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Classiques Garnier

Notice préliminaire

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Légende dorée
  • Pages : 7 à 14
  • Collection : Textes littéraires du Moyen Âge, n° 4
  • Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
  • EAN : 9782812442360
  • ISBN : 978-2-8124-4236-0
  • ISSN : 2261-0804
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4236-0.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/11/2010
  • Langue : Français
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notice préliminaire

La Légende dorée, l’une des productions les plus répandues et les plus goûtées au moyen âge, l’expression la plus naïve et la plus sincère des croyances de ces époques déjà si loin de nous, méritait bien de sortir de l’oubli qui pèse en ce moment sur elle. Depuis trois siècles à peu près, elle n’a pas reparu en langue vulgaire : aujourd’hui l’on étudie avec zèle les monuments littéraires du passé, l’on recherche les traditions presque effacées, l’on ouvre avec empressement ces écrits naïfs, où se montre une double qualité dont notre époque, vouée au doute et à la critique, est bien déshéritée, la foi de l’homme qui croit ce qu’il raconte, et la foi des auditeurs qui croient ce qu’ils entendent ; la Légende reprendra dans les bibliothèques des hommes studieux la place à laquelle elle ne peut guère prétendre sous la forme d’in-folios gothiques, écrits du style le plus suranné et d’ailleurs peu faciles à se procurer.

Un ingénieux écrivain, François de Neufchâteau, a dit quelque part : « Il serait possible que Jacques de Voragine, en écrivant la Légende dorée, n’eût voulu composer que des contes moraux et des romans mystiques : en relisant sous ce point de vue quelques-uns de ses récits, on verra qu’ils ont parfois toute la finesse de l’allégorie, et parfois tout le sel de la satire. » Sans contester la justesse d’une partie de cette observation, nous ferons remarquer que nous ne croyons point que semblable intention ait guidé la plume du légendaire ; il a réuni un grand nombre de faits qu’il trouvait épars dans une foule de chroniques ou de biographies pieuses, et dont les sources ne seraient pas difficiles à indiquer. Il n’a donné nulle carrière à son imagination ; il n’a prétendu qu’à compiler un ouvrage qui dispensât de recourir à une multitude d’autres. Sa crédulité nous semble excessive ; mais, au xiiie siècle, un prélat italien 8pouvait-il se faire précurseur de cet acerbe docteur de Sorbonne, Jean de Launoi, qui obtint le surnom de Dénicheur de saints, et que saluait si bas le curé de Saint-Eustache, tremblant pour son patron ? Jacques de Voragine a cru ce que l’on croyait de son temps ; n’est-ce point ce que nous faisons encore ? D’ailleurs il n’adopte pas sans examen tout ce qu’il trouve dans les auteurs qu’il consulte ; il nous avertit, parfois, que telle narration des plus merveilleuses ne repose que sur l’autorité d’un livre apocryphe, et que telle ou telle circonstance doit être l’objet de quelques doutes assez fondés.

Dans les monastères, dans les châteaux, partout on lisait la Légende dorée, et nulle part on ne pouvait s’en rassasier. Ces miracles multipliés et qu’accueillait la conviction la plus profonde, ces martyrs si intrépides au milieu des supplices les plus cruels, tout ce merveilleux enflammait les esprits les plus grossiers. A tout l’attrait du roman le plus vivement conduit, le plus mêlé d’incidents, la Légende dorée joignait le caractère d’une incontestable authenticité. A chacune de ses pages, ne rencontrait-on pas le diable, déguisé sous quelque nouvelle forme, cherchant à jouer quelque tour aux serviteurs de Dieu, le diable, dont le moyen âge était si préoccupé, auquel il livrait une guerre si acharnée et si infructueuse, le diable qu’il haïssait de si bonne foi ? Malgré toute la puissance surnaturelle dont il ne donnait que trop de preuves, Satan était toujours bafoué, déconcerté, souvent battu dans les récits de la Légende, et ce dénoûment ne manquait jamais d’être accueilli par les éclats de rire de ceux qui écoutaient de toutes leurs oreilles la lecture que leur faisait quelque clore.

Ajoutons aussi que dans la Légende dorée il se trouve un grand nombre de récits dont le but est d’inculquer la charité à l’égard des pauvres, la résignation, la pureté de mœurs. Nous aimons à croire qu’ils ont déterminé plus d’une bonne action.

Maintenant, disons un mot de l’auteur de cet ouvrage, dont le titre fut d’abord celui de Légende des Saints ; mais l’enthousiasme contemporain changea cette dénomination pour celle de Légende d’or (Legenda aurea) ; et c’est le titre de Légende dorée qui a prévalu.

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Jacques de Voragine ou de Varagine naquit vers 1230, à Varaggio, bourg situé sur le golfe de Gênes, non loin de Savone. On ignore le nom et la position sociale de ses parents. Dans l’un de ses écrits, il parle d’une éclipse qui eut lieu en 1239, et il dit qu’il était encore dans l’enfance. Il n’avait point dépassé l’adolescence lorsqu’il prit, en 1244, l’habit de dominicain, et bientôt il se distingua par son zèle pour l’étude, non moins que par sa conduite édifiante ; il professa avec éclat la théologie dans diverses maisons de son ordre, et son talent pour la prédication fixa sur lui l’attention générale. En 1267, il fut élu provincial de la Lombardie, emploi qu’il remplit durant dix-huit ans ; on l’éleva pour lors à la dignité de définiteur ; c’est à tort que Dupin a dit que Voragine avait été général des dominicains. En 1288, l’empereur Henri IV lui fit confier la commission honorable de faire absoudre les Génois des censures qu’ils s’étaient attirées par leur désobéissance au saint-siège, en prenant parti pour les Siciliens révoltés contre le roi de Naples. Charles Bernard, de Parme, archevêque de Gênes, étant mort sur ces entrefaites, le chapitre métropolitain désigna Jacques de Voragine comme devant le remplacer : sur son refus, le pape chargea de l’administration de cet important diocèse Obezzon de Fiesque, patriarche d’Antioche, que les Sarrasins avaient expulsé de son siège. Celui-ci étant mort en 1292, le chapitre élut Jacques d’une voix unanime ; le sénat applaudit à ce choix, le peuple manifesta une joie extrême, et le dominicain fut obligé de céder. En acceptant avec répugnance des fonctions qu’il suffit d’avoir ambitionnées pour en être presque indigne, Jacques de Voragine comprit toute l’étendue des obligations et de la responsabilité qui allaient peser sur lui. Dévoué tout entier à de pieux devoirs, il se fit une loi de ne plus quitter son diocèse. Son ministère, fut couronné d’éclatants succès dans plusieurs circonstances importantes, et son éloquence persuasive remporta de beaux triomphes, Il fit, à force de zèle, cesser les divisions dont, ainsi que toutes les républiques italiennes du moyen âge, Gênes était alors déchirée ; il réconcilia les Guelfes et les Gibelins. Cette paix, qui lui avait coûté trois ans d’efforts, fut conclue en 1295 ; malheureusement elle dura peu ; les dissentiments recommencèrent bientôt de plus 10belle ; pendant deux mois entiers, les rues de la capitale de la Ligurie furent de vrais champs de bataille, et pour apaiser de telles semences de discorde il fallut tout le dévouement du prélat, qui se précipita, au risque de sa vie, entre les combattants. L’archevêque de Gênes menait au milieu des grandeurs une vie mortifiée et pénitente ; sa charité était inépuisable, le luxe des aumônes étant le seul qu’il ne se fût pas interdit. Exemple remarquable de détachement et de religion sincères pratiqué à une époque où certains princes de l’Eglise, oublieux de leur caractère, préféraient souvent aux soins de l’épiscopat des intrigues politiques, quelquefois même se trouvaient mêlés à d’étranges scandales.

Après avoir occupé, durant sept ans, le trône archiépiscopal, Jacques de Voragine mourut le 14 juillet 1298, à l’âge de soixante-huit ou soixante-neuf ans ; il fut inhumé, ainsi qu’il l’avait demandé, dans l’église Saint-Dominique, à Gènes, du côté gauche du maître autel.

Quelques auteurs assez peu dignes de foi ont raconté que Jacques de Voragine s’étant, un mercredi des Cendres, présenté devant Boniface VIII pour participer à la cérémonie en usage à pareil jour, le pontife, soupçonnant l’archevêque d’être favorable à la faction impériale, lui jeta des cendres dans les yeux, en lui disant : Mémento quia Gihellinus es, et cum Gihellinis tuis in pulverem reverteris. C’est un de ces petits contes dont on embellit la vie de tout homme remarquable, et les historiens les plus éclairés n’ajoutent aucune créance à ce trait de l’histoire de Jacques. S’il est réellement arrivé, ce qui est fort douteux, c’est tout au plus à l’égard de son successeur Spinola ; celui-ci fut en effet en relations peu amicales avec la cour de Rome.

Jacques de Voragine écrivit beaucoup ; il composa des sermons pour le carême, les dimanches et, les principales fêtes de l’année, sermons qui, traduits en latin, furent imprimés dans les premières années du xvie et même dans le xviie siècle. Il se livra à de longs travaux sur saint Augustin ; il rédigea une chronique de la ville de Gênes, qui s’étend jusqu’à l’an 1277, et que le docte Muratori a insérée dans le tome IX (p. 1-56) de ses Rerum italicarum Scriptores (Mediolani, 1723-1751), en supprimant dans la première partie force récits fabuleux empruntés par Voragine à ses devanciers, mais en reproduisant fidèlement la 11seconde, où se trouvent surtout de précieux matériaux pour l’histoire ecclésiastique de Gênes, l’auteur ayant eu à sa disposition des titres, des documents aujoud’hui perdus, et dont il usa le mieux qu’il lui fut possible.

Quant à la légende à laquelle Jacques doit ce qui lui reste de célébrité, l’empressement avec lequel elle fut reçue donna bien de la besogne aux copistes ; les manuscrits en reproduisirent à l’infini ; le père Quétif en indique un grand nombre, subsistant dans les diverses bibliothèques parisiennes. Il y en a neuf d’énumérés dans le vaste et savant travail auquel M. Paulin Paris a le courage de se consacrer, pour faire connaître au monde savant les richesses des manuscrits de la Bibliothèque royale. C’est d’abord (nos 6845 et 6815 4. 4.) deux exemplaires d’une traduction de Jean Beleth, écrivain souvent cité par les auteurs ascétiques du moyen âge, et fort peu connu des bibliographes. Dans son travail, il s’est donné carrière de paraphrases et de réflexions, ajoutant beaucoup à son texte, racontant les biographies de divers saints, au sujet desquels Jacques avait entièrement gardé le silence. Le second manuscrit que nous indiquons diffère beaucoup du premier ; il donne très au long des vies qui sont fort succinctes dans l’autre copie. (Voir les Manuscrits français de la Bibliothèque du roi, par M. Paulin Paris, t. II, pages 88 et 92.) Nous trouvons dans le même ouvrage (t. II, p. 88, 255, 250 ; IV, p. 31 et 33) l’indication de différents manuscrits (nos 6845.3 ; 6888 ; 6888.2 ; 6889 ; 6889.2 et 3 ; 7020 ; 7020, 1 A et 1 B) contenant une traduction faite par Jean de Vignay, qui mit grandement à contribution la version de Beleth. Quelques-uns de ces manuscrits sont décorés de miniatures remarquables ; dans celui qui porte le no 6889. 2 et 3, outre de petites vignettes en nombre égal à celui des légendes, l’on trouve cinq grandes compositions de la hauteur d’une page entière ; la troisième est consacrée à la purification de la Vierge, elle est partagée en quatre compartiments, et le troisième offre aux regards des personnages qu’on n’attendait pas là. C’est le couronnement de Proserpine par les mains de Pluton. Dans le lointain on voit plusieurs personnages bien vêtus ; ils entrent aux régions infernales, ils en sortent une chandelle allumée à la main. Des 12rencontres aussi disparates ne sont pas fort rares dans les manuscrits du moyen âge.

L’imprimerie se hâta de reproduire un ouvrage qui était certain de trouver une foule de lecteurs ; deux éditions sans date, et probablement antérieures à 1474, sont indiquées avec quelques détails dans le Manuel du Libraire de M. J.-Ch. Brunet (t. III, p. 579, édition de 1820). Le bibliographe Panzer en indique plus de soixante-quatorze éditions (dont, six douteuses), jusques et y compris 1500, et plus de trente traductions en diverses langues. Nous ne croyons pas devoir insérer ici cette longue et sèche nomenclature ; nous nous bornerons à faire remarquer qu’un bibliophile très versé dans la connaissance des éditions du xve sièle, le docteur Kless, de Francfort, assigne la priorité à une édition exécutée à Strasbourg en 1471-73. (Voir son catalogue imprimé à Londres en 1835, no 3994.)

Disons aussi que l’édition originale de la traduction française vit le jour à Lyon ; elle fut achevée d’imprimer par Barthélemy Buyer, le dix et huitième jour d’apuril mil quatre cens septante et six ; elle est annoncée comme diligement corrigée auprès du latin par maistre Jean Batallier. Cette édition est fort rare ; il s’en trouve un très bel exemplaire dans la bibliothèque de lord Spenser, et Dibdin l’a décrit en détail. (Bibliotheca Spenseriana, t. IV, p. 523.)

Antoine Vérard donna en 1490, 1493 et 1496, trois éditions de la Légende dorée, en français ; il en existe des exemplaires sur vélin qui sont précieux ; la Bibliothèque du Roi en possède doux (dont un très beau) de l’édition de 1493 ; M. Van Praët en a donné la description, (Catalogue des livres imprimés sur vélin, t. V, p. 24.) En consultant les catalogues de vente de l’Angleterre, ce pays si riche en raretés bibliographiques, nous avons remarqué diverses adjudications des impressions sur vélin des Légendes, sorties des presses de Vérard (24 liv. st., vente Towneley, en 1815 ; 42 liv. st., vente Hibbert, en 1839, no 4784 ; 19 liv. 19 sh., exempl. incomplet du premier feuillet, vente Sykes, en 1834, pt. II, no 114).

Diverses éditions de Lyon, Jehan de Vingle, 1512 ; Paris, Pierre Leber, 1525 ; Poitiers, Enguilbert de Marnef, 1522 ; Paris, Jehan Ruelle, 131554, et trois autres sans date, sont mentionnées dans les Nouvelles Recherches bibliographiques de M. Brunet (1832, t. III, p. 432).

Une édition de Lyon, Jehan de Vingle, 1497, in-folio, indiquée comme inconnue aux bibliographes, a été payée 73 francs à la 4me vente de MM. Debure (no 1761).

La Légende, traduite en anglais, fut un des premiers ouvrages sur lesquels se porta l’activité du père de la typographie britannique, William Caxton : en 1483 il publia la Golden legend, en l’ornant de gravures sur bois, de l’exécution la plus grossière : il la republia en 1493 avec quelques différences. Ces deux éditions introuvables se payeraient fort cher au delà de la Manche ; en 1813 un exemplaire de la seconde ne s’adjugea pas à moins de 82 liv. st. 10 sh., encore avait-il un feuillet manuscrit.

La traduction italienne, faite par Nicolas Manerbi, fut imprimée pour la première fois per maestro Nicolo Jenson ; cette édition n’est point datée, mais l’épître dédicatoire du traducteur à tutte le catoliche devote est datée de 1475. On connaît trois exemplaires sur vélin de cet in-folio ; l’un d’eux, payé 500 francs à la vente Mac-Carthy, en 1816, est entré à la Bibliothèque du Roi. Plusieurs fois réimprimée, cette Legende di tutti i sancti e le sancte a reparu enfin à Milan, en 1529 ; à Venise, en 1551, en 1578 avec des additions et corrections ; elle a été remise en style moderne en 1630.

Les premières éditions hollandaises que nous connaissions sont celles de Delft, 1472 et de Gouda, 1478. Nous ne devons point omettre la traduction en langue bohémienne, dont la première édition vit le jour à Pilsen, entre 1475 et 1479 ; l’on n’en connaît qu’un seul exemplaire ; la réimpression de Prague, 1495, in-folio, est aussi d’une rareté excessive.

Il est bon de remarquer en passant que presque toutes ces éditions et traductions diffèrent les unes des autres, surtout vers la fin ; les éditeurs, ajoutant ou retranchant sans doute, suivant qu’il était à leur convenance d’avoir un volume plus ou moins gros. L’édition latine de Cologne, Ulric Zell. 1483 (editore Antonio libero Susatensi), se distingue en ce qu’elle renferme un certain nombre de légendes qui 14ne sont point de Jacques de Voragine, qui n’avaient point figuré dans les éditions précédentes, et qu’on n’a point admises dans celles des éditions suivantes que nous avons eu l’occasion de voir.

L’on pourrait relever, au milieu de tant d’éditions, quelques différences dans le nombre des Vies des Saints, ou dans leur arrangement, quelques variantes d’une assez faible importance ; mais ces détails, trop minutieux, paraîtraient sans doute dépourvus de tout intérêt.

On s’est attaché, dans la version qui suit, à reproduire fidèlement l’original, à ne jamais substituer d’autres idées aux siennes. Si parfois le récit du légendaire paraît abrupte, dépourvu de logique, chargé de répétitions, que l’on se souvienne que c’est un texte rédigé vers 1260 qu’il nous a fallu faire passer en français.