Avant-propos

Cet essai entreprend une lecture de l’œuvre de Maldiney dont il s’agit de comprendre la signification tout aussi décisive que singulière. Précisons d’emblée que Maldiney accomplit un geste radical de dépassement de la métaphysique, rompt de surcroît avec Husserl et Heidegger, et place dès les années cinquante la question de l’événement au cœur de la refonte qu’il opère de la phénoménologie. Les notions d’événement – ouvrant un sens neuf de la réalité, libérée de l’empire de la raison suffisante –, et de transpassibilité – définissant le sens d’être du sujet – s’avèrent tout à fait cruciales et cristallisent au mieux les percées les plus audacieuses de Maldiney qui délivre une version neuve de la corrélation en se situant à sa source. De façon explicite, ce dernier chemine de la représentation à la présence, de l’objet à l’événement transpossible (au-delà de tout possible), et donc du sujet à l’existant qui accueille l’événement en vertu de l’ouverture sans a priori qui le définit (transpassibilité), cet accueil supposant en outre, pour avoir lieu, un devenir autre de l’existant à la hauteur de l’événement éprouvé (transpossibilité de l’existence). Élaborée selon le fil conducteur d’une esthétique phénoménologique, dans le sillage d’artistes (Cézanne, Bazaine, Tal Coat, Ponge, Du Bouchet notamment), et à l’écoute également de la psychiatrie, l’œuvre maldinéenne prend la figure d’une phénoménologie événementiale, échappant aux déterminations de la métaphysique, et elle signe ainsi le renouveau de la philosophie. On lira cette œuvre comme une archéologie phénoménologique, permise d’abord par l’esthétique-artistique qui conduit Maldiney à une phénoménologie selon l’Ouvert au titre d’archi-scène de la manifestation.

Le présent essai aborde ainsi l’œuvre de Maldiney de façon globale et inédite, confrontant en outre cette phénoménologie à d’autres auteurs majeurs tels que Husserl, Heidegger, Straus, Binswanger, Merleau-Ponty, mais aussi, plus ponctuellement, avec Sartre et Levinas, Riegl et Weizsäcker. Nous nous référons par ailleurs à des philosophes comme Ricœur, Marion et, plus encore, à Dufrenne et Patočka. Il s’agit par-là de penser la manière 12dont Maldiney trace la voie qui lui est propre en se nourrissant des œuvres qui le précèdent comme de celles de certains de ses contemporains, mais il est particulièrement fructueux de confronter la pensée de Maldiney à des œuvres de phénoménologues qu’il ne cite pas lui-même (Marion, et surtout Patočka et Dufrenne). C’est l’occasion de situer Maldiney dans le paysage phénoménologique, de saisir les percées qui sont les siennes comme les apories qu’il rencontre. Ainsi, la Conclusion de cet ouvrage mène une véritable confrontation avec Merleau-Ponty, déjà très présent dans le corps de l’ouvrage, ainsi qu’avec Dufrenne et Patočka. Dans ce cadre, nos analyses ouvrent de façon inédite, et dans le sillage de Dufrenne, la voie à une cosmopoétique, appelée par la phénoménologie elle-même : il faut envisager une épochè poétique qui conduit à une réduction cosmologique dont nous risquons le concept. On verra enfin que la phénoménologie, s’approfondissant selon l’impératif cosmopoétique, ne peut s’accomplir que sous la forme d’une philosophie de la naissance, que nos différents ouvrages élaborent1, et que nous retrouvons ici comme une exigence : la question de la naissance se profile ainsi discrètement en des points cruciaux de cet essai pour s’imposer à son terme.

Août 2015

Je tiens à remercier Renaud Barbaras qui encouragea la réalisation d’un premier travail sur l’œuvre de Maldiney (Vie et existence. Recherche phénoménologique. Maldiney, Merleau-Ponty, Patočka – thèse soutenue en 2011 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ; je remercie aussi Sarah Brunel, Raphaëlle Cazal, Claudia Serban, et Géry Meerschman pour leur aide amicale, ainsi qu’Isabelle pour la lecture qu’elle fit d’une partie de cet ouvrage, et ma sœur pour sa lecture du texte dans son ensemble.