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Classiques Garnier

Recensions

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : La Revue des lettres modernes
    2023 – 10
    . Les émotions
  • Auteurs : Smeets (Marc), Roldan (Sébastien)
  • Pages : 219 à 227
  • Revue : La Revue des lettres modernes
  • Série : Jules Barbey d'Aurevilly, n° 26
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406158028
  • ISBN : 978-2-406-15802-8
  • ISSN : 0035-2136
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-15802-8.p.0219
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 08/11/2023
  • Périodicité : Mensuelle
  • Langue : Français
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Alice De Georges, Poétique du naturalisme spiritualiste dans lœuvre romanesque de Joris-Karl Huysmans, Paris, Hermann, 2022, 348 p.

Lenjeu de ce livre est original, le défi grand : étudier le naturalisme spiritualiste dans lœuvre de Joris-Karl Huysmans non pas dun point de vue thématique mais stylistique. On sait quen 1887 Huysmans avait déjà appelé de ses vœux une nouvelle esthétique baptisée dans un premier temps « réalisme spiritualiste » (Carnet vert) et quil en a esquissé les contours et objectifs dans son roman Là-bas (1891). Et on sait aussi que ce faisant, lauteur dÀ rebours « a légué à la postérité un objet détude qui na pas fini de lembarrasser1 », ainsi que nous le rappelle Jean-Marie Seillan dans la préface du livre. Lembarras semble être dautant plus grand, étant donné que Huysmans lui-même a peu à peu abandonné cette expression oxymorique au profit dun terme avec une « acception plus restreinte2 », à savoir le mystique. À quoi bon donc dédier tout un livre à une notion aussi temporaire que le naturalisme spiritualiste que Huysmans lui-même a rapidement délaissée ? Alice de Georges en est dailleurs fort bien consciente lorsquelle déclare qu« on ne peut qualifier de naturaliste spiritualiste chaque page écrite par Huysmans à partir de Là-bas » (PNS, 97). Mais en même temps : quoi de plus intéressant et de tentant alors que dessayer de « déterminer les critères qui composent lesthétique naturaliste spiritualiste » (PNS, 17) si lon accepte quelle colore lécriture huysmansienne depuis En rade (1887) et quÀ rebours (1884) « en livre les prémices » (PNS, 31) ?

Alice De Georges procède de façon méticuleuse. Dans la première partie du livre, elle part « sur les traces dun Huysmans en quête dune nouvelle poétique » (PNS, 32) pour mieux pouvoir cerner cette esthétique romanesque. La question est donc de savoir comment « la permanence dune esthétique naturaliste clairement définie » réunit avec « linconstance des 220tâtonnements de lécrivain au sein des voies métaphysiques quil emprunte » (PNS, 40). Alice De Georges propose au lecteur de suivre une « odyssée spirituelle » (PNS, 40-74) où sont esquissées les errances et questionnements métaphysiques de Joris-Karl Huysmans et de ses personnages. Puis, elle aborde et problématise les deux variables de la formule huysmansienne : la « permanence » (le réalisme, le naturalisme, deux notions que Huysmans utilise de manière interchangeable mais que lauteure du livre distingue lune de lautre de façon nuancée) et l« inconstance » (« la part transcendante de lesthétique huysmansienne » (PNS, 95)) dont le moteur est le principe de la transformation engendrée par la conversion. On peut regretter quAlice De Georges ne fasse quesquisser les contours de cette dernière variable et quelle se soit abstenue de mieux définir linconstance en ayant recours – tout comme elle la fait pour le réalisme et le naturalisme – aux « étiquettes » (-ismes) dont elle a mentionné plusieurs types dans le chapitre précédent. Mais elle semble préférer avoir recours aux termes plus insaisissables qui expriment le mouvement (« transformation », « contours mouvants », « instabilité », « variabilité ») pour mieux évoquer la « poétique de la quête », sujet de la deuxième partie du livre.

Létude de la poétique de la quête se focalise sur la « trilogie de la conversion esthétique qui se noue autour dEn rade, Là-bas et En route », car elle concentre « les trouvailles esthétiques du naturalisme spiritualiste » (PNS, 106). Ce faisant, Alice De Georges laisse de côté un nombre de textes postérieurs à la conversion comme Sainte Lydwine de Schiedam (1901) ou Les Foules de Lourdes (1906). Bien quils sécartent « en partie de lécriture romanesque et du naturalisme spiritualiste » (PNS, 108), ces textes présentent néanmoins un intérêt particulier. On sait quaux yeux de Joris-Karl Huysmans, par exemple, Sainte Lydwine, « [s]a petite Lydwine3 », rassemble tout ce quil y a de plus personnel et de plus « inchangé4 ». Alice De Georges avance certes un nombre de raisons qui expliquent pourquoi Sainte Lydwine na pas vraiment sa place dans le corpus quelle a constitué (appartenance générique, rattachement au naturalisme, recours aux descriptions, nature du lien entre lâme et le corps), mais ce faisant elle montre bien que lhagiographie – et peut-on 221vraiment qualifier dhagiographie cet « étrange manteau dHarlequin textuel5 » ? quel est en fait son statut générique ? – pourrait se présenter comme « laboutissement du naturalisme spiritualiste » (PNS, 117). On peut alors regretter que ce texte fondamental nait pas été considéré comme un terminus ad quem de son étude. Dautant plus quAlice De Georges analyse la poétique du naturalisme spiritualiste à travers trois « degrés de conversion du tangible » (PNS, 109) : lincarnation, la transsubstantiation (la conversion des substances naturelles en principes spirituels) et la transmutation (de la matière). Rappelons que déjà de son vivant le corps pressé de Lydwine, converti en une substance unique, fut « une cassolette vivante6 ». Et pourquoi ne pas avoir incorporé le récit de la vie de la Mère Van Valckenisse esquissée dans La Cathédrale (1898) dont, trois semaines après le décès, le corps sest liquéfié en une huile « blanche, limpide, parfumée7 » ? Liquéfaction, transfiguration du corps8, « transsubstantiation des pires ordures et sanies en de merveilleuses sublimités mystiques » (pour reprendre les termes dAlain Buisine9), autant de vocables qui rappellent une conversion de la matière si chère à la poétique du naturalisme spiritualiste.

Ceci dit, Poétique du naturalisme spiritualiste comble une lacune dans léventail des études huysmansiennes. On sen rend bien compte lorsquAlice De Georges étudie de près la « mise en mouvement de lécriture » (PNS, 136) huysmansienne à travers les trois principes cités ci-dessus. Ayant pris En rade comme point de départ de la structure duelle du futur naturalisme spiritualiste (labsence de démarcation entre le monde diurne et lunivers nocturne, la voie onirique et la voie souterraine, ou inconsciente), Alice De Georges poursuit lanalyse de la « structure narrative binaire » (PNS, 167) dans Là-bas. Conçu par Joris-Karl Huysmans pour démontrer « que les mêmes périodes dâme se succèdent10 », le roman croise le médiéval et le moderne pour en faire un jeu de miroirs inversés qui « soude le 222passé et le présent » (PNS, 177). Il ne sagit donc pas de voies parallèles comme lavait écrit Joris-Karl Huysmans dans le premier chapitre de Là-bas mais plutôt dune écriture permettant douvrir « des portes qui conduisent de lun à lautre » (PNS, 178), dincarner lun dans lautre.

La transsubstantiation, deuxième forme dincorporation, dépasse lunion décrite dans le chapitre « Incarnations » ; elle est plutôt un changement de substance voire un doublement de médium. Apparaît ici limportance de la technique picturale dans la poétique du naturalisme spiritualiste car « le principe de la transsubstantiation manifeste la “présence réelle” du divin dans ses ekphraseis et hypotyposes » (PNS, 183). Il sagit donc de savoir comment la spiritualité figure dans le matériel et comment on peut « rendre visible linvisible, sensible lintelligible » pour reprendre la formule dAude Jeannerod11. Si « le dispositif pictural offre à la description sa structure » (PNS, 209), on sétonnera alors peut-être quAlice De Georges nait pas eu recours aux travaux dAude Jeannerod pour étayer lanalyse de la manière dont Huysmans utilise le dispositif pictural et la palette du peintre pour réunir le spirituel et le matériel. Il nempêche que lanalyse en soi demeure convaincante pour démontrer comment Joris-Karl Huysmans fait usage « du médium pictural pour investir son matériau dune dimension surnaturelle » (PNS, 232).

Avec la transmutation, le troisième et dernier principe de conversion esthétique, nous entrons dabord dans le domaine de lart culinaire, terrain de prédilection de Joris-Karl Huysmans. Ici, Alice De Georges se propose danalyser le réseau métaphorique culinairequi a pour but d« éclairer la vie spirituelle sous un autre jour » (PNS, 242). Autrement dit, le phénomène de transmutation « vise à spiritualiser la matière tout autant quà incarner la spiritualité » (246). Alice De Georges montre, maints exemples à lappui, que « le processus culinaire de réduction et de condensation propre à la fabrication de coulis ou de sucs, pour exhausser le goût des aliments, est autoréflexif du réseau métaphorique qui parcourt ce roman, où les deux systèmes du sacré et du culinaire sont transformés lun par lautre » (PNS, 252). Lautre processus de transmutation sur lequel sattarde Alice De Georges est lalchimie. Elle propose de lire la trilogie comme reflétant les trois phases du travail alchimique : lœuvre au noir, lœuvre au blanc et lœuvre au rouge, latteinte de la pierre philosophale de la poétique surnaturaliste. 223Est-ce dire alors que Huysmans laurait lui-même trouvée ? Non, nous répond Alice De Georges, « parce que la conversion esthétique précède la conversion religieuse qui lui propose tout dabord ses procédures pour en ralentir ensuite la progression » (PNS, 282). Aussi lécriture huysmansienne, après En route, sest-elle éloignée peu à peu du naturalisme spiritualiste.

Cest un livre novateur quAlice De Georges nous propose, en nous offrant une définition poétique du naturalisme spiritualiste tout en nous guidant à travers nombre de fragments et passages sélectionnés avec soin et analysés de façon précise. Ainsi montre-t-elle comment, à partir dEn rade, le spiritualisme travaille le naturalisme et vice versa. On aurait pu souhaiter quelle prolonge cette réflexion sur la poétique huysmansienne dans dautres textes post 1895. Alice De Georges explique certes les raisons de son choix – et on comprend mieux la mention « œuvre romanesque » dans le titre de son ouvrage – mais on nous permettra de ne pas être entièrement convaincu, dautant plus que, chez Joris-Karl Huysmans, le « romanesque » est lautre nom de liberté générique. Malgré cela, saluons la tentative réussie davoir donné une définition et un panorama précis du naturalisme spiritualiste dans lœuvre de Joris-Karl Huysmans, une première dans le domaine des études huysmansiennes.

Marc Smeets

Université Radboud Nimègue, RICH

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Julie Anselmini, LÉcrivain-critique au xixe siècle, Liège, Presses de lUniversité de Liège, coll. « Situations », 2022, 554 p.

Le livre publié aux Presses Universitaires de Liège en 2022 par Julie Anselmini impressionne, séduit et satisfait le lecteur habitué aux travaux 224dix-neuviémistes. Il frappe lesprit par lampleur du propos, il captive lattention par loriginalité du point du vue, il assouvit le scrupule de probité par la rigueur de la démonstration. Lautrice sest donnée pour objectif détudier le statut de lécrivain-critique à travers trois de ses plus imposantes incarnations au xixe siècle : Alexandre Dumas, Théophile Gautier et Jules Barbey dAurevilly. « Tous trois, remarque Julie Anselmini, mènent en parallèle, publiquement, tout au long de leur carrière, écriture littéraire et écriture critique » (p. 14), si bien quau-delà de leurs différences (évidentes, foncières, nombreuses, variées), ces auteurs appartenant au milieu du siècle se rejoignent dans cette dualité de lécrivain-critique, au sujet duquel on navait encore réalisé de synthèse. Lessai sinscrit donc à la fois dans le sillage et en amont de celui consacré par Marie-Françoise Melmoux-Montaubin à la figure de LÉcrivain-journaliste au xixe siècle (2003), effectuant la charnière vers le siècle suivant. Pour Julie Anselmini, il sagit ainsi « dinterroger la transformation de la critique littéraire » (EC, p. 18) au fil de la carrière de Dumas, Gautier et Barbey. De « pratique ancillaire » quelle était, la critique devient « une écriture participant de plein droit à la modernité littéraire » (Ibid.).

Louvrage, bien équilibré, se subdivise en trois grandes parties, chacune composée de quatre chapitres fédérés autour dune question directrice. La première creuse la voie de lhistoire littéraire en retraçant la façon dont chaque auteur en est venu à exercer les deux rôles, embrigadé chacun à sa façon dans la « vaste offensive » (EC, p. 23) qui fut menée contre la critique professionnelle. La deuxième, centrée plutôt sur la posture de lécrivain-critique, étudie léventail des « stratégies auctoriales » (EC, p. 13) déployées dans ce double rôle. La dernière, plus stimulante, délaisse les études médiatiques en conduisant lenquête sur le versant esthétique du problème : « En quoi la critique dun écrivain peut-elle être dite “créatrice”, au sens fort ? Quelles formes de critique littéraire inventent les écrivains ? » (EC, p. 14). Bénéficiant au surplus dune introduction efficace, lessai se recommande encore par sa capacité à faire ressortir la labilité de la démarcation entre littérature et critique tout en illustrant limportance primordiale de cette dernière chez trois écrivains majeurs pourtant dabord reconnus pour dautres types décrits.

Quun chapitre débute par létude du cas de Dumas pour enchaîner avec ceux de Barbey puis de Gautier, le chapitre suivant adoptera sans hésiter (et sans sencombrer de la légitimation de ce choix) une séquence 225différente : Gautier dabord, Dumas ensuite, Barbey enfin. Il en va ainsi dans tout le volume. Cette souplesse bienvenue procure de la variété et permet de multiplier les points dentrée dans la masse des matériaux à étudier. Cela comporte en sus lavantage de présenter les enjeux suivant des gradations signifiantes qui favorisent la compréhension et excitent limagination.

Limpide, directe, précise, lécriture de Julie Anselmini est imagée et élégante. On lui tiendra gré, à plus forte raison, de savoir lart de faire revivre les auteurs du xixe siècle en citant volontiers, bien quavec mesure, certaines de leurs phrases bien trouvées qui éclairent autant le travail de lécrivain-critique que lesprit de lépoque. Sont cités dautre part, et généreusement là encore, les travaux plus récents sur lesquels lautrice appuie sa démonstration. Probe et scrupuleux, largument progresse à bon rythme.

Cest notamment le cas dans la première partie de louvrage, où lon prend connaissance de la manne de critiques produites par les auteurs à létude (chap. ii, iii et iv). Le relevé en est saisissant. Présentée de manière aussi systématique que possible à laide de regroupements pratiques, lœuvre critique de Dumas, Gautier et Barbey revit grâce à un effort de classification et de commentaire enté sur une problématique spécifique à chaque auteur. Par exemple, lintéressant chapitre sur Théophile Gautier (EC, p. 75-101) examine de près, dans ses diverses manifestations et articulations, la paradoxale conciliation de deux contraires chez lauteur dÉmaux et Camées : sa « collaboration hyperactive aux circuits commerciaux et médiatiques de son temps » et ce « culte de la forme » qui chez lui est doublé dun « anti-utilitarisme » (EC, p. 76).

Sans être aucunement surpris de voir Dumas, dans sa louange marquée pour Hugo, repousser lauteur dHernani et des Misérables « doucement mais fermement du côté de la poésie » (EC, p. 243), on peut jouir de découvrir le jeu des positionnements auxquels se livre lécrivain-critique. Le plaisir intervient semblablement quand lautrice tourne son attention vers la conception que se fait Barbey, dans ses écrits critiques, de ce quest la poésie, laquelle serait identifiable alors à la spontanéité, lexpressivité et lintensité qui trahissent « une intuition de linfini, une spiritualité que Barbey reconnaît chez les vrais poètes » (EC, p. 265).

Mais cest dans la troisième partie de lessai que le propos se démarque le plus. Lautrice prend ici acte des ambitions de la critique 226littéraire du milieu du siècle : elles sont « à la fois herméneutiques, communicationnelles et esthétiques » (EC, p. 383). Les analyses sy font plus enthousiasmantes, car cest seulement là quon découvre enfin toute létendue des talents critiques des trois auteurs en vedette, lesquels apparaissent en portraitiste (Gautier), en causeur (Dumas) et en essayiste (Barbey). En effet, ce dernier simpose par-dessus tout comme celui qui, dans lamas de textes critiques quil a rédigés, sattelle dabord et avant tout à « lexpression didées philosophiques, morales, sociales, politiques et religieuses » aptes à présenter à ses contemporains « la voie quil faudrait ou quil aurait fallu prendre » (EC, p. 416). On voit ainsi, non sans délectation, lauteur des Diaboliques « glisse[r] constamment de lœuvre commentée au sujet de celle-ci, pour, mieux quelle, le traiter à son tour » (EC, p. 424).

Occasionnellement dans ce gros livre se décèle un manque de générosité. À la première page le lecteur est renvoyé aux travaux de Paul Bénichou sur la sacralisation de lécrivain ; ils ont beau être à bon droit « désormais canoniques » (EC, p. 9, note 4), il serait bienvenu dindiquer précisément lesquels, ou par lequel commencer : Le Sacre de lécrivain ? Le Temps des prophètes ? Les Mages romantiques ?, etc.

Il arrive aussi que lautrice sappesantisse sur des considérations méthodologiques déjà réglées ailleurs dans le volume. La deuxième partie de louvrage et la troisième, à la différence de la première, comportent un bref chapitre non numéroté et non répertorié dans la table des matières (EC, p. 127-129 et p. 295-298) : ce hors-dœuvre laisse songeur sans procurer de bénéfice.

Certains segments du livre pourront sembler alourdis par un esprit excessivement théoricien. Dans la première moitié du chapitre sur « lhéroïsation du critique » (p. 130-141), Julie Anselmini prend ainsi le parti de centrer le propos sur une critique – parfois excessive ? – des travaux de Paul Bénichou sur la sacralité de lécrivain romantique, alors quil serait peut-être plus productif de situer lenquête sur lécrivain-critique dans le prolongement de ceux-ci.

Louvrage se clôt par un douzième chapitre saisissant, où lautrice entreprend de scruter les réécritures dœuvres que ses trois écrivains-critiques ont élaborées quand ils se sont pris à rêver à ce quils auraient fait, eux, avec le sujet de lœuvre dont ils rendaient compte. On ira traquer 227la critique jusque dans des poèmes ou des fictions de Barbey, Gautier ou Dumas, lorsque lœuvre est façonnée par « lexercice critique » (EC, p. 477). Cest là que la brillante réflexion menée par Julie Anselmini trouve le plus déclat.

De ce beau livre le résultat net, positif aurait-on dit en 1850, est composite. Sa contribution au champ du savoir dix-neuviémiste consiste en partie à confirmer hors de tout doute des impressions, intuitions ou préconceptions quon pouvait avoir dentrée de jeu à légard du travail de critique, décrivains de la stature de ces trois-là. Nul ne sera surpris dapprendre, par exemple, que dans la critique du mitan du xixe siècle « [l]es commentaires consacrés à autrui sont rarement totalement désintéressés ou “objectifs” » (EC, p. 291). Au-delà des conclusions tirées auxquelles il fallait sattendre, au demeurant utiles et qui nenlèvent rien à la pertinence ni à la richesse des vues exposées dans cet admirable ouvrage, on retiendra la productive hypothèse explorée dans le troisième mouvement de lessai. Car lidée denvisager la sympathie admirative ou son double inversé, le dégoût véhément, comme les deux faces dune même médaille permet de donner à la notion décrivain-critique toute son épaisseur heuristique – quelles quen soient dailleurs les incarnations : entre un Gautier ou un Dumas enflammés et un Barbey déchaîné, la distinction est finalement secondaire, puisque ce qui les réunit, la passion, lintensité, les fait vibrer à lunisson.

Sébastien Roldan

Professeur associé,
Université de Winnipeg

1 Préface de Jean-Marie Seillan, Alice De Georges, Poétique du naturalisme spiritualiste dans lœuvre romanesque de Joris-Karl Huysmans, Paris, Hermann, 2022, p. 7 (nous renverrons désormais à cet ouvrage en texte, entre parenthèses, par le sigle PNS, suivi de la référence)

2 Introduction de Jean-Marie Seillan pour Là-bas, in Joris-Karl Huysmans, Œuvres complètes, tome IV – 1888-1891, éd. Jean-Marie Seillan, Paris, Classiques Garnier, 2019, p. 403.

3 Lettre à Dom Thomasson de Gournay du 12 septembre 1897 (Bibliothèque de lArsenal, Ms Lambert 61, fo 85).

4 Comme la écrit Jean-Marie Seillan dans lintroduction pour Sainte Lydwine de Schiedam, « le livre hérite des plus anciennes thématiques de lœuvre » (Œuvres complètes, tome IX – 1901-1902, éd. Jean-Marie Seillan, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 43).

5 Ibid.

6 Joris-Karl Huysmans, Sainte Lydwine de Schiedam, op. cit., p. 335.

7 Joris-Karl Huysmans, La Cathédrale, in Œuvres complètes, tome VI – 1898-1900, éd. Gaël Prigent, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 206.

8 Ibid. Voir aussi Marc Smeets, « Osmazômes », Nineteenth-Century French Studies 37, no 1&2, Fall-Winter 2008-2009, p. 102-104.

9 Alain Buisine, Huysmans à fleur de peau, Arras, Artois Presses Université, 2004, p. 59.

10 Lettre de Joris-Karl Huysmans à Joseph-Antoine Boullan du 7 février 1890 (citée daprès Joris-Karl Huysmans, Œuvres complètes, tome IV – 1888-1891, op. cit., p. 363).

11 Aude Jeannerod, La Critique dart de Joris-Karl Huysmans. Esthétique, poétique, idéologie, Paris, Classique Garnier, 2020, p. 565.