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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Posture de l’herméneute. Essais sur l’interprétation dans la littérature
  • Auteur : Boulanger (Alison)
  • Pages : 7 à 21
  • Collection : Rencontres, n° 24
  • Série : Études dix-neuviémistes, n° 10
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812439100
  • ISBN : 978-2-8124-3910-0
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3910-0.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 23/01/2012
  • Langue : Français
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Avant-Propos

Signatures de toutes choses que je suis venu lire ici, frai marin, varech marin, marée montante, ce godillot rouilleux. Vertmorve, argentbleu, rouille : signes colorés1.

Au début du troisième épisode d’Ulysse, Stephen Dedalus marche sur la plage parmi les dépôts variés que la mer a laissés. Ce qui l’entoure lui apparaît comme autant de « signatures », traces par lesquelles les choses se signalent à son attention, se transforment en un texte qu’il serait appelé à lire – la construction anglaise (« Signatures of all things I am here to read ») indiquant une nécessité, une détermination. Par le regard qu’il porte sur le monde, par son aptitude à le transformer en « signes » et en « signatures », Stephen Dedalus s’inscrit dans une longue lignée de « chercheurs de traces », pour reprendre le titre d’un roman d’Imre Kertész2 dont il sera question dans ce volume. Les chercheurs de traces abondent également dans les romans de W. G. Sebald, autre auteur abordé dans le cadre de ce recueil, dont les narrateurs (principaux ou secondaires) déchiffrent inlassablement le monde qui les entoure et se voient entourés de signes aussi mystérieux que puissamment signifiants. L’une des figures tutélaires de Sebald est, dans Les Anneaux de Saturne, Thomas Browne, médecin anglais du xviie siècle qui cherche

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inlassablement, dans les phénomènes naturels ou les créations humaines, la récurrence de certaines configurations géométriques – notamment la figure du quinconce :

Cette structure, Browne la découvre partout, dans la matière vivante ou morte, dans certaines formes cristallines, chez les étoiles de mer et les oursins, sur la peau de plusieurs espèces de serpents, dans les traces entrecroisées des quadrupèdes, dans la configuration du corps des chenilles, papillons, vers à soie, phalènes, dans la racine des fougères d’eau, les enveloppes des graines de tournesol et de pins parasols, au cœur des jeunes pousses de chêne, dans les tiges de prêle et dans les œuvres d’art des hommes3 […].

Un autre romancier contemporain, Jean-Paul Goux, met en scène dans Mémoires de l’Enclave une même quête obstinée du signe, choisissant comme narrateur un docteur en archéologie qui, au fil d’un journal, analyse avec ironie sa propre méthode. Venu effectuer des recherches sur la région environnant Montbéliard, il a accumulé des notes dont il se rend compte, rétrospectivement, qu’elles se sont nettement orientées, à partir d’un moment donné, vers un but précis, une démonstration à faire. À partir de ce moment, écrit-il dans son journal,

mon écriture se fait plus unie, les commentaires de mon cru se mêlent régulièrement aux simples comptes rendus de lectures, une sorte de mouvement plus allègre commence à se dessiner, comme si j’avais eu conscience d’approcher d’une découverte dont le foyer lumineux eût fait sentir de loin ses effets. Pour parler autrement, ce qui me frappe c’est le caractère manifestement orienté des notes qui suivent la date de 1407 : elles semblent beaucoup moins constituer le résumé schématique d’une chronique historique qu’une accumulation de preuves, comme dans ces romans policiers où l’imminence de la fin exerce sa pression en multipliant les indices révélateurs4.

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Dès lors, le chercheur se trouve tiraillé entre le désir de voir émerger « un réseau d’indices convergeant tous vers la même preuve » et le soupçon de n’avoir érigé qu’« un assemblage disparate de données arbitrairement juxtaposées […] – misérables tessons d’une médiocre poterie brisée que la main la plus habile échouerait à reconstituer parce qu’elle est de toute façon incomplète5. » Ce soupçon même, au demeurant, ne suffit pas à le détourner de sa quête :

C’est une image de l’Enclave que je cherche à tout prix à sauver […]. Je relève ces minuscules indices qui ont à charge de me convaincre que le monde clos n’a pas perdu ses particularités : il fallait qu’il en restât des traces, et je les exhume avec acharnement, je m’y accroche comme un amant aux ultimes gentillesses de la femme qui l’abandonne6.

En d’autres termes, si de tels personnages ont conscience des limites de leur interprétation, elle n’en est pas moins poursuivie avec l’« acharnement » d’un amant malheureux. Certes, les personnages de Sebald ou Goux souffrent de déformation professionnelle. Mais il faut noter que la soif interprétative (et le danger attenant de surinterprétation) n’est pas réservée aux seuls chercheurs ou universitaires, pas davantage aux poètes comme Stephen Dedalus : Bloom, l’homme moyen qui fait pendant à ce dernier, n’est pas moins enclin que lui à l’interprétation systématique (et ludique) des signes qui l’entourent. Les romanciers évoqués ne font donc que mettre au jour une tendance bien partagée, consistant à porter sur le monde un regard qui le transforme en texte à déchiffrer.

Ce regard particulier caractérise nombre de personnages de Nabokov, notamment le jeune aliéné de la nouvelle « Signes et symboles », au titre programmatique :

« Névrose référentielle », avait dit Herman Brink. Dans ces cas très rares le malade s’imagine que tout ce qui se passe autour de lui est une référence voilée à sa personnalité et à son existence. […] La nature phénoménale l’espionne où qu’il aille. Les nuages dans le ciel aux mille regards se communiquent entre eux, au moyen de signes très lents, des renseignements incroyablement détaillés sur son compte. Ses pensées les plus secrètes sont débattues au crépuscule dans un alphabet manuel par les arbres qui gesticulent d’un air lugubre. Des cailloux, des souillures ou encore des taches de soleil forment

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des motifs qui représentent, de manière assez terrible, des messages qu’il doit intercepter. Tout est chiffre et de tout il est le thème7.

La transformation du monde en texte chiffré se décline, on le voit, sur des modes bien différents ; cause de folie et de souffrance chez Nabokov, elle est au contraire source de jouissance interprétative pour les personnages joyciens, tandis que, pour Kertész ou Sebald, elle est indissociable d’une certaine conscience de l’Histoire.

C’est à cette activité d’interprétation que s’intéresse le présent volume, sous ses aspects critiques et créateurs. Les contributions portent, bien entendu, sur différents mouvements de théorie critique. Mais le propos se centre essentiellement sur l’œuvre littéraire en tant qu’elle inclut, en elle-même, une réflexion sur le protocole d’interprétation à adopter pour sa compréhension ; et plus encore sur l’œuvre en tant qu’elle implique une réflexion sur sa propre activité d’interprétation. Sur le plan thématique, les poètes et romanciers étudiés font de l’interprétation un thème central ; sur le plan formel, ils ont à cœur d’intégrer la contradiction au sein de leurs œuvres, opposant à la lecture une résistance qui amène le lecteur à prolonger l’interrogation.

Le cas de figure le plus emblématique est sans doute Feu pâle de Nabokov, qui confronte un poème au commentaire qui en est fait. L’interprétation ne porte pas, cette fois, sur le monde en tant que texte, comme dans les œuvres précédemment évoquées, mais sur un texte qui figure intégralement dans le roman, et qui permet de jauger la pertinence de la lecture proposée. Or celle-ci témoigne avant tout des obsessions du commentateur, Kinbote. Persuadé d’avoir insufflé au poète John Shade la matière d’un ultime poème, déçu de ne pas trouver dans ce poème ce qu’il espérait y voir, Kinbote y réinjecte obstinément le sens désiré,

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réécrivant littéralement le poème au fil de ses notes. Pourtant, il persiste à affirmer que son travail ne sort pas des limites d’un authentique commentaire, consistant simplement à faire apparaître « ces échos et ces vaguelettes de feu et les pâles allusions phosphorescentes et toutes les nombreuses dettes subliminales contractées envers moi8. » Son commentaire ne viserait qu’à mettre en relief des « allusions » et des « dettes », à faire apparaître un sous-texte « subliminal », assourdi, mais bien présent. Bien plus, il estime que la cohérence du poème n’apparaît qu’au travers de son commentaire. Paradoxalement, au-delà de sa folie évidente, le personnage de Kinbote permet à Nabokov de construire le type même d’opera aperta qu’Eco appelle de ses vœux ; son désir de verrouiller le sens du poème conduit à ouvrir l’interprétation, en incitant le lecteur à s’interroger sur les principes de celle-ci.

Si l’on se fonde sur les théories de Hegel, cette dimension réflexive est à l’origine même du roman moderne : dans ses Cours d’esthétique, il définit ce genre comme une tension consciente vers un sens qui n’apparaît plus d’emblée.

Mais ce qui manque au roman, c’est la vision du monde originellement poétique dont procède la véritable épopée. Le roman, au sens moderne du mot, présuppose une réalité déjà ordonnée en fonction de la prose et sur le terrain de laquelle il cherche, autant que faire se peut, […] à rendre à la poésie ses droits perdus9.

Si l’épopée se définit par un lien organique, spontané et irréfléchi à la poésie, le roman doit substituer à cette organicité et spontanéité un effort conscient, visant à faire advenir la poésie dans une réalité

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« déjà ordonnée en fonction de la prose ». Dès lors, le roman reconnaît implicitement qu’il est une lecture du monde, que cette activité repose sur un écart (entre réalité prosaïque et lecture poétique), et que tout en instaurant cet écart, elle tente paradoxalement de le surmonter. Le roman moderne se définirait donc, de manière essentielle, par cette tentative consciente pour réduire l’écart entre ce qui est donné (le réel) et ce qui est visé (son interprétation poétique).

Dans une étude implicitement placée sous le signe de Hegel, Foucault fait une lecture similaire de don Quichotte, dont la quête consiste à nier l’écart entre le réel et l’interprétation qu’il veut en faire. Il lui appartient dès lors de « remplir la promesse des livres10 », en établissant leur conformité avec le monde :

Mais s’il veut leur être semblable, c’est qu’il doit les prouver, c’est que déjà les signes (lisibles) ne sont plus à la ressemblance des êtres (visibles). […] L’écriture cesse d’être la prose du monde ; les ressemblances et les signes ont dénoué leur vieille entente ; les similitudes déçoivent, tournent à la vision et au délire ; les choses demeurent obstinément dans leur identité ironique : elles ne sont plus que ce qu’elles sont ; les mots errent à l’aventure, sans contenu, sans ressemblance pour les remplir11.

Si l’on a pu faire de Don Quichotte un roman paradigmatique, c’est peut-être que tout roman repose sur une entreprise proprement quichottesque, inversant le rapport de causalité : il ne s’est jamais agi, pour le roman, de décrire le réel ou d’en comprendre la logique immanente, mais de le transformer en totalité signifiante. Le roman est une tentative de « déchiffrement du monde » visant à « relever sur toute la surface de la terre12 » ce qui fait signe, ce qui se laisse ramener à la plénitude satisfaisante d’un sens – contre la résistance d’un réel obstinément insignifiant.

Dès lors, le ver est dans le fruit, puisque le roman ne peut que faire place au soupçon. Les choses « demeurent obstinément dans leur identité ironique : elles ne sont plus que ce qu’elles sont », comme le résume Foucault ; et cette insignifiance des choses, dans les écrits de Clément Rosset, s’absolutise en une « logique du pire », une « idiotie » généralisée.

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Selon Rosset, l’entreprise philosophique et littéraire représente, de manière presque systématique, une surinterprétation consistant à exclure le hasard pour introduire un ordre et une logique rassurants : « Débrouiller le désordre apparent, faire apparaître des relations constituantes et douées d’intelligibilité […] », évitant ainsi à l’humanité le « malheur attaché à l’errance dans l’inintelligibilité13 […] ». Dans cet essai, Rosset appelle de ses vœux une véritable philosophie tragique qui ne chercherait pas à interpréter le monde, c’est-à-dire y lire un sens, et dès lors masquer son caractère de contingence absolue : « Monde froid, inerte, insignifiant, de la coexistence de fait14 […] », d’une insignifiance telle que le véritable philosophe tragique ne peut que reconnaître « l’impossibilité de voir15 ».

En d’autres termes, « voir », ce ne peut être que surinterpréter, injecter de la lisibilité et du sens dans ce qui en est radicalement privé. Rosset développe à nouveau ce propos dans un essai consacré à l’« idiotie » du réel16, un réel absolument privé de signification – mise à part celle que l’on peut être tenté de lui attribuer, arbitrairement, et toujours après coup. Cette tentation peut apparaître dans tous les domaines : la recherche scientifique, l’interprétation littéraire, et plus encore la psychanalyse, qui postule l’existence d’un sens caché, à découvrir. Rosset, lui, affirme que l’analysant ne cache que pour suggérer qu’il y a quelque chose à cacher – le cas de figure le plus emblématique étant celui d’une patiente évoquée par Pierre Fédida, qui s’envoie de prétendues lettres d’amour, celles-ci n’étant en fait que des enveloppes vides17. Aux yeux de Rosset, une même logique de « l’enveloppe vide » caractérise les penseurs et romanciers du « labyrinthe » – Foucault, Deleuze, Robbe-Grillet, Butor, Borges – auxquels il oppose Beckett :

Beckett n’est pas l’écrivain des labyrinthes mais celui de l’insignifiance, de la confusion des chemins. Ses séries n’appartiennent pas à l’ordre du labyrinthe ; elles ne suggèrent pas une signification insaisissable et cachée, promesse d’un sens lointain et mystérieux, mais offrent au contraire une signification

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immédiate, muette et plate, sans aucune promesse d’écho ni de reflet, qui s’évapore dans le temps même où elle se révèle : comme dans l’épisode des pierres à sucer, et dans le bon ordre, joyau de Molloy18.

Et Rosset appuie son propos par ceux de Michel Serres :

Le secret des choses, c’est qu’il n’y a pas de secret. Le message de fond n’est qu’un bruit, et nul ne me fait signe, et il n’y a pas de signal. […] Qu’il n’y ait rien à lire, au bout de toute lecture, qui le supportera19 ?

Qui le supportera, en effet ? L’insignifiance est apparemment inenvisageable pour des romanciers comme Joyce ou Sebald, qui présentent l’activité interprétative comme un ressort fondamental et impossible à réprimer ; ainsi, la journée de Bloom est essentiellement faite d’un déchiffrement ininterrompu du réel qui l’entoure, en une vision du monde peut-être illusoire mais dérivant en tout cas d’un réflexe spontané du cerveau. Pour une théorisation explicite et humoristique de l’interprétation en tant qu’activité fondamentale de l’entendement, on peut se reporter à La Vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, récit où tout fait signe, tout renvoie à autre chose : l’horloge du palier rappelle à Mrs Shandy ses ébats conjugaux, et vice-versa ; la nouvelle d’une mort éveille dans l’esprit de sa servante la pensée de la robe de chambre verte qu’elle espère se voir accorder par sa maîtresse endeuillée. Sterne présente l’interprétation comme une activité naturelle, capricieuse et incontrôlable, associant à chaque objet un sens, en vertu d’un réflexe universel. S’il se réclame de l’autorité de Locke, et feint à sa suite de déplorer l’association d’idées, en ce qu’elle dévoie la pensée rationnelle, il est évident que son propos est bien plutôt de souligner la richesse et la créativité d’un tel processus20. L’activité interprétative est impossible à arrêter ; les objets et les événements suggèrent inlassablement des interprétations qui, à leur tour, en engendrent d’autres. Même l’objet le

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plus univoque, paraissant le plus propre à arrêter ce mouvement perpétuel, se révèle riche d’interprétations potentielles, comme le montre la mésaventure du docteur Slop. Alors qu’il tente de clore un argument en tirant de son sac ses instruments chirurgicaux – « trait singulier d’éloquence21 », selon le narrateur – il est déconcerté de voir que les forceps ont entraîné avec eux une canule. L’argument, qui aurait dû être décisif, sans réponse, expose Slop, au contraire, à une répartie de Toby (« Seigneur ! s’écria-t-il, nos enfants sont-ils mis au monde avec une canule22 ? »), qui anéantit l’avantage rhétorique du docteur.

Or, si l’argument n’est pas définitif, c’est qu’aucun argument ne peut l’être. Il n’y a pas que les termes « nez » ou « moustache » pour inviter à d’inlassables (ré)interprétations. Même l’objet matériel s’y prête, car il n’est rien moins que littéral ou univoque ; comme les forceps entraînant la canule, il amène toujours un surcroît de sens inattendu qui fait rebondir le débat et relance le mouvement interprétatif – en l’occurrence, en renvoyant implicitement le lecteur à l’argument développé au livre I, chapitre xx, où Sterne cite longuement l’arrêté de trois docteurs de la Sorbonne répondant à la question de savoir si les enfants peuvent être baptisés, en cas de danger, en ventre de leur mère, « par le moyen d’une petite canule ».

Chez Sterne, on le voit, tout fait signe, et nul objet n’est idiot, en donnant à ce terme le sens que lui donne Rosset, c’est-à-dire incapable de renvoyer à autre chose qu’à lui-même23. La modernité du roman de Sterne – et, au-delà, de tout texte retournant sur lui-même la question de l’interprétation – ne consiste pas purement en une impitoyable dénonciation de l’interprétation comme surinterprétation, mais en ce qu’il généralise l’interprétation jusqu’à en faire une activité universelle, qu’il serait vain de critiquer ou de tenter de réprimer.

Cependant, dire que le mouvement interprétatif est sans fin, l’activité interprétative impossible à réprimer, n’est-ce pas une autre manière de

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dire que l’interprétation, dans son absence de limites, s’avère déréglée ? qu’elle est toujours surinterprétation ? Le colloque qui est à l’origine de ce volume avait pour titre « Interprétation, surinterprétation », un titre qui se prête à deux lectures opposées, deux articulations entre les deux termes : la première postulerait qu’il est possible, et nécessaire, de distinguer clairement entre interprétation et surinterprétation ; la seconde, loin d’établir une distinction entre ces deux activités, montrerait plutôt la pente qui mène inéluctablement de l’une à l’autre. Les enjeux de cette alternative sont particulièrement bien illustrés par le débat qui opposa Umberto Eco à Richard Rorty, publié sous le titre Interprétation et surinterprétation24. Dans leurs articles respectifs, Rorty et Eco exposent tous deux leur méfiance envers l’intentio auctoris, contestant l’idée que l’auteur puisse se prévaloir d’un avis définitif sur sa propre œuvre, ou sur la lecture critique qui peut en être faite, arrêtant le mouvement interprétatif une fois pour toutes. Eco, parlant ici en sa double qualité d’auteur et de critique, reconnaît la valeur de certaines lectures critiques de ses romans, y compris lorsqu’elles débordent ses intentions d’auteur. Il ne s’attribue aucun droit, aucune autorité particulière, pour l’interprétation de ses propres œuvres. Toutefois, en tant que critique, il se réserve le droit de juger certaines interprétations plus réussies que d’autres, en fonction de leur aptitude à rendre compte de l’œuvre interprétée. En d’autres termes, l’interprétation, si libre qu’elle soit, est à ses yeux réglée par l’objet qu’elle se donne à interpréter ; l’œuvre reste un étalon de mesure auquel on peut confronter l’interprétation pour juger de sa pertinence. Et toute lecture critique résulte d’une interaction étroite entre l’intentio operis et l’intentio lectoris, la première conditionnant fortement la seconde.

Rorty, en revanche, estime qu’il est illusoire de postuler l’existence d’un texte en dehors des interprétations qu’il suscite25 ; dès lors, le texte ne saurait limiter d’une quelconque façon la lecture qui en est faite, ni servir de critère pour distinguer entre « bonnes » et « mauvaises » interprétations. Pour illustrer son propos, Rorty prend l’exemple d’un tournevis qui, tout destiné qu’il est à un usage technique précis, n’en

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est pas moins utile pour ouvrir, par exemple, des emballages en carton : faut-il en conclure qu’il s’agit d’une mauvaise interprétation de l’intentio du tournevis ? Eco, répondant à son tour à Rorty, admet que le tournevis peut suggérer une infinité d’usages (dont celui d’ouvrir des emballages ou, pourquoi pas, de se gratter l’oreille), et qu’il serait tout aussi vain de vouloir circonscrire l’œuvre à une signification prédéfinie. Cela ne signifie pas pour autant, conclut-il, qu’il n’y a aucune différence qualitative entre les différents usages du tournevis, ou entre les différentes interprétations d’un texte. De même qu’un tournevis, du fait de sa conformation, ne peut être classé « parmi les objets ronds26 », ni servir de cendrier, de même un texte a une configuration qui, sans limiter les interprétations qui peuvent en être faites, les oriente fortement et constitue un guide, un garde-fou. Cette orientation n’est en rien normative ; au contraire, Eco souligne qu’elle implique la nécessité, pour l’œuvre, de se contredire elle-même et de reconnaître les limites des interprétations qu’elle suggère : « la tâche d’un texte de création est de présenter la pluralité contradictoire de ses conclusions en laissant les lecteurs libres de choisir – ou de décider qu’il n’y a pas de choix possible27. »

Les contributions qui suivent, sans faire explicitement référence à ce débat, ont plus d’affinités avec la conception d’intentio operis développée par Eco qu’avec le pragmatisme de Rorty. Elles font une large place à différentes œuvres qui offrent explicitement au lecteur des pistes, engagent avec lui un dialogue sur leurs multiples interprétations, et leurs possibles surinterprétations. Certes, nombre d’entre elles (particulièrement celles qui sont abordées dans la troisième partie) postulent, pour citer Rorty, que le monde n’a aucune « propriété intrinsèque et non relationnelle28 », qu’il n’est appréhendé qu’en tant qu’il est interprété et que cette interprétation est nécessairement une surinterprétation. En revanche, les œuvres en question revendiquent nettement pour elles-mêmes la fonction d’orienter (de manière non limitative) la lecture.

À travers l’étude de différentes entreprises critiques et littéraires, romanesques et poétiques, allant du xixe au xxie siècle, ce volume de contributions s’attache à définir la littérature comme activité d’interprétation et de surinterprétation affichée. Un premier ensemble

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de contributions se centre sur différentes théories de l’interprétation. Vient ensuite une seconde partie portant sur la littérature en tant que lecture et interprétation du monde. Enfin, la troisième se penche différentes œuvres qui, tout en incitant fortement le lecteur à l’interprétation, lui interdisent de déboucher sur un sens viable et ne mènent qu’à la multiplication dédaléenne des impasses.

La première partie s’intéresse aux théories de l’interprétation développées par la critique, mais aussi par les écrivains, en s’appuyant sur leurs textes théoriques et leurs œuvres. C’est ainsi que Frédéric Marteau et Cristina Chirtes mettent au jour, dans les textes de Celan d’une part, Kafka et Beckett de l’autre, un plaidoyer contre l’interprétation qui a profondément influencé la critique actuelle. Cependant celle-ci hérite également, comme le montre Eric Lecler, des conceptions développées par les romantiques allemands et le cercle de l’Athenäum, qui voient dans l’interprétation une activité non seulement universelle, mais nécessaire pour réaliser les potentialités contenues dans toute œuvre. L’interprétation conquiert, dès lors, une position de suprématie parmi toutes les activités créatrices. Un même désir d’intensification du sens peut ainsi présider à deux positions antagonistes, refus ou tout au moins suspension de l’interprétation d’une part, primauté et universalité de l’interprétation de l’autre – ce qui autorise et interdit tout à la fois l’activité critique. Ce désir du sens érigé en absolu peut aussi aboutir à une dérive de l’interprétation : dans différents courants herméneutiques, au nom d’un absolu littéraire et/ou politique, l’interprétation vise à la fois la sacralisation de l’œuvre et la fermeture du sens. C’est ce que montre Serge Rolet, dont l’article complète la réflexion sur les théories et pratiques de l’interprétation.

Un tel désir d’univocité bute toutefois sur la pluralité cacophonique des sens en circulation dans toute œuvre, et plus encore sur l’ambivalence et l’opacité du monde auquel elle renvoie. C’est pourquoi la deuxième et la troisième partie, quittant le champ de la théorie et de la critique littéraire, abordent l’interprétation en tant que regard sur le monde, et l’œuvre littéraire en tant qu’analyse et mise en abyme de ce regard. Ainsi, la deuxième partie réunit plusieurs contributions sur la poésie et le roman en tant que tentatives pour déchiffrer le langage du monde. Les deux premiers articles (celui d’Alain Montandon sur Eichendorff et celui de Sandie Attia sur Günter Eich) s’attachent à la

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figure du poète-herméneute, l’activité poétique étant représentée comme le déchiffrement d’un texte certes caché et ambigu, mais qui réclame d’être lu. La métaphore de la nature comme livre tridimensionnel, chère aux romantiques allemands, pose tout particulièrement le problème du sens, de sa lisibilité et de son interprétation. En effet, si la nature ou le ciel apparaissent comme un texte que le poète déchiffre en le rendant perceptible, il y a cependant un glissement, car de simple description de la nature, l’acte du poète devient déchiffrement, décryptage, peut-être explication et donc interprétation. Le fait de décrire des rapports jamais perçus auparavant est alors la seule création dévolue à l’homme ; c’est sa perception et son interprétation du réel qui deviennent poésie.

Dans les contributions qui suivent, l’activité d’interprète apparaît sous un jour plus ouvertement critique. Dans son analyse de Stifter (Cailloux multicolores) et Brontë (Les Hauts de Hurlevent), Martin Jörg Schaefer montre que le discours sur la nature est sous-tendu par un parti pris idéologique qui ne s’avoue pas comme tel ; ce discours idéologique, qui tente d’apprivoiser la nature, échoue (avec des conséquences parfois catastrophiques) à en cerner le sens. Madelaine Crusoe met au jour une tentative similaire, et tout aussi infructueuse, de la part de la communauté puritaine dans La Lettre écarlate de Hawthorne. Quant à Aurélie Gendrat-Claudel, elle s’intéresse à deux romans (Oberman de Senancour et Dernières lettres de Jacopo Ortis de Foscolo) dont les personnages, inlassables interprètes des paysages qui les entourent, n’y voient en dernière analyse que le reflet de leur propre subjectivité. Le risque de solipsisme est encore plus grand aux yeux des romanciers étudiés par Patrick Werly (Conrad) et Judith Sarfati-Lanter (Handke et Lowry) ; au terme du processus, le monde et le langage se désagrègent en unités discrètes. Cécile Schenck met au jour une désagrégation similaire dans les œuvres de Hofmannsthal et de Kafka, qui là encore inclut le langage même. Ces contributions font ainsi émerger un reste, une résistance à l’interprétation, dont Martin Jörg Schaefer montre qu’il se matérialise chez Stifter et Brontë sous forme de roches et cailloux. Ceux-ci sont dès lors à considérer comme un programme esthétique, de même que les zones « blanches » de la carte d’Afrique dans l’œuvre de Conrad, ou la quidditas du monde dans celles de Handke, Lowry et Hofmannsthal.

Les œuvres abordées dans la troisième partie abordent l’interprétation sous un jour peut-être encore plus problématique : le monde n’est plus

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ce qui oppose sa résistance à l’interprétation, mais ce qui pourrait bien n’exister qu’en tant qu’il fait l’objet d’une interprétation. Toutes les contributions de cette partie font apparaître l’interprétation comme une activité subjective, voire solipsiste, tentant désespérément de faire advenir du sens dans un univers qui en est radicalement privé. Cette absence de sens se décline sous différentes modalités. Les quatre premières contributions se penchent sur des œuvres en deuil : leurs auteurs, représentatifs d’un mouvement qui affecte l’ensemble de la littérature durant la deuxième moitié du xxe siècle, considèrent que l’extermination des juifs d’Europe exclut toute quête d’un sens. La poétesse Nelly Sachs, comme le montre Lucie Taïeb, tente de maintenir dans son œuvre une tension, un appel, qui doivent nécessairement rester irrésolus. Gabrielle Napoli analyse, dans les œuvres d’Imre Kertész, une littérature qui s’enfante dans le risque, tentant d’éviter les deux écueils que sont la tentation mensongère du sens et le danger de l’éparpillement. Lucie Campos, rapprochant Kertész de W. G. Sebald, met à jour les troubles de la vision qui marquent la représentation de l’histoire ; tandis que Karine Winkelvoss, à propos de Sebald également, s’intéresse à l’ambiguïté des révélations qui émaillent ses fictions, révélations fondamentalement subjectives, voire suspectes, mais qui n’en sont pas moins capables d’emporter dans un même mouvement personnage et lecteur.

La quête d’un sens, si subjectif soit-il, apparaît comme une voie de salut, un besoin essentiel, pour les protagonistes de ces romans. Ce besoin se manifeste également dans les œuvres des deux derniers auteurs évoqués dans ce volume, Thomas Pynchon et Daniel Kehlmann. Pour ces deux romanciers, comme le montrent respectivement Anne Isabelle François et Daniel Meyer, l’interprétation est toujours accompagnée du solipsisme et de la paranoïa ; mais malgré ces dangers inhérents à l’interprétation, les protagonistes ne paraissent pas avoir la possibilité de s’en abstenir. L’absence de sens ne semble pas être due à un événement historique traumatique (comme c’était le cas pour les trois auteurs précédents) ; elle est inséparable de la condition humaine, mais elle est également insupportable, de sorte que les protagonistes se livrent à une lutte acharnée pour faire advenir un sens, si destructeur qu’il soit, plutôt que de se résigner à « l’idiotie du réel ».

À travers différentes époques et dans différents genres, écrivains et critiques se rejoignent pour définir l’interprétation comme écart et

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recréation. Acte créateur, qui révèle les potentialités de l’œuvre, ou du monde, et les renouvelle indéfiniment ; acte mensonger, qui s’obstine à injecter du sens dans une réalité idiote – l’interprétation s’avère être, dans tous les cas, une surinterprétation, le suffixe « sur » pouvant indiquer qu’en réalisant pleinement les intentions de l’œuvre, l’interprétation la fait accéder à un niveau supérieur du sens, comme l’estiment les romantiques allemands ; ou bien que l’interprétation dépasse constamment l’objet qu’elle s’est fixé, comme la littérature contemporaine ne cesse de l’affirmer.

Alison Boulanger
Université Lille 3
Alithila – Centre de recherches
en littérature générale et comparée

1 James Joyce, Ulysse, nouvelle traduction sous la direction de Jacques Aubert, Paris, Gallimard [« Folio »], 2004, p. 57 (« Signatures of all things I am here to read, seaspawn and seawrack, the nearing tide, that rusty boot. Snotgreen, bluesilver, rust : coloured signs », Ulysses, éd. Hans Walter Gabler, New York-London, Garland Publishing, 1984, vol. 1, p. 75).

2 Imre Kertész, Le Chercheur de traces (A nyomkeresõ, Budapest, Magvető, 1977), in Le drapeau anglais, tr. Natalia Zaremba-Huszvai et Charles Zaremba, Arles, Actes Sud, 2005.

3 W. G. Sebald, Les Anneaux de Saturne, tr. Bernard Kreiss, Arles, Actes Sud, 1999, p. 32-33 (« Überall an der lebendigen und toten Materie entdeckt Browne diese Struktur, in gewissen kristallinischen Formen, an Seesternen und Seeigeln, an den Wirbelknochen der Säugetiere, am Rückgrat der Vögel und Fische, auf der Haut mehrerer Arten von Schlangen, in den Spuren der über Kreuz sich fortbewegenden Vierfüßler, in den Konfigurationen der Körper der Raupen, Schmetterlinge, Seidenspinner und Nachtfalter, in der Wurzel des Wasserfarns, den Samenhülsen der Sonnenblumen und Schirmpinien, im Innern der jungen Triebe der Eichen oder der Stengel des Schachtelhalms und in den Kunstwerken der Menschen […] », Die Ringe des Saturn. Eine englische Wallfahrt, Frankfurt am Main, Eichborn Verlag, 1995, p. 29-30).

4 Jean-Paul Goux, Mémoires de l’Enclave (1986), Arles, Actes Sud, 2003, p. 20.

5 Ibid., respectivement p. 20 et 25.

6 Ibid., p. 24.

7 Vladimir Nabokov, « Signes et symboles » (1948), in Nouvelles, tr. de l’anglais par Maurice et Yvonne Couturier, Gérard-Henri Durand, tr. du russe par Bernard Kreise, Laure Troubetzkoy, Paris, Robert Laffont, 1999, p. 693-694 (« « Referential mania », Herman Brink had called it. In these very rare cases the patient imagines that everything happening around him is a veiled reference to his personality and existence. […] Phenomenal nature shadows him wherever he goes. Clouds in the staring sky transmit to one another, by means of slow signs, incredibly detailed information regarding him. His inmost thoughts are discussed at nightfall, in manual alphabet, by darkly gesticulating trees. Pebbles or stains or sun flecks form patterns representing in some awful way messages which he must intercept. Everything is a cipher and of everything he is the theme », « Signs and Symbols », in The Stories of Vladimir Nabokov, New York, Alfred A. Knopf, 1995, p. 595).

8 Vladimir Nabokov, Feu pâle, tr. Raymond Girard et Maurice-Edgar Coindreau, Paris, Gallimard [« Folio »], 1991, note au vers 1000, p. 326 (« My commentary to this poem, now in the hands of my readers, represents an attempt to sort out those echoes and wavelets of fire, and pale phosphorescent hints, and all the many subliminal debts to me », Pale Fire, London, Penguin, 1973, p. 233).

9 G. W. F. Hegel, Cours d’esthétique, tr. Lefebvre et von Schenk, Paris, Aubier, 1996, t. II, p. 549-550, traduction modifiée (« Was jedoch fehlt, ist der ursprünglich poetische Weltzustand, aus welchem das eigentliche Epos hervorgeht. Der Roman im modernen Sinne setzt eine bereits zur Prosa geordnete Wirklichkeit voraus, auf deren Boden er sodann in seinem Kreise – sowohl in Rücksicht auf die Lebendigkeit der Begebnisse als auch in betreff der Individuen und ihres Schicksals – der Poesie, soweit es bei dieser Voraussetzung möglich ist, ihr verlorenes Recht wieder erringt », G. W. F. Hegel, Vorlesungen über die Ästhetik, in Werke in zwanzig Bänden, vol. II (deuxième partie), Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1970, p. 392-393).

10 Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard [« Tel »], 1966, p. 61.

11 Ibid., p. 60-61.

12 Ibid., p. 60-61.

13 Clément Rosset, Logique du pire, Paris, PUF, 1971, p. 9.

14 Ibid., p. 53.

15 Ibid., p. 15.

16 Clément Rosset, Le Réel. Traité de l’idiotie [1997], Paris, Minuit, 2004. Rosset s’appuie entre autres sur les travaux de François Dagognet, notamment Philosophie biologique, Paris, PUF, 1955.

17 Pierre Fédida, « L’exhibition et le secret de l’enveloppe vide », Nouvelle revue de psychanalyse, no 14 (Du secret, automne 1976), p. 275-280.

18 Rosset, Le Réel, op. cit., p. 20.

19 Michel Serres, La Traduction (Hermès. III), Paris, Minuit, 1974, p. 67.

20 Rappelons que Sterne se réfère non seulement à Locke, mais à un débat contemporain dans lequel David Hartley, fondateur de l’associationnisme, joua un rôle important. Si Locke voit en l’association d’idées une erreur d’aiguillage, Hartley la présente au contraire comme le fondement même de l’entendement. Il expose notamment ses théories dans un ouvrage au retentissement considérable, intitulé Observations on Man, his Frame, his Duty, and his Expectations, publié en 1749 (London, Richardson), dix ans avant les deux premiers volumes de Tristram Shandy.

21 Laurence Sterne, Vie et opinions de Tristram Shandy, gentilhomme, livre III, chapitre xiv, tr. Charles Mauron, Paris, GF Flammarion, 1982, p. 179 (The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman, éd. Graham Petrie, London, Penguin, 1967, p. 195).

22 Ibid., p. 181, traduction modifiée (The Life and Opinions of Tristram Shandy, op. cit., p. 197).

23 « Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes, c’est-à-dire sont incapables d’apparaître autrement que là où elles sont et telles qu’elles sont : incapables donc, et en premier lieu, de se refléter, d’apparaître dans le double du miroir », Rosset, Le Réel, op. cit., p. 42.

24 Umberto Eco, Richard Rorty, Jonathan Culler, Christine Brooke-Rose, Interprétation et surinterprétation, tr. Jean-Pierre Cometti, Paris, PUF, 1996 (Interpretation and Overinterpretation, dir. Stefan Collini, Cambridge, Cambridge University Press, 1992).

25 Ibid., p. 93-94.

26 Ibid., p. 134-135.

27 Ibid., p. 130.

28 Ibid., p. 85.