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Classiques Garnier

[Introduction de la troisième partie]

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Prudence d’après Michel de Montaigne et Baltasar Gracián. Entre le ciel et la terre
  • Pages : 267 à 268
  • Collection : Études montaignistes, n° 71
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406113744
  • ISBN : 978-2-406-11374-4
  • ISSN : 1775-349X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11374-4.p.0267
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 16/06/2021
  • Langue : Français
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Autant vertu « impérative » que « droite règle des actions à faire1 », la prudence revêt une portée arbitrale. Sur le terrain contingent de laction et à travers le flux de chaque instant, elle a pour fonction de trancher et de dicter laction à réaliser. La validité pratique et morale de cette dernière se mesure à laune de sa conformité à cette vertu dont la présence détermine la concrétisation des autres vertus. En raison de cette fonction rectrice et primordiale, la prudence revêt des formes non seulement dhégémonie mais aussi de normativité. Cependant, des dislocations entre lutile et le beau, entre ladresse pratique et la droiture éthique, fissurent cette notion et en déstabilisent lautorité. Dans le monde chrétien, les expressions « prudence du monde » ou encore « prudence de la chair » témoignent de cette ambivalence ainsi que lemploi du terme « prudence » pour désigner, sans autre précision, la ruse2. En plus de ces défaillances, profondes ou apparentes, sur le plan de lhonestum (lhonnête), il y a également la question de sa faillibilité pratique. Comme nous lavons déjà signalé, Thomas dAquin reconnaît limpossibilité pour la raison humaine dembrasser « linfinité des singuliers3 » ainsi que le risque toujours présent pour cette vertu rationnelle dêtre empêchée par loubli ou détruite par les passions4. Les écueils proverbiaux de la passion, de la précipitation, de lopiniâtreté et de la vanité entravent en effet le plein développement et déploiement de celle-ci5. Nous déjà avons évoqué, par exemple, lexcès de prudence lié à la vieillesse6 chez Montaigne ainsi que lévocation par Gracián du déclin de la très prudente nation 268anglaise7. À leurs façons, Montaigne et Gracián considèrent aussi bien lascendant que les failles du prudentiel. La présente partie en examinera quelques-unes des formes les plus saillantes de faillibilité et dautorité dans chaque corpus.

1 Thomas dAquin, op. cit., IIa IIae, question 47, art. 8, p. 325.

2 Thomas dAquin consacre larticle 13 de la question 47, intitulé « La prudence se trouve-t-elle chez les pécheurs ? », à ce problème. Ibid., IIa IIae, p. 329-330.

3 « Linfinité des singuliers ne pouvant être embrassée par la raison humaine, il sensuit que “nos providences sont incertaines”, comme dit le livre de la Sagesse (9, 14). Cependant, par lexpérience, linfinité des singuliers est réduite au nombre fini des cas les plus fréquents, dont la connaissance suffit à la prudence humaine. » Ibid., IIa IIae, question 47, art. 3, p. 321-322.

4 Ibid., IIa IIae, question 47, art. 16.

5 Les quatre entraves principales de la prudence, des « marâtres » (« madrastras ») de cette vertu selon Granada (op. cit., p. 202) et énumérées aussi par Caussin (op. cit., liv. III, p. 521).

6 Dans III, 5, 841-842. Voir la Ire Part. du présent travail.

7 Voir la Ire Part. du présent travail.