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Classiques Garnier

Introduction à la troisième partie

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Langue de la fiction dans la nouvelle historique et galante (1650-1700)
  • Pages : 233 à 234
  • Collection : Investigations stylistiques, n° 17
  • Thème CLIL : 3154 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage -- Stylistique et analyse du discours, esthétique
  • EAN : 9782406167020
  • ISBN : 978-2-406-16702-0
  • ISSN : 2271-7013
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16702-0.p.0233
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 05/06/2024
  • Langue : Français
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Introduction à la troisième partie

La fin du xviie siècle marque un tournant majeur aussi bien dans les pratiques que dans les théories de la fiction narrative, au sens où celle-ci sémancipe de limaginaire de la parole, entendue comme production orale du discours1. En effet, dans la nouvelle, lécriture de la fiction cesse progressivement de renvoyer à une mythique oralité première, et lon voit diminuer non seulement les dispositifs de mise en scène de la narration – comme lenchâssement dhistoires secondaires, si fréquent dans le roman – mais encore tout un ensemble de stylèmes caractéristiques dun « écrit oralisé2 ». Cause, ou conséquence : les discours critiques repensent la nature de la fiction, de moins en moins envisagée comme le prolongement de lactivité orale du contage. Cest alors lHistoire qui semble simposer comme nouveau modèle du récit : la chronique comme les mémoires relèvent dun mode de narration qui prend acte du medium du livre. Lévolution des formes de lénonciation narrative dans la fiction sérieuse, cependant, nest pas réductible à limitation dune voix 234historienne : certains auteurs et autrices de nouvelles expérimentent en effet la possibilité dun récit sans narrateur ou presque, et consomment la rupture entre récit et imaginaire de la voix dune manière qui demeure, à la fin du xviie siècle, le propre de la fiction.

En nous attachant à décrire précisément lévolution de lénonciation narrative dans la fiction de la fin du xviie siècle, nous tenterons de montrer que, si les récits factuels contribuent au bouleversement énonciatif de la fiction en concurrençant le modèle traditionnel du contage, ils proposent un modèle de récit encore largement tributaire de lart oratoire, notamment pour ce qui concerne lHistoire à la troisième personne. Son imitation dans la veine historique de la nouvelle implique donc un fort marquage de la présence auctoriale, qui contraste avec les stratégies du récit « montré » et font de ce dernier une spécificité de la fiction (chapitre 5). En outre, lidéal du récit sans narrateur engage les auteurs à concevoir de nouvelles stratégies de guidage pour les lecteurs, qui exploitent les potentialités de lécrit et les adaptent aux besoins de la fiction. Lévolution des pratiques et des théories de la fiction informe donc profondément la mise en texte du récit : de la phrase au livre, le texte narratif semble prendre en charge une partie des fonctions autrefois dévolues au narrateur fictionnel (chapitre 6). Enfin, lidéal de leffacement énonciatif informe la pensée du style, lépoque valorisant, en même temps que la disparition de la voix narrative, une forme de neutralité stylistique. On verra que le genre de la nouvelle est traversé par une tension entre uniformisation et individuation linguistique, à lorigine dun déplacement du travail stylistique vers de nouveaux territoires, peut-être propres à lécrit (chapitre 7).

1 Nous renvoyons à Badiou-Monferran, Claire et Denis, Delphine, Le narrateur en question(s) dans les fictions dancien régime, ouvr. cité, ainsi quà Lallemand, Marie-Gabrielle et Mounier, Pascale, Elseneur, no 32, Loralité dans le roman (xvie et xviie siècles), 2017. Voir également la thèse dAdrienne Petit qui, à travers le prisme de la représentation des passions, retrace finement lhistoire de ce « passage dune rhétorique – art de parler – à une poétique – art décrire » (Petit, Adrienne, Le Discours romanesque des passions, ouvr. cité, p. 8). Précisons toutefois que ce propos ne concerne que la fiction narrative sérieuse : les genres comiques sont en effet le lieu dun travail doralisation du récit écrit sur lequel nous nous attarderons infra, p. 237 sq.

2 Claire Badiou-Monferran emprunte la notion d« écrit oralisé » à Peter Koch et Wulf Œsterreicher, pour linscrire dans un rapport dopposition avec celle d« oral scripturalisé » (Jean-Michel Adam). Ces expressions en miroir lui permettent de décrire le changement qui sopère dans la prose narrative classique au tournant des années 1650, grâce auquel un marqueur doralité comme le « et » de relance peut se voir réinvesti en « “effet de clôture”, emblème dune prose écrite » (Badiou-Monferran, Claire, « De lécrit oralisé à loral scripturalisé. Lévolution des emplois de Et, jonctif de phrases et de propositions, dans les fictions narratives en prose des xvie et xviie siècles », Elseneur, no 32, Loralité dans le roman (xvie et xviie siècles), 2017, p. 74).