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Classiques Garnier

Introduction

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INTRODUCTION

Textes pour rien / Texts for Nothing est un recueil largement négligé par la critique beckettienne, qui semble se satisfaire du jugement formulé par son auteur, selon lequel cette œuvre ne serait plus quun « [l]ambeau de larrière-faix de LInnommable1 ». Cest, nous semble-t-il, faire peu de cas de lextrême sérieux avec lequel Beckett exerçait son activité de créateur ; pour cette raison même, le volume suivant de notre Série2 vise à établir la grande beauté et la qualité remarquable de cette œuvre qui mérite toute notre attention. Le présent ouvrage est destiné à compléter et à accompagner les études composant ce volume collectif intitulé “Textes pour rien” / “Texts for Nothing” de Samuel Beckett : le corps de la voix impossible. En se présentant comme un ouvrage de référence, il doit sentendre comme une invitation pour que les lecteurs poursuivent létude de ce corpus dont nous sommes – il va de soi – loin davoir révélé toutes les subtilités.

Si, depuis Watt, les allusions intertextuelles se font plus discrètes dans lœuvre de Beckett, elles ne cessent de nourrir son écriture : celle-ci fait résonner de multiples échos issus dœuvres composant le vaste corpus de la littérature occidentale. Dans le même esprit, on discerne, au sein de la souplesse de lexpression lyrique et méditative caractérisant lensemble, une grande variété de tons : pathos, tendresse, exhortation, plainte, ironie ; les pages de cette œuvre sont jalonnées par des micro-récits, des évocations de la réalité contemporaine ou des images gothiques, un langage discrètement familier, la méditation… Encore faut-il observer que ces qualités sont loin dêtre identiques dans les deux langues : à lire les deux “versions” de cette œuvre côte à côte, en écoutant leur musicalité, lon se croirait en présence de deux livres distincts. La musique de Textes pour rien est – en vertu des caractéristiques de la langue – plus douce et fluide ; celle de Texts for Nothing manifeste des rythmes plus abrupts et appuyés. 8De même, Textes pour rien fait parfois allusion aux œuvres antérieures de Beckett, tandis que Texts for Nothing, venant à sa suite, cherche à respecter loriginal, tout en évitant dy surajouter des éléments issus des œuvres en anglais. On note toutefois que le retour de lauteur à sa langue maternelle a occasionné la reprise déléments issus de son passé irlandais.

Telles sont donc quelques-unes des pistes qui ont guidé lélaboration de ce livre dannotations qui, devant la délicate beauté de ce corpus, visent à préciser un certain nombre des allusions et faits saillants caractérisant ces textes. Les remarques successives permettent dattirer lattention sur des faits isolés, ou détablir des liens entre des passages, sans entreprendre une élaboration argumentative : il sagit dune forme de companion à cette œuvre de Beckett.

Au sein de la multiplicité dallusions que lon pourra toujours discerner dans chacun des “Textes”, nous avons ciblé des échos qui semblent significatifs, même si notre compréhension peut paraître encore partielle ou insuffisante. Des distinctions mineures de nuance ou de connotation nont pas été prises en compte, sauf dans des cas où elles traduisent une référence importante, ou suggèrent un changement dintention ou daccentuation intervenant dans le passage dune langue à lautre. Comme nombre dœuvres de Beckett qui ont été ensuite retravaillées (non “traduites”) en anglais, Texts for Nothing senrichit de nouvelles résonances, et revêt un caractère plus personnel. Parfois, le texte en français comporte des nuances que langlais est incapable de reproduire, mais cette limitation demeure moins marquée.

Pour conclure, je tiens à remercier vivement Chris Ackerley davoir apporté cette précieuse contribution à notre Série, et aussi davoir bien voulu massocier à lélaboration de ces annotations, dont il est resté le maître dœuvre.

Llewellyn Brown

1 Beckett à Jean Wahl, 8 juillet 1951 (L2, 263 ; cf. 299). N.B. Par la suite, les notes se rapportant à Textes pour rien seront en français ; celles se rapportant à Texts for Nothing seront en anglais.

2 Voir le résumé des études infra, p. 221.