Aller au contenu

Classiques Garnier

Préface La religion nouveau fait politique ?

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Sécularisation en question. Religions et laïcités au prisme des sciences sociales
  • Auteur : Ollitrault (Sylvie)
  • Résumé : Ce chapitre introductif a pour objectif de replacer l’histoire du GSRL et de ses travaux dans le paysage de la recherche contemporaine. Ce texte reflète une allocution orale ayant pour finalité d’introduire les journées d’hommage aux travaux du centre de recherche CNRS, travaux reconnus internationalement sur le fait religieux.
  • Pages : 11 à 14
  • Collection : Bibliothèque de science politique, n° 3
  • Thème CLIL : 3284 -- SCIENCES POLITIQUES -- Histoire des idées politiques
  • EAN : 9782406097358
  • ISBN : 978-2-406-09735-8
  • ISSN : 2557-4868
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09735-8.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 26/11/2019
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Politique, radicalisation, analyse des comportements, sciences religieuses, retour du religieux
11

Préface

La religion nouveau fait politique ?

Lacronyme du GSRL (Groupe sociétés, religions, laïcités, CNRS-EPHE-PSL) fait coexister laïcités et religions suivant cette manière française de concevoir le religieux dans une sphère à part, dont on contrôle les expressions et les formes dans lespace public. Dans la France contemporaine, le religieux reste, évidemment, un objet de recherche plein et entier alors que les sociétés font parler cet objet, linstrumentalisent, diffusent des discours soit pour lencenser comme un lien social indispensable, pacificateur, soit pour le stigmatiser comme un archaïsme. La science, avant de se construire pour sen démarquer (sociologie), lobserve comme une composante des sociétés (une institution, un lien social…). Ainsi, le fait religieux pouvait être renvoyé à un phénomène passionnant les anthropologues, occupant les théologiens et peu à peu la religion se transformait presque en objet pour discipline rare ou dérudits. Or, ce centre de recherche prouve que les chercheurs qui tiennent à leur objet ont raison de se battre contre vents et marées pour le conserver. Et, il y a vingt ans, qui aurait prédit les formes actuelles de religiosité ? En témoigne le regain dattrait pour le religieux dans sa dimension à la fois mondialisée et via ses appropriations intimes grâce à Internet, qui a soutenu lémergence de nouvelles modalités de construction de son identité individuelle.

Lactualité a – quant à elle – rattrapé nos sociétés au point de nous montrer le revivalisme religieux qui prenait des voies surprenantes, du moins provoquant la surprise des médias, des citoyens, lorsque des jeunes éduqués dans nos sociétés occidentales, français, renvoyant le religieux au privé est devenu contestation de lordre public, de la hiérarchie sociale voire des fondements de nos sociétés. Les phénomènes dits de « radicalisation » qui prennent un substrat religieux rappellent étrangement les combats politiques du xxe siècle, porteurs de grands récits magnifiant laction (jeunes sengageant dans la guerre civile 12espagnole, jeunes rejoignant les légions Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale ou encore les luttes du tiers-monde plus tard). Si le dynamisme dattractivité pour une cause reste une grammaire commune, il ne faut pas éluder que les jeunes qui partent pour la Syrie ou sinsèrent dans des réseaux radicalisés pour commettre des attentats en Europe se légitiment grâce à une cause religieuse et en une croyance eschatologique qui glorifie leur sacrifice – les sanctifient – parce quils sinscrivent dans un récit général religieux.

À lheure où la France a été choquée, « sidérée1 » par des massacres de civils, alors que notre société était réputée sinscrire dans ce processus de la pacification des mœurs dépeint par Norbert Elias2, le CNRS sest retrouvé confronté à ce nouveau défi au point douvrir des programmes de recherche sur la radicalisation, de lancer un appel « Attentats-recherche3 ». Le GSRL, groupe de recherche constitué sur les problématiques religieuses, démontre par son activité que la recherche a eu raison de résister à lallant-de-soi porté par un sens commun – trop commun ! – prédisant le déclin du fait religieux. Le caractère protéiforme de lobjet « religion » qui dépasse les monothéismes occidentaux ne doit pas sous-estimer que de nombreuses sociétés se vivent encore au rythme de leurs rites, organisent leur vie sociale selon un ordonnancement dicté par des lois, des coutumes se fondant sur une « transcendance » y compris polythéiste ou animiste. Cest parce que le fait religieux existait encore parfois sous une forme exotique ou allogène (la venue des musulmans sur le sol européen) quil a sans doute tenu. Mais, son revivalisme nen est que plus fort, y compris dans la France contemporaine traversée par un mouvement politico-religieux qui se fonde sur le soutien à des combats lointains (les « frères » syriens) face à une religion revendiquée comme un droit du sol, du primo-arrivant (« les racines chrétiennes de la France »). Loin de nêtre que le vecteur des guerres de religion ou des pratiques, le fait religieux contemporain donne un sens pour penser le lien au sol dans un contexte de mobilité des individus ou de mondialisation et la religion renvoie à des identités 13qui se recomposent. Quid de ces nouveaux convertis à lislam ? Quid de ces nouvelles religions qui apparaissent dans la palette des cultures religieuses françaises : les pentecôtistes, par exemple ?

Le GSRL a fêté ses vingt ans et son programme de recherche témoigne quil a su suivre lévolution de ces phénomènes en noubliant pas le versant de la laïcité, qui marque une des singularités de la société française et son rapport au religieux. Cest pourquoi Patrice Bourdelais, directeur de lINSHS au CNRS, a reconnu toute lexcellence de ce centre de recherche qui a su traverser les modes pour construire un savoir fondamental si utile en temps de crise et de nouveaux défis. Parfois, on peut se demander quel est lapport des sciences humaines et sociales au savoir fondamental comme peuvent lêtre certaines disciplines comme la conceptualisation mathématique ou les recherches sur lunivers ; le GSRL représente cette excellence, la capacité de réunir des chercheurs de qualité sans exclusion de zone géographique ou sans restriction sur une école ou une modalité de pensée mais réunis par leur passion partagée pour un objet de recherche, capables de sorganiser en une dynamique commune.

Si vingt ans est une étape importante dans la vie dun centre de recherche, le CNRS ne peut que senorgueillir de soutenir ce programme scientifique fondamental qui permet, lorsque le politique ne dispose que des réponses à court terme, davancer des éléments de réflexion sur ces phénomènes qui traversent nos sociétés, passionnent nos citoyens, créent parfois des clivages mais aussi les réunissent, les font se battre ensemble sur des fronts qui peuvent être sociaux (bioéthique, modes de reproduction, port de signes religieux) mais aussi identitaires (« se convertir », « ne pas croire tout en se sentant de culture catholique, juive ou musulmane »). Tant de phénomènes sociaux qui restent à la croisée de la dynamique dindividualisation (le libre arbitre, le libre choix dappartenir ou non à une communauté religieuse) et de recomposition des groupes sociaux qui ne peuvent plus se reconnaître exclusivement par le truchement de la stratification économique (classe sociale). Le religieux daujourdhui réinvente les communautés, et lindividu peut – sans que cela soit systématique ! – se réinventer par ses croyances, ses représentations du monde social.

On ne peut souhaiter au GSRL et à son directeur, Philippe Portier, quun bon vent, celui qui continuera à porter ce centre de recherche vers des terres inconnues, vers des terres nouvelles à limage de ces 14religions en recomposition constante qui nous offrent un paysage varié, exotique, parfois effrayant mais toujours étonnant. Que les chercheurs du GSRL cultivent leur étonnement pour mieux comprendre les chaos qui bouleversent nos sociétés contemporaines !

Sylvie Ollitrault4

1 Gérôme Truc, Sidérations. Une sociologie des attentats, Paris, PUF, coll. « Le Lien social », 2016.

2 Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Paris, Pocket, coll. « Agora », 2005.

3 Appel « Attentats-recherche » lancé par Alain Fuchs, président du CNRS, en novembre 2015 ayant pour objectif de soutenir et consolider les recherches permettant la compréhension de la radicalisation, des formes religieuses, des modalités de sécurité des sociétés.

4 Directrice de recherche au CNRS. Au moment où sest tenu le colloque « Les vingt ans du GSRL », Sylvie Ollitrault était directrice adjointe scientifique de lInstitut national des sciences humaines et sociales du Centre national de la recherche scientifique.