[Introduction]
- Prix de l’Académie française Monseigneur Marcel 2022
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : La Sphère privée à la Renaissance. « Les cachettes du cœur »
- Pages : 55 à 56
- Collection : Études et essais sur la Renaissance, n° 123
- Série : Éthique et poétique des genres, n° 4
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782406106791
- ISBN : 978-2-406-10679-1
- ISSN : 2114-1096
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10679-1.p.0055
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 12/04/2021
- Langue : Français
Au plus intime de soi, il y a la faute, et le for intérieur est indissolublement associé à la culpabilité et à la responsabilité (jusque dans son sens actuel où il désigne l’instance de jugement des jurés dans une cour de justice). En faisant du péché une opposition de l’homme à la volonté de Dieu, le christianisme propose de s’en libérer par l’aveu et par un profond repentir qui est regret d’avoir offensé Dieu1 : c’est la pénitence. Telle est la raison pour laquelle cette étude s’ouvre sur l’analyse des problèmes liés à la confession qui a largement contribué à l’investigation de l’intériorité2. L’étude d’un manuel de confesseurs écrit au tout début du xvie siècle montre la façon dont évolue la notion de péché en même temps qu’elle informe sur l’emprise de l’Église sur des fidèles convaincus désormais que l’existence du Purgatoire permet à un mort de quitter l’enfer pour rejoindre Dieu3.
Tandis qu’au Moyen Âge, l’adhésion religieuse est conçue comme une pratique collective imposée, la Réforme met l’accent sur une démarche religieuse résolument personnelle. C’est le moine augustin Martin Luther qui, dans les années 1520, a rouvert le dossier de la liberté religieuse en s’indignant des Indulgences et de la richesse de la papauté et en dénonçant ce qu’il considère comme des abus de l’Église catholique dont il conteste l’autorité. Il s’appuie sur les Évangiles (en particulier celui de Matthieu) qui fondent l’autonomie de l’Église sur la distinction des deux cités, celle des hommes et de l’autorité civile, celle de Dieu : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matthieu, 22, 21). Luther plaide en particulier pour que les choix religieux s’ancrent désormais dans le retranchement de la conscience privée : « l’autorité n’a pas le droit de s’opposer à ce que chacun enseigne et croie ce qu’il veut, qu’il s’agisse de l’Évangile ou de mensonges4 ». C’est préconiser 56l’autonomie du choix et la liberté de la croyance. On touche là au cœur de la question de la conscience et de ses droits. Dans sa réflexion sur la liberté de conscience, Mario Turchetti écrit par exemple que le mot conscience désigne « le laboratoire de l’activité cognitive (pilosophie), le for intérieur de la volonté en action (théologie morale), l’identité individualisante de la personne juridique (droit)5 ». L’étude d’un ouvrage de Sébastien Castellion, le Conseil à la France désolée, écrit au début des guerres de Religion en France, conduira à s’interroger sur l’appartenance de la conscience à l’espace intérieur.
1 Tandis qu’après le meurtre d’Abel, Caïn reste seul avec ses remords (Gen. 4, 10-15).
2 Voir Delumeau, Jean, L’Aveu et le pardon, Les difficultés de la confession xiiie-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1990. Dans son étude, l’auteur relie la confession à la connaissance de soi, p. 7-8.
3 Voir là-dessus Le Goff, Jacques, La Naissance du Purgatoire, Paris, Gallimard, 1981, éd. consultée Folio, 1991.
4 Luther, Martin, Exhortation à la paix à propos des douze articles de la paysannerie souabe, 1525, Œuvres, II, Paris, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, dir. Matthieu Arnold et Marc Lienhard, 2017, p. 192.
5 Turchetti, Mario, « La Liberté de conscience », Encyclopédie du protestantisme, éd. Pierre Gisel et Lucie Kaennel, Paris, Genève, PUF / Labor et Fides, 2006, p. 798.