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Classiques Garnier

Introduction Des styles au style

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Stylisation du discours
  • Pages : 11 à 13
  • Collection : Investigations stylistiques, n° 15
  • Thème CLIL : 3154 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage -- Stylistique et analyse du discours, esthétique
  • EAN : 9782406149408
  • ISBN : 978-2-406-14940-8
  • ISSN : 2271-7013
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14940-8.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 30/08/2023
  • Langue : Français
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Introduction

Des styles au style

Que nos discours puissent avoir un style, ou du style, est une de ces évidences généralement tenues pour acquises ; or lévidence, on le sait bien, doit aussi se justifier, et celle-ci dautant plus que sa limpidité ne résiste pas à la question : que mettons-nous sous le mot « style » ? Lobjet certes a longtemps été réputé insaisissable1, la difficulté venant sans doute de ce quil est pluriel : le même vocable, « style », sinvestit dans des emplois très différents. Cest une polysémie dont Éric Bordas a très bien pris la mesure dans son ouvrage « Style ». Un mot et des discours2.

Or dès que lon observe les déterminations à lœuvre, on saperçoit que les forces centrifuges qui scindent la notion de style du discours, ne créent pas pour autant des réalitésinconciliables, et que les grandes acceptions du mot « style » sarticulent dans une démarche dappropriation de la langue, progressive et continue. Entre la stylistique « ballyenne », consacrée au potentiel expressif de la langue, mais abusivement réduite à cette conception, et aux antipodes une stylistique littéraire, dédiée aux manifestations dun art verbal, lopposition peut se repenser en termes de transition. Il faut savoir gré à J.-M. Adam davoir fait émerger cette option dans ses « contre-lectures » de Charles Bally3.

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Parti du constat dun concept à géométrie variable, cet essai voudrait lappréhender comme tel, en expliquant ses avatars. Lexistence du style déborde les pétitions théoriques, si bien que les définitions sans reste sont illusoires, condamnées à lincomplétude ou à léchappatoire dun présupposé auto-réalisant : « le style : objet de la stylistique4 ». Ce nest donc pas comme un objet fini, ni comme une donnée factuelle entièrement objectivable que je laborderai, mais comme une valeur qui advient au discours selon un processus. Ce processus, cest la stylisation. Il se dessine en marquant des étapes qui correspondent aux différents contours de la notion, donc précisément à la géométrie variable évoquée. Je suivrai ces étapes, et sélectionnerai les lieux démergence de la valeur en minspirant, au moins en partie, de la bonne vieille méthode cartésienne qui invite à diviser la difficulté suscitée par les phénomènes complexes, pour mieux les comprendre. En éclairant des points sensibles et en sériant les problèmes, janalyserai les ramifications de la valeur perçue et les connexions quelles entretiennent.

Ainsi sexplique la construction de cet ouvrage. La première partie, Le cadre dun processus, décrit les conditions de lavènement du style, comme valeur du discours liée au mouvement dappropriation de la langue qui le sous-tend. Elle souvre par un chapitre surplombant, intitulé Une appropriation de la langue. Des états du style. Ce chapitre considère lensemble du processus, en sappuyant sur la pluralité même des acceptions du mot « style ». Lobservation sarrête ensuite aux conditions et à lengagement de lappropriation encadrés par des déterminations génériques : le rôle des genres de discours sy affirme, et celui des genres littéraires, signalés comme des « genres seconds5 » à travers une analyse qui révèle toute la pertinence de létiquette bakhtinienne. Le titre et le sous-titre de ce chapitre, La médiation des genres. Qualification et requalification font effectivement entendre une articulation dont le fonctionnement sera détaillé.

Je précise au passage que lassociation constante des titres de chapitres à des sous-titres traduit leur double exigence programmatique : lannonce de lobservable retenu dans le mouvement de la stylisation, saccompagne dune mise en exergue de son argument, ou de la problématique qui le soutient dans le développement de la valeur.

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La deuxième partie de louvrage analyse des Lieux démergence de la stylisation. Ces lieux correspondent à diverses saillances discursives. Un premier regard les localise sur des variations stylisantes ; ces dernières sont ensuite ressaisies par une organisation syntaxique qui donne aux énoncés leur physionomie caractéristique, y compris lorsquelle se recommande par une absence daspérité. Cette physionomie reconnaissable fait quon parle alors de « phrase », et quon lui donne un statut dentité stylistique. Si les Variations stylisantes présentent la face la plus immédiatement sensible de la valeur-style, la Phrase avec son profil syntaxique permet den apprécier la capacité structurante, et dy percevoir laffûtage dun style, qui se finalise dans et par la textualisation. Cest à ce poste dobservation que se révèle le plus finement la visée singularisante de la stylisation du discours.

Les lieux de la stylisation et les dynamiques stylisantes font comprendre de lintérieur la complexité du phénomène visé ; ils népuisent cependant pas toutes les questions quil soulève, et en particulier celle-ci : comment appréhender la décantation du concept de style, ou pour poser la question en termes plus concrets, comment se stabilisent les emplois du mot « style » ? La troisième partie de cet essai, Descarrefours notionnels, quitte la perspective génétique qui présente le style comme une appropriation de la langue et qui en détaille les diverses phases, pour dégager le cœur du concept des ramifications rencontrées en chemin. Cela suppose quon le confronte à des notions connexes. En effet, plusieurs traits interférents font apparaître une désignation à large spectre, sorte de nébuleuse onomasiologique où, de proche en proche, lidée de style se dissout en annexant des terres voisines ; mais ce nest pas là une fatalité. En effet, les ramifications dun concept ne vont pas sans cristallisations sur des critères différenciateurs : autour de la singularité, on peut clarifier le lien entre le style et lidiolecte ; autour de la projection dune image de soi, le rapport entre le style et lethos discursif ; autour de la littérarité, la question de lart verbal et de son décalage pragmatique.

1 Souvenons-nous de laccusation de « vide objectal », qui autour des années 70 augurait dune mort prochaine de la stylistique. Voir la présentation de Langue française no 3, 1969, où M. Arrivé exprimait en ces termes le sentiment des linguistes : « Les collaborateurs mêmes de ce numéro semblent à peu près tous persuadés de la mort de la stylistique ». On la constaté depuis, laugure se trompait et la morte a repris des couleurs. Le scepticisme néanmoins a perduré longtemps : vingt ans plus tard on le rencontre encore dans plusieurs interventions du colloque « Quest-ce que le style ? », tenu en Sorbonne en 1991 (infra, p. 20).

2 Paris, Kimé, 2008.

3 Voir notamment Le style dans la langue. Une reconception de la stylistique, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1997, et « Penser la langue dans sa complexité : les concepts de gradualité, dominante et comparaison chez Bally », Stylistique, Énonciation, Crise du Français, 2006, Louvain-Paris, BIG, Peeters, p. 3-19.

4 J. Mazaleyrat et G. Molinié, Le Vocabulaire de la stylistique, Paris, PUF, 1989, entrée « Style », p. 340.

5 Voir M. Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Paris, Gallimard, 1984, p. 265.