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Classiques Garnier

Présentation

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Littérature et la Vie
  • Auteur : Ippolito (Christophe)
  • Pages : 7 à 29
  • Collection : Rencontres, n° 351
  • Série : Littérature des xxe et xxie siècles, n° 32
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406067436
  • ISBN : 978-2-406-06743-6
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06743-6.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 02/07/2018
  • Langue : Français
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Présentation

Vie. Mot « magique1 », écrit Gaston Bachelard dans un chapitre de La Formation de lesprit scientifique intitulé « LObstacle animiste ». Il y souligne que le terme est porteur de valeur2 sans manquer de mettre en garde contre son usage en physique. Cest dans un tout autre domaine quon voudrait ici étudier la notion de vie. Au départ, ce livre vient dune relecture de Julien Gracq et de ses réflexions sur lallegro stendhalien3, lecture qui en appela dautres et devint projet. Il sagissait de réfléchir aux relations entre vie et littérature dans les œuvres littéraires et critiques en français, en anglais et dans dautres langues, de laube de la Révolution industrielle à lextrême contemporain, aux frontières et implications de la notion de vie en théorie littéraire, aux liens entre réalité, expérience, fiction et mondes possibles, aux récits de vie, à lesthétique, stylistique et genèse de la vie en littérature, aux liens entre la lecture et la vie enfin. Vaste et riche sujet, dont on comprendra aisément quil na pas été, ne peut être épuisé, et donc occasion de dialogue et de partage, dans le cas précis sous la forme dun appel à contributions au printemps 2015. Ce qui suit, livre des autres, est le résultat des réflexions des contributeurs.

Il ne sagit pas dans cette présentation de faire un état si bref soit-il de la question dailleurs bien problématique des rapports de la littérature et de la vie mais tout au plus de rappeler quelques repères4. En grec ancien, il ny a pas de séparation nette entre bios et zôê. La simple lecture des 8notices du Bailly montre que les deux mots partagent un certain nombre de sens (vie, existence, durée de vie, genre de vie, moyens de vie). On peut cependant faire lhypothèse quils diffèrent au moins par le point suivant : zôê semble plus de lordre du principe de vie en général (mais bios peut aussi signifier « le souffle de vie »), comme ce qui soppose à la mort, alors que bios semble plutôt renvoyer à la vie humaine, et par extension a les sens plus spécialisés suivants : le monde où lon vit, voire le lieu où lon vit, et la biographie ou récit de vie5. Le latin vita, qui reprend selon le Gaffiot les sens précédents (le lieu où lon vit mis à part), renvoie aussi notamment à la réalité (le monde où lon vit), et ajoute les sens suivants : histoire, âme, et objet de lamour. En français, selon le Littré, le mot « vie » suit son étymon latin, y ajoutant des sens figurés inspirés ou non par le christianisme, ainsi renaissance spirituelle, réputation au-delà de la mort, mais aussi ceci : « Ce qui est dans les compositions des lettres ou des beaux-arts comme la vie dans un corps. » À cette vie-là sont associées les notions de force et dénergie, mais aussi (en peinture et en sculpture) l« expression naturelle » qui donne les « apparences de la vie ».

Il faudrait également prendre en compte non seulement la famille de ce mot mais ses combinaisons avec dautres dans des expressions telles que « vie sociale » ou « vie intellectuelle », et ses équivalents dans dautres langues, où un ou plusieurs mots expriment les sens ci-dessus, mais cest là une tâche difficile dans lespace imparti ici. Et pour ce qui concerne chacune des définitions évoquées ci-dessus, entreprendre une étude de sémantique lexicale qui prenne en compte la diversité des textes et contextes où le mot est employé dans un sens ou un autre ne peut être lobjet de cette courte présentation. Enfin, sans même parler des champs dinvestigation quouvrent notamment les notions dintuition de vie ou dillusion de vie – ou de ce qui dans le sens du mot au singulier (vie) tend vers lunité et la totalité, et de ce qui dans le sens de ce même mot au pluriel (vies) tend vers la différence, la diversité et la fragmentation, lactualisation par larticle compliquant encore le jeu du sens : la vie, une vie, de la vie… –, la polysémie et la métaphoricité du terme sont trop connues pour quon y revienne longuement ici. À tout cela répondent les incertitudes générées par les définitions de la littérature et de la littérarité.

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Et si lon partait plutôt daujourdhui, et dune absence, en interrogeant un usage du mot qui a disparu ? Comme on sait, la notion de vie nest plus utilisée en biologie depuis longtemps. Il faut cependant rappeler que cet usage a une histoire, une périodisation et des articulations épistémologiques dont les principales à lépoque moderne se situent sans doute à la fin du xviiie siècle et au milieu du siècle suivant6. Cest à la fin du xviiie siècle que se dessine une ligne de fracture entre vivant et non-vivant avec laffirmation de formes de vitalisme7. Dans la première partie du xixe siècle, plusieurs scientifiques, ainsi Bichat ou Cuvier, parlent de force de vie ou de principe (interne) de vie (LV, p. 104). Mais ce qui pouvait apparaître auparavant comme nécessité se révèle comme contingence, et les découvertes scientifiques, ainsi avec la synthèse de lurée (1828), la théorie de lévolution de Darwin, et les travaux de Pasteur sur les germes qui mettent à bas la doctrine de la génération spontanée8, vont repousser le vitalisme hors des limites de la science (LV, p. 190 et p. 327). Et si « [l]importance dun concept se mesure à sa valeur opératoire, au rôle quil joue pour diriger lobservation et lexpérience » (LV, p. 19), il devient pour le moins difficile de parler de vie en biologie, si difficile même quune définition (scientifique) de la vie est quasi-impossible : si lon peut étudier, écrit François Jacob, le « processus » ou « lorganisation » de la vie, des recherches sur la vie comme « entité » ou sur « lidée abstraite de la vie » sont vouées à léchec9. Et on pourrait multiplier les points de vue concordants. Le concept philosophique quant à lui survit, mais prend quelque chose du discrédit jeté sur son parent « scientifique ». De Schlegel à Nietzsche10 et Bergson, de Husserl à Michel Henry et Deleuze, et encore aujourdhui, il continue à 10alimenter les débats11, et limaginaire qui sous-tend ces débats : quen est-il en effet du « scandale dune pensée séparée de la vie12 » ?

La vie irrigue la littérature comme la littérature irrigue la vie ; en théorie littéraire, la notion de vie resta longtemps centrale, en particulier dans la longue période qui précéda la domination du structuralisme ; encore récemment un numéro de Romantisme cité plus haut a abordé la question du vivant13 ; Gracq, on la dit, sintéressait à lallegro stendhalien, et nombre détudes stylistiques en particulier se sont intéressées, et sintéressent encore, à lillusion du mouvement de la vie : ce quon pourrait nommer l« effet-vie », comme il y a un effet de réel ou un effet-personnage ; et lon pourrait appeler « littérature-vie » lensemble des textes littéraires (œuvres ou parties dœuvres) qui donnent naissance à lillusion du mouvement de la vie, étant entendu que cette illusion peut être plus ou moins vive selon les textes, leurs lecteurs et les différentes lectures qui sont faites de ces textes ou rendues possibles par eux. En tout état de cause, pour paraphraser le mot de Blanchot, il est difficile denvisager le scandale dune littérature séparée de la vie. Mais alors, comment analyser les liens qui unissent vie et littérature ? Et que faire de la notion de vie en théorie littéraire ? Est-elle seulement nécessaire ? Peut-elle servir à quelque chose ? Ce sont ces questions que cet ouvrage pose, cest ce type de questionnement quil suggère. Les études quil réunit nont pas de prétention à lexhaustivité, comment le pourraient-elles ? Et il est difficile de revendiquer une unité dans le cas dun recueil darticles proposant dix-sept approches différentes de la notion de vie en littérature et en théorie littéraire, sinon autour du sujet proposé, chaque approche étant singulière. Dautres approches étaient possibles : elles ont été, cette fois-ci du moins, laissées de côté. Les articles sélectionnés 11le furent parce que nous semblait-il ils contribuaient à létude des liens conceptuels entre vie et littérature en ouvrant des horizons, et des pistes dinvestigation, y compris hors de la littérature française. Mais là encore léditeur nest que le premier lecteur. Il nous faut avant de présenter le détail des contributions souligner un point. Quon le comprenne bien, il ne sagit pas ici de faire une apologie du vitalisme condamné scientifiquement, mais bien de mesurer ce que lusage de la notion de vie apporte à la littérature et peut apporter à la théorie littéraire.

Un premier groupe dessais esquisse une brève histoire de la notion de vie en littérature. Une contextualisation de la notion de vie était nécessaire, et cest ce qui est fait ici, du côté de la théorie littéraire, par lentremise dune étude sur la naissance de lhistoire littéraire moderne. Comment lhistoire littéraire se constitue-t-elle comme discipline moderne, se demande Marine Riguet ? En prenant les sciences de la vie comme modèle. Mettant en évidence linterdisciplinarité qui a caractérisé la formation et le développement des savoirs au xixe siècle, son essai montre comment les nouveaux historiens de la littérature, de Taine à Lanson, construisent dans la deuxième partie du xixe siècle un champ influencé par lhistoire (qui dabord tentée par le romantisme se constitue peu à peu en science humaine fondée sur lanalyse de documents), et les avancées de la philosophie positive de Descartes et Copernic à Darwin et Spencer, mais aussi et surtout par la biologie et la nouvelle histoire naturelle. De lhistoire naturelle on passe à une histoire des esprits en partie fondée sur celle des œuvres. Il sagit dopérer des classements, de chercher un ordre, de donner une valeur à cet ordre et aux éléments quil délimite. Le nouveau paradigme des sciences de la vie, à larticulation de la fin du xviiie siècle et du début du xixe siècle, met fin à la fixité, est orienté vers lanalyse de la vie comme mouvement des origines à une finalité. Certes, les instruments du critique et du biologiste ne sont pas les mêmes. Mais le premier emprunte au dernier ses discours, et cite abondamment ses cautions scientifiques, tandis que la vieille critique de goût est reléguée dans les feuilles des journaux. Il sagit aussi pour le critique dune question de méthode – une méthode qui serait fondée sur lexpérience et lobservation attentive des phénomènes, et qui, faisant passer de linvisible au visible, dégagerait ce qui peut sassimiler à des faits, ainsi les éléments biographiques ou historiques du contexte de production. Dès lors, certaines opérations sont privilégiées : analyser, 12classer pour expliquer dans la visée dune synthèse (dans le sillage de la taxinomie telle quelle a évolué à partir des travaux de Linné). Riguet souligne le rôle central de la nouvelle théorie évolutionniste dans la mise au point de lhistoire littéraire moderne ; dès lors la chronologie finaliste et la volonté de classer peuvent donner naissance à des généalogies, des paléontologies et des géologies de lhistoire littéraire inspirées chez un Bourget ou un Brunetière par un modèle évolutionniste qui chez Darwin nest pas synonyme de progrès ; mais elles donnent aussi naissance à des dérivations inspirées de lidéologie du progrès.

Cest sous un angle totalement différent du précédent que Pierre-Héli Monot aborde lhistoire sociale et littéraire de la notion de vie entre 1832 et 1892. Inspiré par les travaux dHans Blumenberg sur la fonction épistémologique des métaphores, il procède à une étude métaphorologique du pain au xixe siècle dans cinq textes majeurs, montrant comment les métaphores du pain peuvent chez Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau, Wilhelm Busch, Frederick Douglass, et Pierre Kropotkine, fournir le cadre dune compréhension renouvelée de la notion de vie. Emerson, dans sa quête romantique dune religion vivante, met en question la transsubstantiation opérée par lintermédiaire du truchement de lhostie, concrétisation sacramentelle du pain de vie de lÉvangile de Jean. Dans ses écrits où délibérément saffirme et saffine lidée dune lettre vivante, cette tentative est aussi dordre poétique. À sa suite, Thoreau, en réaction à la modernité industrielle, se présente comme la levure du pain quest son livre Walden, comme si celui-ci était une œuvre organique sopposant à un matérialisme industriel mortifère. Il y célèbre une manière de vivre fondée sur un usage délibérément spartiate des ressources nécessaires à la vie, reprenant ainsi deux des sens originels communs à bios et zôê en grec ancien (manières et ressources de vie), ce alors même quil problématise ce en quoi le sens de ces deux mots peut différer, opposant ce qui relève du souffle de vie (zôê), et lincarnation de ce souffle dans une individualité (bios), et au-delà le général et le particulier ; et il introduit la notion de communauté qui peut faire figure de moyen terme entre bios et zôê. Le pain de vie, ce peut aussi être laccès à la lecture libératrice que dans un tout autre contexte Frederick Douglass, héros de la cause abolitionniste, échangeait jeune, entre vie et survie, contre de la nourriture (le thème de lémancipation court tout au long de larticle, en filigrane). Ce peuvent être les hosties 13auxquelles chez Wilhelm Busch sont intégrés les restes des petits Max et Moritz, comme ce peut être plus prosaïquement et littéralement, du côté de la dénotation, et chez Pierre Kropotkine, la ressource pour vivre.

Cest à la période qui suit, pleinement moderniste, que sintéresse Xavier Le Brun, qui part du constat de la coupure moderne entre science et nature telle quelle a été observée et commentée par Husserl qui à rebours entreprendra de renouveler le lien entre vie et philosophie. Le modèle phénoménologique husserlien est-il applicable à la littérature, qui relève moins de la réalité que de lordre de la représentation ? Est-ce bien de la même vie que littérature et philosophie parlent ? Faut-il repenser le concept de vie pour ladapter à ce que recouvre le terme de vie en littérature ? Le modernisme donne un rôle nouveau à lobservation et à la mesure de la réalité, qui dès lors nest plus prise comme une entité autonome. Cest en quelque sorte à partir de positions relatives à une subjectivité que sappréhende désormais la vie. En littérature et en art, cela se traduit à la manière cubiste par une multiplicité déclairages et de projections sur le réel, comme si sans cesse quelque chose du sujet passait dans lobjet en le modifiant, comme si cette interaction même était le nœud de toute entreprise créative, voire de toute vie en tant que création continue et expérience du réel, comme si ce réel même se laissait maintenant définir et délimiter par chaque vie elle-même en tant quelle est le lieu dun regard premier porté sur lui. Ainsi, Virginia Woolf, mettant quasiment sur un même plan les notions de vie et de réalité, donne à la subjectivité où la vie sincarne un rôle prépondérant dans le rendu du réel. Pas de coupure nette donc, précisément comme dans le monde de la vie (Lebenswelt) husserlien. Et la célébration de lexpérience est inséparable de la revalorisation du sujet. Dans ces conditions, rien nempêche de mettre en parallèle la notion de monde de la vie comme réponse philosophique et les questions ouvertes de la littérature moderniste en particulier, sans pour cela que ces questions napportent cette réponse, ou que cette réponse nappelle ces questions. En fait, ces questions portées de façon privilégiée par ce qui dans le texte littéraire constitue le tissu de limplicite entrent dans le domaine du monde de la vie comme des maraudeurs la nuit dans un champ clôturé, fruit de leurs désirs, lieu dune constitutive recherche du fécond butin de létonnement. Et à ce que la conscience saisit la littérature ajoute la possibilité de saisir dautres réalités, dautres contours plus vagues, tout 14cela dans lunité dun regard. On peut aussi interroger littérairement la réponse donnée par Husserl, et ce faisant mieux cerner le processus réflexif même qui constitue les œuvres littéraires, et les dévoile comme intersections de deux mondes de la vie, dont lun, lœuvre, serait autonome, double et second. Incidemment, on mesure ce que la relativité inhérente à la notion husserlienne peut apporter à létude de la représentation des points dincertitude de la réalité, du corps et de lesprit.

Michael Wiedorn, en étudiant ce quil appelle le vitalisme esthétique de Gilles Deleuze, Félix Guattari et Édouard Glissant, reste sur le double terrain de la littérature et de la philosophie en sattachant à montrer le scepticisme qui caractérise généralement le discours sur le vitalisme. Un certain vitalisme avait, dès la fin du xviiie siècle et au début du siècle suivant, commencé par questionner le mécanisme et au-delà les limites de la science pour létude de la vie. Sa validité, on la vu plus haut, a vite été contestée par les avancées de létude scientifique du vivant. Ce que lon peut considérer comme la réintroduction du vitalisme en philosophie par Bergson a été maintes fois violemment critiqué, et lest encore largement aujourdhui. Au xxe siècle et aujourdhui, lexicalement, des termes comme « vie », « force » ou « énergie », des métaphores tirées du monde organique constituent des indices de discours vitaliste. Sur le plan du contenu, un terme moderniste comme « flux » dit limportance de la notion de changement pour le vitalisme. Dans le vitalisme esthétique aux dimensions salvatrices qui pour Michael Wiedorn est celui de Deleuze, Guattari et Glissant, les frontières entre les idées de vivant et de non-vivant peuvent devenir floues. Chez Glissant, la notion délibérément non-systématique et opaque de Relation souvre de toutes parts au mouvement de la vie, et dabord à ce qui dans ce mouvement même est lieu et histoire dune poétique, dans sa globalité comme dans ses incarnations individuelles, et ce contre toute les formes intra-mondaines de violence qui pourraient entraver ce mouvement. Autre chose cependant est dappliquer cette poétique générale aux actes poétiques individuels que met en jeu la littérature. Dans le cas de Deleuze, auteur dun article intitulé « La littérature et la vie » auquel le titre du présent livre fait écho14, article qui a pu être analysé comme 15présentant lécrivain comme une sorte de médecin-guide (dans la lignée de Bichat) qui après diagnostic proposerait des solutions alternatives et des outils pour résister aux violences du monde, la littérature comme la vie seraient des formes de résistances, la première ajoutant les siennes propres à celles de la seconde. Et il est selon Deleuze des œuvres – ainsi parmi celles des littératures mineures – où lopposition entre art et vie tend à seffacer. Le vitalisme esthétique de Deleuze et de Glissant, qui nest pas aisément séparable de bon nombre de leurs autres positions, a été fort critiqué, comme ces dernières lont été, et comme le vitalisme la été en général, y compris dans ses dérives et excroissances politiques et économiques récentes. Car les idéologies qui sapproprient les discours vitalistes, éminemment malléables par nature, ne le font pas, il faut le souligner, toujours à bon escient. Il reste que Deleuze et Guattari comme Glissant ont su recomposer à partir de leurs tris respectifs des débris épars du vitalisme historique les éléments dun renouvellement de la pensée de la vie, y compris et en particulier comme résistance.

Bien que cet ouvrage soit consacré au premier chef aux articulations modernes et actuelles entre vie et littérature, il est apparu nécessaire délargir la perspective historique sur ces notions et domaines par un retour à lorigine, toute nouvelle analyse étant tributaire dune façon ou dune autre des analyses originelles de son objet. Du moins dans laire occidentale, cette remontée dans le temps invite à une relecture non seulement des œuvres fondatrices dun Homère ou dun Virgile (et des commentaires faits à leur propos), mais aussi (si lon considère avec Barbara Kaszowska-Wandor lhistoire et la profondeur étymologiques du mot même de littérature) des antiques inscriptions « retenant » souvent la vie dans des formes plus ou moins esthétiques de (tentatives de) « survie » – ainsi les formes écrites que sont les listes funéraires laissées à lattention des générations futures. Si lon continue à suivre la piste étymologique, on sait que lespace ouvert par le terme « littérature » a longtemps référé à lensemble des textes écrits, et du moins ceux de ces textes qui nétaient pas explicitement religieux, ou pour le dire autrement où ne sexerçait pas la performativité dune parole prescriptive renvoyant à un pouvoir divin. À partir de là, on voit quun autre ordre de performativité, de nature essentiellement esthétique (et constitutif au moins partiellement de ce quon appelle littérarité), a encore divisé le territoire sémantique originel du mot en deux « côtés » 16grammatico-rhétorique et philosophico-théologique, dont lun (le premier) est latelier où lon file, fige et transmet, lautre postulant lexistence dune essence au-delà de la perception. Quel peut exactement être, dans ce cadre, le statut de la littérature en tant que speculum vitae au regard de la vérité ? Une approximation ? Mais peut-être ce statut même est-il contradictoire, indécidable, ou plutôt chaque fois décidé et décliné par une lecture singulière ? Et quen est-il de ce qui en littérature invite à renouveler la pensée de la vie, et par exemple à sengager dans un dialogue philosophique sur les manières de vivre, ou encore à sapproprier les prérogatives dune création, dune fiction qui nécessairement conteste le toujours-déjà-là de ce qui est, ou enfin à simmerger dans cette fiction au point de ne plus voir la vérité de la réalité ? Augustin condamnant les prestiges illusoires de la fiction ne manque pas de sinterroger sur ce qui chez lui en tant que lecteur est attiré par elle, et ce qui en elle le tente et le séduit vivement. Plus près de nous, la Lebensphilosophie serait-elle un domaine où seffectuerait un retour à la synousia, au vivre-ensemble pythagoriciens, mais aussi à lacceptation quasiment inconditionnelle du concept de vie, et ouvrirait-elle la possibilité de considérer le tout de la littérature comme pouvant à la fois contenir et traduire le tout de lexpérience des sujets ? Linterrogation sur les pouvoirs dempathie de la Lebensphilosophie persiste, ne serait-ce que dans ce quelle montre dinfiniment vulnérable dans la vie, et dinfiniment puissant en littérature. On peut aussi voir la littérature, avec W. G. Sebald, et comme dans les antiques inscriptions, comme restitution plutôt quinstitution de la vie. Et cette restitution complexe et multiforme nest pas de peu de valeur pour les vies quelle sert.

Un second groupe dessais interroge le sujet dans ses rapports avec lexpérience et le vécu en étudiant les formes du récit de vie et du récit de soi, du journal intime à lautobiographie et à lautofiction, des biographèmes au récit dimmersion. Létude de Francesca Belviso sur le journal intime de Cesare Pavese revisite un genre que cet auteur porte bien loin des facilités qui parfois le discréditent (ainsi labsence dunité, de continuité, de recul), ce qui donne au Métier de vivre une souveraine singularité détoile tombée sur la page ; le genre lui-même en sort comme bousculé. Pavese clôt son texte en cautérisant dans celui-ci les ouvertures qui sont traditionnellement la marque de fabrique du genre du journal intime. Le désordre en particulier y est ramené à un ordre, 17notamment par lintermédiaire des bilans réflexifs qui y sont introduits, ce peut-être dans la visée de conditionner une certaine lecture dun texte qui avait été écrit pour être destiné à la publication. La construction de lœuvre, la mise en place délibérée dune distance par le narrateur voilent laccès à ce quon pourrait appréhender de la vérité sur lauteur, mais une image de celle-ci apparaît cependant telle quelle est révélée dans la lecture du texte, et particulièrement dans les défauts, les omissions et les interstices – indices dun je authentique à retrouver, comme dans une enquête policière – qui se font jour dans les voiles de cette construction et de cette mise à distance. Ce que lécriture perd par létablissement dune distance, présente jusque dans le dialogisme caractéristique du système dénonciation propre au journal intime pavésien, la lecture le gagne par la réintroduction dune proximité qui flaire les artifices. Si contrat entre lecteur et auteur il y a, cest encore, peut-être, artifice que le lecteur est invité à dénoncer, pour sous les règles déjouées de ce contrat retrouver les ruses de lêtre plutôt que des vérités non incarnées. Pavese était lecteur de profession, son écriture brandit la lecture quil fait de sa vie (et particulièrement de son activité décrivain et déditeur) comme un étendard, une œuvre dart maîtrisée et achevée, mais ouvre en fait la possibilité dun éventail de lectures qui ne se satisfont pas de cet accomplissement. Ce que la poétique transforme en unité, la lecture le (re)décompose en éléments, en fragments despace, de temps, de soi. Comme si toute tentative dautobiographie, même la plus réussie, ne pouvait manquer de passer, nécessairement, par une forme déchec ; mais le sacrifice de pièces peut déterminer le succès de la fin de partie. En fait, le mystère pavésien tel quil apparaît dans Le Métier de vivre (on retrouve lenquête policière) peut se lire en plusieurs sens, y compris à un niveau mythopoétique. Et ici lintérêt de Pavese pour les mystères de Dionysos, dÉleusis et leurs parallèles chrétiens peut être une clé de lexégèse qui dans ces conditions se fait aussi déchiffrement dimages : cest encore une répétition du même, mais il est vrai sous une forme différente. Comment les traces de ce qui se figure comme même sont-elles appréhendables par le (radicalement) autre que sont les je des lectures qui comme le peintre cubiste regardent leur objet sous plusieurs angles, cest ce que chaque lecture décide.

Au croisement de lhistoire collective et de lhistoire personnelle, Le Livre brisé de Serge Doubrovsky, étudié ici par Bianca Romaniuc-Boularand, 18réaffirme dans lautobiographie ce que Sartre considérait comme la dimension temporelle du trucage de lécriture. Ce qui est en jeu, cest une temporalité singulière, blessée, transfigurée par la mort dIlse, à la fois protagoniste et femme de lagent de la narration. À présent blessé, passé reste. Mais subsiste un désir nécessairement inaccompli pour ce qui dans le présent est perdu, et corrélativement un retour inlassable du narrateur à ce temps dabord défini par une perte. Même le passé se décline au présent, la subjectivité narrative délimitant seule, à de certains moments, la nature temporelle de son objet. Et même ainsi le temps délimité nest pas toujours celui quon croit. Il est vrai que si le présent est blessé le passé quant à lui est troué de blancs qui rendent sa représentation problématique. Le rapport privilégié au présent grammatical (ainsi dans le monologue intérieur) ne serait-il pas le signe dun intérêt pour lacte même de la remémoration plutôt que pour son contenu ? Ou nest-il que tentative de gommer ce qui dans le passé en particulier récent peut déstabiliser le personnage du narrateur ? Ce jeu sur la confusion des temps se complique encore quand le texte se fait récit qui refuse les temps traditionnels du récit, et se résorbe parfois en commentaires qui mettent ce récit en abyme. Il semble bien en fait que le passé ne soit pas si facile à rencontrer et raconter, que le moi davant soit bien difficile à restituer. De même que le livre est brisé, le va-et-vient temporel constitutif de lentreprise autobiographique est rompu. Cette rupture et cette brisure coïncident-elles, et toutes deux ne sont-elles que des figurations poétiques de la fêlure dun moi ? Mais doù viendrait cette fêlure ? De la grande ombre de lHolocauste, de la position pour le moins difficile que se ménage Serge, entre regret de ne pas avoir participé alors quil était tout jeune aux combats de la guerre et sentiment de culpabilité de survivant ? De la présence déstructurante de lHolocauste jusque dans le temps de lécriture, de limpossibilité de le dépasser, den parler, de ne pas en parler ? Comme si dans cette grande ombre lenfance seffaçait ; comme sil ne restait que lécriture pour soutenir les fondations de la vie. Dans ce contexte chaque épisode du passé est pareillement broyé par la référence absolue à la Shoah, et pour qui veut en remonter le fil les morceaux de la vie sécroulent les uns après les autres comme des châteaux de cartes. Subsistent cependant des thématiques, des rapports, et (chez Serge du moins) la prescience dun avenir où ces rapports pourront encore sactualiser, comme si 19lécriture sinscrivait dans une visée prospective. Placée sous le signe de labsence (de lautre élu comme partenaire aussi bien que de lévénement), lentreprise autobiographique révèle cependant quelque chose du narrateur et de son univers, au-delà même des stratégies narratives quil se plaît à employer. Des épisodes (beuveries, tentatives de suicide de sa femme) se dégagent de leur gangue. Chez Serge, lintertexte sartrien (Les Mots) brise à un moment donné le présent du livre et fait comme réapparaître le (système temporel du) passé, quand il conduit à la représentation dun fantasme daveuglement. Alors le récit semble prendre un bref et illusoire envol. Cest le narrateur et non pas Ilse, soulignons-le, qui contrôle ce moment du récit, comme si ce narrateur dérobait subrepticement à sa « première lectrice » Ilse la vue de ce qui lui permettrait de comprendre linéluctabilité de sa fin. Pour finir, dans ce qui sapparente à un transfert, cest la mise en images de la mort dIlse sur fond dHolocauste qui permettra une nouvelle structuration du moi du narrateur. Le récit autofictionnel rencontre ses fins textuelle et symbolique, la mort réordonnant les mots et les choses.

Laurence Perrigault, quant à elle, évoque le choc dune prise de conscience qui chez Éric Rondepierre précipite un changement total de regard sur sa vie et son œuvre. Lévénement de « lenlèvement » et du placement subséquent en institution, en « Home », de Rondepierre enfant porte comme chez Doubrovsky une brisure dans le récit autobiographique. Le placement provoque lévasion dans le refuge de la lecture et du cinéma, contre la vie, hors delle. La vérité doit être ailleurs que dans le déracinement quil subit, et Rondepierre de chercher un espace où il peut lentrevoir. Cet espace, ce sera plus tard celui des séries de photogrammes quil « sauve » des pellicules de film. Lacte créateur limite délibérément lintervention au minimum. Tout change avec lintroduction dans les photogrammes de biographèmes tirés de sa propre vie, photogrammes auxquels succèderont plus tard des séries visuelles autobiographiques – ces biographèmes qui ne disent pas leur nom étant engagés dans le mouvement de la fiction quils poussent cependant, à rebours, du côté du réel. De ce double mouvement vont naître des textes qui de simples accompagnements de limage glissent vers lautonomie : Rondepierre devient écrivain, dune écriture autofictionnelle et collectionneuse qui est cette fois plutôt retrait et recul que refuge, et propose différents doubles de ses doubles, différentes versions 20de son histoire et de son image. Ce qui vient du réel, ce qui nen vient pas, ce qui en reste se mêlent dans lindécidable qui est la matière de ses récits, dans des personnages savamment dosés et composés qui restent toujours à la lisière de lapproximation. Comme sil fallait montrer jusque dans la fiction la résistance des blocs de réel, la violence des restes de réel que portent les souvenirs traumatiques dune enfance déplacée. Comme sil fallait sertir cette résistance dincertitudes énonciatives et dautres difficultés sur le parcours du lecteur. Chasseur de réel, fasciné par lempreinte que celui-ci laisse jusque dans ses transformations en représentations, prêt même à aller chercher ce qui sest perdu du côté de la fiction pour mieux le ramener à lui, à ses destinataires, comme une mère cherche son enfant perdu, Rondepierre interroge les limites des domaines où il enquête. Ce qua pu lui donner la lente montée en puissance de lécriture de soi dans son travail, outre sa vertu thérapeutique, cest un projet, une explication, une règle du jeu pour un je déréglé, ou comme on voudra la possibilité dun sens à donner à ce qui reste du réel, voire à ce qui peut subsister du réel à naître.

Sous le signe de Roland Barthes, et particulièrement de ses dernières œuvres, Yue Zhuo revient sur la notion de biographème, en termes mallarméens éclat chu du désastre obscur quest la vie. La fascination du dernier Barthes pour lauteur et lautobiographie, et son engagement sur ce quil est généralement convenu dappeler la voie dun « retour au sujet », seraient-elles des manifestations dune volonté de réappropriation de cette vie ? Plus particulièrement à partir de 1973, Barthes sinterroge sur les liens entre la vie dune part (comme texte, et au-delà comme œuvre) et lécriture dautre part, sur les homologies et analogies qui les unissent, sur le tissage dune matière, dun flux qui échappent. Mais ces préoccupations sexprimaient déjà dans des études bien antérieures, que ce soit sur le Journal de Gide, à propos duquel Barthes parle de ce qui est tu, ou sur lentreprise de Proust quil analyse sans cesse, sintéressant à ce qui dans le vécu passe et surtout ne passe pas dans la vie racontée du roman, et aux degrés de difficulté de ce passage, apparemment facilité par la reconnaissance dessences idéales communes aux deux ordres. En fait, il conclut à lexistence dune instance de subjectivité dans lentre-deux, dans les fissures et les failles qui brisent les correspondances entre narration et biographie, texte et vie ; et une part de cette subjectivité semble venir de lœuvre même prise comme un tout 21autonome. La première définition du biographème précède de deux ans le tournant de 1973, et sapplique aux œuvres de Sade, Fourier, et Loyola. Que trouve Barthes, nous dit Zhuo ? Des précipités de larmes et de désirs, quelque chose qui donne chair au texte, qui fasse sentir et aimer la (les) subjectivité(s) quil porte et qui émanent de lui. Cette définition saffine au cours du travail décriture sur Roland Barthes par Roland Barthes, et senrichit de ses associations croisées avec la figure de l« anamnèse » et la notion jakobsonienne de « shifter ». Ce dernier livre est aussi le lieu dun dédoublement entre le côté critique et le côté écrivain de Barthes, dédoublement qui fait écho à la division entre tu et dit et à la décomposition figurée des éléments dans ce qui se présente comme un anti-dictionnaire. Est-ce la conscience de cette division, ou celle de la perte, des pertes (et dabord celle de la mère) qui ont conduit à débuter Vita Nova, projet de « Roman » qui est mentionné dans La préparation du roman ? À la fois ce qui reste et ce qui séduit, comme La Recherche, elle aussi consécutive à la mort dune mère, ce Roman aurait pu lui aussi plier et replier le temps linéaire des autobiographies consacrées, être le nouveau ciel étoilé grâce auquel le moi aurait pu retrouver même les chemins anciens de ses fantasmes – tout cela à une « voix moyenne » qui aurait déplacé le sujet de lécriture en laffectant. Mais cela na pas été, seuls quelques feuillets ont été écrits, et dune certaine façon le Roman a été remplacé par la possibilité dun Romanesque à même de dire lengagement sans fin du sujet dans laventure dune écriture, par un vouloir-écrire qui diffère toute actualisation de son projet, par une manière de vivre qui abrite Romanesque et vouloir-écrire sous lauvent dun moi idéal.

Éric Le Calvez étudie les biographèmes dans le détail des textes dun Flaubert qui, passé par lautobiographie dans sa jeunesse, na pas cessé de faire infuser dans son œuvre des parcelles dun moi bien caché, mais fort présent (et il ny a pas là de contradiction avec ses préceptes sur limpersonnalité). Cest particulièrement vrai dans LÉducation sentimentale où la réalité a inspiré des personnages de fiction, montre Le Calvez. On retrouve, à laide de Du Camp, et en recoupant les documents, des morceaux de la vie de Flaubert lui-même dans Frédéric. Dans Un cœur simple cest lenfance de Flaubert qui ressurgit, la tristesse qui le caractérisait lorsquil écrivit cette œuvre étant transférée sur le personnage de Félicité. Souvent le biographème se fait ponctuel, et on peut sinterroger 22sur ce quil engendre deffet de réel sur le lecteur informé ; il peut, de temps en temps, venir dun rêve. Il peut se réfugier sous un nom (avec les potentialités ironiques que cela peut impliquer), dans un croisement avec un intertexte, dans un objet, un chant, une histoire racontée en famille, dans le sémantisme évocateur dun mot, dans la mention dun lieu pour lauteur chargé de mémoire, dans un souvenir de voyage qui passe dans un roman, se multiplie dans un personnage. On le retrouve sous des figures de style, dans un comparant. On le devine parfois, ainsi comme ce qui pourrait lier entre eux des détails récurrents dans une description, mais la preuve manque, le document fait défaut. Il peut être signalé par des indices, ainsi un présent gnomique, un motif au croisement du biographique et de la fiction. Et il peut tout simplement faire défaut, ou ne pas donner lieu à une identification. Ailleurs encore il se cache dans les manuscrits, où il peut passer dun personnage à un autre. Protéiformes, les métamorphoses des biographèmes parsèment les textes flaubertiens.

Quarrive-t-il à lautobiographie à lorée du biographique ? Hélène Jaccomard cherche une réponse dans des récits dimmersion récents dElsa Fayner, de Florence Aubenas et de François Bon. Dans ce genre duel, les situations, les décors, les stratégies et les costumes diffèrent, mais les moyens et les buts sont souvent similaires. Les narrateurs démasquent en se masquant, et les récits-témoignages à la recherche de la vérité, cautionnés par la réalité quils explorent, disent souvent quelque chose des marges de la société, des secrets de la France den bas, voire de certaines villes ou régions. Pourquoi aller vers le récit quand le discours pourrait faire laffaire ? Pour emporter la conviction, faire de lévénement une histoire dont une subjectivité serait porteuse, mais une subjectivité ici nécessairement double (la visible et linvisible). Et par ailleurs, ainsi chez Fayner, le discours et les documents ne sont pas interdits, au contraire : lessai envahit le roman. Les rapports entre personnage et narrateur, plutôt singuliers si on les compare à ceux généralement entretenus dans le cadre autobiographique, compliquent encore lexpression de cette subjectivité inscrite dans une tranche de vie, une parenthèse spatiale et temporelle qui ne manque cependant pas de dévoiler ce quon pourrait appeler le « hors-parenthèse ». En suivant le parcours du personnage central, qui joue sur lexistence dun devenir-type mimant des manières de vivre et des situations au sein dune vie 23elle-même jouée, on peut relever, classer, hiérarchiser les éléments qui le rattachent irréductiblement à sa véritable identité, à la vie qui lui appartient. On pourrait penser que lobjet des enquêtes, le biographique des autres, laisse à ce personnage un espace minimal dans la narration, mais cest loin dêtre toujours le cas. Le succès du Quai dOuistreham dAubenas auprès du public a surpris, mais il vient pour partie probablement de limportance que ce récit dimmersion accorde aux détails de la vie de tous les jours de la protagoniste en particulier, comme aux petits faits vrais qui suffisent à brosser lessentiel des relations de pouvoir et de la subordination des autres et de soi : le réel y est comme nu, le vécu et son ressenti transpirent dans le texte, ce qui donne plus de force à un témoignage qui se refuse au commentaire. Ce succès sexplique aussi par le fait quAubenas a réussi – à laide des moyens traditionnels que sont par exemple lart du suspense ou celui des transitions – à créer un personnage et une histoire dont le lecteur veut connaître la couleur et la fin. Dès lors, aurait-on lu Aubenas pour de « mauvaises » raisons ? Cest la question quelle-même paraît parfois se poser. Lentreprise de François Bon est comparable à la sienne sur plusieurs points, dont lun est essentiel : la volonté de dire le réel, le projet de restituer la vie, et rien dautre. Mais ceci se fait ici dans le cadre de ce qui est explicitement un roman (auto)biographique (centré sur le narrateur, comme chez Fayner, et non sur le personnage comme chez Aubenas), roman consécutif à une pièce (celle-là uniquement biographique, le travail décriture et de « restitution » se situant dès lors à deux niveaux différents) ; roman contraint pourtant, et ce par son respect des blocs de réel quil charrie. Les conclusions de Jaccomard soulignent que lanalyse peut trouver dans le dispositif de focalisation un instrument utile pour explorer le genre du récit dimmersion.

La troisième partie regroupe des textes qui sinterrogent sur les représentations de lexistence et de lexpérience en poésie ou en prose. Comment redonner vie aux Idées qui parsèment le Logos, se demande Anne Mounic, sinon par une dialectique existentielle ? Il semble que partir de la mimesis soit nécessaire, comme est nécessaire pour sortir de la contrainte dualiste quelle présuppose et revenir à lUn la postulation dune absence de rupture entre œuvre et vie – postulation donc dun lien que laffirmation de la présence dun sujet pourrait assurer. Cest par une lecture de lesthétique du vivant chez Baudelaire quAnne Mounic 24cherche à mieux circonscrire ce lien. Lart de lesthétique du vivant reposerait sur une énergie apte à transformer la matière inerte (comme cette chambre qui devient double) ou à donner au vivant une actualisation esthétique ou une fin (détournée ou non, comme pour ce rat vivant qui devient joujou) ; il sagirait de donner le spectacle dune vie en soi aux yeux de qui pourrait dès lors la regarder, lentendre, la lire ou dune manière ou dune autre léprouver. Une énergie féconde, liée à une joie souveraine de créer, productrice de devenir, ou à même de faire renaître une vie antérieure. Lironie, lenvie, les relations de pouvoir et toutes les formes de mise à distance menaceraient la magie de son apparaître et les paradis, les correspondances, les harmonies quelle suscite (et cette dernière trilogie nest pas exclusivement baudelairienne). Née dun langage qui lanimant la fonde, jaillissant vers le destinataire de lœuvre quelle enveloppe de ses prestiges, lesthétique du vivant sinscrit dans un mouvement général de retour sur soi, et cest dans ce mouvement vers un supplément de subjectivité que le continuum vie-œuvre prend sens, que lappropriation sous les mots des choses et des êtres, voire du temps et de lespace eux-mêmes, se dessine. Si le signe fait obstacle, il faut dans une certaine mesure regarder sous le signe, se rendre sensible à la tension qui anime ce qui sous le manteau du signe tend à se figer mais nest pas encore figé. Cela suppose donc, de la part de lauteur, du lecteur, du spectateur, de lauditeur (instances qui peuvent se croiser et interagir), un certain travail où les sens doivent être préparés et entraînés à saisir et retenir dans les rets de leurs mémoires le sens de ce qui dans lœuvre est tension vers lœuvre. Dès lors, au-delà des ruptures et des oppositions engendrées par la mimesis, le monde (re)naît de lœuvre, la parole du langage ; le bleu de la mer devient pleinement, intensément mer, lesquisse du mouvement dun bateau devient perception de vie aussi bien que métaphore de la vie, à une harmonie une autre répond.

Lidéal des artistes préraphaélites nest après tout pas si éloigné de celui de Baudelaire : en somme, il sagit toujours, dans une perspective qui reste romantique, de lier lœuvre à la vie par la présence dun sujet qui puisse éprouver par les sens lincarnation physique et spirituelle de lœuvre. La différence, montre Raphaël Rigal, se situerait sur le plan du ressenti, dans un va-et-vient entre les états opposés (mais non contradictoires) qui sont générés par lœuvre dans son géniteur ou son destinataire quand elle tend vers elle-même, en tant que phénomène 25appréhendé dans le jaillissement originel de son apparaître. Ainsi, dans un tableau, un corps ne serait quune actualisation dailleurs partielle de lintensité de ce phénomène pris dans son ensemble : soit ce qui reste de la vie ; et en ce sens lartiste serait celui qui produit des restes de vie. Retour de lanima, du pneumos ? De la parole avant quelle ne soit figée dans léternité du mot ? À tout le moins, intersection entre deux mondes, celui (nouveau) de lœuvre et celui (ancien, toujours-déjà-là) du vivant, intersection à la fois permise et limitée par la médiation qui les unit – cette médiation, qui fait lobjet de commentaires de la part de Rossetti, ne pouvant être réduite que de quelques degrés (ainsi par lutilisation de techniques moins développées, par une distanciation moindre), et non pas absolument. Les commentaires de Rossetti portent sur le pouvoir (ou limpuissance) de (re)créer, voire de « garder » si peu que ce soit de la réalité, et par exemple du corps lui-même considéré comme chez Rossetti comme une médiation de lâme. La solution serait-elle de défaire lunité du corps et de lâme dans la représentation ? Car même si cela pourrait conduire à un aveu déchec (limpossibilité de représenter lUn dans sa totalité), ainsi il serait a priori plus aisé de montrer lun comme lautre, chacun de leur côté, et les rapports qui les unissent et les distinguent. En particulier par un dépouillement systématique dans la manière de créer, à la lisière du fantasme dun art paradoxalement nu, on pourrait alors atteindre quelque chose de lessentiel, dans une quasi-immédiateté. Mais il serait alors requis que quelque chose passe autrement de la vie à lœuvre, de sensation à sensation, démotion à émotion. Il reste que tel quil est représenté dans lœuvre, le couple âme-corps dans son unité dit quelque chose de la vie qui est loin dêtre indifférent, indique au destinataire des chemins pour sa propre recherche, et fait prendre conscience à lauteur de la nécessité dune communication qui, au-delà de la simple technique, se fasse sur le contenu sensible de ce qui est communiqué.

Lambition de Valéry dans ses Cahiers ne peut être la même. Il sy attelle à réfléchir sur la notion de vie, son origine et son évolution, ou bien use danalogies biologiques pour parler de son entreprise, les idées contenues dans les notes des Cahiers sapparentant dans cette perspective, comme le montre Linda Rasoamanana, à des germes transmis au lecteur. Valéry fait des expériences, observe, commente, discute, fasciné par ce qui est invisible à lœil nu, conscient des limites imposées au biologiste, 26soucieux de ne pas mélanger science et métaphysique. Sa manière de vivre et de travailler est aussi lobjet de son observation. Les questions de définition et dorigine du vivant retiennent particulièrement son attention, et, signe de son temps peut-être, il donne aux interactions du vivant avec son milieu comme aux notions dénergie et de mouvement une place primordiale. Là encore probablement inspiré par les débats de son temps, il ne cesse de comparer les opérations et fécondations de lesprit et de lintelligence à celles de la vie et du corps, et ces comparaisons lui servent aussi à explorer la genèse de son écriture, à sinterroger sur lefficace de sa poétique et la germination et sélection de ses idées. Cette réflexion nest pas séparable dun souci ayant trait à la réception des textes et idées des Cahiers par le lecteur potentiel, lecteur dont limage projetée par les Cahiers ressemble largement à Valéry lui-même, ou à son portrait en lecteur. Dans ce cadre, lédition « anthologique » des Cahiers dans la collection de la Bibliothèque de la Pléiade par Judith Robinson-Valéry, si elle peut faciliter la lecture, ajoute une médiation à la linéarité chronologique originelle de lécriture de lauteur. Ce faisant, elle brouille les pistes de la genèse de lécriture sans toutefois porter atteinte à la transmission des germes idéels, parfois mis en texte dans des fragments courts, des blocs qui retiennent la vie intellectuelle qui les irrigue, et qui appellent un travail de lecture créative. Valéry porte ce travail de transmission très haut, et on peut opposer lestime quil en a à la sévérité bien connue dont il témoigne à propos de lillusion romanesque de vie.

Cest une tout autre relation du langage à lexpérience que Simon Stawski étudie chez lavant-garde surréaliste des années 1920-1930, en prenant la parole de Desnos comme point de départ – relation où le rêve dune transparence retrouvée soppose à la distance générée par la mise en texte. Où lon retrouve une méfiance envers le signe quun Baudelaire, on la vu, entretenait déjà, et une attention à la présence de la parole vivante, dans son immédiateté, en-deçà de la trace quelle peut laisser, si travaillée et si belle soit-elle : lutte entre le « grammatologique » et le « pneumatologique » qui organisera le débat sur la poésie jusquà aujourdhui, avance Stawski. Comme si ce qui disparaissait ainsi, dans le rapport avant-gardiste de la littérature à la vie et à son souffle, était la littérature dans sa définition originelle dinscription, de trace écrite, au profit dune revalorisation de ce qui vient et reste de la vie, dune 27forme dexpérience. Cependant, comment partager cette expérience sans la coucher par écrit, comment mesurer la fidélité (ou linfidélité) inhérente à cette « coucherie », comment garder dans lécrit le vivant de la parole, telle quelle se transmet dun guide à ses disciples ? Et dès lors que transmettre, et que transmettre en priorité, si lon considère par exemple quun journal intime inédit et posthume peut apporter plus quune œuvre travaillée, achevée, mais qui dune manière ou dune autre fausserait le rapport à lexpérience originaire, que celle-ci soit dun sujet en position de maîtrise ou dun archipel dîlots-réceptacles à la limite du statut de sujet ? Et quimplique ce renversement pour le statut de lécrivain, et la reconnaissance sociale attachée à ce travail dont parfois il fait son métier, si (presque) toutes les expériences se valent ? Dans cette perspective, la seule urgence de transmettre quelque chose à quelquun déterminerait le choix de lécriture, au-delà de toute considération esthétique, au-delà de toute finalité autre que cette transmission. Et derrière lexpérience cest bien la vie, le vécu que le courant majeur du surréalisme veut laisser jaillir, alors que pour dautres lexpérience est de lordre de lépreuve y compris comme obstacle à la vie. Dès lors, comment transmettre sans trahir, tel un disciple initié la pensée de son maître, la totalité pure de lexpérience telle quelle est éprouvée par une instance quelconque ? Faut-il abandonner la linéarité au profit de la figuration ? Il semble en fait que lexpression puisse tendre vers des formes de traduction codant, décodant et recodant le plus parfaitement possible le matériau de lexpérience – jusquaux cris, chuchotements, vagissements et incantations qui la parsèment et peuvent la constituer. Elle peut aussi mêler la littérature aux autres arts, du dessin à la photographie ou au cinéma : mais une telle démarche pourrait aussi être pour la littérature un aveu déchec.

Peut-être faut-il chercher dans la parole vive de lÉcriture elle-même la possibilité dune expression fidèle, immédiate de lexpérience, ou plus exactement la croyance à celle-ci ? Mais pour être touché par ce en quoi lesprit anime la parole sous la lettre, ne faudrait-il pas que le lecteur lui aussi soit un fidèle ? Pas nécessairement. Tout roman peut jouer efficacement sur les « vies » de la parole et celles de lécrit, et tout lecteur peut apprécier ce jeu. Édouard Marsoin, inspiré par les travaux de Paul Ricœur et dAntoine Compagnon, démontre que Go Tell It on the Mountain, un roman de James Baldwin sur une communauté religieuse pentecôtiste 28du Harlem de lentre-deux-guerres, est tout entier bâti sur la présence du texte sacré ; le travail sur les citations (et particulièrement les citations lexicalisées) de lÉcriture suffirait à rendre ces citations vives, comme on parle (Ricœur) dune métaphore vive. En fait, la matière même du roman, et jusquà lexistence des lieux, des personnages et des manières de vivre quil dépeint, devient rappel symbolique de lÉcriture, et est structurée par sa présence et ses règles, jusque dans les codes employés pour certaines descriptions. Retour aux vies de saints écrites au Moyen-Âge ? Non certes, mais cadre éthique aussi bien que poétique. Les citations (dans lesquelles il faut inclure les prénoms qui eux aussi renvoient à lÉcriture) ont, dans le roman comme dans le discours religieux où elles forment par exemple lessence des sermons, une valeur performative quelles partagent avec les prières, elles-mêmes souvent serties de citations, et elles aussi lieux dun équilibre ou dun déséquilibre entre lettre et esprit. On pourrait se demander si la citation, même vive, ne gomme toutefois pas, particulièrement en ce quelle est engagée dans un discours à la fois contraint et contraignant, quelque chose de ce qui nest pas elle, soit par exemple les manifestations de lextériorité. Et le non-citationnel ne serait-il pas le signe dune émancipation qui laisserait le flux de la vie percer de ses rayons les grilles des codes ? Mais cest plutôt lusage des citations que le roman de Baldwin problématise en montrant par exemple comment, y compris dans la prière, on peut redonner vie à une citation « morte » ou usée (comme une métaphore est usée), quelle soit devenue outil rhétorique ou employée dans un esprit inapproprié, ou encore comment on peut la faire sienne, parfois en la transformant. Et le réseau formé par ces citations vives sinscrit dès lors dans lespace ouvert dun affranchissement des règles qui ne respectent pas lesprit des textes, et dévoile une autre manière de vivre, vita nova signifiée, mise en texte par la poétique de la citation vive.

Une autre manière de vivre, une autre vie, mais telle quelle peut se projeter, contre le présent, jusque dans lavenir. Le roman est aussi ce qui, pour Milan Kundera et Imre Kertész, offre des modèles, des possibilités dexistence. Lanalyse de Mélissa Fox-Muraton suit pas à pas leurs efforts pour montrer ce que lHistoire (en particulier en ce quelle eut de dramatiquement totalitaire de lautre côté du rideau de fer, mais aussi dans ses déclinaisons modernes en général) peut enlever, dérober au présent de lexistence, et leurs tentatives pour inventer dans le roman 29et par la distance et la liberté quil offre une existence qui serait libérée de ses chaînes. Là où lHistoire a échoué, ils font le pari que le roman peut réussir. Mais quel roman ? Un roman qui puisse apporter ce qui manque : un sens, la liberté, une finalité individuée. Un roman qui soit aussi politique de la vie, reconquête du sujet, ou plus précisément de ce qui dans le sujet a été nié et réduit au silence. Un roman qui prend pour repoussoir ce qui nie la vie. Dans les œuvres des deux auteurs lon peut aisément voir ce qui nest pas la vie telle que chacun peut lespérer ; il sagit donc de construire une vie qui soit résistance à ce qui nest pas elle, en construisant un roman qui soit totalement étranger aux codes et aux systèmes imposés par ce que lHistoire peut avoir de tyrannique, et qui soit à même de critiquer ces codes et ces systèmes, en donnant au lecteur limage dun droit à une existence autonome. Lœuvre devient ainsi préparation à lexistence, invention dune nouvelle vie par un roman nouveau. Dès lors lon comprend que dans le roman saccomplit avant tout une recherche de soi, aussi bien au niveau de la lecture quà celui de lécriture. Et ce roman est aussi, nécessairement, le lieu dun partage, dune véritable communication, dun vivre-ensemble dont Kundera comme Kertész soulignent le caractère vital. Des situations, des doubles de lauteur, des clés dinterprétation, des morceaux de vie charriés par les œuvres littéraires qui ont précédé, des expériences : tout cela circule, tout cela est transmis. Tâche difficile, mais récompensée par le passage dun peu dune vie dans une autre.

Christophe Ippolito

Georgia Institute of Technology

Écritures (EA 3943)

1 Gaston Bachelard, La Formation de lesprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective (1938), 10e édition, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1977, p. 154. Dorénavant F.

2 F, p. 155. Sur la notion de valeur, voir larticle de Jean-Louis Cabanès, « Les valeurs du vivant au tournant des xixe et xxe siècles », Romantisme, no 154, 4e trimestre 2011, p. 105-122.

3 Cf. Julien Gracq, En lisant en écrivant, Paris, José Corti, 1980, p. 54 et p. 67.

4 Pour une perspective bibliographique sur la question, on peut se reporter à la bibliographie critique générale sur lusage de la notion de vie en littérature située en fin de volume, bibliographie qui elle-même nest quindicative et ne prend en compte quune sélection douvrages, et ce uniquement parmi ceux qui sont cités dans le volume.

5 Cette question reste controversée. Sur les récentes controverses relatives aux sens de ces deux termes, voir la mise au point de Laurent Dubreuil, « De la vie dans la vie : sur une étrange opposition entre zôê et bios », Labyrinthe, no 22, 2005, p. 47-52.

6 Pour une analyse plus systématique de lévolution historique de la notion fondée sur un recours aux textes essentiels qui ont jalonné cette évolution, dAristote à Darwin en passant par Descartes ou Lamarck, on pourra consulter louvrage dAndré Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1993.

7 François Jacob, La Logique du vivant. Une histoire de lhérédité (1970), Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2006, p. 42-43, 106. Dorénavant LV.

8 Cf. Louis Pasteur, Écrits scientifiques et médicaux, éd. André Pichot, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1994, p. 162-171.

9 François Jacob, « Quest-ce que la vie ? », Quest-ce que la vie ? (Université de tous les savoirs, vol. 1), éd. Yves Michaud, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 19.

10 Cf. notamment « Troisième dissertation : Quel est le sens de tout idéal ascétique ? », Friedrich Nietzsche, La généalogie de la morale, trad. de Henri Albert, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1964, p. 141-246, et linterrogation sur « la vie contre la vie » (p. 180).

11 Cf. notamment Martha Nussbaum, Loves Knowledge. Essays on Philosophy and Literature, Oxford, Oxford University Press, 1990 ; Frédéric Worms, Bergson ou les deux sens de la vie : étude inédite, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2004 ; Jacques Bouveresse, La Connaissance de lécrivain. Sur la littérature, la vérité & la vie, Marseille, Agone, coll. « Banc dessais », 2008 ; Manuel Mauer, Foucault et le problème de la vie, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « La philosophie à lœuvre », 2015.

12 Maurice Blanchot (sur Antonin Artaud), cité in Jacques Derrida, « La parole soufflée », Lécriture et la différence (1967), Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points », 1979, p. 255.

13 Romantisme, no 154, 4e trimestre 2011. Gisèle Séginger a assuré la coordination de ce numéro sur le vivant. Contrairement au nom « vie », le substantif descriptif « vivant », à valeur neutre, qui désigne selon le Trésor de la langue française informatisé « ce qui a les caractères spécifiques de la vie » (par opposition à linanimé), continue aujourdhui comme ladjectif qui lui correspond à être couramment utilisé en biologie.

14 Cf. Gilles Deleuze, « La littérature et la vie », Critique et clinique, Paris, Éditions de Minuit, 1993, p. 11-17. Le titre de ce livre est une façon de rendre hommage au travail de Deleuze sur la notion de vie.