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Classiques Garnier

Biographie de Laurent Mauvignier

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Laurent Mauvignier
  • Auteurs : Dürrenmatt (Jacques), Germoni (Karine)
  • Pages : 277 à 281
  • Collection : Écrivains francophones d’aujourd’hui, n° 7
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406081319
  • ISBN : 978-2-406-08131-9
  • ISSN : 2430-8080
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08131-9.p.0277
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 13/08/2019
  • Langue : Français
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Biographie de
Laurent Mauvignier

Laurent Mauvignier est né en 1967 à Tours. Il passe son enfance à Descartes, en Touraine, avec ses parents, ses deux frères et ses deux sœurs. Après une année au Lycée professionnel de Descartes et une première année de BEP comptabilité, il entre, en 1984, à lécole des Beaux-Arts de Tours doù il ressort diplômé en 1991 (DNSEP). Sensuivent plusieurs années passées à luniversité : deux ans de Lettres modernes à Tours, deux ans de Maîtrise darts plastiques à Paris 8, puis une année de CAPES par correspondance. En 1997, Laurent Mauvignier décide de se consacrer uniquement à lécriture.

Il publie son premier roman, Loin deux, en 1999, aux éditions de Minuit, qui sont toujours aujourdhui sa maison dédition. Le livre apparaît immédiatement comme une révélation par loriginalité de sa structure et les qualités de son écriture polyphonique mises au service dune puissance émotionnelle hors-norme, très éloignée en apparence des préceptes du Nouveau Roman et de la génération Minuit qui lui a succédé mais voisine, dans lexigence poétique, des figures tutélaires que sont Beckett, Simon, Duras, et plus récemment, Koltès et François Bon.

Publié lannée suivante, Apprendre à finir creuse avec autant de réussite le même sillon mais de façon cette fois monologique. Ce deuxième roman est récompensé de plusieurs prix (Wepler, Livre Inter et du deuxième roman).

Les ouvrages que Laurent Mauvignier publie dans les années qui suivent immédiatement (Ceux dà côté en 2002 et Seuls en 2004) rencontrent un succès plus mitigé, et pour cause : avec Ceux dà côté, il pose le problème que soulève lempathie que produit le monologue. Cette fois, contrairement à la narratrice dApprendre à finir, la narration 278est portée, en partie tout au moins, par un personnage – un violeur – auquel le lecteur na pas envie de sidentifier. La critique et le public sont déconcertés par la noirceur et la violence du livre. Seuls, lui, passe insensiblement du roman intimiste, comme les précédents, à une entreprise plus ouvertement romanesque, avec lapparition dun suspense qui tire vers le thriller.

En 2006, avec Dans la foule, cest le retour au roman polyphonique, et pour la première fois à un monde clairement identifiable et à une structure plus romanesque, comme si semparer du réel renforçait, paradoxalement, lélan fictionnel. Le livre tourne autour du drame du stade du Heysel qui sest déroulé vingt ans plus tôt (en 1985). La critique est quasi unanime à louer lambition et les qualités décriture et de narration dun livre qui, au même titre que le suivant, va faire de lécrivain une référence incontournable qui permet de comprendre le renouvellement du récit romanesque « historique » au début du xxie siècle.

Écrit en partie lors dun séjour à Berlin, avant de partir à Rome comme pensionnaire de la Villa Médicis entre 2008 et 2009, Des hommes est finaliste du prix Goncourt et rencontre un très beau succès public. Revenant de façon âpre et dense sur la guerre dAlgérie et ses conséquences, il apparaît comme un concentré des qualités de lécrivain qui réussit à concilier une exigence extrême, saluée par des travaux universitaires toujours plus nombreux, et une capacité à fédérer un public de plus en plus divers et large. Le livre semble rompre avec les échecs des livres et des films sur le thème de la guerre dAlgérie : cest quil parle autant de la guerre que de ses conséquences. Parmi les lecteurs, beaucoup de gens de la génération de Mauvignier, dont les pères, oncles, voisins, sont revenus dAlgérie avec leurs blessures secrètes et tues, créant dans lunivers familial et dans le rapport de filiation dimpressionnantes zones de silence. Cest ce thème, précisément, qui remporte la plus forte adhésion de la part des lecteurs de Des hommes.

Lorsque paraît Ce que jappelle oubli en 2011, cette fois la presse reste muette, à part trois notules et un article conséquent dans La Croix, signé par Sabine Audrerie. Alors que le lectorat attendait un roman dans la lignée du précédent, il se retrouve face à un texte court composé dune seule phrase, un geste plutôt quun livre quon a voulu à tort lire comme 279un roman. Mais très vite, la virtuosité et la puissance émotionnelle vont frapper les esprits, y compris décrivains importants qui y voient un manifeste de la capacité de la littérature française à se renouveler à travers un usage repensé du monologue. Le succès de Ce que jappelle oubli va saffirmer en 2012, à travers la transposition théâtrale proposée par Denis Podalydès à la Comédie-Française et par un ballet dAngelin Preljocaj qui réalise du texte une adaptation chorégraphique. Ce que jappelle oubli, inspiré dun fait divers mais surtout dans la forme de La Nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, est, de fait, une invitation à la profération, à lincarnation, un appel lancé au plateau.

Il ne sagit pas là de la première adaptation scénique dun texte de lauteur. Passionné par le cinéma et les arts de la scène, Laurent Mauvignier avait donné son accord à une première adaptation de Loin deux au théâtre dès 2002 (réalisée par J. Nizard), suivie dune deuxième en 2009 (cette fois, par le collectif Les Possédés, dirigé par D. Clavel et R. Dana). En 2005, il avait écrit un dialogue Le Lien, qui amorçait un travail spécifiquement théâtral.

En 2012, il écrit pour Les Possédés la pièce Tout mon amour. Créé au Théâtre Garonne à Toulouse et joué ensuite à Paris au théâtre de la Colline, le texte est reçu avec enthousiasme par la critique. La réception de la pièce est plus mitigée, mais le public est là, cest un succès. Après les retrouvailles avec Les Possédés, viennent celles avec Angelin Preljocaj, qui lui demande une pièce pour la Cour dhonneur du Palais des Papes. Ce sera Retour à Berratham, créée par le Ballet Preljocaj au Festival dAvignon, en juillet 2015. La rencontre avec le public nest pas immédiate. Le spectacle, conçu entre danse et texte, est mal perçu : le texte semble empêcher, pour ceux des spectateurs qui venaient voir de la danse, dadhérer à la proposition. La reprise de Retour à Berratham, à Chaillot puis en tournée, quelques mois plus tard, offre une version retravaillée, plus acérée, plus resserrée, avec une meilleure harmonisation de lensemble. Le spectacle a gagné en maturité, les interprètes se sont approprié le texte, les danseurs ont gagné en précision. Le succès est cette fois au rendez-vous.

Une légère blessure est, au départ, un texte écrit pour Johanna Nizard (des retrouvailles, là encore). Le texte avait été lu en juillet 2013 pour les fictions radiophoniques de France Culture, en direct du musée Calvet 280à Avignon, pendant le Festival. De 2013 à 2016 le texte a été réécrit, adapté pour le plateau. Créée à Paris au théâtre du Rond-Point, en novembre 2016, la pièce est bien accueillie, tant par le public que par la critique. La mise en scène est assurée par Othello Vilgard, avec qui Laurent Mauvignier a réalisé, en 2015, la version filmée de Tout mon amour.

Les deux ouvrages de fiction qui se publient au cours de la même période manifestent une volonté de renouvellement formel. Autour du monde (2014) est constitué dun ensemble de récits qui se déroulent dans des lieux très différents et ne sont reliés en apparence que par un événement dramatique (le tsunami de Fukushima) qui leur est contemporain. Le livre fait écho à Dans la foule, par sa façon de tourner autour dun événement collectif, mais refuse cette fois la connexion entre les personnages. Le roman est ici tiré à son extrême limite : les personnages disparaissent au fur et à mesure de leur apparition, il ny a pas de hiérarchie dans leur présentation. Le public est en partie déconcerté mais la presse, dans sa grande majorité, soutient le livre.

Continuer (2016) est un livre à relier avec lintimité dApprendre à finir dun côté, et avec les grandes interrogations qui parcourent Dans la foule et Autour du monde. Écrits à la troisième personne, Autour du monde et Continuer ont déclenché des réactions partagées. Une partie de la critique trouve le livre trop romanesque et moins « écrit », peut-être trop facile daccès pour être honnête. Elle sétonne de trouver une fin presque heureuse ou apaisée (comme cétait déjà le cas pour Dans la foule), et un discours politique quelle accuse dêtre bien pensant, politiquement correct, sans se soucier du contexte qui la fait naître, comme si les livres sécrivaient hors de la vie de leur auteur. Une autre part, au contraire, salue la justesse des portraits dune mère et de son fils, et voit lengagement politique pour ce quil est dans le livre, un ressort narratif porté dabord par les personnages. Tout invite peut-être à lire dans ce roman dabord un amour pour le cinéma, tant lécriture, par ailleurs, semble taillée pour une adaptation. Cest mal voir que les retours dans le temps, les différentes strates de réel (les rêves comme les souvenirs) posent beaucoup de problèmes à ladaptation, tentée, malheureusement sans grand succès, par Joachim Lafosse en 2018. Lenjeu de ce livre : faire tenir sur la ligne droite dun récit les courbes des temps humains.

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Continuer ouvre la route au cinéma, dont Mauvignier ne cache pas quil a le désir, lui clairement dont limaginaire est construit autant par les films que par les livres et le théâtre. Dans Visages dun récit (2015), il explique que pour lui, lessentiel, cest de relancer en permanence le risque de lécriture dans un dialogue entre différentes formes dart, comme entre différentes formes à lintérieur de chaque art. Cest précisément ce dialogue que Mauvignier met en œuvre dans sa dernière création le court-métrage, Proches, quil a écrit et réalisé, et qua produit Sylvie Pialat en 2018. Une œuvre en mouvement, donc, qui na pas fini de sécrire et de sinventer au fil de sa pratique.

Jacques Dürrenmatt
et Karine Germoni