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Classiques Garnier

[Préambule]

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Littérarité des belles-lettres. Un défi pour les sciences du texte ?
  • Pages : 319 à 321
  • Collection : Investigations stylistiques, n° 2
  • Thème CLIL : 3154 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage -- Stylistique et analyse du discours, esthétique
  • EAN : 9782812413308
  • ISBN : 978-2-8124-1330-8
  • ISSN : 2271-7013
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1330-8.p.0319
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/12/2013
  • Langue : Français
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Par-delà l’éclectisme de leurs intitulés, les contributions suivantes ont pour point commun de ressaisir la réflexion amorcée précédemment sur les régimes de temporalité du (fait) littéraire. À repenser sous cet angle la littérarité des belles-lettres, elles disent souvent plus que leur titre ne le laisse entendre.

Les articles de Jean Lecointe et de Geneviève Salvan montrent que l’histoire de la langue littéraire n’est pas linéaire. Jean Lecointe rappelle que la nouveauté et la singularité d’écrire ne sont pas l’apanage de la Modernité, et valent pleinement pour les productions lettrées du xvie siècle. Le constat n’est pas neuf : il figurait déjà, entre autres, dans la Grammaire de Darmesteter. Mais ressaisie dans le contexte du présent ouvrage, la mise au jour de cette poétique, toute seiziémiste, « de la singularité, de la “merveille”, pour tout dire de l’originalité », permet de décloisonner l’ancien et le nouveau régime littéraire, de délier temporalité historique et temporalité lettrée.

Adoptant une « démarche stylistique transhistorique » Geneviève Salvan, pour sa part, montre que l’écrire classique est susceptible de s’exercer dans la prose la plus contemporaine, comme celle de Jean Rouaud. Bref, qu’il n’appartient pas à un passé révolu, mais à un passé pérenne. L’établissement de ponts entre « écritures de siècles historiquement éloignés » permet ainsi d’interroger « la relation passé/présent dans une vision non orientée, non téléonomique des variations linguistiques », et de « met[tre] en lumière la diversité de pratiques toujours liées à un projet littéraire ».

Une autre manière de revenir sur le « grand partage » de l’ancien et du nouveau régime littéraire est d’en interroger le moment de bascule. Force est de constater que les modernistes ne s’accordent pas sur l’instant de la césure. Tous conviennent de l’opposition d’un âge rhétorique (âge du « représentatif ») et d’un âge stylistique (âge de « l’expressif »), mais situent sa charnière à diverses périodes.

Dans la foulée du collectif co-dirigé par ses soins et ceux de Gilles Philippe, Julien Piat identifie un moment 1850 : moment où la « langue

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littéraire » s’autonomise, s’éloigne d’une conception « belle-lettriste », et se met à signifier, en vertu d’une lecture « relationnelle » de l’adjectif, « langue de la littérature ».

Aurelio Principato se propose pour sa part d’analyser « le rôle de Chateaubriand en tant qu’initiateur virtuel d’une révolution dans le style qui, comme la Révolution politique, n’a pu faire pousser ses germes dans l’immédiat ». Le changement de régime littéraire est évalué à l’aune de quatre critères : « la poétisation de la prose, les réécritures, le rejet des Lumières et l’invention d’une langue d’“outre-tombe” ».

Plaidant pour l’interaction du temps historique et du temps littéraire, Christelle Reggiani superpose le moment du Grand Partage au moment de la Révolution française. Cette dernière, « en fermant les salons aristocratiques », pose de facto « un terme politique à une culture encore très largement orale », et amorce le passage d’une littérature-discours à une littérature-texte.

D’une contribution à l’autre, le désaccord sur le temps de la césure affaiblit la thèse opposant sans tuilage les deux régimes littéraires. Christelle Reggiani note au demeurant que « la constitution du canon français » sous la Troisième République, « fondé sur la promotion au rang de “classiques modernes” des auteurs du xviie siècle en lieu et place des Anciens », a informé notre perception des belles-lettres, et présenté cette littérature-discours comme de la littérature-texte. Loin de s’en émouvoir, Christelle Reggiani plaide alors pour une « discordance des temps » dont l’histoire permet de reconnaître au sens plein du terme le littéraire d’avant la littérature.

Un dernier coup est porté à l’approche, linéaire et bipartite, de l’histoire de la langue littéraire dans les trois dernières contributions du présent ouvrage. Parce que celles-ci font apparaître, à l’intérieur du massif des belles-lettres, plusieurs lignes de fracture, elles dénoncent le mythe d’un ancien régime littéraire, réunissant xvie, xviie et xviiie siècles.

La contribution de Chantal Wionet montre ainsi qu’il est vain de vouloir rapporter la langue littéraire des belles-lettres à un versant haut, normé, de la langue commune, dans la mesure où le concept même de « langue commune » n’est attesté pour la première fois que dans le Dictionnaire de l’Académie française, de 1694, et que celui de « langue littéraire », usuel au xviie siècle, lui est donc très largement antérieur.

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Chantal Wionet en conclut que « plutôt que d’envisager coupures et extractions, l’histoire de la langue et de la littérature auraient fort à gagner à mettre en lumière des rapports d’influence et leurs trajets ».

Le texte de Gilles Siouffi repère pour sa part « une césure », « une sorte de barrière invisible située quelque part au début du xviiisiècle » et qui correspond à un mouvement de subjectivation de la pensée du discours. Le langage est désormais perçu comme « lieu d’investissement d’une vérité par un sujet ».

La contribution d’Agnès Steuckardt, qui produit l’histoire de la notion de « goût » et de ses avatars, le « petit goût » et le « mauvais goût », va dans le même sens. Elle identifie un moment proprement dix-huitiémiste, qui valorise la « faculté de juger ce qui plaît ou ce qui déplaît au plus grand nombre » et permet ainsi à une société « de se retrouver dans le “goût”, qui, selon Rousseau, réunit ». Pourquoi cette notion est-elle sortie de la réflexion sur la langue et les discours ? Comme Agnès Steuckardt, on peut se prendre à rêver d’« une autre approche des discours, attentive à la fois au plaisir linguistique, et à sa relativité historique et sociale ». Car tel est bien l’un des objectifs de ce livre : penser les conditions de possibilité d’un goût retrouvé des belles-lettres.