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Classiques Garnier

Foreword

  • Publication type: Journal article
  • Journal: La Revue des lettres modernes
    2022 – 2
    . Huysmans en bref
  • Author: Solal (Jérôme)
  • Pages: 13 to 16
  • Journal: Journal of Modern Literature
  • Series: Joris-Karl Huysmans, n° 8
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406111498
  • ISBN: 978-2-406-11149-8
  • ISSN: 0035-2136
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11149-8.p.0013
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 03-02-2022
  • Periodicity: Monthly
  • Language: French
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Avant-propos

Dans À rebours, en des lignes qui ont frappé durablement les esprits, Huysmans a fait, au nom de lintensité, léloge du poème en prose : pour lui, la concision concentre, la brièveté permet un gain, de temps, de sens et de beauté. Moins cest plus. Réduire le roman au poème en prose, cest le faire rayonner davantage. Avec son « Antienne de Pantin », le héros, des Esseintes, fournissait une preuve, timide et partielle, de cet effort de condensation littéraire.

La brièveté chez Huysmans na pas suivi la seule piste du poème en prose, même si son premier livre, Le Drageoir à épices, en procède et montre la voie. En séloignant parfois de lidéal de concentration défendu en 1884, elle emprunte ensuite dautres genres, purs ou mêlés selon une hybridation à laquelle Huysmans sest souvent volontiers prêté. Les quatre sections de notre volume abordent successivement quatre pouvoirs de lécriture du Bref – Brosser, Raconter, Expliquer et Fantasmer – quon peut trouver à lœuvre dans la poésie en prose mais aussi dans dautres genres littéraires, dautres procédures décriture.

Huysmans est certes reconnu comme un romancier accordant une place privilégiée à la description, qui chez lui empiète largement sur la place que le roman réserve dhabitude à laction. La description ralentit le rythme et porte un coup darrêt à la platitude des sorties de la marquise, à cinq heures ou plus tard, jusquà parfois constituer létoffe même du texte. Cest, en dehors du roman, le cas des textes abordés dans la première section du volume.

En de rapides pages, Huysmans a su, à trois reprises, brosser un autoportrait. Per Buvik souligne quà chaque fois, et quelles que soient la modalité littéraire et les circonstances particulières de ces autoportraits diachroniques, Huysmans entreprend de se peindre comme écrivain, avant toute autre considération, notamment religieuse. Alexia Kalantzis sintéresse aux journaux ou revues, supports qui ont offert à Huysmans la possibilité dun format bref, accessible, partagé, quil a volontiers adopté 14sans pour autant céder aux impératifs commerciaux, en oscillant entre le journalisme de terrain croquant le quotidien et la tentation artiste du poème en prose. Jérôme Solal retient un poème en prose traité en « croquis », où la description à la fois minutieuse et allégorique dune rivière parisienne souillée laisse sourdre la puissance poétique de la mélancolie et jette les bases dune esthétique de la précarité.

Le genre narratif saccommode également du format bref. Le roman est alors parfois délaissé non pour le poème en prose mais pour la nouvelle : on change de format plutôt que de forme. Huysmans sy est essayé avec parcimonie, son œuvre ne comptant que quatre nouvelles, toutes écrites entre 1878 et 1888, en plein essor du naturalisme : la première fait date en intégrant le recueil-manifeste des Soirées de Médan, la dernière, refusée à la parution par son commanditaire anglais, verra le jour en 1964 grâce à Maurice Garçon et Jean-Jacques Pauvert.

Cest ce corpus quexamine la deuxième section. Létude transversale de Bertrand Bourgeois montre quavec ses nouvelles Huysmans développe une écriture moderne teintée dhumour, noir ou absurde, qui annonce Kafka et Beckett : délaissant les plaisirs de la narration, ses récits se focalisent sur des existences dérisoires et lorgnent vers la poésie. Alexandre Leroy insiste sur lexcentricité des personnages solitaires de ces nouvelles, dont la désocialisation se révèle souvent salvatrice, et compare cet univers à celui des récits zoliens. Kelly Benoudis Basilio analyse les différentes formes dironie dans Sac à dos, Boule de Suif et LAttaque du moulin ; dans ces trois récits des Soirées de Médan, lironie se met au service de la dénonciation de la guerre et prend dans le texte de Huysmans une tournure humoristique relevant de la farce scatologique et de lautodérision. Arnaud Vareille souligne la place à part dUn dilemme, exception formelle et thématique dans le corpus des nouvelles huysmansiennes : lécrivain y met de côté linvention lexicale et soigne une intrigue centrée sur le personnage principal, un notaire à lesprit étriqué, usant et abusant du Code civil pour parvenir à ses mesquines fins. Optant pour une approche ethnocritique et sappuyant sur la notion de « littératie », Marie-France Amara envisage La Retraite de Monsieur Bougran sous langle des relations de pouvoir : le « héros » révolté a beau transgresser lusage des lieux, des corps et des codes, il nen reste pas moins aliéné aux valeurs dominantes dune société bureaucratique dont il a intériorisé la symbolique, ce qui fera de lui une victime désarmée.

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Bien que son art de conteur lenracine dans le vécu sensible de personnages dont la situation lamentable fait écho à sa propre vie, Huysmans aime aussi prendre de la distance et expliquer ce quil observe, ce quil vit. Son œil discerne et révèle. Ses récits sont des analyses. Chargés de commentaires, parfois cinglants, ils fustigent la société du spectacle qui gâte le quotidien et rabaisse tout élan vers le sacré. Huysmans aime commenter ce quil déteste et ne déteste pas commenter ce quil aime, ce qui le touche et le séduit. Sans jamais opter résolument pour lessai ou le pamphlet, genre auquel Paris ou les Rêveries dun croyant grincheux, textes brefs restés dans ses tiroirs, pourraient se rattacher, il lui arrive de délaisser les genres narratifs pour écrire des préfaces, destinées à éclairer ses propres œuvres ou les écrits dautres auteurs, ou plus fréquemment pour se consacrer à la critique dart à travers des articles parfois rassemblés ensuite en volume.

Cest ce quévoque notre troisième section. Alexandra Delattre remarque que deux préfaces, rédigées pour des ouvrages religieux aujourdhui tombés dans loubli, sorientent vers la question de lart : celle du Petit Catéchisme liturgique de labbé Dutilliet sinterroge sur la liturgie et la fonction à la fois cultuelle et militante de lart dans lÉglise ; celle de louvrage de labbé Broussolle, La Jeunesse du Pérugin et les origines de lÉcole ombrienne, trace de nouvelles lignes de partage entre peinture mondaine et peinture spirituelle.

Si la thématique artistique, qui la occupé toute sa vie durant, sinvite dans ces deux préfaces, elle est bien sûr centrale dans ses articles sur lart où en 1867 il a puisé la matière de son premier texte publié. Très tôt Huysmans rend compte des Salons et il continuera à se passionner pour les œuvres de la tradition picturale comme pour celles de la génération émergente. Expliquer un tableau amène à le décrire. Mais comment passer de lespace pictural à lespace textuel, comment lécriture voulant donner à voir la peinture peut-elle obéir à cet impératif de représentation ? Aude Jeannerod rappelle deux stratégies à lœuvre dans ses articles de 1876 à 1878 : le jeune critique hésite entre une ekphrasis à la minutie jusquau-boutiste, visant lexhaustivité, et une hypotypose dont limmédiateté sélective et synthétique se révèle en définitive seule apte à saisir la facture du tableau et le talent du peintre. Florence Pettelat sintéresse, elle, à cinq articles assez tardifs que Huysmans a consacrés à des tableaux quil avait vus au Louvre : il y recherche sans concession la 16vérité contrastée de ces œuvres exposées en un lieu de culture privilégié qui à ses yeux joue aussi le rôle dun refuge spirituel.

Enfin, le format bref est propice au surgissement déclairs incontrôlés, à la manière dun rêve ou dun cauchemar faisant brutalement irruption. Voici lécrivain et son lecteur plongés en une fantasmagorie qui fait lobjet de la dernière section de notre volume. Pantomime écrite par Huysmans et Léon Hennique, son complice du naturalisme, Pierrot sceptique propose une imagerie violente autour du deuil. Renaud Oulié relève les ambiguïtés de cette pantomime empreinte de lesprit fin-de-siècle, et jamais mise en scène. Il estime que lopuscule fond didascalies ininterrompues et flashs successifs en une matière textuelle qui sapparente à une nouvelle survitaminée. Mohamed Yosri Ben Hemdene lie pour sa part Pierrot sceptique à Pierrot au sérail, pantomime écrite par Flaubert et Louis Bouilhet. Dans les deux œuvres, il observe la tension entre le bref et linfini, lequel se traduit par un déluge dobjets et par la frénésie dun personnage qui, balayant les principes dopposition des contraires, élargit le champ des possibles.

Jérôme Solal