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Classiques Garnier

[Préambule]

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Littérarité des belles-lettres. Un défi pour les sciences du texte ?
  • Pages : 21 à 22
  • Collection : Investigations stylistiques, n° 2
  • Thème CLIL : 3154 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage -- Stylistique et analyse du discours, esthétique
  • EAN : 9782812413308
  • ISBN : 978-2-8124-1330-8
  • ISSN : 2271-7013
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1330-8.p.0021
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/12/2013
  • Langue : Français
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Les études ici rassemblées rendent compte de l’actualité de la recherche sur les belles-lettres. Elles sont le fait d’experts d’âge et d’univers de pensée très divers, mais qui tous, se positionnent par rapport à la question de la délittérarisation du corpus concerné, quelle que soit la réponse qu’ils proposent.

Significativement, les objets choisis par les plus jeunes contributeurs se situent délibérément en marge du canon littéraire : genre éditorial des Ana (ou recueil de bons mots), collections de clefs (Karine Abiven & Anna Arzoumanov), Mémoires (Juliette Nollez), Correspondances (Cécile Lignereux), Oraisons funèbres (Sophie Hache), Sermons, Poèmes d’éloge, et Lettres de consolation (Stéphane Macé). Si les Ana et les Clefs constituent des « objets textuels non identifiés », ie, non repérés par le canon, les Mémoires, Correspondances, Oraisons funèbres et Sermons notamment, ont pu un temps y être intégrés, et le projet des contributions ici réunies est précisément de les en faire sortir. Tout du moins, de produire l’histoire de cette réception littérarisante et de prendre le contre-pied des lectures stylistiques, tout à la fois réductionnistes, anachroniques et dominantes depuis l’époque romantique. Il s’agit d’enquêter sur une « littérarité problématique » (Sophie Hache), de renoncer à une « impossible stylistique d’auteur » (Juliette Nollez), de valoriser les motivations « pragmatique[s] » – et non esthétiques – du « travail sur la langue » (Cécile Lignereux), de repenser les « scènes englobantes » du poème d’éloge ou du sermon en termes de « visée politique » et « religieuse », plus que « littéraire » (Stéphane Macé).

Entre ces contributions, dont la démarche non littérarisante – sinon délittérarisante – est supposée être appelée par la nature des corpus à l’étude (fondamentalement hors canon), et celle de Frédéric Calas, qui traite au contraire de textes consacrés (Les Fables de La Fontaine, les Lettres persanes de Montesquieu, L’Ingénu de Voltaire), et dont l’indifférence à la question de la « valeur » est affaire de décision, il existe plusieurs ponts. Celui, bien entendu, consistant à aborder les textes classiques comme de la littérature-discours. Mais aussi celui rapportant la réception non esthétisante de ces productions lettrées à des arrières-plans

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théoriques qui prétendent tous, ici même, accorder une place importante à la question de l’esthétique : l’analyse du discours telle que la fonde Dominique Maingueneau, la philologie renouvelée de Delphine Denis, la stylistique intégrative d’Anna Jaubert et son décalage pragmatique, la théorie variationniste du texte de Jean-Michel Adam. Les théories les plus productives ont parfois un impact imprévu. Ce n’est pas une moindre surprise que de trouver dans ce livre des contributions qui défendent un parti-pris délittérarisant, en s’appuyant paradoxalement sur des approches qui s’attachent à rendre compte de la littérarité – mais il est vrai hors des orthodoxies et dans une perspective défigeante.

Autre motif d’étonnement : dans cette section, les quatre contributions plaidant, à l’inverse, pour une réception littérarisante des belles-lettres, se donnent toutes à lire comme des réactions. Réaction à l’introduction du collectif Il était une fois l’interdisciplinarité (2010), dirigé par mes soins, pour le texte de Ute Heidmann et Jean-Michel Adam ; réaction à l’édition, de Jean Goldzinck, de l’Épreuve de Marivaux (1991), pour la contribution de Jacques Dürrenmatt ; réaction du texte de Laurent Susini et de celui d’Anne-Marie Paillet à l’introduction du collectif La langue littéraire (2009), dirigé par Gilles Philippe et Julien Piat, et où se dessine une opposition entre la langue « conservatoire » de l’ancien régime littéraire et la langue « laboratoire » de la Modernité. Tout à la fois légitimes et fécondes, ces répliques montrent, par leur statut même de réplique, que, concernant les productions lettrées de la Première modernité, le discours littérarisant n’est pas spontané ; que sa convocation, en somme, est seconde et répond à une forme de déni. Ces conditions d’émergence manifestent la preuve, par différence, du tournant délittérarisant des études consacrées aux belles-lettres. Bien entendu, ces « réactions » n’engagent pas la même conception de la littérarité. Celle de Jean-Michel Adam et d’Ute Heidmann repose sur le principe de la variation intertextuelle. Celle de Jacques Dürrenmatt sur celui la variation éditoriale. Celle d’Anne-Marie Paillet sur celui de « l’efficacité expressive » et celle de Laurent Susini sur une « émancipation concertée de la koiné [langagière] ». La diversité des approches montre toute la difficulté qu’il y a, aujourd’hui, à se saisir de la littérarité de cette littérature d’avant la littérature. Elle invite au dialogue des disciplines.