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Classiques Garnier

[Préambule]

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La Littérarité des belles-lettres. Un défi pour les sciences du texte ?
  • Pages : 177 à 179
  • Collection : Investigations stylistiques, n° 2
  • Thème CLIL : 3154 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage -- Stylistique et analyse du discours, esthétique
  • EAN : 9782812413308
  • ISBN : 978-2-8124-1330-8
  • ISSN : 2271-7013
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1330-8.p.0177
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 04/12/2013
  • Langue : Français
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La question de la littérarité dépend largement d’un regard théorisant. C’est l’objet de cette seconde partie, qui témoigne, au cœur du dialogue interdisciplinaire, de la diversité des positions, irréductibles ou fédératrices.

Afin de se saisir de l’esthétique des belles-lettres, Philippe Jousset, après Jean-Michel Adam, Delphine Denis, Anna Jaubert et Gilles Philippe, plaide pour une démarche intégrative, fédérant les sciences du texte. Dominique Maingueneau, Georges Molinié, Nicolas Laurent, et Mathilde Vallespir se situent plutôt du côté du partage des disciplines. Dominique Maingueneau produit l’histoire de ce partage ; il distingue deux paradigmes, l’herméneutique et le discursif ; et il définit deux manières d’aborder le discours littéraire : la stylistique, en charge des « relations entre la langue et les textes », et l’analyse du discours, attentive à « la subversion des multiples formes de l’opposition entre texte et contexte ». Georges Molinié réaffirme que « la stylistique assum[e] spécifiquement deux dimensions à l’intérieur de l’analyse du discours : la préoccupation esthétique, et le scrupule de l’historicité de la significativité ». Nicolas Laurent interroge avec fermeté les « limites de l’approche discursive du style ». Mathilde Vallespir rend compte des affinités du paradigme discursif avec l’historiographie, du paradigme herméneutique avec l’esthétique, mais n’en esquisse pas moins, entre les deux polarités – via la figure de Gilles Deleuze, entre autres – d’importantes lignes de passage.

Dans le camp de l’interdisciplinarité comme dans l’autre, la spécificité de la littérarité des belles-lettres est, suivant les angles d’approche, associée à différents concepts : celui d’« individuation » chez Nicolas Laurent (auquel répond celui de « subjectivation » dans la contribution de Gilles Siouffi) ; celui de « variation constitutive » chez Delphine Denis (faisant écho à la notion de « variation discursive » proposée ici même – et ailleurs – par Jean-Michel Adam et Ute Heidmann) ; celui de « décalage pragmatique » défini par Anna Jaubert (et ressaisi dans la contribution de Stéphane Macé comme possible voie de sortie de la réception délittérarisante des belles-lettres).

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Contrairement à l’individualisation, afférente à « la différenciation d’un sujet » et peu opératoire pour l’ancien régime littéraire, l’individuation renvoie, selon Nicolas Laurent, à « une différenciation de l’objet – le texte, l’œuvre ». Elle peut être définie comme une « construction de formes nouvelles », « porteuses de sens », et « irréductible[s] aux prédicats par lesquels on identifie tel genre ou telle fonction ». L’esthétisation des belles-lettres dépendrait, précisément, de l’attention portée à la « structure polyphonique » des objets d’étude, et à « la dynamique créatrice [de leurs] formes ».

Le concept d’individuation est relayé dans la contribution de Delphine Denis par celui de « variation constitutive ». Il s’agit d’interroger les processus de « réécritures » et de « rééditions » auxquels se prêtent tout particulièrement les belles-lettres. Dans ce cadre, la philologie, au sens élargi et renouvelé de ce terme, est pensée comme une « pratique » fédératrice, « intégra[nt] » les apports de l’analyse du discours, de l’analyse textuelle comparée et de la stylistique.

Croisant tout en les infléchissant les préoccupations de l’analyse du discours, la stylistique pragmatique d’Anna Jaubert entend pour sa part « ressaisir le rapport entre style et littérarité dans un processus englobant, le gain de valeur du discours et […] éclairer par ce gain la réception littérarisante des textes du passé ». Ce faisant, elle invite dans le débat la notion de « décalage pragmatique ». Défini comme une « substitution d’intérêt », le décalage pragmatique est lié à un « dédoublement du circuit communicationnel » et à « la nouvelle finalité du discours » qui en découle. Il s’inscrit, selon Anna Jaubert, à la source du processus de littérarisation de cette littérature d’avant la littérature.

Par-delà la question de l’esthétisation des belles-lettres, demeure celle de leur historicisation vs transhistoricisation. Delphine Denis résume les termes du débat en opposant à « l’exigence de fidélité » un « impératif de lisibilité en direction du lecteur contemporain » : « restauration/restitution d’un côté, transmission de l’autre, cette alternative est toujours sensible pour les textes [de l’ancien régime littéraire] ». Sa propre démarche, tout comme celle de Gilles Philippe, valorise le pôle de la restauration/restitution. Les deux approches se séparent néanmoins en ce que la première pense l’historicité des belles-lettres en termes de coupe synchronique, quand la seconde la rapporte à un processus diachronique.

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Delphine Denis vise la restitution d’un « contexte » de production et de réception des formes langagières, quand Gilles Philippe promeut une « étude de l’évolution, c’est-à-dire de la transformation, du maintien, ou de la disparition des observables [stylistiques] ». Il s’agit avant tout de « penser les conditions de passage d’un “moment” à l’autre, c’est-à-dire par exemple [de] comprendre pourquoi nous sommes entrés dans le “moment classique” et comment nous en sommes sortis ».

À cette « réception d’archive », dont Delphine Denis assume « le goût », Georges Molinié oppose la « réception impliquée », qui « intègre l’affectivité [du lecteur] dans une histoire au présent » et se situe ainsi, non plus du côté de la restauration/restitution, mais du côté de la transmission. Afin de penser la transhistoricité du « processus d’artistisation » des belles-lettres, et d’éviter que le souci « historique » ne « phagocyte » le stylistique, Georges Molinié invente la notion de « stylicité », qu’il oppose à celle de « pro-stylistique historique ».

Ces propositions trouvent des prolongements dans la contribution de Joëlle Gardes Tamine, qui plaide elle aussi pour une « transhistoricité du style », mais déplace en même temps le débat dans la mesure où elle refuse de « lier de manière indissociable la question de la stylistique à celle de la littérature, et donc, à une question de valeurs, que ce soit celle du beau, du désintéressement, ou de tout autre notion ». Plus proche du concept de « stylicité » est la « réception en feuilleté » de Vân Dung Le Flanchec sur la Délie de Maurice Scève. Renonçant provisoirement à la lecture érudite, l’auteure aborde les poèmes du recueil « dans la situation limite de l’Esquimau » et ce faisant, défend une « approche immanente du texte, attentive aux réseaux qu’il tisse lui-même ». Elle réactualise ainsi la démarche structuraliste.

On comprend que, sur la question de la transhistoricité des belles-lettres comme sur celle de leur réception esthétisante, le débat n’est pas clos. Les contributions ici réunies ont le mérite d’en clarifier les termes et de le relancer, en l’étayant d’arguments nouveaux.