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Classiques Garnier

Introduction à la troisième partie

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Introduction
à la troisième partie

Tout comme la résidence dauteurs, souvent insaisissable, aux acceptations multiples, en perpétuelle mutation, la notion de médiation culturelle, loin dêtre stabilisée, demeure en sciences humaines et sociales un espace de lentre-deux captivant qui allie diverses démarches (historique, sociologique, communicationnelle…) et des modèles conceptuels y afférents. En effet, cet objet protéiforme samalgame autour des pratiques de mise en relation existantes entre des formes artistiques et des publics, de la professionnalisation de ces pratiques chez les opérateurs culturels, des discours politiques institutionnalisant ce mode dintervention culturelle et enfin de différents processus et dispositifs de communication.

La question des médiations savère être un champ dexploration considérable dont les sciences de linformation et de la communication se sont saisies en étudiant la notion au sein de multiples domaines (culturel, scientifique, technique, médiatique, mémoriel, patrimonial…) et en mettant en place plusieurs niveaux danalyse (technique, sémantique et defficacité)1 décrits dès 1948 par Claude E. Shannon et Warren Weaver. La médiation culturelle occupe une place centrale dans les travaux menés en SIC comme en atteste limposante littérature scientifique sur le sujet ou encore un ouvrage de la Conférence permanente des directeur·trices dunités de recherche en sciences de linformation et de la communication démontrant le dynamisme de cet axe et son remarquable foisonnement :

La médiation est ce troisième terme du schéma de la relation qui vient sinterposer à linterface entre lobjet culturel et le récepteur pour rendre la 266communication possible ou, en tout cas, la faciliter. Le modèle dit “émetteur-récepteur” des origines, par trop télégraphique, a été rapidement critiqué et mis à mal, en particulier par lapplication au champ de la musique du modèle de lacteur-réseau [] Dans le domaine des lieux et événements culturels, cela revient à considérer que le choix des œuvres exposés [] ou rencontres organisés, leur répartition dans lespace et leur position ainsi que les supports et/ou présences dont on les accompagne, mais également le lieu lui-même des manifestations et le type dexpérience culturelle quils proposent sont autant de médiations2.

Les études pionnières de Marie-Christine Bordeaux sur les médiations culturelles constituent un socle théorique pour les SIC, dans la mesure où elle a mis en exergue la triple dimension de la médiation (sociale, technique, sémiotique), tout en offrant une solide conceptualisation de la notion (synthèse des problématiques critiques) qui articule parfaitement théorie et pratique, sous divers angles à lépreuve du terrain (politiques culturelles, professionnalisation, démocratisation, public, EAC…) et toujours dans un souci de diffusion scientifique perceptible dans ses nombreuses productions3. Dans la lignée de la théorie de la médiation façonnée par Jean-François Six qui distingue quatre types4 (médiation « créative », « préventive », « curative », « rénovatrice ») et de Jean Davallon qui repense la notion à partir du concept de « dispositif5 » 267articulant pratique sociale et stratégie communicationnelle, il sagit de montrer comment la résidence dauteurs apparaît comme un dispositif de médiation original à forte dominante créative qui implique un processus de transformation favorisant la mise en place de liens nouveaux et souples entre les écrivains, les publics et les opérateurs culturels. Lobjectif prioritaire est dinterroger les enjeux dappropriation ou de réappropriation qui en découlent, en privilégiant une approche empruntée à Yves Jeanneret qui, à propos de la notion dusage, insiste sur la nécessité denvisager la médiation dun point de vue fonctionnel, symbolique et réflexif : « Parler dusage, cest évoquer à la fois du fonctionnel (comment on sen sert ?) et du symbolique (quest-ce qui se joue ?)6 ». Ainsi, comment la résidence dauteurs utilise les médiations ? Selon quels niveaux daction, quels enjeux, quelles finalités ? Selon la typologie des formes de diffusion et de médiation établie par Bernard Darras7, les médiations résidentielles relèvent-elles plutôt dun « système centripète » élitiste fondé sur un public initié ou dun « système centrifuge » intégrant une approche démocratique et un public profane ?

Afin de mener à bien cette étude, il sagit dabord de réaliser un bref état des lieux préalable qui vise à circonscrire la notion de médiation culturelle et ses usages. Puis, des lieux aux médiations observés, il sera intéressant de replacer les résidences dauteurs dans les espaces et les situations dintervention rencontrés, à travers un essai de spatialisation résidentielle, afin de cerner les types de médiations imaginés et les stratégies communicationnelles des différents milieux de pratique. Enfin, lultime chapitre sera consacré à lanalyse du dispositif résidentiel en tant que laboratoire social et outil de coopération visant à instituer une relation partagée.

1 Claude E. Shannon, Weaver Weaver, The Mathematical theory of communication, Champaign, The University of Illinois Press / Urbana, 1963 ; Théorie mathématique de la communication, traduction française par Jacques Cosnier, Gélis Dahan, Stravinie Economidès et préface par Abraham A. Moles, Paris, Retz, 1975.

2 CPDirSIC, Dynamiques des recherches en sciences de linformation et de la communication, 2018, p. 91, http://cpdirsic.fr/wp-content/uploads/2019/08/dyresic-web-08-2019.pdf (consulté le 10/07/2023).

3 Marie-Christine Bordeaux, La médiation culturelle dans les arts de la scène, thèse de doctorat en sciences de linformation et de la communication, sous la direction de Jean Davallon, Université dAvignon, 2003 ; Marie-Christine Bordeaux, « La médiation culturelle en France, conditions démergence, enjeux politiques et théoriques », Culture pour tous. Actes du Colloque international sur la médiation culturelle, Montréal, Culture pour tous-Groupe de recherche sur la médiation culturelle, 2008, https://www.culturesducoeur.org/Content/Docs_Observatoire/86.pdf (consulté le 10/07/2023) ; Marie-Christine Bordeaux, Élisabeth Caillet, « La médiation culturelle : Pratiques et enjeux théoriques », Culture & Musées, Hors-série, 2013, p. 139-163, http://journals.openedition.org/culturemusees/749 (consulté le 10/07/2023) ; Marie-Christine Bordeaux, François Deschamps, Éducation artistique, léternel retour ? Une ambition nationale à lépreuve des territoires, Toulouse, Éditions de lAttribut, 2013 ; Marie-Christine Bordeaux, « La médiation culturelle face aux nouveaux paradigmes du développement culturel », in Nathalie Casemajor, Marcelle Dubé, Jean-Marie Lafortune, Ève Lamoureux (dir.), Expériences critiques de la médiation culturelle, Québec, Presses de lUniversité Laval, 2017, p. 109-129.

4 Jean-François Six, Le temps des médiateurs, Paris, Seuil, 1990.

5 Jean Davallon, LExposition à lœuvre. Stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, LHarmattan, 1999.

6 Yves Jeanneret, « La relation entre médiation et usage dans les recherches en information-communication », Médiations et Usages des savoirs et de linformation, IBICT/FIOCRUZ, 2008, p. 37-59, https://pdfs.semanticscholar.org/d982/b2dd75e548886cba6de6f686531b0132d2a3.pdf (consulté le 10/07/2023).

7 Bernard Darras, « Études des conceptions de la culture et de la médiation », MEI, no 19, 2003, p. 61-85.