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Classiques Garnier

Préface

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Préface

Le présent ouvrage comprend deux cycles de conférences, Law, Liberty, and Morality (1962, Université de Stanford) et The Morality of the Criminal Law (1964, Université hébraïque de Jérusalem) que Hart avait prononcées au lendemain de la parution de son grand ouvrage The Concept of Law (1961). Leur traduction est le fruit dun travail initialement achevé durant lannée universitaire 2012–2013. Le projet, alors prêt à paraître, a connu des contretemps éditoriaux. Lorsque jai pu me pencher de nouveau sur le manuscrit au printemps 2017, javais rédigé entre-temps ma thèse de doctorat consacrée aux fondements ontologiques de la pensée de Hart. La nécessité de réaliser un nouveau travail sest imposée. Dune part, quelques traductions consacrées au débat Hart–Devlin étaient parues en 2014 dans la revue Droit & Philosophie (vol. 6) dont il fallait désormais tenir compte. Dautre part, le premier jet, réalisé en tant que doctorant enthousiaste, cherchait trop à résoudre les ambiguïtés soulevées par lacte de traduction. Le présent texte vise dans la mesure du possible à nêtre quune transmission. Cela implique de laisser lauteur, par moments, face à ses obscurités. Je souhaiterais dire un mot à ce sujet.

Nous avons eu la chance de recevoir à Paris Michel van de Kerchove, traducteur du Concept de droit (Bruxelles, Facultés Universitaires Saint Louis, 2e éd. 2005) – traduction autorisée par lauteur ! –, dans le cadre dun colloque organisé à lUniversité Panthéon-Assas pour le cinquantième anniversaire des conférences de Stanford (printemps 2013). Il avait eu la gentillesse de nous relater ses propres expériences de traducteur. Hart aurait été tout dabord réticent à certaines suggestions, mais une fois rappelé à lédition originale il aurait concédé, avec la bonne grâce qui le caractérisait, que cétait bien ce quil avait écrit – en manquant par endroits de clarté. Cette anecdote illustre un problème. Je ne suis pas davis que traduire revienne nécessairement à « trahir », une fois déminé le terrain des possibles malentendus culturels et sémantiques. Deux autres difficultés peuvent toutefois se présenter. La reformulation 8dun texte dans une langue étrangère impose des choix qui peuvent révéler un sens latent dune pensée que lauteur na pas eu à préciser. De manière tout aussi surprenante, le passage à une langue nouvelle soulève des possibilités qui peuvent ne pas exister dans la langue dorigine. Ici, lauteur na pas pu prendre position sur la question. Le travail de traduction, sil parvient à ne pas dénaturer lœuvre, peut être un révélateur dambiguïtés comme de potentialités.

Il faut par ailleurs dire un mot sur le registre de langue employé. Tout dabord, il sagit bien de cycles de conférences. Hart emploie par endroits une langue « orale ». Qui plus est, il sexprime plus généralement, à travers son œuvre, dans un langage courant en évitant tout vocabulaire technique superflu. Cela soulève la difficulté suivante. Le juriste dOxford sinscrit dans une tradition en philosophie du droit faiblement influencée par le juspositivisme de Hans Kelsen dont les concepts et lapproche imprègnent le vocabulaire français de la théorie du droit. Il ne sagit donc pas simplement de se demander comment formuler les thèses de Hart « en français ». Cela reviendrait parfois à plaquer sur ses idées un vocabulaire technique issu dune tradition quil rejette en partie, avec la déformation inévitable que cela entrainerait. Ainsi, cest à dessein que jai cherché à privilégier un langage courant sans jargonnage.

Quelques notes expliquent les choix cruciaux de traduction lorsquils soulèvent une question importante de théorie juridique ou de culture juridique comparée. Elles cherchent à apporter des précisions qui paraîtront parfois élémentaires, mais qui semblaient utiles étant donné la diversité disciplinaire du lectorat de Hart. En revanche, la résolution des ambiguïtés de la position de Hart est réservée à la présentation critique que le lecteur pourra consulter sil le souhaite. Elle propose une grille de lecture qui permet de montrer la place et la cohérence de ces conférences dans le corpus hartien. Il sagit notamment darticuler le libéralisme du juriste dOxford avec sa critique – parfois fuyante – de la philosophie des droits moraux naturels. Cette présentation, centrée sur sa philosophie politique et sociale, na pas été incluse dans ma thèse de doctorat1.

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Ce projet aboutit grâce à l aide précieuse de nombreuses personnes : Delphine Moraldo a collaboré à la tâche pénible de la révision du texte final de la traduction ; Nicolas Nayfeld et Ariane Brigenwald ont pris le temps de me faire parvenir des observations critiques éclairantes ; Robyn Bligh m a aidé à défricher un premier jet de « Changing Conceptions of Responsibilty ». Je les en remercie très sincèrement.

Gregory Bligh

Lyon, juillet 2020

1 Certaines conclusions de cette étude sont présentées dans lintroduction de louvrage de thèse Les bases philosophiques du positivisme juridique de H.L.A. Hart, Paris, Varenne-LGDJ, 2017, p. 13-15 et p. 18 sq.