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Classiques Garnier

Présentation

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Représentation de l’histoire dans la nouvelle en langue française du xixe siècle
  • Auteurs : Palacios Bernal (Concepción), Méndez Robles (Pedro S.)
  • Pages : 7 à 18
  • Collection : Rencontres, n° 128
  • Série : Études dix-neuviémistes, n° 28
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812436253
  • ISBN : 978-2-8124-3625-3
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3625-3.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 28/12/2016
  • Langue : Français
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Présentation

Ce volume, consacré à la représentation de lhistoire dans la nouvelle du xixe siècle, sinscrit dans le cadre de deux projets de recherche1 auxquels participent des chercheurs qui portent, depuis quelques années, un même intérêt pour létude générale du récit bref, bien quappartenant à des institutions différentes. Plusieurs autres collectifs ont été déjà publiés à cet égard, El relato corto francés del siglo XIX y su recepción en España2, Le récit fantastique en langue française de Hoffmann à Poe3 et La nouvelle au xixe siècle : Auteurs mineurs4. Plus récemment vient de paraître également Femmes nouvellistes françaises du xixe siècle5. Ces volumes ont tous un objectif commun, celui dapprofondir les connaissances sur le récit bref en langue française et de contribuer à la détermination de lhistoire encore fragmentaire du genre6, bien que les répertoires publiés par René Godenne, qui participe activement à notre projet, ont permis de léclairer progressivement7. Mais il reste encore un long chemin à parcourir dans 8lapproche dun genre qui vécut son âge dor au xixe siècle. Il est bien certain que les histoires de la littérature présentent toujours les mêmes écrivains, les grands auteurs, ceux qui sont passés à la postérité, ceux qui continuent à être publiés et à être lus, soit par le grand public ou par un public plus restreint, académique et universitaire. De là notre intérêt pour récupérer des voix disparues, celles dhommes ou de femmes, qui ont fait lhistoire du genre, qui ont contribué à lessor de la nouvelle du xixe siècle. Dautre part, si certains sujets ou thématiques conviennent bien à ce genre, comme il advient du fantastique, il y en a dautres qui siéent davantage au roman. Depuis la fin du xviiie siècle sesquisse la mode du roman – ainsi que celle du drame – historique, qui simposera finalement au xixe siècle. Quen est-t-il de la nouvelle ? Peut-on parler de « nouvelle historique » ?

Le livre prétend donc sinterroger sur la représentation de lhistoire dans les nouvelles du siècle, sur les événements historiques, politiques et sociaux qui plus particulièrement ont traversé cette période, sans pour autant en omettre dautres. Effectivement, le xixe siècle est une des périodes de lhistoire qui a été le plus souvent utilisée comme référent ou matière première dans les récits de fiction. La question nest certes pas nouvelle, les réflexions quelle a nourries se concentrant surtout sur le roman, que ce soit sur le roman proprement historique ou sur lhistoire romanesque comme toile de fond de la fiction. Balzac, Hugo, Zola, parmi les écrivains français, fournissent les modèles à suivre et même Stendhal, pour qui « la politique dans une œuvre littéraire [] est comme un coup de pistolet au milieu dun concert » nous permet de montrer le véritable rôle actantiel joué par lhistoire dans ses fictions romanesques. Toutefois le roman na pas le monopole de la fiction de type historique. Il sagit détendre la vision de lhistoire, de voir comment elle se présente dans cette modalité romanesque que constituent les contes et les nouvelles du xixe siècle. Donc, lenjeu scientifique auquel participent les auteurs de ce collectif est celui de comprendre et danalyser le positionnement de lhistoire dans son rapport avec les spécificités de la nouvelle, en tant que genre narratif dans un siècle où le roman historique sallie dans un mouvement symétrique et complémentaire à la conception scientifique de lhistoire pour raconter des histoires en racontant lhistoire.

Lors de lanalyse de la présence de lhistoire dans les récits brefs, les participants au volume ont retenu quelques questions, parmi celles 9envisageables : comment raconte-t-on lhistoire ? Sagit-il dinsérer lhistoire récente ou lhistoire ancienne, cest-à-dire décrire sur les événements historiques du siècle ou de ressaisir lhistoire des temps éloignés ? Quels sont les moments les plus privilégiés de lhistoire ? Sagit-il de la grande histoire, de lhistoire en majuscule, celle des faits célèbres, ou de la petite histoire, celle de tous les jours, des petits faits vrais ? Quel déficit éprouve le récit bref par rapport au roman dit historique ? De quelle manière les événements historiques sont représentés dans les nouvelles ?

Les vingt essais rassemblés dans ce collectif répondent à ces multiples questions, et, en fait, au désir danalyser les différents modes de présentation des événements historiques dans des textes très divers. Nous les avons regroupés en trois axes thématiques, bien que les interférences entre eux soient presque toujours présentes, étant donné les difficultés inhérentes à la création littéraire, car, ne loublions pas, la fiction romanesque sy impose devant la vérité historique.

La révision de lhistoire dans la nouvelle

Roman face à nouvelle

On pourrait intituler ce premier groupement darticles – le plus restreint – par le titre même de la contribution que nous fournit René Godenne, « Visages de lhistoire dans la nouvelle du xixe siècle ». Godenne nous facilite une fois de plus une vision globale du sujet ; selon lui, la présence de lhistoire est cette fois-ci plus importante quon ne le croit dans les nouvelles de la période, que ce soit à travers des œuvres de pure fiction qui utilisent lhistoire comme prétexte ou à travers dautres œuvres qui élèvent des personnages de fiction au rang de protagonistes dévénements réels. Comme nous aurons loccasion de montrer dans quelques-unes des collaborations du collectif, Godenne signale les deux périodes dramatiques qui survolent les nouvelles et se trouvent donc privilégiées par rapport à dautres événements historiques, la période de la Révolution et lEmpire et celle de la guerre franco-prussienne. Pour conclure, lauteur insiste en ce que « la nouvelle, au même titre que le roman, peut rendre compte des mille et un faits de la “réalité” de son temps ».

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Gide sentait de laversion pour la représentation que lesthétique réaliste faisait de lhistoire. Son ambition dès Les Cahiers dAndré Walter, où il mène une réflexion sur lacte littéraire et le genre romanesque, est celle de renouveler le genre, de le débarrasser de lambition documentaire caractéristique du réalisme et du naturalisme. Elena Meseguer analyse à partir de cet ouvrage, assez éloigné de la forme romanesque traditionnelle, la définition que Gide donne de la mission du poète en tant que « représentant de lIdée » et en conséquence pouvant exprimer les vérités essentielles en dehors de lemprise du temps, de lépoque, du moment. Le poète manifeste son dédain pour lanecdote. Il se soucie peu des faits. Au contraire, lhistorien confond pour sa part la réalité avec les apparences, dont il reste prisonnier. Cette opposition entre poète et historien, suppose deux modes dapproches différents du réel, deux esthétiques différentes ; le réalisme et lidéalisme, évoquées par la référence à Schopenhauer. En effet, Meseguer montre également limportance du philosophe pour nous faire comprendre doù vient à Gide son dégoût pour lhistoire. Or, pour lécrivain, la voie de lhistorien – celle du réalisme, esthétiquement parlant – constitue une impasse. Non pas décrire, mais découvrir, aller au-delà des apparences, voilà la voie à suivre pour le romancier qui ne laisserait pas dêtre un poète, cest-à-dire, à ses yeux, un authentique écrivain. Cette valorisation de la poésie en vient à déprécier le réalisme, puisque seule la poésie permet daccéder à la vérité.

Yvon Houssais, pour sa part, sinterroge sur la difficulté de concilier les exigences du roman historique avec celles de la nouvelle en raison des contradictions, au moins apparentes, entre le terme « nouvelle » et le terme « historique ». Il tente de donner quelques réponses à cette contradiction en visant trois exemples parfaitement différents : Les Soirées de Walter Scott à Paris de Lacroix, La Vision de Charles XI et LEnlèvement de la redoute de Mérimée, et La Canne de jonc de Vigny. Si dans le premier exemple leffort de Lacroix pour inscrire la fiction dans un cadre historique aboutit à une prolifération excessive déléments dans la nouvelle, les récits de Mérimée saccommodent mieux de ce que Houssais appelle le monothématisme de la nouvelle bien que le traitement de lhistoire sy avère plus problématique puisquil se détourne de toute représentation. En ce qui concerne le troisième exemple, celui de Vigny, il sagit dun récit qui sintéresse davantage à la représentation du parcours idéologique et politique dune génération, quà la reconstitution 11dun cadre historique, dune couleur locale. La conclusion de Houssais est claire : la nouvelle ne peut rivaliser avec le roman historique sur son propre terrain sans aboutir à léchec. Elle doit donc sappuyer sur un épisode plus restreint de lhistoire en lui conférant le maximum de sens et dintensité dramatique.

Carmen Pujante, quant à elle, réfléchit aux questions théoriques du genre et sintéresse à établir la comparaison entre la nouvelle française et espagnole du xixe siècle dans ses relations avec lhistoire. Elle analyse surtout le passage entre la nouvelle anecdotique et daction et la nouvelle qui « ne raconte rien », entre la conception « classique » et la conception « moderne ». Cette évolution, représentée par la dialectique Maupassant-Tchékhov, peut également être observée dans le panorama espagnol : à travers Clarín et Galdós, passe ce méridien qui place dun côté le récit bref traditionnel « narratif » et dun autre côté le récit moderne « a-narratif ». Pour conclure, Carmen Pujante laisse la porte ouverte à une étude comparative cherchant à approfondir le paradoxe de la coexistence de lessor du roman et de la nouvelle, du réalisme et du fantastique, tout en ouvrant lanalyse à des tendances du récit bref au xxe siècle, époque à laquelle le récit bref a-narratif ou a-historique exercera son influence sur les « nouveaux romans ».

Le xixe siècle en scène

Ce sont les nouvelles, où la fiction se mêle aux événements historiques, qui traversent la période. Parmi les plus privilégiés – nous lavons souligné – celles qui se situent à lépoque révolutionnaire et napoléonienne dans les premières décennies, tandis que la Commune et la guerre franco-prussienne attirent lattention des écrivains de la deuxième moitié du siècle.

À commencer par Carmen Camero qui étudie la présence de lhistoire dans les histoires racontées para les différents narrateurs des Diaboliques, histoires ancrées dans une période historique précise avec de nombreuses références historiques bien que, face aux romans, lécrivain ne retient dans les nouvelles que quelques traits essentiels, tant pour les événements 12quil présente que pour les personnages historiques. Mais comme Camero souligne à manière de conclusion, Barbey, nostalgique des temps passés, en lutte contre les idées progressistes, se sert de la description de lhistoire événementielle pour récupérer avec ses personnages fictionnels les traditions brisées de la noblesse de lAncien Régime.

Carme Figuerola soccupe dun écrivain peu connu de nos jours, Jules Sandeau, dont les nouvelles demeurent à lombre des ses romans beaucoup plus importants au moins en nombre. Par rapport aux faits de lhistoire présentés dans ses nouvelles, la Révolution et ses effets fait figure dexception. Loriginalité de Sandeau réside en ce quil naccorde pas une trop grande importance aux faits historiques, sattardant plutôt sur les faits divers de la vie quotidienne des bourgeois et des aristocrates, les deux classes privilégiées dans ses nouvelles qui deviennent donc des documents, au service des idées de lécrivain sur lévolution des mœurs de lépoque. Pour Figuerola, si Sandeau accorde une place à lhistoire dans se récits, cest pour mieux montrer et illustrer ses principes idéologiques.

Pour sa part, Thierry Ozwald analyse deux nouvelles, LEnlèvement de la redoute de Mérimée et Le Corps de garde russe de Vigny qui montrent deux versions différentes dun sujet quasi-analogue de lépopée napoléonienne. Dans les deux cas il sagit dabattre une citadelle de haute lutte, de faire « sauter un verrou » stratégique. Bien quOzwald constate la similitude thématique et formelle des nouvelles, lanalyse du Corps de garde russe et LEnlèvement de la redoute nous permet de déterminer une sorte de ligne de partage des eaux qui indique le lieu où deux approches littéraires apparemment similaires se dissocient précisément, partant dune même tradition romantique, et comment des faits littéraires distincts vont sélaborer ; dun côté lexamen lucide et ironique des événements et des actes de guerre chez Mérimée, de lautre, lhorreur chérie de la violence chez Vigny ou ce qui, au dire dOzwald, pourrait signifier le mensonge romantique face à la vérité romanesque.

À côté des romans historiques dErckmann-Chatrian, se trouvent des nouvelles moins connues de ces deux auteurs qui sappuient elles aussi sur lhistoire de France. Noëlle Benhamou analyse quelques-unes des nouvelles ancrées dans lhistoire, ayant comme toile de fond celle de la fin du xviiie siècle et du xixe. Elles se nourrissent toutes dun cadre historique, de petits faits vrais et surtout de dates qui assurent une épaisseur de vérité à la fable racontée. Dans son article, Benhamou sinterroge 13sur la place que le passé occupe dans les récits des deux Lorrains, sur les événements historiques quils privilégient dans leurs contes et nouvelles et sur la place de lhistoire comme élément romanesque essentiel. Elle conclue finalement que la nouvelle chez Erckmann-Chatrian se constitue comme le refuge idéal des détails vrais, de la petite histoire de lhistoire et en conséquence, insiste sur lefficacité de la forme brève pour évoquer les faits peu glorieux et méconnus de lhistoire officielle.

Avec sa contribution, Thanh-Vân Ton-That examine la prise de position de lauteur des Rougon-Macquart envers la Commune dans le roman La Débâcle et dans la nouvelle Jacques Damour. Zola a développé une même matière historique en se livrant à un travail damplification dans le roman après avoir commencé par la nouvelle. Pour ce faire elle analyse les multiples facettes de la nouvelle par rapport au traitement romanesque, en fonction du cadre, des acteurs et du message à transmettre. Pour Thanh-Vân Ton-That la conclusion est claire. Il ne sagit pas, nous dit-elle, dun exercice de style et de genre de la part de Zola qui passe de la nouvelle à lécriture romanesque dun même sujet ; la nouvelle est moins historique et plus psychologique, étant lintrigue amoureuse au centre du récit tandis quavec le roman les émotions sont remplacées par lexacerbation des passions politiques, la vision du monde est entièrement renouvelée et les positions anti-communardes zoliennes sont plus nettes.

Edurne Jorge explore dans « La Fantaisie et lhistoire », première partie des Contes du lundi, les sentiments dAlphonse Daudet envers, de nouveau, la guerre franco-prussienne et la Commune. Daudet fut un témoin dexception de certaines des histoires quil raconte puisquil participa activement à la défense de Paris durant le siège, puis vécu les premières semaines de la Commune. Daprès lanalyse de Jorge, lécrivain sintéresse surtout à montrer les impressions causées par la guerre sur les petits événements de lhistoire, sur les vies ordinaires des civils et les sentiments qui sen dégagent. À côté de ce tableau quotidien de la guerre, Daudet revendique également lengagement personnel de la plupart de ses compatriotes. Bien que celle-ci ait été vécue de façon différente en province et à Paris, les Français firent preuve dune grande ardeur patriotique tout au long du conflit.

Cette même guerre laissa une forte empreinte sur lesprit de lécrivain Guy de Maupassant au point de se constituer en thème essentiel dun bon nombre de ses nouvelles, sans pour autant devenir chez lui lexpression 14dun nationalisme exalté. Maupassant détestait la guerre et la lecture des nouvelles de lécrivain sur ce conflit doit tenir compte de cette réalité. Sous une perspective sociocritique, Lozano, en choisissant quelques exemples de divers recueils de lauteur, sintéresse aux différentes réponses des êtres humains par rapport à la guerre ; elle analyse dans une première partie deux contes de guerre : La Mère Sauvage et Le Père Milon, tous deux illustratifs de la monstruosité que toute guerre dévoile chez lêtre humain. Dans un deuxième temps, elle étudie trois nouvelles de guerre insérées dans les Contes de la Bécasse pour conclure que la lecture des nouvelles de Maupassant traitant le thème de la guerre doit dépasser la position idéologique de lécrivain lui-même pour se situer à travers les différentes réponses des personnages dans une perspective plus large qui nous parle de lincohérence du monde.

Lhistoire dailleurs

Dans cet axe, qui est le plus ample, nous avons groupé des articles racontant des histoires insérées dans lhistoire dautres pays, dont les nouvelles qui ont comme toile de fond lEspagne occupent une place privilégiée, puisque le pays – son histoire (ancienne ou récente), ses paysages, ses gens, ses mœurs – suscite en France une grande curiosité, jusquà ce quils en deviennent un véritable mythe.

Cest lAntiquité qui y est premièrement abordée. Mª Victoria Rodríguez choisit le récit de Théophile Gautier Arria Marcella pour montrer comment lunivers fantastique du texte sinsère dans lutilisation que lécrivain fait de lhistoire. Comme on le sait, Gautier était un passionné de lhistoire des Arts, notamment de lhistoire antique et dans cette nouvelle la vie quotidienne de Pompéi, ville antique, sentrecroise avec la vie moderne au point que le lecteur ne parvient pas à séparer le rêve de la réalité. Gautier mêle sa fascination pour lAntiquité à son goût du fantastique. Pour Rodriguez, Arria Marcella est plus quun voyage dans le temps et elle résume toute la nouvelle dans la phrase de Gautier lui-même « rien ne meurt, tout existe toujours ; nulle force ne peut anéantir ce qui fut une fois ».

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De Gautier à Richepin sans abandonner lAntiquité latine. Cette fois-ci de la main de Pedro Pardo, qui sintéresse à découvrir dans Les Contes de la décadence romaine de Jean Richepin plutôt que le souci dexactitude historique, une projection esthétique dans le goût de lépoque fin-de-siècle où nous assistons à un traitement truculent des histoires aux sujets très divers dans lesquelles toutes les licences semblent permises. Pardo analyse aussi dautres aspects, qui rendent compte non seulement du contexte historique de publication du recueil mais aussi de la personnalité de lécrivain, tels que la fabulation et linvraisemblable dans le traitement des histoires, bien quelles se veulent des témoignages historiques, ou les mutations des voix narratives dans les contes, ce qui rend difficile la compréhension du véritable message de Richepin, qui nest autre que la réprobation globale de la décadence.

Les relations entre la France et lEspagne tout au long du xixe siècle ont été largement étudiées. Celles-ci ont été envisagées de plusieurs points de vue, notamment du point de vue de la perspective historico-littéraire à partir du genre de la nouvelle. À cette période, en effet, lEspagne inspire la France, avec des œuvres à saveur historico-exotique, et les Français inspirent les Espagnols, avec des sujets et des personnages littéraires tirés de lhistoire française.

Alvarez, soccupe dans sa contribution danalyser les nouvelles sur lhistoire dEspagne dans deux titres emblématiques de la presse culturelle française au xixe siècle : la Revue de Paris et la Revue des Deux Mondes. Elle examine, dans un échantillon de nouvelles françaises réunies autour de deux périodes significatives de lhistoire de chaque revue, la manière dont sont traités les sujets historiques relatifs au passé lointain ou récent de lEspagne. Alvarez constate, pour la première revue, que les nouvellistes, utilisant des thèmes chers au romantisme et partant dune relative liberté dans le domaine fictionnel, se montrent assez respectueux des faits historiques et des connaissances courantes sur la civilisation espagnole, mais, en même temps, la quête de ce qui aurait pu vraisemblablement se passer les autorise à fabuler cette « matière dEspagne », richement littéraire et suggestive. En ce qui concerne la Revue des Deux Mondes, lintérêt pour lEspagne qui sy était fortement manifesté tout au long de la première moitié du xixe siècle, diminue ostensiblement dans la seconde et, dans le dernier tiers du siècle, seuls cinq récits français sont inspirés des « choses dEspagne » dans lesquels prédomine en général 16une approche réaliste, bien que des éléments romantiques y soient également présents, toujours comme témoignage de la continuité du mythe espagnol, déjà façonné par le romantisme, et de son maintien dans des paradigmes plus ou moins réalistes.

Malgré la déclaration bien connue de Stendhal sur linsertion de la politique dans un roman, il est bien conscient de linfluence de lenvironnement politique et social sur le comportement des personnages. Nous présentons trois essais qui sen occupent de la présence événementielle dans des nouvelles de lécrivain, ayant comme sujet lhistoriographie espagnole, puisque il y va déployer son « espagnolisme », cette « inclination naturelle pour la nation espagnole », que sa tante Élisabeth Gagnon lui avait inculquée. Il faut souligner en plus que, malgré ses grands romans – quelques-uns inachevés – Stendhal est attiré par les textes courts, que ce soient des nouvelles, des chroniques ou des textes autobiographiques et fragmentaires.

Le premier essai appartient à Alonso qui sintéresse à deux nouvelles de la première époque de création de lécrivain, Le Coffre et le revenant et Le Philtre. Dans la première, lauteur choisit lévocation de la période absolutiste de Fernando VII dont il retient les aspects les plus sinistres et les conséquences les plus dures pour ses personnages. Le Philtre met aussi en scène une histoire dorigine espagnole. Mais contrairement à la nouvelle précédente, Stendhal ne situe pas laction dans le territoire espagnol, mais en France, dans la ville de Bordeaux où il évoque les conséquences funestes de labsolutisme de Ferdinand VII sur les vies de ses personnages et lexpérience du dépaysement des gens qui se voient forcés de quitter leur terre dorigine pour éviter la persécution et la perte de liberté. Ana Alonso constate que Stendhal se démarque dune fiction du passé, pour revendiquer lhistoricité du présent. Écrire lactuel sera pour lui, aussi dans le genre bref, une voie de modernisation et de renouvellement de la prose, un puissant outil de vérité.

Dans la deuxième contribution, Béatrice Didier revient sur Le Coffre et le revenant en montrant cette fois-ci, à partir de lactualité espagnole, les réflexions politiques de lécrivain qui suggère les analogies qui peuvent exister entre tous les pays – la France aussi – dès quil y règne largent, larrivisme, le despotisme, labsence de liberté de pensée. Didier conclut que dans cette nouvelle écrite au même moment que Le Rouge et le Noir, on découvre une correspondance entre le récit et la situation 17politique dont il devient le symbole ; la lutte vouée à léchec des amants contre la tyrannie du directeur de police, logé « dans lancien palais de lInquisition de Grenade », peut être interprétée comme une figure de la difficile lutte de lécrivain en 1830, à la recherche de liberté contre une société oppressive.

En ce qui concerne la troisième collaboration consacrée à Stendhal, Ángeles Sirvent sattache à étudier un texte inachevé de lécrivain et inédit de son vivant, Le Chevalier de Saint-Ismier. Il sagit dun récit de cape et dépée, dont les origines sont directement espagnoles et, comme souligne Sirvent, le développement de lépisode raconté est le même chez Stendhal que dans ses sources. Le moment historique qui sert de cadre à la nouvelle est lépoque de Richelieu pendant laquelle lhistoire, donnée en petites bribes, reflète assez fidèlement la réalité. Dautres éléments comme lironie, lhumour, la précision du style, la critique sociale et politique et même la fameuse énergie stendhalienne sont présentes dans la nouvelle. Lauteure conclut quil faut changer la perception, parfois négative, que lon a sur les récits brefs stendhaliens. Par contre ils sont révélateurs, de même que le reste de sa création littéraire, de la personnalité de lécrivain.

Le Dumas nouvelliste attire lattention dInmaculada Illanes qui analyse dans son article trois nouvelles historiques Dom Martins de Freytas, Praxède et Pierre le Cruel dans lesquelles, sous une réalité historique précise, les personnages et les anecdotes et événements fictionnels et historiques cohabitent. Toutes les trois montrent une certaine unité du fait de leur localisation dans un domaine géo-historique particulier, chargé dévidentes connotations culturelles, lEspagne médiévale bien que Dumas se serve de trois épisodes bien différents, éloignés dans le temps et dans lespace. Mis à part le travail de documentation cher à Dumas, Illanes souligne également dans son étude une série de caractéristiques communes qui servent à illustrer une conception tout à fait particulière de la nouvelle historique, la structure simple et rigoureuse, la présence du « conteur », lintroduction du discours direct pour dramatiser certaines scènes ou le recours à des personnages exemplaires pour instruire le lecteur, de façon que Dumas utilise la fiction historique pour « enseigner “par” lhistoire, en plus denseigner lhistoire elle-même ».

Comme beaucoup de ses contemporains, la Duchesse dAbrantès exploite le mythe dEspagne en se servant, elle aussi, des souvenirs 18dun pays quelle connaissait assez bien. Elle va également tirer parti de lengouement pour le récit historique dans les Scènes de la vie espagnole, recueil en deux volumes composés de quatre histoires qui est lobjet détude de Francisco Lafarga. Les quatre récits se situent à un moment historique précis mais cest LEspagnole qui sert à illustrer de manière exemplaire le rapport entre fait historique et fiction littéraire. En effet, cette nouvelle développe un fait « véridique ou présentée comme véridique » dans le cadre de la Guerre de lIndépendance : le terrible geste dune jeune femme qui nhésite pas à simmoler avec du vin empoisonné pourvu que meurent avec elle les soldats français qui ont tué sa famille et envahi son village. Lafarga analyse les antécédents de cette histoire, reprise par la Duchesse dans ses Mémoires, en lélargissant et en sappuyant également sur ses Souvenirs dune ambassade et dun séjour en Espagne et en Portugal.

Enfin Marta Giné, spécialiste de Villiers de lIsle-Adam, sapproche cette fois-ci de la présence du passé, de lhistoire ancienne surtout, dans des contes de lécrivain traduits en espagnol. Après un rapide aperçu sur les contes « historiques » de Villiers, Giné constate quils nont presque guère retenu lattention en Espagne. Quant à la qualité de la traduction, elle remarque quil y a une évolution positive et favorable dans le temps, bien que Villiers reste toujours un écrivain difficile. Finalement Giné sintéresse à un cas exceptionnel : ladaptation poétique dImpatiente de la foule faite par Manuel Reina.

Concepción Palacios
et Pedro Méndez

Parvenus au terme de ce prologue, nous remercions vivement les auteurs par la très haute qualité des contributions dont nous avons dressé ici une simple et brève ébauche mais en souhaitant vivement quelle invite les lecteurs de ce livre à découvrir en profondeur des perspectives diverses sur lhistoire de la nouvelle en langue française du xixe siècle.

1 Ministerio de Ciencia e Innovación (FFI2010-19285) et Fundación Séneca (11890/PHCS/09).

2 C. Palacios (éd.), El relato corto francés del siglo XIX y su recepción en España, Murcia, Servicio de Publicaciones, 2003.

3 C. Palacios (éd.), Le récit fantastique en langue française de Hoffmann à Poe, Valencia, Esser editorial, 2009.

4 P. Méndez et C. Palacios (éd.), La nouvelle au xixe siècle : Auteurs mineurs, Berne, Peter Lang, 2011.

5 C. Palacios et P. Méndez (éd.), Femmes nouvellistes françaises du xixe siècle, Berne, Peter Lang, 2013.

6 Cf. pages de présentation de La nouvelle au xixe siècle : Auteurs mineurs, op. cit.

7 Les premiers inventaires, élaborés en 1997 et 2002, apparaissent dans Études sur la nouvelle de langue française III, Genève, Slatkine, 2005, p. 79-131 et 134-204. Ils ont été actualisés par dautres nouveaux répertoires dont deux ont été publiés dans Anales de Filología Francesa, no 14, 2006 et no 15, 2007, respectivement. Un huitième inventaire et un bilan ont été publiés dans La nouvelle au xixe siècle : Auteurs mineurs, op. cit., p. 163-187 et 189-240 ; ainsi quun répertoire spécifique sur les nouvelles écrites par des femmes dans le collectif Femmes nouvellistes françaises du xixe siècle, op. cit., p. 29-38. LInventaire de la nouvelle française (1800-1899). Répertoire et commentaire, publié par Classiques Garnier dans sa collection « Études romantiques et dix-neuviémistes » apparut aussi en 2013.