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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Poésie dramatique comme discours de savoir
  • Auteur : Desclos (Marie-Laurence)
  • Résumé : Dans la continuité du précédent volume sur La poésie archaïque comme discours de savoir, cet ensemble de communications a pour ambition de prendre la mesure des survivances et des innovations qui, chez un Eschyle, un Euripide ou un Aristophane, trahissent les continuités ou marquent les différences qu’il s’agisse des représentations théologiques, politiques, médicales, éthiques, dramaturgiques ou – selon la dénomination que nous leur donnons aujourd’hui – « philosophiques ».
  • Pages : 7 à 9
  • Collection : Kaïnon - Anthropologie de la pensée ancienne, n° 16
  • Série : Symposia, n° 6
  • Thème CLIL : 3127 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie antique
  • EAN : 9782406099772
  • ISBN : 978-2-406-09977-2
  • ISSN : 2428-713X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09977-2.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 23/09/2020
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Poésie dramatique, tragédie, comédie, sophoi, savoirs pluriels, philosophie, Platon
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Préface

Ce volume réunit les Actes du deuxième colloque organisé à Grenoble les 21-22 mai 2015 par le Pôle Alpin de Recherches sur les Sociétés Anciennes dans le cadre du programme pluri-annuel « Le problème de la réappropriation par la philosophie des discours de savoir antérieurs ». Comme dans le volume précédent, reprenant les communications prononcées les 28-29 novembre 20141, il sagit de déterminer la nature dun savoir qui ne soit pas celui des médecins, des « historiens », des mathématiciens ou des « physiologues » : celui de ces « poètes » que leurs contemporains – comme eux-mêmes, dailleurs, le faisaient – considéraient comme des sophoi, des savants. Ce nest quà ce prix, en effet, que lon peut espérer véritablement comprendre pourquoi, ultérieurement, un Platon, un Aristote ou les philosophes hellénistiques (Chrysippe, par exemple), se sont à ce point attachés à sen démarquer, mais sen sont également autant inspirés2.

Ce qui impliquait dabord, lors du premier colloque, dabandonner nos catégories contemporaines et de prendre conscience que la conception et les conditions du savoir et de la vérité nétaient pas les mêmes que les nôtres, et notamment quil était parfaitement possible de présenter en même temps deux récits incompatibles et pourtant faisant lun et lautre autorité. Cest le cas chez Pindare, mais également dans le Poème de Parménide où les « deux voies » (de la Vérité et de lopinion) peuvent également être interprétées, dans le cadre de traditions eschatologiques et de pratiques mystérico-initiatiques, comme le choix dun chemin de vie qui sera aussi celui de lâme après la mort.

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Il fallait également se déprendre du sens que nous donnons habituellement aux mots. Là où nous aurions tendance à voir une métaphore, il faut au contraire comprendre que, dArchiloque à Pindare, limage est lexplication de ce qui est par elle désignée. Là où nous pourrions ne voir que le nom dun poète – Hésiode, par exemple – nous devons reconnaître un élément métaréflexif et métalinguistique sur le poème lui-même et sur la réalité quil décrit : la fabrication (la poièsis) des noms, du chant, du monde et de la communauté civique marchent du même pas.

Nous avons donc pu apprécier à quel point il importait de ne pas chausser les lunettes de Platon ou dAristote si lon voulait prendre toute la mesure de la profondeur et de la fécondité de ce savoir pluriel qui na pas attendu la philosophie de la période classique pour être ce quil est. Même si, pour le philosophe de lAcadémie et le Stagirite, les choses sont sans doute beaucoup moins simples quil ny paraît au premier regard.

Cest la même démarche qui a été adoptée à propos de ce quil est convenu dappeler la « poésie dramatique ». Sans oublier que la poésie archaïque peut, en plein quatrième siècle, faire preuve encore de sa vitalité en intégrant les savoirs nouveaux. Je pense à cette « poésie épique historique » dont traite Xavier Gheerbrant, même si cest une poésie épique revisitée ayant pour objet non le passé héroïque mais lhistoire de son temps. Sans oublier non plus que la poésie dramatique est aussi lhéritière de ces savoirs archaïques multiples précédemment explorés. Cest ainsi, comme le montre Nuria Scapin, que lon peut retrouver dans lOrestie dEschyle un écho du discours théologique de Xénophane ou des développements héraclitéens sur lunité des opposés ; que la lamentation élégiaque de lAndromaque dEuripide doit se comprendre dans sa relation à lelegeion de Tyrtée, même si cette relation a tout, comme nous le dira Magali Année, dune « entreprise de sabotage ».

Il nen demeure pas moins que, de lune à lautre, de la « poésie archaïque » à la « poésie dramatique », le contexte historico-politique nest plus le même, pas plus dailleurs que le contexte dénonciation ou le contexte intellectuel. LOreste, lHéraclès furieux ou les Bacchantes dEuripide sont aussi le lieu où saffrontent conceptions traditionnelles du délire, développements théoriques de la médecine hippocratique sur les déséquilibres psychopathologiques, et réflexions sophistiques sur les liens entre le corps et lâme, ainsi que nous lexpliquent Valeria Melis et Sandro Passavanti. Tout comme la tragédie perdue Mélanippe philosophe9nest pas sans rappeler les théories dAnaxagore dans linterprétation que nous en propose Maria Paola Castiglioni.Mais un Anaxagore « théâtralisé » dont, comble du paradoxe, le savoir trouve à sexprimer par la voix dune femme. Nous ne sommes pas bien loin de ces « femmes savantes » quincarneront, dans les dialogues de Platon, Diotime ou Aspasie. Une « théâtralisation » à laquelle néchapperont pas ces météorologues que sont les physiologues ioniens dans les Troyennes ou les Bacchantes, comme le démontre Davide Susanetti. Traités médicaux, théories cosmologiques, mais également, osons le mot, considérations éthiques présentes dans la Médée telle que la lit Michela Sassi. Il faut donc reprendre à nouveaux frais le questionnement et se pencher aussi sur le lexique de ce savoir, et sur les rapports sémantiques ou formels que les mots qui le composent entretiennent entre eux que ce soit chez Eschyle, dont nous parle Sandrine Coin-Longeray, ou chez Aristophane dans lanalyse que nous propose Ghislaine Jay-Robert.

Telle est, rapidement résumée, lambition de cet ensemble de communications : prendre la mesure des survivances et des innovations qui, chez un Eschyle, un Euripide ou un Aristophane, trahissent les continuités ou marquent les différences quil sagisse des représentations théologiques, politiques, médicales, éthiques, dramaturgiques ou – selon la dénomination que nous leur donnons aujourdhui – « philosophiques ».

Marie-Laurence Desclos

Université Grenoble Alpes

1 Marie-Laurence Desclos (éd.), La poésie archaïque comme discours de savoir, Paris, Classiques Garnier, 2018.

2 Platon et Aristote ont fait lobjet de deux colloques, (non exclusivement limités cette fois au savoir des « poètes ») en cours de publication : le premier, « Platon citateur », Université Grenoble Alpes, 29-31 mars 2017 ; le second, « Aristote citateur », Università degli Studi di Torino, 27-29 mars 2019.