[Introduction de la troisième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : La Scène cannibale. Pratiques et théories de la transgression au théâtre (xvie-xxie siècle)
- Pages : 225 à 226
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 100
- Série : Dramaturgie comparée, n° 2
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- EAN : 9782406119395
- ISBN : 978-2-406-11939-5
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11939-5.p.0225
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/09/2021
- Langue : Français
Le cannibalisme, comme scène et comme sujet, suscite une interrogation sur les possibilités et les visées du genre tragique que les théories prennent explicitement en charge et les œuvres elles-mêmes de façon plus subreptice. La potentialité théorique et critique du motif cannibale ne s’explique pas seulement par sa violence paroxystique, qui le rend naturellement problématique pour un genre de mimèsis qui requiert l’assentiment d’un public, mais aussi par ses caractéristiques concrètes. En effet, la destruction des corps et l’anéantissement de la matière renvoient à l’une des propriétés du théâtre tragique – donner vie aux morts le temps de la représentation – que les tragédies de la Renaissance rendent manifeste grâce à la figure de l’ombre protatique. Le théâtre cannibale pousse la figuration dans ses retranchements.
Une approche panoramique du corpus met en lumière une coïncidence chronologique entre l’intérêt des dramaturges pour le motif cannibale et l’existence d’une démarche théorique, qu’il s’agisse d’affirmer le genre de la tragédie ou de le contester. Il convient de s’interroger sur la possibilité, pour certaines des œuvres du corpus, d’accompagner la réflexion poétique ou d’en prendre le relais. Cette observation amène à formuler l’hypothèse que le motif cannibale au théâtre se trouve doté d’un potentiel critique, à des moments où le genre tragique et ses traits caractéristiques sont en cours d’élaboration et de définition. La fortune scénique du cannibalisme, de même que la chronologie qui lui est propre, ne s’expliqueraient pas tant par le hasard ou les goûts des dramaturges et des publics que par l’importance de la transgression anthropophage pour la réfléxion sur les enjeux de la tragédie. Le corpus cannibale se situe à la fois au centre d’une approche critique, quand il permet de comprendre certains ressorts déterminants de la tragédie, et à ses confins, lorsque les œuvres éprouvent les limites du genre.
C’est donc à un retour réflexif sur l’efficacité de la scène cannibale qu’est consacrée la dernière partie de cette étude qui envisage le motif comme un laboratoire pour la conception du théâtre et de la tragédie. L’étude des œuvres dans une perspective diachronique et théorique montre le bénéfice du sujet pour les dramaturges. L’étonnant succès du 226Thyeste de Sénèque à certaines époques permet de concevoir ce modèle singulier comme un creuset pour l’art dramatique. Enfin, c’est le moment le plus récurrent de ce corpus qui est aussi le plus scandaleux, le banquet cannibale, qui interroge les dispositions et les fonctions mêmes de la tragédie.