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Classiques Garnier

Repères biographiques 1808-1843

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REPÈRES BIOGRAPHIQUES

1808-1843

2 novembre 1808

Jules-Amédée Barbey naît à Saint-Sauveur-le-Vicomte (Manche), non au domicile familial, mais à celui de son grand-oncle et futur parrain, le chevalier Henry-Gabriel Lefebvre de Montressel, chez qui sa mère fait une partie de whist. Il dira être né « le jour des Morts », « par un temps du Diable » et quil a manqué mourir parce que le cordon ombilical avait été mal noué et quil perdait son sang1. Lacte de naissance est signé par son oncle, le frère aîné de son père, François-Frédéric Barbey dAurevilly, qui est maire de la commune.

Vingt-neuf ans plus tard exactement, il notera dans son journal : « Cest aujourdhui mon jour de naissance, jour que jexècre et qui me jette toujours une montagne de plomb sur le cœur2. » Selon les astres, il est scorpion, mais il substituera à ce signe deau un signe de feu : « Je me nomme le Sagittaire ! / Je suis né sous ce signe et je le mets partout ! / Et dans ce monde, inerte, ennuyeux et vulgaire, / Jaime à lancer ma flèche à tout3. »

Son père, Théophile-Marie Barbey, né en 1785, et sa mère, Ernestine Ango, née en 1787, se sont mariés le 4 janvier 1808 : ils partagent tous deux les mêmes convictions, ils sont catholiques et monarchistes. Son grand-père paternel, Vincent-Félix-Marie Barbey, a été anobli en 1756 grâce à lacquisition dune charge de procureur.

Premier né, il aura trois frères : Léon, son préféré, de dix mois plus jeune que lui seulement ; Édouard né en 1811 qui sengagera dans larmée en 1829 et disparaîtra de lhorizon familial ; Ernest, né en 1812, avec lequel il ne se sentira jamais daffinités.

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Dans un poème en prose écrit en 1844, Barbey décrit un buste de Niobé qui se trouvait « dans un angle obscur » de la maison familiale et il associe à cette « figure sinistre et blanche » limage de sa mère : il dit avoir préféré la « lèvre entrouverte et muette, mate et pâle, sans souffle et glacée », à celle qui, « rouge de vie et chaude de tendresse, [lui] tiédissait le front chaque soir », et préféré encore « lœil sans prunelle du plâtre grossier et fragile aux flammes intelligentes de la pensée et du sentiment4. » En septembre 1856, quand, après vingt ans dabsence, il reverra sa mère diminuée par la maladie, il écrira à Trebutien : « Je ne croyais pas tant aimer ma mère. Je ladmirais, mais la vie avait tant joué sur moi ! – Il y avait tant dannées de tombées muettes entre nos deux cœurs que je ne me croyais plus si fils5 ! »

Il est dabord élève du petit collège de Saint-Sauveur puis, son père ayant tenté sans succès de le faire admettre dans une école militaire, il poursuit ses études au collège de Valognes et loge chez son oncle, le docteur Jean-Louis Pontas du Méril qui a épousé la sœur de sa mère. Cet oncle, franc-maçon, libre penseur, et alors maire de Valognes, louvre aux idées libérales. Son cousin Édelestand, de sept ans plus âgé que lui, lui fait partager son amour de la littérature. Sa cousine Ernestine lui fait connaître ces premiers émois, troubles du cœur et des sens quil évoquera des années plus tard dans le poème « Treize ans » : « Elle avait dix-neuf ans. Moi treize. Elle était belle ; / Moi, laid. Indifférente, – et moi, je me tuais6… »

Car il se sent laid : sa famille serait responsable de ce complexe. Sur ses portraits dadolescent ou de jeune homme, il ne manque pourtant pas de séduction. Trebutien explique qu« il nest pas beau de figure » : « il a un avancement des dents et de la lèvre supérieure dont je crois quil a souffert outre mesure. Cest pour le dissimuler autant que possible quil a laissé croître sa moustache7. »

1824

Il écrit une élégie inspirée par la guerre dindépendance de la Grèce, « Aux héros des Thermopyles », quil envoie au poète et académicien Casimir Delavigne. Il reçoit de ce dernier une réponse flatteuse quil 339publie avec son poème lannée suivante. Il tente ensuite, sans succès, de faire éditer une plaquette de poèmes.

1827

Il est interne, avec son frère Léon, au Collège Stanislas à Paris. Il y rencontre ceux qui seront ses deux plus chers amis : Gaudin de Villaine, normand comme lui, et Maurice de Guérin. Il partage avec ce dernier, de deux ans plus jeune que lui, le culte de la poésie. On sait daprès le carnet de lectures de Guérin quon lit dans ces années-là Byron, Chateaubriand, Bernardin de Saint-Pierre, Walter Scott…

1829

Il passe avec succès son baccalauréat. Il désire sengager dans larmée, mais, son père sopposant vivement à ce projet, il sinscrit contre son gré à la Faculté de droit de Caen. Son oncle, Jean-François-Frédéric Barbey dAurevilly, laîné de la famille, meurt en octobre de cette même année des suites dune chute de cheval : cest le premier homme quil voit mourir. Cet oncle nayant pas de descendance, il est en droit daccoler à son nom laffixe nobiliaire « dAurevilly », mais, par conviction politique, il ne sy résout pas (il reviendra sur ce refus en 1837).

1831

Il rencontre Guillaume Stanislas Trebutien (de huit ans son aîné) : cet érudit, amateur de beaux livres et spécialiste des langues orientales, a ouvert un cabinet de lecture à Caen.

Il vit une grande passion pour Louise Cautru des Costils, qui a épousé en 1830 son cousin Alfred Duméril, le frère dÉdelestand. Cette passion tumultueuse, douloureuse, lui inspire sa première nouvelle, Le Cachet donyx. « Elle ma fait homme8 », écrira-t-il dans son mémorandum du 10 novembre 1836. Il définira cette « époque » de sa vie comme « la plus tempestueusement agitée9 ». Tous les amours quil vivra par la suite seront mesurés à laune de ce premier grand amour quils négaleront jamais.

1832

Il fonde, avec Édelestand Duméril et Trebutien, La Revue de Caen, revue aux idées libérales et qui ne connaîtra quun seul numéro, numéro 340dans lequel figure sa nouvelle Léa. Cette nouvelle a pu lui être inspirée par la mort dErnestine du Méril. Cette même année, son frère Léon, qui ne partage pas ses convictions, fonde Le Momus normand, une revue dinspiration légitimiste opposée à la Monarchie de Juillet.

1833

Il soutient sa thèse en juillet (Des causes qui interrompent la prescription). Malgré lopposition de son père qui souhaite le voir faire carrière dans le monde de la Justice, il décide de sinstaller à Paris pour percer dans les Lettres. Il a hérité de son parrain, le chevalier de Montressel, une rente de 1200 francs, ce qui lui permet de vivre. Il écrit à Trebutien le 23 août : « Jai lu Lélia. Cest mauvais de tout point quant à lidée, de forme cest moins mal10. »

1834

Durant lhiver, il séjourne chez Louise et son mari, au château de Marcelet, près de Caen. En compagnie de Trebutien et dÉdelestand, il fonde la Revue antique de la philosophie, des sciences et de la littérature : deux numéros. Il compose La Bague dAnnibal en décembre et en une nuit. Il mène une vie de dandy.

Victor Fleury lui présente la marquise Armance du Vallon, celle qui inspirera LAmour impossible. Cet ancien condisciple de Stanislas décède en décembre : il est très affecté par cette disparition.

1835

À la fin de 1834 ou dans le début de 1835 il retrouve à Paris Maurice de Guérin. Il confiera à Trebutien le 2 septembre : « Cet homme senfonce en moi de plus en plus et sy incruste jusquau cœur11. » Il écrit pour Guérin Amaïdée, Guérin écrit pour lui Le Centaure. Dans son long poème en prose, il se représente sous les traits du philosophe Altaï et représente Guérin sous les traits du poète Somegod : ces deux personnages se donnent pour mission de sauver une courtisane, Amaïdée (Amaïdée, alias Cecilia Metella dont il est souvent question dans les Memoranda). Il espère voir paraître son texte dans La Revue des Deux Mondes – « Tout au moins, Amaïdée, fatras pour fatras, vaut ce quon fourre dans la revue, 341que ce soit de nimporte qui12. » –, mais celui-ci ne sera édité quen 1889. Il cherche aussi un éditeur pour son roman, Germaine ou la Pitié, roman qui, remanié, paraîtra en 1884, sous le titre Ce qui ne meurt pas.

Dans une sorte de mémorandum13, il évoque ses relations complexes avec Armance du Vallon et compare la marquise à Lélia, lhéroïne de George Sand.

1836

Dans lesprit de lord Byron à qui il voue un culte, il commence le 13 août un Mémorandum quil destine à Maurice de Guérin. Il livre dans ce texte ses habitudes de vie. Il fréquente et fréquentera les salons de la marquise du Vallon, de Mme de Fayet, de Mme de La Renaudière. Ses compagnons les plus chers, ceux avec lesquels il cause, se promène sur les boulevards, va au concert, au spectacle, dîne chez Copenet, au Véfour, au café Riche, au café de Paris, ou au café Tortoni, sont, par ordre de préférence, Guérin et Gaudin de Villaine puis, dans le désordre Bodiment, Bourdonnel, Boissière, Renée, Scudo…

Il a aussi pour habitude de se rendre chez Apolline, une fleuriste et la maîtresse dun de ses amis Lucien Millot. Il surnomme les femmes quil y croise « Le Type de Rubens » ou « Le Conte de Boccace ».

À la fin de lété, il voyage en Touraine : rien ne le séduit. À lautomne, il part pour la Normandie à loccasion du mariage de son plus jeune frère, Ernest. Les moments les plus sereins sont ceux quil passe à Coutances avec son frère Léon lequel a rompu ses fiançailles pour entrer au séminaire : ils lisent ensemble Germaine. Il revoit aussi Louise, à plusieurs reprises, et note la veille de son départ : « Immensément souffert. – La blessure trop vive aussitôt a saigné. – Le temps lenvenime au lieu de la guérir14. » Durant ce séjour, il commence un conte quil intitule Bruno et lit Machiavel.

1837

Il rentre de Normandie le 16 janvier (il ny retournera que vingt ans plus tard). En mars, le susceptible Trebutien se brouille avec lui, en apparence sur un malentendu : « Il mest impossible, Trebutien, de 342regarder sept ans de notre vie comme nayant pas été vécus. Il mest impossible danéantir mes souvenirs. Dites que vous me croirez, je ne vous demande que cela et je vous affirmerai sur lhonneur que vous vous êtes trompé sur tout ce que vous avez imaginé de moi. Tout cela est faux, chimérique, fou, je vous le jure ! Ne vous déchirez pas les entrailles à plaisir15. » Le 8 août, il envisage décrire un récit quil intitulerait Ryno, du nom dun personnage dOssian : ce sera le prénom du héros dUne vieille maîtresse.

1838

Il travaille, lit beaucoup et particulièrement Stendhal, « toujours trop dilettante », et « du grand de Maistre16 ».

Il se lie avec une certaine Paula, le « sphinx blond trop aimé17 ». Il lui dédie des poèmes et lui fait, dès le 24 mars, des adieux douloureux (elle mourra lannée suivante). Lactivité ne le guérit ni de ses pensées noires ni de son ennui : « Sans P[aula] chez qui jallais tous les soirs me décharger de mon fardeau, je serais retourné à lopium18. »

Le 13 juin, il commence un deuxième Mémorandum, toujours destiné à Guérin : si ce dernier est alors fiancé, les deux amis continuent à se voir très souvent. Il collabore au Nouvelliste, journal qui soutient le ministère dAuguste Thiers. Il commence Mme de Gesvres, roman qui deviendra LAmour impossible. Il rend aussi visite à sa tante, Augustine de Crux, dans des intérêts si évidents quil saccuse lui-même dhypocrisie.

Fin août, il revoit Louise, de passage à Paris, mais ils ne sont pas seuls : ce sera leur dernière rencontre. À loccasion du mariage de Maurice de Guérin, en novembre, il fait la connaissance de la sœur de ce dernier, Eugénie, dont il publiera les Reliquiæ en 1855.

Il note le dernier jour de lannée : « Quand je pense quà part G[uérin] et G[audin] toutes les affections que javais et sur lesquelles jai vécu sont détruites et quil ny a plus que ruines dans mon passé et dans mon cœur19 ! »

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1839

Il reçoit, le 1er janvier, une lettre de sa mère : « Pourquoi les relations de la famille ne mapportent-elles aucune douceur20 ? »

Il quitte LeNouvelliste. Il interrompt brutalement son journal fin janvier : est-ce parce quil pressent que son destinataire, qui est au plus mal, ne le lira pas ? Guérin, attaqué par la phtisie depuis des mois, meurt le 19 juillet.

Il écrit à Érembert de Guérin, le frère aîné de Maurice : « Cest mon meilleur ami que jai perdu : cest le seul peut-être de tous ceux que jai perdus (et jen ai bien perdu) qui ne mait jamais causé la moindre peine, qui nait jamais eu lombre dun tort avec moi21. »

1840

Il entre en relation avec George Sand : celle-ci prépare un article sur Maurice de Guérin, article qui paraîtra le 15 mai dans la Revue des Deux Mondes et qui contient deux poèmes et des extraits de lettres adressées à Barbey. Malgré le désir quil en exprime, cette rencontre naura pas de suite.

Il fréquente le salon catholique et légitimiste de la baronne Henriette de Maistre lorsque celle-ci réside à Paris. La baronne, sœur dun de ses condisciples de Stanislas, Adrien de Sainte-Marie, a aimé Maurice de Guérin et en a été aimée – un temps. Elle sest liée avec Eugénie de Guérin quelle invite pour de longs séjours chez elle, à Paris ou au château des Coques dans le Nivernais.

1841

Il publie LAmour impossible (Delanchy) et renoue en mai avec Trebutien à loccasion dune « réclame » sur le roman insérée dans une revue normande : « Que vous ne mayez pas oublié, que vous me reveniez par une attention pleine de délicatesse et dobligeance, voilà ce que jestime plus que léloge (beaucoup trop grand dailleurs) que vous avez inspiré à La Revue de Caen : voilà ce que je mets bien au-dessus de tous les succès littéraires, même de ceux auxquels il ne mest pas permis de penser22. »

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Prend place cette année-là ce quil nommera plus tard, dans ses lettres à Trebutien, la « bataille des dames », bataille entre la baronne Henriette de Maistre, sa belle-sœur la baronne Amédée de Maistre, et Eugénie de Guérin, bataille dont il dit être lenjeu et qui se termine par une rupture entre les trois femmes. Il choisit son camp : il rompt toute relation avec Eugénie de Guérin.

1842

Il procure quelques articles politiques non signés au Globe et publie en feuilletons dans ce même journal La Bague dAnnibal les 12, 13, 14, 15 octobre 1842.

1843

Il collabore au Moniteur de la Mode, revue avec laquelle il rompt en mai de cette même année. Il désire éditer avec Trebutien les œuvres de Maurice de Guérin, mais il il ne parviendra jamais à concrétiser ce projet. Il sintéresse à George Brummel, personnage qui sera au centre de lessai quil fera paraître en 1844 : Du dandysme et de George Brummel. Il se lie avec celle qui sera le modèle de Vellini dans Une vieille maîtresse : « Elle est de Malaga, brune, dorée, parfumée comme le vin de son pays. Mais elle est un peu moins douce et jouerait volontiers du Cuchillo23. » Trebutien publie en volume La Bague dAnnibal.

Que se passe-t-il dans les années qui suivent ? Barbey, sous linfluence de Raymond Brucker, revient à la foi de son enfance et aux opinions politiques de sa famille. Il saffirme, peu à peu et difficilement, comme romancier : Une vieille maîtresse (1851), LEnsorcelée (1854), Le Chevalier des Touches (1864), Un prêtre marié (1865), Les Diaboliques (1874), Une histoire sans nom (1882), Ce qui ne meurt pas (1884), Une page dhistoire (1885). Il survit, tout aussi difficilement, comme journaliste et comme critique, un critique véhément et redoutable : il sera rédacteur en chef de la Revue du monde catholique, sera un des fondateurs du Réveil, collaborera, plus ou moins longuement, à La Mode, au Journal des débats, à Lopinion publiqueLUnivers, à LAssemblée nationale,au Pays, au Figaro, au Nain jaune, au Dix-Décembre, au Gaulois, au Constitutionnel, au Parlement, au Triboulet, au Gil Blas, à La Revue indépendante… Ses records : LUnivers (un seul article) 345et Le Pays, journal bonapartiste, plus de dix ans. Il réunira ses articles en volumes : Les Œuvres et les Hommes. En 1851, il rencontre Mme de Bouglon, lAnge blanc et léternelle fiancée, et, en 1879, Louise Read, ou « Mademoiselle Ma Gloire », dont il fera sa légataire universelle.

1 Barbey donne ces précisions dans une lettre à Trebutien le 1er octobre 1851 (LT, p. 470).

2 M, p. 149.

3 ŒC II, p. 1600.

4 ŒC II, p. 1205.

5 LT, p. 1134.

6 ŒC II, p. 1189.

7 « Quelques lettres de G.-S. Trebutien », présentées par A. Martineau, Mercure de France, vol. LXIII, 1er octobre 1906, p. 378.

8 M, p. 75.

9 M, p. 147.

10 LT, p. 36.

11 LT, p. 59.

12 LT, p. 63.

13 Memorandum ante primum (selon la formule de Philippe Berthier).

14 M, p. 110 (la citation est tirée de Phèdre de Racine).

15 LT, p. 73.

16 M, p. 252 et 263.

17 M, p. 189.

18 M, p. 171.

19 M, p. 308.

20 M, p. 309.

21 Corr. 1, p. 75.

22 LT, p. 75.

23 LT, p. 104.