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Classiques Garnier

Présentation du volume

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Négation à l’œuvre dans les textes
  • Auteurs : Fontvieille-Cordani (Agnès), Laurent (Nicolas)
  • Résumé : Au seuil de l’ouvrage, après avoir argumenté en faveur d’une étude stylistique de la négation, cet article présente, succinctement, l’ensemble des contributions et justifie le plan adopté.
  • Pages : 11 à 16
  • Collection : Colloques de Cerisy - Littérature, n° 11
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406142003
  • ISBN : 978-2-406-14200-3
  • ISSN : 2495-2788
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14200-3.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 03/05/2023
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Analyse du discours, figures du discours, langue française, linguistique, littérature, négativité, rhétorique, sémiotique, stylistique
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Présentation du volume

Comment la négation opère-t-elle dans les textes littéraires ? La négation, qui traverse toutes les disciplines des sciences humaines, a donné lieu à des travaux considérables en logique, en philosophie, en psychanalyse ou en linguistique. Mais son fonctionnement dans les œuvres na pas encore fait lobjet dune approche stylistique générale tant les mots grammaticaux – plus instructionnels que conceptuels – peuvent passer inaperçus. Lobjet du présent volume est dexaminer le « travail » en contexte des formes négatives, dans le sillon desquelles seront aussi considérés la négation lexicale et ce qui relève, plus largement, de la négation sémantique, voire de la « négativité ».

Opérateur majeur de lénoncé, la négation est en général décrite comme linverseur de la valeur de vérité dune proposition, ou, plus largement – puisque nier nest pas toujours signifier une inadéquation logique – comme ce qui permet à un locuteur de rejeter un autre énoncé supposé. Invitant, sur le plan énonciatif, à examiner les jeux propres à la polyphonie et au(x) dialogisme(s), elle possède, dun point de vue textuel, une évidente dimension transphrastique, faisant parcourir tout le continuum linguistique, du morphème au texte, en passant par les paliers du syntagme et de la phrase. Encore faut-il préciser quune négation nopère pas toujours sur un énoncé positif présent en co(n)texte, et que, du plus réfutatoire au plus descriptif, se conçoit toute une échelle de négativité.

De fait, dans le cadre dune stylistique attentive au détail grammatical, nous avons voulu partir de ces mots tels que ne… pas, point, rien, jamais, personne, nul.le.s, aucun.e.s, etc., qui sont si répandus quon en sous-estime généralement la capacité organisationnelle et la force poétique. La négation, qui implique lau-delà (énonciatif, textuel) de la phrase, accompagne les circonvolutions du dire et creuse la part non dite, ou obscure, du dit. Elle opère en surface comme en profondeur, livrant les textes à une mécanique fine du sens, à de subtils jeux de bascule 12entre positif et négatif, de la variation infime – valorisant notamment les évaluations quantitatives – au renversement binaire pur et simple.

Par sa visée discursive, la négation est au cœur des genres argumentatifs. Quels jeux propres au dialogue et au(x) dialogisme(s) peut-on observer dans le théâtre, dans lessai, la littérature morale, mais aussi dans dautres genres non immédiatement interactionnels tels que roman, nouvelle ou poésie ? Par ailleurs, la négation est le ressort essentiel de nombreuses figures : comment fonctionnent-elles en contexte ? Et de quelle manière la négation interagit-elle avec les autres figures ? Comment, enfin, envisager la contrepartie référentielle de la négation, sa puissance de représentation ? Comment, entre dit et non-dit, les mots négatifs posent-ils la question des limites du langage lorsquils servent paradoxalement à dire ce qui nest pas – selon les ontologies diversifiées de labsence, de linexistence, du néant ?

Le présent volume rassemble les contributions de stylisticiens, sémioticiens et linguistes de tous horizons, spécialistes de genres et de siècles différents (xvie-xxie), qui se sont retrouvés pour échanger au sujet de « la négation à lœuvre dans les textes » dans le cadre historique et magnifique du Château de Cerisy, entre le 22 et le 29 juillet 2019. Il porte aussi trace de la présence à ces journées de deux artistes, lécrivaine Michèle Audin et le plasticien franco-autrichien Hervé Massard, qui se sont saisis du thème pour rendre compte de leurs processus de création. Ce colloque venait conclure un séminaire de deux années co-organisé à Lyon par les laboratoires de recherche Arts & Littératures Passages XX-XXI (Lyon 2) et IHRIM (ENS Lyon). Cest grâce à leur soutien et à celui du laboratoire ASLAN, ainsi quà lengagement dEdith Heurgon et de son équipe, que ces journées ont pu avoir lieu.

Louvrage fait se succéder :

un double prologue ;

cinq parties intitulées 1. « Mots négatifs et représentation », 2. « Figures et négation », 3. « Négation, énonciation & polyphonie », 4. « Textualités négatives » et 5. « Les genres au prisme de la négation » ;

en guise de conclusion, deux carnets de création (« Ne pas oublier » de M. Audin et « La Mer à bord » de H. Massard).

Les deux premiers textes font office de Prologue pour létude de la négation dans les textes. Dans le premier, A. Fontvieille-Cordani (« Négation et 13figure »), interroge la capacité de lénoncé négatif à faire figure. Après avoir envisagé certaines catégories rhétoriques au prisme de la négation, elle rend compte, plus particulièrement, des ressorts figuraux de la dénégation, de la négationcontradictoire et de la négationinférentielle. Dans le second, N. Laurent (« Sémantique du style et négation ») explore la force émergentielle des marques de négation en contexte littéraire et leur capacité à structurer un « espace logique » constitutif dun style dœuvre.

Les cinq parties qui constituent le corps principal de louvrage balisent le champ stylistique de la négation. Il va sans dire que les entrées proposées, qui mettent successivement laccent sur les mots négatifs, les figures, lénonciation, le texte et le genre, correspondent seulement à des dominantes, et que telle communication incluse dans Négation, énonciation & polyphonie peut aussi concerner les figures ou la textualité négative : on ne saurait sarrêter, dès lors quon cherche à décrire la négation en contexte, et plus encore en contexte littéraire, à une dimension du fait ou à un paramètre. Simplement, il nous a semblé que, dans lensemble, les contributions illustraient prioritairement lun ces axes, lensemble donnant limage dun continuum – nécessairement partiel – qui nous fait aller du mot aux genres.

« Mots négatifs et représentation »fait donc débuter la réflexion par létude des motsnégatifs en contexte et de leur puissance de représentation. S. Milcent-Lawson (« “Romances sans paroles” et “sourire sans chat”. Négation et reconfiguration du sens dans les syntagmes de type N1 sans N2 ») analyse les propriétés des syntagmes binominaux du type N1 sans N2 et leurs effets en discours : aptitude à se convertir en patron prosodique et figural, prédisposition à modéliser, au cœur de la littérature, un questionnement sur le langage et sur le monde. La pratique de la via negativa est au cœur de la recherche de S. Orlandi (« La négation chemin faisant. Poésie et via negativa chez René Daumal et Jacques Roubaud »), qui en examine les manifestations morphosyntaxiques (en particulier les usages de non) dans les créations poétiques de Daumal (Le Contre-Ciel) et de Roubaud (Quelque chose noir). Cest aussi un corpus poétique qui est sollicité par S. Thonnerieux, dont la contribution (« Négation et poésie du deuil. Les morts (ne) sont plus que des mots ») porte sur la poésie du deuil de la fin du xxe siècle (Deguy, Roubaud et Sacré). Elle y analyse notamment des énoncés négatifs singuliers, voire paradoxaux, fondés sur la prédication dinexistence, ainsi que le mot rien.

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La deuxième partie « Figures et négation » explore un certain nombre de figures dont le mécanisme, le fonctionnement contextuel ou linterprétation à réception impliquent, à des degrés divers, quelque rapport avec la négation. E. Lombardero (« Aimer ou ne pas haïr. La litote en question dans les nouvelles historiques et galantes ») renouvelle notre compréhension du « parangon de litote » ne pas haïr en explorant un corpus classique de nouvelles historiques et galantes et montre que, dans ce corpus, son emploi met en jeu des contraintes imposées à la représentation et à lexpression du désir féminin. S. Duval (« La négation grammaticale à lœuvre dans la subjectivité épistolaire du premier xviie siècle ») analyse, elle, la contribution de la négation aux formes de subjectivation propres à lécriture épistolaire du premier xviie siècle, croisant notamment la litote, la concession ou lhyperbole ; in fine, il apparaît que la stylisation négative participe crucialement de la dynamique discursive. Cest à linterrogation rhétorique dans les Fables de La Fontaine quest consacré larticle de M. Bonhomme (« Modalités et fonctions de la négation dans linterrogation rhétorique. Lexemple des Fables de La Fontaine »). Y sont analysés le statut énonciatif complexe de la figure, ses mécanismes dinversion entre polarités positives et négatives, le rôle du contexte dans ce processus inversif, ainsi que le mode de participation de la figure au processus de stylisation des fables. La dernière contribution de la section (« Rhétorique de la négation dans lœuvre de Roland Barthes »), due à S. Badir et à T. Franck, étend en quelque sorte le concept de figure en décrivant la négation, telle quelle est employée dans Mythologies (1957) et Fragments dun discours amoureux (1977) de Barthes, comme une figure de pensée, qui intervient, dialectiquement, dans le double processus de production et de commentaire du discours mythique comme du discours amoureux.

Sans interrompre lanalyse des mots négatifs eux-mêmes et en retrouvant, parfois, les figures de négation, les contributions de la partie suivante intitulée « Négation, énonciation & polyphonie » déploient une problématique plus spécifiquement énonciative, même si, répétons-le, toutesles interprétations du fait négatif proposées dans le volume entier en font bien – mais à des degrés divers, et selon des méthodes également diverses – un fait énonciatif. I. Serça sinterroge sur les différents types de négations : « Nier, est-ce contredire ou dire labsence ? ». Elle sappuie, pour répondre à cette question, sur la conception selon laquelle laffirmation est 15au cœur de la négation, dans un parcours qui mène de la linguistique à la littérature, à la philosophie, et à la psychanalyse. Afin de décrypter la stratégie argumentative typique du discours politique dextrême droite telle quelle est représentée dans Les Bienveillantes de J. Littell, I. Yocaris (« “Ne pensez pas que je cherche à vous convaincre de quoi que ce soit”. Réfutation, polyphonie et (dé)négation dans Les Bienveillantes ») étudie les rapports entre négation et polyphonie, entre négation et discours implicite ainsi que les prolongements psychanalytiques des tournures négatives. É. Bordas, envisageant la négation comme « lieu discursif », sattache à décrire la pragmatique de « sentences » expressives présentes dans certains affrontements daujourdhui (« “Non, cest non !” Négation et tautologie ») : au fond, toute négation, en tant quaffirmation dun refus ne disant rien dautre que lui-même, paraît « tautologique ». Larticle de F. Boissiéras, lui, opère un retour à la littérature (« Mouvements involontaires et renversements spectaculaires. Les opérations négatives dans les comédies de Marivaux »). Il y est analysé limportance de la négation dans la dynamique marivaudienne de mise au jour dune « réalité » subjective ; ainsi, grâce à la négation, les personnages de comédie shumanisent. Enfin, D. Vigier et M. Groult (« Négation et polyphonie chez dAlembert dans la querelle des forces vives ») montrent dans quelle mesure la négation constitue une entrée privilégiée pour létude des textes de lEncyclopédie consacrés à la querelle des forces vives, querelle lancée par Leibniz en 1692 dans lEssai de dynamique.

« Textualités négatives », la quatrième partie, explore les manières dont la négation structure les textes et définit des poétiques dauteur, affirmant une dimension transphrastique qui va bien au-delà du simple fait syntaxique. Dans son étude « La textualité négative de Réparer les vivants de Maylis de Kerangal », S. Vaudrey-Luigi montre que la syntaxe de la négation, polarité essentielle du texte, sarticule à une réflexion ontologique et constitue, par ses emblèmes – « rien » et « non » –, un principe agissant. Puis P. Wahl, dans « Poétiques négatives. Beckett en diachronie », envisage la négation comme un principe de stylisation qui permet de mesurer lévolution esthétique de lœuvre de Beckett. Après avoir opéré en faveur dune logique teintée de scepticisme dans la première période, la négation devient, dans la seconde, le vecteur dune dramaturgie énonciative, puis, dans la troisième, plus minimaliste, elle accompagne une mise en cause radicale de lontologie. Cest encore en 16tant que stylème dauteur et outil détalement discursif que la négation est saisie par L. Gaudin-Bordes dans Un été de glycine de M. Desbordes (« “Elle navait rien à voir, aussi bien était-elle…”. Négation et étalement discursif dans Un été de glycine de M. Desbordes »). La négation ajoute au mystère dune œuvre marquée dune triple indétermination : générique, énonciative et référentielle.

La cinquième partie, « Les genres au prisme de la négation », rapporte la question de la négation à celle du genre littéraire, suscitant une série dinterrogations : quelles contraintes le genre fait-il peser sur lemploi des formes négatives ? La négation peut-elle être envisagée comme un stylème générique ? Comment infléchit-elle en retour certains genres littéraires ? Cest dabord la relation entre négation et patron métrique qui est minutieusement observée par R. Bénini sous le titre : « La négation dans lécriture métrique. Quels enjeux ? ». Si, parmi dautres, les critères de concordance ou de cohésion du vers interviennent dans le choix et le placement des formes négatives, force est de constater que ces usages varient dans le temps, comme le montre le corpus à large empan historique sur lequel sappuie cette étude. De théâtre en vers, il sera à nouveau question dans la contribution de R. de Villeneuve qui se livre à une comparaison entre trois versions du Cid (« Dun Cid à lautre. Négation, “tragédisation”, exception »). Au fil des variantes, lajout de négations, en particulier des négations exceptives, œuvre à la « tragédisation » de la pièce. Enfin, les deux contributions suivantes rapportent lemploi de formes négatives au jeu obligé de variations des points de vue dans certains types de récit. Dans « Négation et récits à présentation autobiographique », C. Muller montre que la distance qui sépare les personnages, le décalage temporel entre les différents « moi », confèrent aux négations, dans les récits à caractère autobiographique, une vibration particulière et un rôle structurel. Dans le récit de voyage encore, comme le montre C. Reggiani (« La négation du voyage »), les négations, contre toute position dogmatique, déterminent un mode de donation de la référence qui est à même de préserver laltérité de ce qui est traversé.

Agnès Fontvieille-Cordani
et Nicolas Laurent