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Classiques Garnier

Préface

  • Prix La Renaissance française de l'Académie des sciences d'outre-mer 2019
  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Littérature vietnamienne francophone (1913-1986)
  • Auteur : Jack A. (Yeager)
  • Pages : 11 à 12
  • Collection : Bibliothèques francophones, n° 6
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406081647
  • ISBN : 978-2-406-08164-7
  • ISSN : 2494-7563
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08164-7.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 05/11/2018
  • Langue : Français
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Préface

Avec La Littérature vietnamienne francophone (1913-1986), Nguyen Giang-Huong nous offre le premier livre dune telle envergure qui porte sur toutes les manifestations, tous les genres de cette production littéraire. Avant ce moment quelques articles nous renseignaient sur le sujet en général (Nguyễn Trần Huân, Bùi Xuân Bào) et les monographies se concentraient sur le roman (Karl Ashoka Britto, Nathalie Nguyen) ou le roman et lautobiographie (Ching Selao). La réussite de Nguyen Giang-Huong est donc encore plus remarquable et importante, jetant la lumière sur une littérature trop longtemps inconnue en dehors dun public restreint, souvent duniversitaires, ou bien méconnue. Le présent livre promet donc un impact non seulement plus étendu mais aussi plus profond, et cette étude ferait connaître la beauté et le raffinement du corpus ainsi que les effets du colonialisme en Indochine et au Vietnam qui continue sous des formes en évolution jusquà nos jours.

Nguyen Giang-Huong prépare le terrain de son analyse des textes littéraires par la présentation indispensable, claire et succincte du contexte historique, culturel, philosophique, linguistique et littéraire. À cet égard le choix compliqué de la langue dexpression, chargé dimplications, et le système déducation – écoles franco-indigènes, lycées – dévoile le drame linguistique de lécrivain/e. Nguyen Giang-Huong montre aussi que la sensibilité littéraire est profondément ancrée dans la culture ; par exemple, les candidats pour devenir mandarins (fonctionnaires) devaient improviser un poème à forme fixe en chinois, une partie essentielle de leurs examens, depuis lindépendance du Vietnam il y a plus de mille ans. En fait, le lieu des examens du rang le plus élevé sappelle Le Temple de la Littérature à Hanoi, la première université du Vietnam, devenu lieu de pèlerinage. Lintérêt littéraire nest pas non plus réservé aux élites mais sétend à tous les niveaux de la société, le taux dalphabétisation dépassant 90 % au Vietnam depuis longtemps. 12Il suffit de dire que lesprit littéraire constitue un aspect important de lidentité vietnamienne.

Les analyses de Nguyen Giang-Huong sont engageantes et originales. Elle examine le sujet de lentre-deux, devenu conventionnel, pour le nuancer et lapprofondir en interrogeant les stéréotypes. En plus ses longs passages sur limportance du positionnement de lécrivain/e, sur la scénographie (la question de lespace ; la campagne et le village, la ville vietnamienne et la ville française, lattrait de Paris) et la création du nouveau sujet multiculturel distinguent ce beau travail. Avant tout la sensibilité littéraire de Nguyen Giang-Huong se révèle clairement dans ses interprétations soutenues des textes choisis comme celle du roman de Pham Van Ky Frères de sang (Éditions du Seuil, 1947). Dans un long passage sur ce texte elle explore un des grands thèmes des littératures dites francophones, celui du retour ainsi que lautoquestionnement du narrateur, sa tentative de réapprendre sa culture et la manière dont son dépaysement dans son propre pays reflète celui dun peuple puisque « …le questionnement sur lidentité de lindividu implique un questionnement sur lidentité nationale », geste confucéen par excellence, la famille représentant la société en microcosme. Cette analyse comme tant dautres dans létude de Nguyen Giang-Huong montre sa finesse et son engagement ; sa lecture procure un véritable plaisir.

On ne peut que souhaiter que La Littérature vietnamienne francophone (1913-1986) attire le public que le livre mérite et que son impact positif inspire les maisons dédition non seulement de continuer à publier les voix vietnamiennes francophones contemporaines mais aussi de rééditer les livres dune valeur incontestable de ce passé littéraire.

Jack A. Yeager