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Classiques Garnier

Les étapes de la critique

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Renaissance de la critique. L’essor de l’Humanisme érudit de 1560 à 1614
  • Pages : 673 à 678
  • Réimpression de l’édition de : 2002
  • Collection : Bibliothèque de la Renaissance, n° 51
  • Série : 1
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812455858
  • ISBN : 978-2-8124-5585-8
  • ISSN : 2114-1223
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5585-8.p.0692
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 28/02/2007
  • Langue : Français
692 LES ETAPES DE LA CRITIQUE
Les mots Kritikos, Kritike deviennent fréquents à l'époque hellénistique, notam- ment chez les Grammairiens d'Alexandrie qui les consacrent à la poésie, et à la poésie homérique surtout. C'est en ce sens qu'apparaissent criticus et critice en latin, que l'on rencontre une fois chez Cicéron et chez Horace. Strabon loue Philetas de Cos comme «  poète et en même temps critique  ». Après Philostrate et Lucien, qui y recourent assez souvent, les termes deviennent courants au Bas Empire aussi bien en latin qu'en grec, chez Servius, Donat, Jérome, Martianus Capella, et chez Athénée et Suidas. Les patrons et types exemplaires en sont Aristarque et Aristophane pour Quintilien ; Cratès pour Athénée ; et l'on rencontre encore Denys d'Halicarnasse dans la Vie d'Isée, Longin, Nonius, Hécatée d'Abdère et quelques autres chez Suidas. En fait dès avant l'Empire règne la Grammaire, et le Grammaticus, et c'est contre la notion traditionnelle de Grammairien que cherchera à se définir la Renaissance. Budé, avons-nous dit, recourt à philologia, et philologus - ce que le Dictionnaire de Robert Estienne interprète par «  amour des lettres  », «  studieux  », «  amateur des lettres  ». Et Henri Estienne songe lui-même dans sa Plainte de la Typographie à Correctio. Si la famille gréco-latine de Kritikos, Criticus devait l'emporter, c'est assurément que ses virtualités n'avaient pas été épuisées par l'Antiquité, ni par le Moyen Age, et qu'elle s'offrait comme un authentique retour aux sources, autorisé ou imposé par le prestigieux patronage d'Homère. Mais cette reprise devait être lente et complexe. Car le recours aux mots de la famille Critique souligne aussi bien l'importance du jugement que celle du choix et de la conjecture. Un art aussi savant et aussi personnel, qui prétend concilier subjectivité et objectivité, aura donc peine à trouver sa voie entre le badinage et le sérieux, entre l'intention maligne et la sérénité ; et les expressions latines et françaises désignant «  jugement  » et «  juge  », «  censure  » et «  censeur  », «  correction  », «  observation  », «  grammaire  », ou même «  polyhistoire  » lui disputeront plus d'un siècle la première place.
Ainsi se dessinent trois principaux courants. Réservé à l'examen des poètes selon l'esprit hellénistique, le mot tend à recouvrer dans la seconde moitié, du xvie siècle la valeur encyclopédique chère aux critiques latins et médiévaux ; puis un caractère inspiré, fruit de la grâce et du génie, qu'autorisaient les interprètes hébraïques de la Loi. A ces trois courants de formation, bientôt mêlés, fondus, parfois appauvris, correspondent trois grandes étapes.
I. - LA CRITIQUE AU SENS HELLENISTIQUE
1536. Robert ESTIENNE. Dictionarium seu Latinae linguae Thesaurus.
Critiques  : tel est le nom des juges des poèmes comme l'ont été les grammairiens Aristarque et Aristophane. A leur sujet Fabius (Quintilien) livre 10 : Apollonius ne figure pas sur la liste dressée par les grammairiens, parce qu'Aristarque et Aristophane n'y ont inscrit aucun de leurs contemporains  ». Cicéron, à Dolabella, livre 9, 10, 3 :_ «  Et moi comme un critique ancien je vais juger s'ils appartien- nent etc... Juvena/  : Critique, on regarde à travers toi *  ».
On appelait autrefois. Critiques ceux qui par la suite ont été dénommés Grammairiens.
* N.B. Tous les éditeurs modernes entendent Cretice, soit un personnage nommé Creticus.
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1561. Jules-César SCALIGER. Poetices libri septem.
Scaliger reprend au profit de Virgile l'antique dénomination consacrée à Homère. Portant sur « l'imitation et le jugement  » le Livre V est intitulé Criticus. Il roule sur l'imitation des Grecs, et d'Homère surtout, faite par les Latins, et par Virgile, à qui est décerné le premier rang. Le livre VI dit Hypercriticùs est un «  Jugement sur les âges de la poésie latine  », fixés à cinq. Si Scaliger emploie parfois le mot Critici, dans l'édition de Genève, 1594, p. 580, 592...) il recourt le plus souvent à Grammatici ( ibid. p. 3, 375, 577, 592, 637, 716...), et l'éloge liminaire de F. Beraldus l'appelle lui-même en grec kritès. La Poétique témoigne éloquemment du souci de mettre en pleine valeur la poésie latine, et elle comporte de très nombreux jugements de valeur. L'expres- sion Critici gagne ainsi en notoriété et en extension.
1572. Henri ESTIENNE. Thesaurus Graecae Linguae.
Nous avons traduit p. 140 les colonnes 428-429 réservées au mot «  Kritès, Juge,... d'où Kritikos  », et à ses répondants, Synésius, Strabon, Eustathe, Héraclite le Rhéteur, et Lucien. Mais le Critique, même doté d'une «  doctrine plus parfaite  » reste encore «  censeur de poèmes  » avant tout.
II. - L'INFLUENCE LATINE
Au jugement rationaliste et esthétique des Grecs, et aussi à leur interprétation allégorique, les Latins permettent d'ajouter l'étude des antiquités nationales et un idéal encyclopédique. Avec Lipse, la Critique se veut dégagée de la grammaire et du pédantisme, elle s'étend vers le badinage et le jeu, l'humour et la plaisanterie.
1565. Joseph SCALIGER. Coniectanea in M. Terentium Varronem De Lingua Latina. Comme il a été nécessaire en de nombreux points de faire des conjectures, et que les conjectures ne sont pas possibles en tous les cas, nous avons suivi le choix raisonnable des sages interprètes, sapientum Iudicum rationem. Le mot Critique manque.
1565. Hadrianus JUNIUS. Nonius Marcellus. De propriétate Sermonum, Plantin, Anvers. Fragments conservés de Varron, ce Polyhistorien si justement dénommé, et. puisés à ces immenses trésors qu'avaient laissés cet homme divin...
1565. H. GIPANIUS, Lucrèce.
1567-1569. Juste LIPSE, Variae Lectiones.
Cf. Scioppius, De Acte Critica : « Ces fameux triumvirs des Lettres qui dans les années 65 commencèrent à écrire des livres Critiques, et qui vivent aujour- d'hui  : joseph Scaliger, Hubertus Gifanius, Justus Lipsius. Egalement vers l'année 65, des livres parfaits dans leur nouveau genre littéraire, et leur style certes inusité, mais limpide... Is. Casaubonus...  ».
1573. Joseph SCALIGER. Coniectanea in M. Terentium Varronem De Lingua Latina. Appendix ad eadem, nunc primum ab eo edita. Eiusdem losephi Scaligeri Notae ad Varronis libres De Re Rustica.
1575. Joseph SCALIGER. M. Verrii Flacci quae extant. Sex. Pompei Festi De verborum significatione libri XX.
Cf. Juste Lipse, Epistolicae Quaestiones, 1577 : «  rien de plus divin... quel démon que cet homme  » (III, 20).
1575. Joseph SCALIGER, Ausone.
Nous pouvons" montrer ce que c'est que l'Aquitaine et ce que c'est qu'être Critique dans lés lettres.
Lettre à Vertunianus, epist. 20, p. 117, De Critico. Scaliger y dénombre les grands héros de la Grammaire, dont il définit les trois parties  : technique histo- rique, enfin «  plus particulière et spéciale, qui sort de ses limites et se glisse dans les sanctuaires les plus cachés de la sagesse  », «  qui recense et examine
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toute espèce de Poètes, d'Orateurs, de Philosophes  »  : «  aussi appellent-ils cette dernière partie kritiken  ».
Forte de l'ancienneté et de la propriété de son nom, la nouvelle méthode appelée Critique élargit désormais son domaine à toutes les Lettres, entendues comme sciences exactes et sciences humaines.
1577. juste LIPSE. Centuria I Miscellanea, ep. 13 :
Ces difficultés de la Critique, Criticae istae tricae.
1577. D. BAUDIUS, Ode liminaire aux Epistolicae Quaestiones de Lipse  :
Grâce à toi désormais. TACITE que les mains de la Critique et, les injures du temps avaient dépecé d'étonnantes et misérables manières recouvre sort ancien éclat.
1578. Joseph SCALIGER. Hippocratis Coi de capiti vulneribus liber.
Le Studieux lecteur peut en tirer des conclusions sur la vanité des promesses que font en lettres ceux qui sont inexperts en la partie qu'on nomme Critique... Seule la Critique aura réglé l'affaire sans l'Anatomie.
N.B. - Scaliger, et Vertunien dans la préface, recourent tous deux à la forme latine calquée sur le grec, Critice.
1579. Joseph SCALIGER. Manilius.
1580. Joseph SCALIGER. A Claude Du Puy  : «  Certainement je prevois que les petitz grammatics seront cause que non seulement les critiques, mais aussi la critique mesmes sera exposée en risée  » (Lettre XXXIII, Tamizey de Larroque, 1879, p. 109).
1580. Juste LIPSE. Satyra Menippea. Somnium. Lusus in nostri aevi Criticos..
Dédicace à Scaliger  : Ce jeu écrit en ces deux jours mon cher Scaliger, sur l'ambition et l'impéritie de cerfains qui se prétendent Critiques (car je n'ai pas et n'ai pas eu l'intention d'égratigner les véritables et authentiques), je te l'adresse ici.
N.B. - Mais le terme employé couramment est Correctores.
1582. Juste LIPSE. Centuria I Miscellanea, ep.. 41  : en cette Critique.
1585, Joseph SCALIGER. Opus novum de Reformatione Temporum.
Livre I... Et se prétendent Critiques dans la notation des temps des gens à qui d'une façon aussi facile et aussi puérilement un simple oisif en impose chaque jour alors que les lettres sont en telle lumière, p. 2.
1595. Juste LIPSE. Opera omnia quae ad Criticam proprie spectant. Quibus accessit Electorum liber secundus.
Au Lecteur... Voici, Lecteur, tous mes petits ouvrages Critiques... Leur fin est d'illustrer, Corriger ; leur matière, toute espèce d'écrits antiques. Cette étude, je le sais, a ses prôneurs et ses détracteurs... Mais quelle santé ou pureté auraient-lis sans de telles Notes, ou méme quelle vie  ?... Que l'on envisage le siècle de nos aïeux, et notre siècle. Au premier régnaient les ténèbres et la hideuse barbarie. Aujourd'hui la naissance de la Typographie, assurément une bonne nourrice des études, mais impudente, avide du gain, rouée, et qui n'a pas moins la juste réputation de corrompre les livres que de les propager. Or quel remède à ces deux excès, sinon l'invention de cette éponge de la Censure, à proprement parler, pour effacer les taches anciennes ainsi que les nouvelles ?
Lipse reprend ici les inquiétudes d'Henri Estienne dans sa Plainte de la T ypo- graphie. La Critique apparaît bien comme la réaction aux facilités d'interpo- lations créées, ou multipliées, par l'imprimerie. Illustrare, emendare sont les deux pôles de cette Critique à la Latine. Mais Lipse ne se refuse pas «  en ce genre divinatoire  » «  des traits qui pourtant faux n'en plaisent pas moins souvent  ». Il recourt au théâtre en imaginant une scène au Sénat romain où Cicéron, Salluste, Ovide déclament en d'excellents pastiches contre les Critiques impudents comme Lambin, que viendra défendre Varron (Satyra Menippea)
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1586. Joseph SCALIGER. Y vonis Villiomari Aremorici in Locos controversos Roberti Titii Animadversorum Liber.
C. IVLII CAESAR1S quae exta nt.
Dédicace à Plantin  : Combien nombreux ceux qui lisent les livres seulement pour les corriger ? pour les améliorer, non pour se rendre meilleure.- Tu nies, dit-on, que cette Critique soit utile ? Non pas. je reconnais qu'elle a été nécessaire, lprs de la renaissance d'un savoir plus choisi. Mais lors de la renaissance. Maintenant qu'elle est adulte et raffermie, pourquoi lui refuser cette toge pure, et dirais-je ? virile ?
A noter la double réaction contre l'Humanisme qui s'attarde à la grammaire au lieu de se tourner vers les sciences ; et contre l'engouement de la jeunesse.
1586. Henri ESTIENNE. Ad Senecae lectionem proodopeia.
1587. Henri ESTIENNE. De Criticis vet. Gr. et Latinis, eorumque variis apud poetas potissimum reprehensionibus dissertatio.
Asinius Pollion, Longin, Denys d'Halicarnasse confirment que la Critique ne doit pas être limitée à la poésie, p. 285, 294. L'ouvrage se termine par la «  Restitution  » du commentaire de Servius sur Virgile.
1589. Henri ESTIENNE. Schediasmata 11.
1591. Henri ESTIENNE. Ad. M. Ter. Varronis assertiones analogiae sermonis Latini appendix. Item Iulii Caes. Scaligeri de eadern Disputatio doctissima.
1592. BOCCALINI. De Ragguagli di Parnasso. Lipse y est dénoncé comme Critico tallit°.
1594. Gasp. SCIOPPII symbole Critica in L. Apulei Philosophi Platonici opera. 1595. Henri ESTIENNE. De lusti Lipsii Latinitate.
1595. Isaac CASAUBON. C. Suetonii Tranquilli de XII Caesaribus libri VIII. Additi sunt 5 Suetonii libelli de illiustribus Grammaticis & de claris Rhetoribus.
P. 66. Erreur des Critiques de ce temps-ci. Or voici la maladie continuelle et épidémique de nos Critiques  : quand ils ont découvert quelque part une expres- sion surprenante et inusitée, ils s'empressent de rechercher un autre auteur ou un autre passage où ils peuvent introduire de force leur petite découverte...
P. 224. Cratès a introduit à Rome l'étude de la grammaire, non pas celle des premières lettres,... mais celle qui traite de 49 sérieuse connaissance des deux langues, et de l'interprétation ou de l'imitation des auteurs.
1597. Gasp. SCIOPPIUS. De Arte Critica.
1598. H. ROSVVYDUS à Theod. Canter  : De principibus Criticis  : ingenium Scaligeri supra iudicium esse, iudicium Lipsio supra ingenium.
1601. Theodore MARSILE. Perse.
Je laisse de côté les anciens rites des Quirites, les termes exceptionnels, les graines de la critique, de la rhétorique, de la poétique, et des autres arts disséminés dans ce champ.
1602. Jean GRUTER. Lampas, sive Fax Actium Liberalium, hoc est Thesaurus Criticus e Bibliothecis erutus, Francfort, 6 volumes, in-80.
III. - L'INFLUENCE HEBRAIQUE
La pratique de l'Hébreu conduit Scaliger et Casaubon à élargir la portée de la Critique, qui à l'exemple des «  Mazoreth  », devient un jugement «  rationnel  » dû à l'inspiration divine et au génie. Comme la Poésie sous les Valois, la Critique devient «  Théologie  ».
1595. Joseph SCALIGER. Lettre à Scriverius.
Cette lettre complète l'épitre à F. Vertunianus en insistant sur les transpositions de vers, «  la conciliation des sentences  », les florilèges, et elle se recommande du patronage des Mazoreths.
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1595-1597. Isaac CASAUBON. Athénée.
... La Critique est la clôture de la loi divine, et combien plus justement des ouvrages humains, ...la méthode de corriger les anciens auteurs est double, et repose à la fois sur les livres et sur le génie.
1589. Is. CASAUBON à joseph Scaliger, ep. 189 :
... les lieux communs de «  l'archéologie  » Romaine.
1605. IS. CASAUBON, ep. 407  :
...Nous ne faisons rien plus volontiers que progresser chaque jour dans la connaissance de «  l'archéologie ecclésiastique  ».
1605. CASAUBON. De Satyrica Graecorum Poesi 6 Romanorum Satira.
1609. CASAUBON. Polybe. L'histoire « pragmatique  ».
1610. Is. CASAUBON. Préface aux Opuscules de Scaliger.
1617. Is. CASAUBON. Ad Polybii Historiarum Librum Primum Commentarii. 1619. joseph SCALIGER. De Arte Critica Diatriba.
1624. Joseph SCALIGER. Diatriba de Critica.
Reprises de la lettre à Scriverius, qui figurera dans le recueil des Lettres latines de 1627.
LES MOTS FRANÇAIS DE LA FAMILLE «  CRITIQUE  »
Au lent développement du latin Criticus, Critica, correspond en français un développement plus tardif encore.. Sans doute le mot souffrait-il, avec la notion de «  jours critiques  » déjà mentionnée chez Robert Estienne d'un voisinage par trop technique et fâcheusement médical. En 1650 encore Guez de Balzac voudrait introduire «  le mot de Iudicatrice, parce que celuy de Critique effarouche le Peuple, qui ne l'entend pas  » (O. C., I, p. 1016). De plus il s'est greffé dès l'origine sur le courant caustique et gaulois de la «  Satyre  ». A l'exemple du Demo-criticq de Tahureau, rappelant le rire dont faisait profession Démocrite, le mot s'élargit à la raillerie, et prolonge le courant «  lucianiste  ». Il n'est que comparer la Satira Menippea, ce pastiche raffiné de Lipse, et notre Satyre Ménippée qui dans une "même conception dramatique, avec une même volonté humoristique, s'ouvre directement au monde de la politique la plus actuelle. Le mot Critique s'imposera donc difficilement, et quand les salons mondains le consacreront après 1660, c'est après l'avoir découronné de ses prétentions encyclopédiques et mesuré à l'aune du goût régnant.
I. - LES TENTATIVES HUMANISTES
Vers 1574-1578, écrit vers 1616. A. d'AuBIGNÉ. Lettres sur diverses sciences.
«  Il nous corrigea disant que c'estoit une Rene qui estoit grande, et faloit dire grand'Rene. Nous estans eschappé de rire, et de le prier à jointes Mains que cette Princesse, bonne critique en cette matière, ne vist point cette pièce, il s'escria...  », éd. Pléiade, p. 862.
1579. Pierre de LARRIVEY  : «  Or si je n'ay voulu en ce peu, contre l'opinion de beaucoup, obliger la franchise de ma liberté de parler à la severité de la loy de ces critiques qui veullent que la comedie soit un poème subject au nombre mesure des vers...  » «  ... c'est l'opinion des meilleurs antiquaires que le Querolus de Plaute, et plusieurs autres comédies... ne furent jamais qu'en pure prose..., » (éd. Weinberg, Critical Pref aces, p. 243).
1580. Joseph ,SCALIGER  : Certainement je prevois que les petitz grammatics seront cause que non seulement les critiques, mais aussi la critique mesmes sera exposée en risée  » (in TAMIZEY DE LARROQUE, Lettres françaises inédites de Joseph Scaliger, 1879, p. 109).
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1582. Sonnet liminaire signé R. D. M. à l'Académie Françoise de Pierre de la PRIMAUDAYE, 3° éd., Paris, 1582, in-fol.
J'admire la leçon des livres differens  :
Car les uns seulement enrichis d'eloquence Enchantent doucement la sage intelligence,
Tant le seul beau parler rend les hommes contens. Les autres moins limez au pris des eloquens, Satisfont toutefois par la seule science Aux esprits chatouilleux amis de l'excellence, Et Juges rigoureux des escrits mieux disants.
Et que dirons nous dong de ceste Academie, Qui docte qui diserte à la France ravie  ? Le Critique estonné cest oeuvre admirera,
Pour y voir marié le sçavoir au bien dire  : L'envieux la lisant ses moeurs reformera,
Tant s'en faut qu'il luy prenne envie d'en mesdire.
Le sens humaniste et le sens mondain sont ici étroitement liés.
1598. E. PASQUIER. Recherches de la France, Livre Huictiesme.
Et de nostre temps Iules Scaliger en son Critique, livre non à autre fin composé, que pour contrecarrer la Poësie de Virgile, non seulement aux autres Poetes, mais aussi à celle d'Homere, éd, 1633, p. 645.
1618. Mademoiselle de GOURNAY. Deffense de la Poësie.
«  C'est vrayement une belle affaire, d'attacher ainsi que font ces mesmes Poëtes Critiques Hypercritiques, l'interest extreme d'un Poesme ou d'une Oraison, à la Grammaire, & encore à sa petite oye  » (L'Ombre, 1626, p. 573)... «  quantité de mots & de verbes reiettez de ces Critiques  » (ibid., p. 631).
II. - LA CENSURE MALIGNE (Dictionnaire de l'Académie)
1578. Blaise de VIGENERE. Epistre aux Images de Philostrate.
«  tous les yeux envieux, ne les ongles mordantes des ialoux surveillans Critiques, ne me peuvent desrobber de ce peu que j'ay  : ne peuvent rien
alterer, pervertir, desguiser, de ce que liberalement d'un bon vouloir ie me
parforce d'exposer en lumiere, pour l'utilité, recreation contentement de ce peuple  », p. 6.
1584. Andre THEVET. Les vrais Pourtraits et Vies des Hommes Illustres.
«  ... que cuydoient faire ces critiques contreroleurs, desracinans de nos coeurs cet esperon de gloire  ?  ».
1606. Mathurin REGNIER. Satire V.
«  Les Critiques du tans m'appellent desbauché  », v. 11. «  Ainsi ce vieux resveur qui n'a gueres à Rome
Gouvernoit un enfant & faisoit le preud'homme,
Contrecarroit Caton, critique en ses discours,
Qui tousjours rechinoit reprenoit tousjours.
Apres que cet enfant s'est fait plus grand par l'âge Revenant à la Cour d'un si lointain voyage
Ce Critique, changeant d'humeurs & de cerveau,
De son pedant qu'il fut devient son maquereau  », v. 185-192.
1625. Jean de LANNEL. Lettres.
«  le voy bien que ne pourray me garantir de tous les Censeurs de ce Siecle, ie ne doute point que ie n'en rencontre quelqu'un si critique, que mes cajoleries ne me serviront de rien... Docteurs ignorans...  », Advis serieux.
Ainsi se dessine un mouvement de contrepoint que nous retracerons ailleurs. De 1633 à 1650 environ le mot Critique se répand au sens humaniste, notamment dans l'entourage de Balzac. Mais les réticences l'emportent progressivement, et à partir de 1650 la Critique qui désormais s'impose est un art le plus souvent mondain.