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Classiques Garnier

[Introduction à la première partie]

  • Prix Anna-Balakian 2013 de l'Association internationale de littérature comparée
  • Publication type: Book chapter
  • Book: La Reine de Saba. Des traditions au mythe littéraire
  • Pages: 29 to 30
  • Collection: Comparative Perspectives, n° 16
  • CLIL theme: 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
  • EAN: 9782812439339
  • ISBN: 978-2-8124-3933-9
  • ISSN: 2261-5709
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-8124-3933-9.p.0029
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 06-11-2012
  • Language: French
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Comment lire la Bible ? La question de lunité biblique est problématique : si, de la Genèse à lApocalypse, la Bible (biblia, les « livres sacrés ») raconte une histoire du monde, sa rédaction sétend sur plusieurs siècles. Lunité biblique est donc à chercher plus dans sa lecture que dans son écriture. Or, on peut déceler plusieurs strates, et des répétitions : entre les Évangiles, par exemple, ou entre le Livre des Rois et celui des Chroniques, dans lesquels apparaît la reine de Saba. La Bible offre néanmoins une grande stabilité : elle présente une permanence depuis tant de siècles quelle est une écriture de référence, lÉcriture par excellence, lhypotexte de bien dautres textes. On peut se demander ce quil reste de son inspiration sacrée lorsque limaginaire sen empare.

Comme bien dautres personnages bibliques, la reine de Saba va connaître un destin extra-livresque : en séchappant du Livre, elle entre dans limaginaire, et renaît ailleurs, dans dautres livres, dautres cultures, dautres imaginaires. Loralité rivalise avec le caractère sacré de lÉcriture, mais lAncien, le Nouveau Testament et le Coran fonctionnent comme des jalons, des repères, à lorigine des variantes légendaires.

La question de lhistoricité de la reine de Saba est très importante, et il faut commencer par lenvisager, au moins en termes de vraisemblance car cette question intéresse les écrivains aussi bien que les historiens. De plus, le rapport entre Bible et Histoire est essentiel pour comprendre la perspective de lÉcriture :

Dans ces conditions, dire que la Bible est foncièrement historienne, ce nest pas seulement établir un constat dordre littéraire, ou lui donner, plus ou moins apologétiquement, une valeur quelle naurait que partiellement ou insuffisamment. Dire que la Bible est foncièrement historienne, cest avant tout ressaisir une intention, une intentionnalité qui, à partir dun certain moment, la fonde, la justifie, la fait.

Autrement dit, ce projet historien global, totalisant, est le fruit dune conception religieuse, théologique, consciente et précise, si précise et si consciente quelle va à la fois unifier et conserver la Bible1.

Lélaboration du Coran se situe dans une tout autre perspective.

Cependant, quelle soit ou non un personnage historique, la reine de Saba joue un rôle dans lHistoire car elle est devenue un modèle 30auquel on se réfère. Son histoire se prête particulièrement bien à la réécriture : dabord parce quelle napparaît quune seule fois dans lAncien Testament, apparition à laquelle il est fait référence dans le Nouveau Testament, et une seule fois aussi dans le Coran : lépisode est donc circonscrit. De plus, il est bref et a une forte structure narrative, ce qui lui permet dêtre extrait de ses hypotextes, de faire lobjet dun récit à part entière, indépendant du point de vue narratif. Il comporte les éléments schématiques traditionnels dun récit : une héroïne, une situation initiale, des péripéties et un dénouement. On a pu sétonner quun épisode biblique aussi simple ait connu une postérité aussi faste. Albert de Pury émet un sévère jugement sur ce passage :

À première vue, le récit de la reine de Saba en 1 Rois 10 se présente à nous comme un récit dune indicible platitude [] Cest un récit dans lequel il semble ne rien se passer : pas de conflit, pas de suspens, pas denjeu réel. Une reine vient du bout du monde avec sa suite. Elle admire, elle est admirée, elle prononce son compliment, on échange de riches cadeaux, puis elle repart. Le tout fait leffet dune vision féerique, dun mirage qui na guère plus de conséquence dans la vie réelle quil nen a sur le plan strictement imaginaire et littéraire. Que faire dun récit pareil2 ?

Le réécrire, par exemple : si cette « vision féerique » produit toujours son effet et hante bien des écrivains, cest que le texte biblique soffre à la réécriture et que le personnage de la reine de Saba a une potentialité littéraire très forte.

Notons tout de suite quil est rare que les réécritures littéraires mettant en scène la reine de Saba sinspirent seulement du récit vétérotestamentaire : les Traditions juives, chrétiennes et islamiques constituent en grande partie le fonds de ces reprises. Même dans le récit poétique que Jean Grosjean consacre à la reine de Saba et qui est une réécriture très chrétienne du mythe, le poète fait plusieurs fois référence à dautres textes que celui de la Bible, comme si la reine de Saba ne pouvait saffranchir du rôle que lui ont prêté lensemble des Traditions.

Le mythe de la reine de Saba est donc lhistoire dune amplification, dun prolongement dans limaginaire.

1 P. Gibert, « Mythe et réalisme historien : les enjeux dune tension », La Bible, images, mythes et traditions, Albin Michel, coll. « Cahiers de lhermétisme », 1995, p. 18.

2 « Salomon et la reine de Saba. Lanalyse narrative peut-elle se dispenser de poser la question du contexte historique ? », dans La Bible en récits. Lexégèse biblique à lheure du lecteur, éd. D. Marguerat, Colloque international danalyse narrative des textes de la Bible (Lausanne, mars 2002), Genève, Le Monde de la Bible, coll. « Labor et Fides », no 48, 2003, p. 215.