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Classiques Garnier

Présentation

  • Publication type: Article from a collective work
  • Collective work: La Ponctuation à la Renaissance
  • Pages: 7 to 10
  • Collection: Encounters, n° 243
  • Series: Symposiums, seminars, and conferences on the European Renaissance, n° 69
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782812444050
  • ISBN: 978-2-8124-4405-0
  • ISSN: 2261-1851
  • DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-4405-0.p.0007
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 10-14-2011
  • Language: French
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Présentation

Dans un paysage éditorial habitué, depuis le xixe siècle, à une modernisation systématique de la ponctuation de tous les textes antérieurs à la Révolution, les travaux, à partir des années soixante, de l’équipe de Nina Catach et de Malcolm Parkes ont conduit à une remise en cause des pratiques en usage et à des débats parfois très animés. La redécouverte de certains traités oubliés, la comparaison des différentes éditions de textes célèbres, l’étude attentive des manuscrits encore existants ont amené certains chercheurs à réclamer le retour à la ponctuation ancienne. La thèse de Mireille Huchon (1977) en montrant combien la ponctuation était révélatrice de l’histoire des éditions de Rabelais et la redécouverte par André Tournon de la ponctuation autographe de l’exemplaire de Bordeaux des Essais1 ont ainsi joué un rôle essentiel. La publication dans la bibliothèque de la Pléiade en 1994 des œuvres de Rabelais, puis en 1999 du théâtre de Racine, ponctués tels qu’ils l’étaient dans les éditions originales, a sensibilisé un plus large public à ces questions et sans doute contribué à rendre possibles les choix opérés aujourd’hui par certaines collections de poche.

La situation est, pour autant, loin d’être aussi simple qu’il pourrait sembler. Des voix s’élèvent aujourd’hui pour remettre en cause un retour trop systématique à des éditions originales qui sont parfois loin d’aller de soi quant à leur fidélité à l’égard des intentions des auteurs, pour autant qu’elles aient existé. Si la conception grammaticale d’une ponctuation considérée comme un outil de clarification des énoncés écrits domine la Renaissance, l’évolution des conceptions et des préceptes des grammairiens, l’importance nouvelle du modèle rhétorique hérité des latins, les variations visibles d’un atelier à l’autre invitent à une certaine prudence dans la restitution.

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Pour réussir l’indispensable travail de discrimination des signes à rétablir et à effacer, il faut donc disposer d’une histoire suffisamment précise tant des usages que des traités qui ont pu se succéder avant la normalisation imposée par les grammaires scolaires du xixe siècle. C’est dans une telle perspective, entamée récemment de façon encore insuffisamment approfondie en Italie, que s’inscrit ce volume d’études. Au moyen d’un parcours chronologique, l’objectif est ici d’interroger l’effet de l’apparition de l’imprimerie sur la codification de la ponctuation mais aussi la relation entre une théorie qui se développe sous l’influence de l’Italie et une pratique elle-même encore fluctuante, mais dont on peut discerner quelques tendances, en fonction des périodes, des genres, des auteurs et des ateliers d’imprimeur. L’intérêt majeur de cette série d’études qui s’étend sur tout le siècle est de croiser l’ensemble de ces données et de contrecarrer certaines idées préconçues sur le sujet, ainsi du lien trop systématiquement établi entre oralité et ponctuation. Comme le souligne notamment M.L. Demonet, la ponctuation ne reflète pas une oralité réelle ou fictive, elle modèle plutôt des pratiques de lecture et dépend fortement d’une idée de la langue, qui varie dans le temps mais aussi en fonction d’un certain nombre de paramètres tant sociologiques que stylistiques. Si les deux articles de N. Mazziotta et d’A. Tournon montrent à quel point il est important de replacer la ponctuation des oeuvres littéraires dans un ensemble plus large de pratiques d’écriture, la variété d’ensemble tient à la variété des types de textes littéraires étudiés qui relèvent de genres différents, narratifs, poétiques, théâtraux, et appartiennent à des périodes diverses. Ce faisant, ce volume s’efforce d’ouvrir la voie à une histoire exhaustive de la ponctuation à la Renaissance.

En s’appuyant sur l’étude systématique de la ponctuation d’un ensemble de chartes médiévales, N. Mazziotta revient sur l’ensemble des définitions de la ponctuation pour en proposer une qui tienne compte du fait qu’il s’agit d’une caractéristique exclusive de la langue écrite bien distincte des différents phénomènes de mise en relief ou de mise en page. Parallèlement, A. Lavrentiev, afin d’étudier l’évolution des pratiques du manuscrit à l’imprimé, confronte les cadres posés par les traités de ponctuation depuis Barzizza jusqu’à Dolet, composés et diffusés au moment de l’apparition de l’imprimerie et les pratiques des manuscrits du xiiie au xve siècle puis des premiers incunables. Il étudie et la fréquence et la nature de la ponctuation, à partir de la notion de 9« frontière ponctuable » pour montrer de manière très précise sur un corpus étendu, le rôle qu’a joué l’imprimerie dans la normalisation des pratiques. Quant à Adrian Armstrong, il confirme, en analysant les différentes versions manuscrites et imprimées de l’Art de rhétorique de Molinet, que les habitudes changent peu au tournant du siècle d’un médium à l’autre, si ce n’est que la dimension décorative du manuscrit disparaît dans l’imprimé. Dans les deux cas, les exemples poétiques, où l’attention se porte sur la versification et non sur la syntaxe ou le sens, sont nettement moins ponctués que la prose.

Olivier Halévy montre que cet état de fait évolue au cours des années charnières 1530-1540, qui voient se modifier nombre d’habitudes. En comparant deux états, manuscrit et imprimé, de l’Electra de Lazare de Baïf, il constate que l’imprimé de 1537 met bien en place la ponctuation syntactico-périodique que théorise à la même époque le traité de Dolet alors que le manuscrit (d’environ 1530) obéit aux impératifs d’une ponctuation métrique. Cette différence pourrait selon lui accompagner une évolution dans la prononciation du vers. N. Dauvois, quant à elle, s’efforce d’étudier à travers plusieurs exemples de recueils publiés entre 1530 et 1550 le lien entre évolution des formes poétiques et évolution de la ponctuation, pour mettre en lumière, de manière proche, la concurrence puis la substitution d’une ponctuation périodique à une ponctuation métrique, notamment dans le cas de l’usage des deux points. C’est aussi à ce signe que s’intéresse M. Huchon pour montrer qu’alors que l’atelier de Jean de Tournes a au milieu du siècle des usages orthographiques convergents et cohérents, l’étude des pratiques ponctuantes permet de relever des tendances individuelles et de repérer notamment des affinités entre les deux volumes des Euvres de Louise Labé et des Erreurs amoureuses de Pontus de Tyard.

À partir d’une étude apparemment ponctuelle sur l’usage du point-virgule chez Rabelais, Montaigne et Verville, Marie-Luce Demonet montre, de son côté, comment, à partir des années 1540 jusqu’à la fin du siècle, l’emploi de la ponctuation engage un idéal de la langue française et témoigne de pratiques de lecture notamment publique à une époque de promotion de l’art oratoire. L’usage de la ponctuation révèle désormais une vision grammaticale du discours et de son découpage périodique tout en autorisant des variations d’usages selon les genres – ainsi du statut particulier en la matière de la littérature narrative – et les auteurs.

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Les deux articles suivant reviennent dès lors sur le lien de l’imprimé au manuscrit pour donner des exemples, dans ce cadre général théoriquement de plus en plus contraint, de pratiques singulières qui illustrent des manières de déconstruire les usages de la ponctuation périodique. J.-R. Fanlo, étudiant les différents états manuscrits et imprimés de certains passages des Tragiques, souligne la rareté de l’emploi des points par Aubigné et la tendance générale au débordement, au mouvement de relance ; il met aussi en lumière la poétique de marquage rhétorique, qu’illustre l’emploi des ponctuations intermédiaires. Loin d’être le fruit d’une routine d’atelier ou des négligences de l’auteur scripteur ou relecteur, cette ponctuation spécifique est donc bien à prendre en compte par les éditeurs modernes. Le texte qu’André Tournon consacre à ce qu’il appelle des « signes de profération » pose encore plus clairement la question en termes éditoriaux. S’il dit nettement que ces signes ne correspondent pas à des signes de ponctuation mais à un autre usage, tout son propos n’en a pas moins pour objet de souligner avec acuité la nécessité pour tout éditeur moderne d’en tenir et d’en rendre compte.

Quant aux deux textes qui complètent le volume, ils s’efforcent de dresser un panorama aussi complet que possible des écrits latins ou français consacrés à la ponctuation par les auteurs de la Renaissance (S. Baddeley), mais aussi de ceux qui les ont suivis (J. Dürrenmatt). L’héritage de Dolet imposera en effet aux rhétoriciens et grammairiens du xviie siècle d’apporter des compléments, de clarifier certains éléments mais aussi de revenir, avec plus ou moins de force et de conviction critique, sur une codification des pratiques qui n’est pas sans poser problème dans les contradictions qu’elle implique avec les usages de l’art oratoire.

On aura compris qu’un des enjeux de ce parcours consiste à poser aux éditeurs modernes que nous sommes la question des choix à faire en matière de ponctuation. Comme l’ensemble des contributions recueillies ici le montrent, il ne s’agit jamais d’engager à respecter scrupuleusement n’importe quel état X ou Y du texte, mais bien à comparer, confronter des pratiques, des ouvrages, des états afin de comprendre la cohérence d’un système autant que ses éventuelles disparates.

1 Voir le compte rendu de son intervention à la table ronde de l’association RHR consacrée en janvier 1978 à l’édition critique et à la question de la ponctuation, in Réforme, Humanisme, Renaissance no 9. Pour toutes les autres références voir la bibiographie générale.