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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Le Cœur et la Croix. L’esthétique baroque de Richard Crashaw (1612-1649)
  • Auteur : Venet (Gisèle)
  • Pages : 9 à 10
  • Collection : Lire le xviie siècle, n° 18
  • Série : Littérature, libertinage et spiritualité, n° 1
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812445330
  • ISBN : 978-2-8124-4533-0
  • ISSN : 2257-915X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4533-0.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/12/2012
  • Langue : Français
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Préface

Avec Le Cœur et la Croix : l’esthétique baroque de Richard Crashaw (1612-1649), Vincent Roger apporte une contribution majeure aux études sur la poésie « métaphysique » anglaise et les poétiques européennes du xviie siècle. Se situant dans le sillage de deux grandes figures tutélaires, Jacques Sys et Robert Ellrodt, cet essai impressionnant de justesse critique et de fluidité dans la pensée comme dans l’écriture offre un brillant témoignage de leurs influences en cela même qu’il les prolonge par de nouvelles ouvertures. Si Jacques Sys, généreux érudit en sciences religieuses, fut son premier mentor, les pages inventives sur « l’esthétique théologique » de Crashaw sont le plus bel hommage posthume qui pouvait lui être rendu, où Vincent Roger associe connaissance du sensible et invisibilité de Dieu dans la découverte du Christ comme « beauté de toutes les beautés » jusque dans la défiguration du mont Calvaire. Quant à l’ascendant exercé par l’ouvrage considérable de Robert Ellrodt, Les Poètes métaphysiques, il s’exprime par la richesse des citations qui lui sont empruntées pour nourrir Le Cœur et la Croix, mais pas seulement. Vincent Roger prolonge l’étude pionnière de Robert Ellrodt en faisant du poète anglais l’un des principaux représentants du baroque européen, de cette phase du baroque dominée par François de Sales dont les écrits rayonnent à travers toute l’Europe dès le début des années 1620. La mise en évidence d’une influence de Sales sur Crashaw bien antérieure à sa conversion au catholicisme est magistralement conduite par Vincent Roger, qui y voit une preuve supplémentaire s’il en fallait que le baroque ne peut se réduire à l’esthétique de la Contre-réforme.

L’inventivité méthodologique de Vincent Roger se révèle en effet d’une très grande efficacité en termes d’interprétation ou de réinterprétations littéraires et d’utilisation des contextes historiques. En écrivant cette première monographie française sur Richard Crashaw, un des poètes métaphysiques les plus décriés pour ses figures dénigrées comme « grotesques » faute d’un véritable instrument critique, jusqu’ici, pour en comprendre les principes créateurs, Vincent Roger replace cette poésie

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et l’inventivité figurale de l’auteur dans le contexte de l’imaginaire baroque européen et des grandes figures de littérature théologique et dévotionnelle qui le constituent. Sa relecture créatrice se fonde sur un maniement des méthodes littéraires d’une très grande dextérité, qu’il s’agisse de sa connaissance sans défaillance de l’arrière-plan littéraire, de sa maîtrise de l’héritage rhétorique et des rhétoriques propres à l’école « métaphysique », ou de la poésie dévotionnelle. À ce titre, il est le premier des critiques de Crashaw à avoir décelé l’influence primordiale de François de Sales sur la sensibilité et l’imaginaire du poète, élucidant certaines des figures les plus déroutantes de cet auteur en retrouvant dans les textes salésiens les traces précises de leur inspiration, voire leur première formulation.

Vincent Roger a su, de plus, resituer le fonctionnement de l’œuvre dans un contexte historique en utilisant des méthodologies historicistes d’une très grande pertinence, combinant finement des études philosophiques et théologiques, documentées avec une exactitude confondante, et des analyses approfondies de l’arrière-plan politique et idéologique qui présida aux conflits entre puritains et tenants de l’anglicanisme arminien de Laud, entre iconoclastes et iconophiles. Il ne s’est pas contenté toutefois d’appliquer une méthode acquise. Il crée en fait un instrument conceptuel nouveau qui manquait gravement dans les méthodologies historicistes : il leur adjoint une dimension essentielle jusqu’ici écartée sinon dénigrée par leurs praticiens, du moins dans la critique anglo-saxonne, celle de l’esthétique.

La méthodologie innovante qui distingue Vincent Roger lui permet en effet une efficacité remarquable dans la mise en œuvre de la « thèse » qui inspire son essai, l’esthétique théologique, un outil neuf, en parfaite adéquation avec son sujet. Il en démontre la pertinence en explorant tout à la fois la suavitas qui préside à la spiritualité liturgique de Crashaw et la blessure douloureuse qui conduit à l’épiphanique Beauté du Crucifié – une poétique et une théologie paradoxales qui ne pouvaient trouver leur pleine expression que dans les paradoxes de l’esthétique baroque.

Gisèle Venet