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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Poésie dans les écritures dramatiques contemporaines
  • Auteur : Bouchardon (Marianne)
  • Pages : 7 à 9
  • Collection : Rencontres, n° 138
  • Série : Études théâtrales, n° 1
  • Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
  • EAN : 9782812436642
  • ISBN : 978-2-8124-3664-2
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3664-2.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 16/12/2015
  • Langue : Français
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Avant-propos

Louvrage fondamental de Peter Szondi, Théorie du drame moderne (1880-1950), en retraçant lhistoire du passage du théâtre selon Aristote au théâtre selon Brecht ou, en dautres termes, de la « forme dramatique » à la « forme épique », devait durablement orienter les recherches sur les écritures dramatiques contemporaines. Depuis sa publication, en effet, cest la manifestation de linstance auctoriale au sein du dialogue entre les personnages et, dès lors, louverture des pièces de théâtre à une forme narrative dénonciation qui est apparue comme le biais privilégié, sinon unique, de lévolution de lécriture dramatique depuis le milieu du xxe siècle. Sil est vrai que les travaux menés à luniversité de Paris 3 par le groupe « Poétique du drame moderne et contemporain » nont pas manqué de critiquer la dimension quelque peu téléologique de lapproche de Szondi, reste que lincontestable mouvement dépicisation ou de romanisation du drame quil a mis en lumière continue de polariser les études universitaires au point docculter dautres formes de renouvellement de lécriture théâtrale durant ces dernières décennies. Ainsi, fort peu de travaux ont encore été consacrés à la récente ouverture du genre dramatique au genre poétique. Notre thèse, soutenue en 2004 sous le titre « Théâtre-poésie. Limites non-frontières entre deux genres du symbolisme à nos jours », en envisageant ce phénomène sous langle diachronique, avait tout au plus posé quelques jalons terminologiques, méthodologiques et historiques1. Lambition du présent volume, parfaitement complémentaire de ce précédent travail, est résolument synchronique. La poésie, devenue prisme denvisagement du théâtre contemporain, prétend permettre dappréhender la subtilité et la complexité de ses procédés, de ses effets et de ses enjeux, sans pour autant en réduire la diversité – que réaffirme le pluriel du titre.

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Après une longue introduction, où lauteur de ces lignes pose le cadre général de la problématique, Denis Guénoun, dans un court texte polémique et incisif, propose de la formuler en termes de valeur : lexigence poétique du théâtre est liée, selon lui, à une exigence morale délévation du public. Suivent ensuite cinq études monographiques, dont les deux premières se concentrent sur lanalyse des structures des pièces dinspiration poétique. Céline Hersant montre ainsi comment le geste de découpage puis de collage et de montage accompli par Philippe Minyana lui permet daboutir à une écriture verticale, tissue de bribes de réel. Florence Bernard, pour sa part, décèle chez Bernard-Marie Koltès une entreprise de déstabilisation sensorielle et intellectuelle, visant à atteindre un rythme pré-articulatoire qui restitue au langage sa mobilité et sa musicalité. Ce souci de travailler à la fois avec et contre la langue, Jean-Marie Thomasseau le repère, lui aussi, dans le théâtre de Valère Novarina, dont il fait ressortir les affinités avec la poésie mystique : celle de saint Jean de la Croix ou de Madame Guyon, à linstar desquels il sengage dans la voie dun lyrisme sans moi. Les deux textes suivants posent la question de la poésie au théâtre « après Auschwitz ». À travers son analyse de lœuvre de Patrick Kermann, Marie-Isabelle Boula de Mareuil se demande ainsi comment le poète dramatique parvient à affronter la question de limpossible témoignage dès lors que le langage a vu sa fonction de médiatisation réduite à néant par le brasier du milieu du siècle : le ressassement, le bégaiement et le délitement semblent alors le lot dune langue de cendres et de poussières. À partir dun minutieux examen de LInstruction de Peter Weiss, Armelle Talbot montre, de son côté, en quoi la poétisation du matériau permet au théâtre documentaire de sémanciper de la prose qui sert à la fois décrin et décran à la réalité et de déboucher par là sur des questionnements inédits.

Au théâtre, ne pourrait-on pas toutefois envisager que la poésie procède, autant que dun effet du texte, dun effet de mise en scène ? En sappuyant notamment sur lanalyse de deux spectacles, lun occidental (Cendrillon de Joël Pommerat), lautre oriental (Wuturi de Kim Kwang-Lim), Patrice Pavis nous convainc ainsi que linjection poétique procède souvent dune intervention extérieure. Cest encore cette idée quillustre le témoignage de Jean-Marie Apostolidès, consacré à la mise en scène de Our Town de Thornton Wilder par Georges Lavaudant.

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Michel Vinaver, dans le cadre de lentretien quil a bien voulu nous accorder, revient sur les raisons de sa réticence personnelle à légard de la notion de « poésie » et sur la préférence quil accorde à une autre terminologie : celle qui lui permet de distinguer entre « pièce-machine » et « pièce-paysage ».

Le parcours critique accompli ici, sil népuise pas les possibilités dinvestigation sur la poésie dans les écritures dramatiques contemporaines, ouvre, en revanche, un chantier suffisamment neuf pour autoriser à lui souhaiter une postérité.

Marianne Bouchardon

Université de Rouen – CÉRÉdI

1 Marianne Bouchardon, « Théâtre-poésie. Limites non-frontières entre deux genres du symbolisme à nos jours », thèse de doctorat, sous la direction de Claude Leroy, Université de Paris X-Nanterre, 2004.