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Classiques Garnier

Introduction

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : La Lettre clandestine
    2018, n° 26
    . Spinoza et la littérature philosophique clandestine
  • Auteur : Seguin (Maria Susana)
  • Résumé : L’introduction présente le dossier thématique, qui interroge la relation de Spinoza avec la littérature philosophique clandestine.
  • Pages : 17 à 19
  • Revue : La Lettre clandestine
  • Thème CLIL : 3129 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie moderne
  • EAN : 9782406080664
  • ISBN : 978-2-406-08066-4
  • ISSN : 2271-720X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08066-4.p.0017
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 15/05/2018
  • Périodicité : Annuelle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Spinoza, clandestinité, littérature, philosophie, manuscrit
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Introduction

Nous consacrons régulièrement le dossier thématique de notre revue à la relation quentretiennent les grands noms de la littérature et de la philosophie des xviie et xviiie siècles avec la littérature philosophique clandestine. Lœuvre de Spinoza occupe, dans ce contexte, une place centrale, apparemment évidente, mais qui se révèle, à bien y réfléchir, tout à fait paradoxale. En effet, contrairement à dautres auteurs auxquels nous avons pu nous intéresser dans nos précédents numéros, Spinoza na pas écrit, à proprement parler, de manuscrit philosophique clandestin1. Il na pas participé non plus à la diffusion de cette littérature polémique, à propos de laquelle il ne sexprime nullement. Certes, le philosophe dAmsterdam est contemporain de plusieurs grands philosophes importants pour la littérature clandestine (Descartes, Gassendi, Hobbes, Pascal, pour ne citer queux) ainsi que des libertins, avec lesquels il entretient des relations intellectuelles complexes ; il expérimente, comme eux, les difficultés liées à la diffusion dune pensée considérée comme hétérodoxe, il subit la censure et la persécution et doit, comme dautres penseurs de son temps, détourner les pratiques éditoriales légales, voire se résoudre à communiquer certains de ses écrits majeurs de manière confidentielle, en acceptant même lidée dune publication posthume. Mais la spécificité et loriginalité de la pensée spinoziste ne permettent pas, bien entendu, de réduire son importance dans lunivers de la littérature philosophique clandestine à un simple jeu de coïncidences, de proximités ou dinfluences.

La place centrale quoccupe la pensée de Spinoza dans la littérature philosophique clandestine est en même temps incontestable. Son nom est intimement lié aux origines, à lhistoire, à la diffusion, à la réputation même des manuscrits philosophiques clandestins. Cest aussi en 18partie grâce à ces écrits polémiques circulant sous le manteau que la pensée de Spinoza est diffusée en Europe, en France surtout, alors que pèse sur son nom lanathème de lexcommunication et que son œuvre est condamnée par toutes les instances de la censure.

Il suffit pour sen convaincre danalyser rapidement les plus de trois cent cinquante manuscrits clandestins qui composent aujourdhui notre corpus2. Au moins quatorze titres, ce qui correspond à près de trois cents copies, écrits en français ou en latin et traduits dans plusieurs langues européennes, font explicitement allusion au nom de Spinoza ou à ses œuvres, et affirment lintention de leurs auteurs de résumer la vie du philosophe, dexpliquer ses principales idées, de le « réfuter », voire doffrir au lecteur son « esprit », afin de dénoncer les « trois imposteurs » qui ont contribué à la domination politique et religieuse des peuples ignorants3. Et combien sont encore les manuscrits qui, dans le corps du texte, font allusion implicite ou explicite à son œuvre, empruntant parfois même des passages entiers qui servent tout particulièrement la cause des auteurs clandestins, sans pour autant respecter la pensée spinoziste : exégèse naturaliste des Écritures, critique de toute conception religieuse antropomorphiste, dénonciation de la collusion des intérêts politiques et religieux, remise en cause de la conception chrétienne de lidée de lâme humaine, de la nature et de la divinité.

Cest que Spinoza, dans la littérature philosophique clandestine, est bien plus que Spinoza ou ses œuvres : il représente un état desprit, une attitude critique, une méthode, qui trouve dans lunivers clandestin le cadre dune 19réception particulièrement féconde. Il offre, comme Descartes ou Hobbes (mais dune autre manière), le prestige et la solidité intellectuelle dun système philosophique que nos auteurs clandestins ne parviennent jamais vraiment, ou rarement, à élaborer. Il est aussi un signe adressé au lecteur, pour lui signifier la nature sulfureuse des textes quon lui propose de lire.

Voilà quelques-uns des points sur lesquels les différentes contributions de ce dossier thématique se proposent de réfléchir : il sagira dapprécier la variété des rencontres intellectuelles entre le philosophe juif et les auteurs de notre corpus qui, parfois sans jamais lavoir lu, retrouvent certains aspects de sa critique des textes bibliques, de sa lecture historique, de sa métaphysique, de sa méthode philosophique. Cela passe aussi par une meilleure connaissance des milieux intellectuels dans lesquels Spinoza évolue, des auteurs quil a pu rencontrer et dont les œuvres reflètent à leur tour un état desprit critique, polémique, condamné dune manière ou dune autre à la clandestinité. Nous essaierons bien évidemment de mieux comprendre la réception très particulière que réservent à lœuvre de Spinoza les auteurs des textes clandestins, le rôle quil a pu jouer dans lélaboration dune, ou plutôt des philosophies clandestines, qui infléchissent parfois sensiblement les idées du philosophe, souvent dans le sens dun matérialisme athée militant, quils réécrivent aussi, contribuant largement à lélaboration dune forme de mythe spinoziste dont on continue de parler aujourdhui.

Enfin, le sujet que nous abordons dans ces pages est de toute évidence bien trop riche pour espérer que ce dossier en épuise les possibilités. Nous loffrons donc à nos lecteurs comme un état des lieux de nos connaissances en la matière et, en même temps, comme une série de pistes ouvrant la voie aux recherches, nombreuses, qui restent encore à faire. En somme, comme une invitation à prolonger létude dun des corpus philosophiques les plus dynamiques de la recherche contemporaine : celui des manuscrits philosophiques clandestins.

Maria Susana Seguin

Université Paul-Valéry Montpellier III

IHRIM – UMR 5317 ENS de Lyon – Institut Universitaire de France

1 Voir à titre dexemple (non exhaustif) : Voltaire et les manuscrits philosophiques clandestins (no 16 / 2008) ; Diderot et la littérature clandestine (no 19 / 2011) ; Déismes et déistes dans la littérature philosophique clandestine (no 21 / 2013) ; DHolbach et la littérature philosophique clandestine (no 22 / 2014).

2 Nous renvoyons ici à notre plateforme « Philosophie cl@ndestine » : philosophie-clandestine.huma-num.fr, qui recense à ce jour 335 titres différents.

3 Les numéros correspondent à lentrée du manuscrit sur la plateforme « Philosophie cl@ndestine » : 2. Abrégé ou courte exposition de lopinion de Spinoza touchant la Divinité, lesprit humain et les fondements de la morale. 10. Analyse du Traité de la Théologie Politique de Spinoza ; 76. Essai de métaphysique dans les principes de Benoît de Spinoza ; 81. Éthique. 84. Examen de la réfutation faite par M. Régis de lopinion de Spinoza, sur lexistence et la nature de Dieu. Exposition du système de Benoît Spinoza, contre les objections de Régis ; 90. Exposition des sentiments de Spinoza. Exposition du système de Spinoza ; 114. Lettres à Serena, qui contiennent, 1o Lorigine et la force des préjugez… et les raisons du paganisme, De plus, 4e Lettre à un seigneur hollandois, où il est prouvé que le système de Spinoza est sans aucun principe ou fondement, 5e Lettre pour prouver que le mouvement est essentiel à la matière … Le tout précédé dune Préface … Par M. Toland ; 189. Traité des trois imposteurs. Lesprit de Spinoza ; 190. Traité Politique ; 192. Traité Théologo-Politique. La clef du sanctuaire. Traité des cérémonies superstitieuses des Juifs ; 195. La vie de Spinoza ; 228. Examen dune nouvelle réfutation du système de Spinoza, par un moine bénédictin ; 229. Examen dune réfutation abrégée du système de Spinoza, par M. de Cambray ; 271. Methodus refutandi opus posthumum Benedicti de Spinoza. C. Langenhert.