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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Le Jardin de Port-Royal. Étude des jardins et des paysages culturels
  • Pages : 7 à 11
  • Collection : Univers Port-Royal, n° 43
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406101819
  • ISBN : 978-2-406-10181-9
  • ISSN : 2491-2530
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10181-9.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 13/05/2020
  • Langue : Français
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PRÉFACE

Chaque thèse est à la fois une œuvre, au sens dun chef-dœuvre, tel laboutissement dune initiation, et fille de son temps. Celle de Sylvain Hilaire ne déroge pas à ce constat en ce temps dextrême sensibilité à la nature et aux lieux de mémoire. Ce livre, qui en est la quintessence, est le dénouement heureux dune longue aventure intellectuelle réussie grâce aux qualités quil est parvenu à mobiliser.

Le pari nétait pas gagné davance, car le projet de recherche où il sétait engagé était complexe. Il sagissait dune étude fine « dun haut lieu de mémoire, Port-Royal », exploré comme un « haut lieu de lhistoire culturelle et intellectuelle de loccident ». Ce choix subtil, entre le monde du concret et celui de limaginaire, nétait pas facilité par les études déjà réalisées au préalable et qui, pour beaucoup, étaient « engagées » soit à charge, soit à décharge, constituant ainsi une « profusion trompeuse » et livrant une « mémoire subversive » ou « idéalisée » du lieu de létude.

De plus, Sylvain Hilaire avait fait le choix dun prisme spécifique : celui des paysages et des jardins, convaincu que ces derniers pouvaient constituer des matériaux suffisants et livrer de véritables apports scientifiques. De plus pour ce travail, lauteur avait décidé, pour le succès de son entreprise, de ne pas se limiter au seul site de Port-Royal, mais de lélargir aux territoires et lieux environnants et de ne pas se restreindre à lâge dor des xviie et xviiie siècles, mais douvrir à « une périodicité étirée ». Bref, il avait mûrement fabriqué son objet détude, à la fois neuf, complexe et vaste, encombré par un amoncellement de travaux polémiques. Cest dire si la mise en place du chantier avait été délicate, difficile et longue.

Ensuite, il lui a fallu rassembler des sources manuscrites dispersées géographiquement dans des archives publiques nationales et départementales (archives du ministère des affaires étrangères, archives nationales, archives départementales de lEure et des Yvelines), dans des bibliothèques publiques (BNF, bibliothèque de lArsenal, Sainte-Geneviève, 8de la Société de Port-Royal, bibliothèques de Versailles, dAngers, de Bourges, de Troyes, de Carpentras, dAix) et même dans des fonds privés français (archives du château du Fayel, Oise), ou des fonds étrangers à la British National Library, ou aux archives dUtrecht. Il na pas omis lapport de sources imprimées foisonnantes. Il en a retenu environ 160, réparties selon une riche typologie, allant des journaux aux mémoires, en passant par « les correspondances mondaines, les traductions bibliques et patristiques, les écrits polémiques et savants ». Sa sélection a tenu compte de la multiplicité des champs disciplinaires, apportant ainsi une certaine « distance critique ».

Il lui a fallu également dominer une bibliographie abondante, internationale et complexe. Pas moins de 850 livres et articles ont été rassemblés, appartenant à des domaines aussi divers que lépistémologie, lhistoire locale ou régionale, lhistoire environnementale, lhistoire de lart et lanthropologie religieuse. Et, Sylvain Hilaire, dans cette forêt bibliographique, a porté une attention toute spéciale aux réflexions venant de létranger, spécialement du domaine anglo-saxon.

La mise en place dun tel projet de recherche complexe, difficile à fonder tant les matériaux étaient divers et dispersés, supposait la mobilisation de compétences et de qualités multiples. Ceci a été possible car Sylvain Hilaire dispose de qualités humaines bien ancrées : une curiosité et une exigence intellectuelles, fortes et insatiables, une pugnacité sans faille. Il a su y adjoindre les acquis résultant de plusieurs itinéraires personnels. Tout dabord les techniques et les méthodes dun historien de formation, ayant suivi un parcours complet à lUniversité Paris 13, Sorbonne Paris Cité (de la licence au doctorat, dans le cadre de lÉcole doctorale Erasme, laboratoire pluridisciplinaire Pléiade). Elles ont été complétées par une formation dans le cadre du DESS « Jardins historiques-Patrimoine-Paysage » de lÉcole Nationale dArchitecture de Versailles (direction Monique Mosser), puis par une formation dhistorien de lenvironnement sous la direction de Grégory Quenet (co-directeur de la thèse), du laboratoire CHCSC de lUniversité UVSQ et de lInstitut Dumbarton Oaks (Université de Harvard). Sylvain Hilaire a aussi mobilisé des compétences et des techniques développées au cours de sa vie professionnelle, dabord comme guide à Port-Royal des Champs, puis comme attaché de conservation et responsable du centre de ressources documentaires du GIP-Musée national de Port-Royal des Champs. Cet 9itinéraire professionnel lui a permis davoir une connaissance approfondie du lieu, de maîtriser les réseaux de la recherche tissés autour de Port-Royal et de dominer les éléments archivistiques et bibliographiques de létude entreprise.

Enfin, sa passion pour la philosophie et la poésie lui ont permis de manier les concepts et lépistémologie avec aisance, et daccéder au champ de la poésie et de la littérature inspirées par Port-Royal.

Ainsi donc, ce livre est laboutissement dun projet de recherche ambitieux par lobjet, le cadrage et le prisme choisis. Sa mise en œuvre a été longue et difficile, sorte de parcours labyrinthique au cœur des archives et des sources appartenant à des champs disciplinaires et périodes variés. Mais Sylvain Hilaire, par ses qualités personnelles, ses passions et ses formations initiales et continuées, est parvenu à surmonter tous les obstacles.

Il livre un ouvrage qui introduit Port-Royal des Champs dans le patrimoine matériel et immatériel universel. Mais, pour atteindre ce résultat, il lui a fallu élaborer une méthode personnelle bien affirmée dont il na pas dérogé. Parmi les principes de base quil a retenus, figure le refus de lisolement scientifique, car son travail, écrit-il, « est à notre sens une œuvre collective autant quindividuelle ». Il a aussi choisi une démarche qualitative, rejetant le quantitatif délibérément, et une approche pluridisciplinaire et universelle, considérant lhistoire comme un cap moyen à partir duquel il faut faire des incursions dans « lhistoire sociale (…) culturelle (…), environnementale ». Il se méfie dun regard trop européano-centré, voulant dépasser les catégories spécifiques de lOccident et « ses réflexes dualistes : entre intériorité et extériorité, nature et culture, individualité et collectivité ».

Il est tout aussi ferme dans lélaboration de son corpus documentaire quil cadre de façon stricte. Il fait le choix dappliquer une grille de lecture à des textes dont les auteurs appartiennent à des cercles aux opinions très diverses : les moniales, les clercs, les solitaires, les familles et les partisans, les sympathisants, les opposants et les indifférents à Port-Royal. Au passage, il fabrique un outil de prospection original : il invente une « rosace paysagère de Port-Royal » multidisciplinaire. Pour lélaborer il choisit un certain nombre de mots-clés significatifs : « jardins », « paysages », « éléments naturels ». Puis, il sélectionne dans ses sources imprimées un certain nombre douvrages numérisés 10en ligne. Avec un logiciel de traitement de textes adapté, il crée une rosace composée de sept cercles dauteurs (des moniales aux indifférents à Port-Royal) à lintérieur desquels se placent une cinquantaine dauteurs et les thèmes abordés. Cest le point de départ dun essai de modélisation de séquences mémorielles à propos de Port-Royal des Champs.

Cette rigueur méthodologique et cette créativité autorisent Sylvain Hilaire à réaliser un ouvrage réussi, solidement construit et articulé. La structure détaillée dépouille lobjet telle une « pelure doignon » selon une déclinaison en six parties qui regroupent vingt chapitres. La première partie pose la question du lieu, des sources, de la méthode et des outils, la seconde explore la stratification des paysages et des jardins avec les différentes traces de nos jours à lAntiquité. La troisième partie étudie la dimension sacrée du site, la quatrième, la dimension naturelle, la cinquième analyse le lieu en tant quespace cultivé. La sixième et dernière partie reconstitue les différents mythes paysagers nés à Port-Royal des Champs. La réalisation concrète de cet ouvrage est de belle facture avec un style toujours élégant, voire poétique.

Enfin, cet ouvrage fort riche apporte des résultats novateurs et convaincants. Le tout premier apporte la démonstration que Port-Royal des Champs est un véritable laboratoire des nouvelles pratiques rurales et agrariennes à lépoque moderne. « Le site de Port-Royal des Champs serait le prototype, un lieu ou un espace-pilote qui porte les germes dun développement plus global (…). Lexpression dun modèle grand siècle ».

Autre apport majeur : Sylvain Hilaire démontre comment Port-Royal des Champs se trouve au cœur dun réseau dexpérimentateurs, dont Robert Arnauld est le chef, entouré ensuite de cercles concentriques de réseaux damis diffuseurs.

Enfin il apporte la démonstration que Port-Royal des Champs se retrouve à de multiples occasions au cœur dun mythe paysager qui perdure sur la longue durée. Tout se passe comme si Port-Royal des Champs servait « de catalyseur, de lieu de condensation, puis de recyclage danciens mythes paysagers, pour générer un nouveau modèle adapté à son époque ». Au total, Sylvain Hilaire a choisi un objet difficile, auquel il a appliqué une méthode novatrice, fondée sur la maîtrise de nouvelles technologies et la pluridisciplinarité. Le pari est totalement réussi avec le déploiement de plusieurs séries de découvertes. Aussi, par son travail 11innovant, fait-il entrer Port-Royal des Champs dans le patrimoine universel des hauts lieux de mémoire.

Marie-José Michel

Professeur émérite
dhistoire moderne

Université Paris XIII –
Sorbonne Paris Cité