Ibid., v. 13 799-13 803.

423 Ibid., v. 13 827-13 828.

424 J.-C. Payen, op. cit., p. 106. Notons dailleurs encore le parallèle avec le conseil de Drouart la Vache : Drouart La Vache, op. cit., v. 5 670-5 677, cité p. 177.

425 Pour rappel, une fois encore : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 454-7 488, cité p. 314.

426 Ibid., v. 21 449-21 450.

427 Ibid., v. 21 454-21 457.

428 Pour rappel : ibid., v. 12 829-12 834, cité p. 321. Ici : « Quant plus ont esté deceües, / Plus tost se sont aperceües / Des bareteresses faveles », ibid., v. 21 465-21 466.

429 Pour rappel, une fois encore : ibid., v. 7 454-7 488, cité p. 314. Et ici, voir le vers cité ci-dessus : ibid., v. 21 466.

430 Ibid., v. 21 463-21 464 et v. 21 468-21 469.

431 Ibid., v. 21 474-21 524.

432 Ibid., v. 21 501. Comme le souligne Fabienne Pomel : F. Pomel, op. cit., p. 304.

433 Ibid., v. 21 502 et v. 21 503.

434 Ibid., v. 21 483-21 488.

435 Ibid., v. 21 505.

436 Ibid., v. 21 477.

437 Ibid., v. 13 587-13 588.

438 Ce portrait de louve nest pas sans évoquer le loup en habit de mouton auquel Faux Semblant se comparait lui-même. Pour rappel : ibid., v. 11 127-11 136, cité p. 270.

439 J. Morton, The Roman de la Rose in its Philosophical Context, op. cit., p. 127.

440 C. Wood, « La Vieille, free love, and Boethius in the Roman de la Rose », Revue de littérature comparée, no 51, 1977, p. 336-342, ici p. 336.

441 Cest le point de vue de Franz Walter Müller, cité par Chauncey Wood : ibid., p. 337.

442 Comme le souligne John V. Fleming, cité par Chauncey Wood : ibid.

443 A. Farber, Ethical Reading and the Medieval Artes Amandi : the Rise of the Didactic in Andreas Capellanus, Jean de Meun, and John Gower, thèse de doctorat, Philadelphie, Université de Pennsylvannie, 2011, p. 159.

444 C. Wood, op. cit., p. 336.

445 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 14 309-14 310.

446 Ibid., v. 14 311.

447 Ibid., v. 14 310-14 311 et v. 14 314.

448 Ibid., v. 14 309, v. 14 310, v. 14 312.

449 A. Farber, op. cit., p. 194.

450 Voir, pour rappel, le panorama consacré à lhistoire des émotions médiévales en introduction.

451 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 10 493, cité p. 242.

452 Notre analyse répond ainsi à lappel lancé par Damien Boquet et Didier Lett qui constataient, dans un article de 2018, le manque détudes consacrées à lhistoire des émotions qui envisagent la porosité des genres. Voir D. Boquet et D. Lett, « Les émotions à lépreuve du genre », Clio, no 47, 2018, p. 7-22. Notons dailleurs lintérêt à ce sujet de la responsabilité sexuelle ainsi placée du côté des femmes dans le discours de la Vieille, un point de vue quil serait, parmi de nombreux autres à intégrer dans cette perspective de genre, intéressant de développer. Les conclusions que nous avons pu tirer de la section amoureuse de la garde rejoignent également ces constats de genre que nous pouvons dresser dune analyse de la maîtrise et de la manipulation émotionnelle.

453 Selon un autre conseil de lAmi pour toucher Bel Accueil : « “De lui ensuivre vous penez : / Sil est liez, faites chiere lie, / Sil est courouciez, courroucie, / Sil rit, riez, plorez sil pleure, / Ainsi vous tenez chascune heure” ».Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 7 730-7 734.

454 Pour rappel : ibid., v. 7 454-7 488, cité p. 314.

455 Le faux moine a même été qualifié dattribut de lAmant. Voir D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 36 et p. 110. Voir aussi W. W. Ryding, « Faux Semblant : Hero or Hypocrite ? », Romanic Review, no 60/3, 1969, p. 163-167, ici p. 164 ou S.-G. Heller, op. cit., p. 329.

456 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 105.

457 F. Pomel, op. cit., p. 310.

458 W. W. Ryding, op. cit., p. 164.

459 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 14 739-14 756.

460 Pour rappel : ibid., v. 11 173-11 182, cité p. 245.

461 Pour rappel : ibid., v. 11 717, cité p. 250.

462 Pour rappel : ibid., v. 10 942, cité p. 279, et v. 11 988, cité p. 277.

463 Voir les définitions successives du Dictionnaire de Godefroy et du Dictionnaire du Moyen Français, versions en ligne consultées en ligne le 1er septembre 2020.

464 Pour rappel, par exemple : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 191-11 218, cité p. 246.

465 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 628.

466 A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », Revue des langues romanes, 2008, p. 435-461, ici p. 445.

467 Tracy Adams la perçoit comme relevant même de la prise de conscience de lAmant pour dépasser les impératifs contradictoires de la finamor. T. Adams, « Faux Semblant and the Psychology of Clerical Masculinity », op. cit., p. 173.

468 S. Huot, op. cit., p. 38.

469 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 12 500-12 504.

470 Ibid., v. 12 505.

471 Ibid., v. 12 516.

472 Ibid., v. 12 531-12 535.

473 Ibid., v. 12 537-12 543.

474 T. Adams, « Faux Semblant and the Psychology of Clerical Masculinity », op. cit., p. 182-183.

475 Comme tend à le révéler également Jean Froissart dans son Orloge amoureus. Pour rappel : Jean Froissart, Lorloge amoureus, éd. P. F. Dembowski, Genève, Droz, 1986, v. 340-346, cité p. 181.

476 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 2 401-2 408, cité p. 287.

477 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 36.

478 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 21 351-21 353. A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 456 ; R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 628.

479 Outre par le costume de pèlerin, le parallèle se trouve étayé par la reprise de la formule comme qui marquait de la même manière la distance perceptible entre les attitudes affichées et les émotions réelles des pseudo-pèlerins. Pour rappel : ibid., v. 12 037-12 047, cité p. 273, et v. 12 086-12 104, cité p. 274.

480 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 628.

481 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 21 350 et v. 21 315-21 323.

482 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 42.

483 S. Stakel, op. cit., p. 58.

484 R. Blumenfeld-Kosinski, « Overt and covert : amorous and interpretative strategies in the Roman de la Rose », Romania, no 111, 1990, p. 432-453, ici p. 448.

485 A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 437.

486 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 14 913. Selon une très juste remarque de Fabienne Pomel : F. Pomel, op. cit., p. 299.

487 F. Bouchet, « Performativité et déceptivité du langage courtois dans Le Roman du châtelain de Coucy », dans Sens, Rhétorique et Musique. Études réunies en hommage à Jacqueline Cerquiglini-Toulet, dir. S. Albert, M. Demaules, E. Doudet, S. Lefèvre, C. Lucken et A. Sultan, Paris, Champion, 2015, p. 367-379, ici p. 377.

488 S. Keck, op. cit., p. 265.

489 J.-C. Payen, op. cit., p. 41.

490 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 973-11 980.

491 Ibid., v. 11 975-11 976.

492 Pour rappel : ibid., v. 11 994, cité p. 305.

493 Pour rappel : ibid., v. 11 993, cité p. 305.

494 K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 262-263.

495 Nous pouvons bien sûr citer la seule réflexion de Raison autour du mot coilles qui atteste la volonté de penser le poids des mots et leur concordance avec la réalité quils désignent.

496 A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 436.

497 D. Poirion, op. cit., p. 15.

498 J. Morton, « Wolves in human skin », op. cit., p. 977.

499 K. Brownlee, « Machauts Motet 15 and the Roman de la Rose », op. cit., p. 5.

500 S. Keck, op. cit., p. 264.

501 F. Pomel, op. cit., p. 307-308.

502 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 19 449-19 456.

503 Ibid., v. 19 346-19 349.

504 Ibid., v. 19 350-19 352.

505 Ibid., v. 19 353-19 354.

506 Ibid., v. 19 355-19 358.

507 Ibid., v. 19 360-19 365.

508 Ibid., v. 19 359-19 360.

509 Ibid., v. 19 350.

510 Ibid., v. 19 365-19 368.

511 Ibid., v. 19 369-19 372.

512 Ibid., p. 1005, note 1.

513 Comme le souligne dailleurs également Armand Strubel : A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 456.

514 S. Stakel, Susan, op. cit., p. 66.

515 R. K. Emmerson et R. B. Herzman, op. cit., p. 631.

516 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 139.

517 D. Kelly, « Les visions du Paradis chez Jean de Meun et Alain de Lille : contraires choses ? », dans De la Rose, op. cit., p. 3-20, ici p. 9.

518 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 15 491-15 502, cité p. 284.

519 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 129.

520 A. Leupin, op. cit., p. 70.

521 D. Kelly, « Les visions du Paradis chez Jean de Meun et Alain de Lille », op. cit., p. 7.

522 Pour rappel : Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 11 901-11 910, cité p. 242.

523 S. Keck, op. cit., p. 264.

524 A. Strubel, « Pour une lecture ironique de Jean de Meun », op. cit., p. 456.

525 K. Brownlee, « The Problem of Faux Semblant », op. cit., p. 26.

526 F. Pomel, op. cit., p. 302.

527 J.-C. Payen, op. cit., p. 81-82.

528 T. L. Stinson, « Illumination and interpretation : the depiction and reception of Faux Semblantin Roman de la Rose manuscripts », Speculum, no 87/2, 2012, p. 469-498, ici p. 469.

529 Guillaume de Lorris et Jean de Meun, op. cit., v. 15 250.

530 Ibid., v. 15 247-15 248 et v. 12 256.

531 Ibid., v. 15 257-15 258.

532 Ibid., v. 15 259-15 260.

533 Ibid., v. 1 678-1 695 et, ici, ibid., v. 15 261-15 263.

534 Ibid., v. 15 263-15 265 et, pour rappel : ibid., v. 1 836-1 877, cité p. 280-281.

535 Ibid., v. 15 266-15 267.

536 Pour rappel : ibid., v. 11 011-11 012, cité p. 260.

537 Ibid., v. 15 269.

538 Ibid., v. 15 271-15 276.

539 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 26.

540 N. Coilly et M.-H. Tesnière (dir.), Lart daimer au Moyen Âge. Le Roman de la rose, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2012, p. 57.

541 D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 132.

542 F. Pomel, op. cit., p. 309.

543 D. Poirion, op. cit., p. 15.

544 Comme y fait allusion Yves Roguet en insistant sur la part traîtresse de toutes les mises en forme humaines face à la spontanéité naturelle : Y. Roguet, op. cit., p. 225.

545 Ibid., p. 225-226.

546 Ibid., p. 227.

547 S. Stakel, op. cit., p. 81.

548 J. Morton, « Wolves in human skin », op. cit., p. 977.

549 Voir en particulier : D. Kelly, Internal difference and meanings in the Roman de la Rose, op. cit., p. 10-11.

550 E. Doudet, op. cit., p. 7.

551 Ibid.