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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Terre australe connue (1676)
  • Pages : VII à IX
  • Réimpression de l’édition de : 2008
  • Collection : Société des Textes Français Modernes, n° 191
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782406104391
  • ISBN : 978-2-406-10439-1
  • ISSN : 2777-7715
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10439-1.p.0007
  • Éditeur : Société des Textes Français Modernes
  • Mise en ligne : 22/04/2020
  • Diffusion-distribution : Classiques Garnier
  • Langue : Français
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AVANT-PROPOS


A l'orée d'une présentation de La Terre Australe connue, il eüt pu être tentant de replacer la création de Foigny à l'inté- rieur des grands massifs de l'utopie littéraire, mais c'eût été méconnaître que ses sentiers hasardeux, ses cavées vertigineu- ses échappent aux cheminements culturels habituels. Un arbre logique nous eût caché la forêt d'irrationnel qui ombre sa création, mais qui l'entoure en même temps d'une aura mysté- rieuse, plus annonciatrice de l'épiphanie future des symbo- les baudelairiens des «Correspondances »que de la récente avancée du parcours méthodique cartésien.
II ne s'agit nullement, pour nous, de nier que cette tradi- tion utopique ne soit inscrite dans la trame mëme de son livre. Elle a constitué l'héritage conceptuel sans lequel ne serait sans doute pas né /e projet de raconter la découverte d'une société idéale, et elle a dirigé sa réalisation formelle, par l'offre de schémes narratifs et de modèles esthétiques préétablis. Mais s'il faut prendre acte de ces déterminations globales, il est bien difficile d'affiner ces filiations et de passer d'influences diffuses au répérage exact de l'origine et de la portée de celles-ci.
Sur certains points précis relevant d'une histoire des sour- ces, on peut donner des preuves d'une réécriture partielle des récits antérieurs, mais il importe de le faire en contexte, c'est- à-dire dans des notes spécifiques, telles celles que nous pro- posons au sujet du choix d'un continent austral comme lieu géographique référentiel, au sujet de la stratégie de la vrai- semblance ou au sujet de l'organisation communautaire autar- cique de cette société d'hommes auto-suffisants. Sinon toute prétention à la généralisation manquerait son but, pour des
8 raisons qui tiennent à l'extrême originalité de La Terre Aus- trale, mais aussi aux lacunes de nos informations concernant son auteur.
Nous ne savons rien en effet de ses lectures en matière uto- pienne : nous n'avons pas d'inventaire de ses livres, nous ignorons tout des bibliothèques qu'il a pu fréquenter, et il ne fait aucune allusion, même indirecte, à ses prédécesseurs dans ce genre, à la différence d'autres utopistes qui se situent directement par rapport à Platon ou à More. Mentionnons par exemple Kaspar Sitblin (De Eudemonensium Republica Commentariolus, 1555) dont le héros prétend avoir visité la cité idéale de Platon, Francis Bacon qui intitule symbolique- ment son livre inachevé New-Atlantis (1621), Rabelais qui évoque le pays d'Utopie dans son Gargantua (livre II, ch. 8 et livre II, ch. 23). Ou bien Robert Burton citant ses inspira- teurs (Platon, More, Andrae) dans la petite utopie qui figure dans son Anatomy of Melancholy (1621), Cyrano faisant de Campanella et du héros de Goldwin, Gonzalez, des protago- nistes deses romans, et Veiras faisant référence, dans sa Pré- face, àMore, àBacon et à Campanella.
Rien de tel chez Foigny. Celui-ci ne mentionne aucun nom, . ne cite aucun passage, ne donne aucune piste évidente. Et ceci ne semble pas être lié à une réticence devant !'aveu de lectu- res antérieures, puisque Foigny multiplie les références expli- citesaux relations de voyages, aux cosmographies et aux textes sacrés. D'ailleurs le nombre des réminiscences flagrantes d'ceuvres théologiques, philosophiques ou géographiques prouve que l'imaginaire de Foigny a été nourri par ces tex- tes, plus que par les écrits utopiques.
Certaines ressemblances pourraient être proposées, à titre d'hypothèses, mais elles ne justifient pas un exposé d'ensem- ble, et elles interdisent l'affirmation d'une parenté irrécusa- ble. Deux exemples : le tabou du sang peut évoquer l'exil des bouchers, rejetés hors des murs de la cité idéale de More, mais il renvoie tout autant au paradigme de l'innocence originelle, aux souvenirs du Lévitique ou aux conséquences d'un choix anthropologique hermaphrodite. L'urbanisme austral reprend certains aspects (isométrie, minéralité, transparence...) de
9 l'architecture utopienne, projection dans l'espace d'une ratio- nalitéenvahissante, mais il reflète également l'émerveillement devant certaines constructions exotiques connues par les des- criptions d'auteurs comme Garcilaso de la Vega (ou même par les vieilles Images du Monde) et surtout une volonté démiurgique de rivaliser avec les beautés peintes dans l'Apo- calypse de saint Jean.
Rien ne saurait donc être probant, voire significatif à cet égard. C'est pourquoi, plutôt que de suivre des itinéraires antérieurement balisés, il vaut mieux sans doute visiter l'édi- fice construit par Foigny en prenant celui-ci pour guide, c'est- à-dire en repartant des rares données biographiques dont nous disposons.