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Classiques Garnier

Éditorial

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Éditorial

La Lettre clandestine a cette année un quart de siècle. Ce vingt-cinquième anniversaire mérite un regard en arrière. Lorsque notre revue fut fondée, en 1992, sous la direction dOlivier Bloch et dAntony McKenna, entourés dun comité de rédaction composé de Geneviève Artigas-Menant, de Gianluca Mori, dAlain Mothu et de Françoise Weil, sa présentation affirmait : « La recherche sur la littérature philosophique clandestine des xviie et xviiie siècles est depuis quelques dizaines dannées lun des secteurs les plus vivants et les plus innovateurs en matière dhistoire des idées à lépoque classique ». Elle rappelait lappel lancé par Gustave Lanson en 1912 (il y a cent cinq ans, donc…) : chercher dans toutes les bibliothèques les nombreux « manuscrits impies » qui circulaient avant 1750 et faire « une liste des copies conservées, en essayant détablir lépoque de leur fabrication ou de loriginal dont elles dérivent ». La revue naissante sappuyait notamment sur le séminaire dOlivier Bloch (dont le résumé occupait les premières pages de chaque numéro), sur léquipe de linventaire des manuscrits clandestins animée par Geneviève Artigas-Menant, et sur un réseau international de chercheurs. Elle incluait, outre des notes et documents, un important appareil bibliographique : éditions de textes, publications détudes, signalement de thèses et mémoires, répertoire de travaux en chantier, indication des manuscrits nouvellement découverts, comptes-rendus de colloques, etc. Autant dinstruments qui dotaient un champ de recherches jusque-là dispersées des éléments de communication et de référence qui pouvait le faire accéder à un niveau supérieur.

Vingt-cinq ans plus tard, non seulement cette recherche est toujours aussi vivante et innovante, pour reprendre les termes du premier éditorial, mais elle a encore gagné en quantité et en qualité, et la revue y a joué un rôle certain, en particulier par les journées quelle organise chaque mois de juin sur les principaux thèmes apparus dans nos études. Les 12fondateurs sont toujours présents et actifs, à lexception de la regrettée Françoise Weil, disparue en 2014 après une longue carrière de travaux érudits. Léquipe sest renforcée et diversifiée. Surtout, la recherche sur les manuscrits clandestins et sur lunivers intellectuel qui les a produits et reçus a gagné en audience : elle a montré non seulement leur importance et celle des idées quils développent (critique des religions, des pouvoirs, de lintolérance, réflexions sur les mœurs et critique sociale), mais encore leurs liens nombreux et étroits avec les publications autorisées, avec la littérature, la philosophie et la vie culturelle des deux siècles où ils ont joué leur rôle : les idées, les références, les arguments que les manuscrits empruntent à Gassendi, Spinoza ou Malebranche ; les échos – y compris défensifs – quils trouvent dans la société et les discussions de leurs contemporains. Elle a exploré aussi lhistoire de leur réception aux siècles suivants. Elle a analysé enfin, dans des débats animés, leur héritage dans le monde où nous vivons, et où les questions quils abordent sont parfois dune actualité brûlante.

Pierre-François Moreau

IHRIM – UMR 5317 CNRS – ENS de Lyon