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Classiques Garnier

Avertissement

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AVERTISSEMENT

HISTOIRE ÉDITORIALE
DE LA HENRIADE (1723-1775)

1723 : La Ligue, une édition à lessai

Voltaire, encouragé par ses amis (D81, D83), commence à rédiger son poème épique dans les années 1719 (D86). Une première version en 9 chants est prête en octobre 1721, et Thieriot, ami et collaborateur éditorial, est chargé de préparer une copie pour le Régent (D96 ; voir aussi D99). Insatisfait toutefois de cette première version, Voltaire poursuit ses lectures (D108), polit son poème (D110, voir aussi D134) et le soumet à lattention de plusieurs lecteurs et lectrices (D135). À la recherche dun garant littéraire, il sadresse à Jean-Baptiste Rousseau, lun des plus grands poètes de lépoque et disciple de Boileau, qui avait manifesté son intérêt pour ce projet épique (D103, février 1722). Après en avoir reçu le plan abrégé1, Rousseau félicite fort élogieusement le jeune poète pour la conduite du sujet, et surtout davoir su concilier christianisme et paganisme, tout en respectant la doctrine classique du poème épique (D105, mai 1722). Voltaire se rend alors à Bruxelles, où Rousseau résidait, pour lui soumettre le texte complet (D123, septembre 1722). Mais après leur rencontre, les relations entre les deux hommes se refroidissent, au point que Voltaire dissimulera les raisons réelles de son voyage à Bruxelles (D125, octobre 17222). Il se peut que Voltaire 72ait mal pris les conseils de Rousseau, qui laurait invité, entre autres, à ajouter dautres chants, à retravailler quelques vers et à revoir les passages satiriques susceptibles dattirer les hostilités du parti catholique3.

Les premières difficultés se présentent dès la préparation de celle qui aurait pu devenir lédition princeps, et qui aurait dû paraître à La Haye en 1723 (D136 ; voir aussi D125, D6247), distribuée et vendue par souscription (D132, D134, D138). En recourant à cette pratique, introduite en France seulement vers 17164, Voltaire se montre à la pointe du commerce du livre. Désireux dobtenir le privilège pour une édition in-quarto, enrichie dillustrations (D121, D125, D134, D136, D139-D141, D144, D151, D153, D186) et dun discours adressé au roi (qui finalement ne sera jamais publié du vivant de lauteur5), Voltaire était prêt à « adoucir [] les endroits dont les véritez trop dure révolteroient les examinateurs » (D134). Tous ces efforts se révéleront inefficaces, le privilège lui est refusé, probablement en raison des résistances des milieux catholiques6.

Une nouvelle tentative dédition se concrétise à Rouen, avec Thieriot en qualité déditeur (D148, D150, D153, D159, D167, D171). Lédition princeps de La Ligue, ou Henry le Grand sort des presses au mois de septembre ou octobre 1723. Voltaire a dû toutefois renoncer à une édition somptueuse : son grand œuvre paraît dans un modeste format in-octavo, sans le discours au roi et sans illustrations, il est imprimé sur du papier 73médiocre, avec plusieurs maladresses typographiques. Il définira cette version de son poème comme une « ébauche7 » ; on pourrait parler dun coup dessai littéraire et éditorial, dans lattente dune nouvelle édition qui rendra justice à ses ambitions. Cette édition de repli a néanmoins le mérite de mettre enfin en circulation une première version de lœuvre, en 9 chants et en 3200 vers, et de lexposer au jugement dun lectorat plus large et plus sévère. Le poème présente quelques notes de bas de page, et est suivi dune section copieuse de vingt-cinq « Remarques » de lauteur, qui sétendent sur 70 pages après le dernier chant8. Laccompagnement du texte par des remarques explicatives et historiques est ainsi contemporain de lacte de composition et de la mise en livre de La Henriade. Pour Christiane Mervaud, ces « Remarques » à La Ligue « incitent à modifier la chronologie admise en ce qui concerne les travaux historiques de Voltaire9 ». Dès 1723, Voltaire se présente comme poète épique et historien à la fois. Si cette section ne figurera telle quelle dans aucune autre édition, ces remarques, transformées et réarrangées, seront intégrées dans presque toutes les éditions de La Henriade, y compris lencadrée.

Les 4000 exemplaires (D179 ; voir aussi D168, D171) de lédition princeps entrent clandestinement à Paris dès le mois de janvier de lannée suivante, comme « par miracle » (D179) admettra Voltaire, et sont mis en vente en secret. Les réactions positives (Journal des sçavans, avril 1724 ; Mercure de France, mars 1724 ; Nouvelles littéraires, novembre 1725 ; Bibliothèque françoise, janvier-avril 1726) se réjouissent, entre autres, de voir le poème épique national remis à lhonneur. Et Voltaire lui-même en témoigne : « tout le monde fait des poèmes épiques. Jai mis les poèmes à la mode » (D24310). Lexpression de cet engouement est variée : des rééditions danciens poèmes, des parodies, des nouvelles éditions de La Ligue, parfois avec des interpolations allographes11 ou des observations 74critiques12, ainsi que des contrefaçons13. Dans ce climat presque triomphal, les réserves nont pas tardé à se faire entendre, mais les critiques les plus rudes sont probablement dues au positionnement catholique de leurs auteurs, indisposés par les vers satiriques sur Rome et par le traitement de faveur accordé aux protestants14. Voltaire se rappellera encore vers la fin de sa vie, que le cardinal de Bissy était prêt à « censurer juridiquement louvrage15 ».

1728 : La Henriade, la belle édition de Londres

Cette première version du texte ne convient pas à Voltaire, qui retravaille immédiatement son poème épique (D202, D204, D243), et le complète dun chant vers septembre 1724 (D208, D213), le sixième, celui qui raconte lassaut par Henri de Navarre de Paris occupé par les ligueurs. Voltaire décide également de modifier le titre, désormais LaHenriade. A-t-il retenu la proposition faite par René de Bonneval dans un article paru dans le Mercure de France en juillet 172416, ou est-il allé le chercher plus loin, à savoir dans le poème épique de Sébastien Garnier, Les Huict Derniers Livres de la Henriade (1593-1594) ? Sest-il souvenu plutôt des manifestations commémoratives en lhonneur dHenri IV, appelées « Henriade », et célébrées jusquen 1792 dans le collège des Jésuites que le roi de Navarre avait fondé à La Flèche17 ? Il se peut aussi, plus simplement, que Voltaire saligne sur les codes du genre épique, annexant les suffixes -ade ou -ide au sujet mis en vers, comme pour lIliade dHomère ou lÉnéide de Virgile. Le cœur du poème se déplace pour se concentrer sur le héros.

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La nouvelle version, en 10 chants et augmentée d'environ mille vers (D259), est achevée le 23 juillet 1725 (D243). Si Voltaire est « content » du résultat, « cest beaucoup dire », doit-il admettre à Thieriot, car il est « plus difficile sur [s]es ouvrages que sur ceux des autres » (D244). Pour la publication, Voltaire maintient lidée initiale de lédition hollandaise : un beau livre dans un format plus grand (D240, D242, D243), avec des estampes quil avait déjà commandées auprès des meilleurs graveurs (D186, D240, D259). Il est prématuré dimprimer et de faire circuler librement en France un poème qui suscite encore les hostilités du camp catholique. Voltaire en est irrité :

La seule chose dont je suis sûr, cest que ce ne sera pas en France. Jai trop recommandé dans mon poème lesprit de paix et de tolérance en matière de religion, jai trop dit de vérités à la cour de Rome, jai répandu trop peu de fiel contre les réformés, pour espérer quon me permette dimprimer dans ma patrie ce poème composé à la louange du plus grand roi que ma patrie ait jamais eu.

Cest une chose bien étrange que mon ouvrage, qui dans le fond est un éloge de la religion catholique, ne puisse être imprimé dans les états du roi très chrétien, du petit-fils dHenri IV, et que ceux que nous appelons ici hérétiques en souffrent limpression chez eux. Jai dit du mal deux, et ils me le pardonnent ; mais les catholiques ne me pardonnent pas de nen avoir point assez dit. Je ne sais si mon édition se fera à Londres, à Amsterdam ou à Genève. (D259, Voltaire à Isaac Cambiague, fin 1725).

Voltaire se tourne désormais vers lAngleterre (D257, D258). Il ose sadresser directement à Georges Ier (6 octobre 1725, D250), le comparant au héros du poème, les deux rois étant appréciés pour être les garants de la liberté et de la vérité. Voltaire ajoute avoir « respecté la relligion réformée » et loué des ancêtres illustres comme la reine Élisabeth dAngleterre. Dans cette perspective pragmatique, il encourage les lectures philo-protestantes et anglophiles de son poème, à rebours de ce quil avait soutenu la même année, à savoir que « le fond du poème est un éloge de la religion catholique » (D259). Voltaire est habile à créer un horizon dattente fluide, manipulant tous les moyens pour obtenir une protection de prestige. Cette fluctuation opportuniste de lorientation confessionnelle de son épopée lui vaudra toutefois des ripostes violentes. Après son deuxième passage à la Bastille, en 1726, et lexil anglais qui en est la conséquence (D252, D253, D255), le lectorat anglais et protestant devient désormais le public indispensable à séduire et à conquérir. 76Ni Genève ni Rome, mais Londres, ville de tolérance religieuse et… de liberté éditoriale.

Des problèmes financiers, faisant suite à la banqueroute de son banquier dAcosta, empêchent Voltaire de publier le poème à ses frais. Réactif et sans perdre de temps, il lance dès 1725 lappel à une nouvelle souscription (D303). Il met à contribution une pratique qui est bien établie en Angleterre18, en suivant cette fois de près lexemple des traductions en anglais des poèmes homériques par Alexander Pope, auteur célébré dans les mêmes années comme poète et comme homme daffaires dans les milieux du livre19. Il contacte personnellement de potentiels souscripteurs (D325, D324), encourage ses connaissances comme Jonathan Swift à en trouver dautres (D323), et sactive pour diffuser la souscription en France (D330). Plusieurs aristocrates anglais réservent parfois vingt exemplaires, dautres un seul, comme la princesse Caroline et le roi Georges Ier, celui-ci ayant enfin accordé une audience à Voltaire en janvier 1727. En revanche, le poème reste dangereux aux yeux des lecteurs français : lambassadeur de France à Londres, le comte de Broglie, refuse de procurer des souscripteurs à Voltaire qui lavait sollicité personnellement, faisant valoir que nayant pas lu le poème, la prudence lui impose déviter de se compromettre avec une œuvre au potentiel nuisible (D309). Les souscripteurs seront 343, parmi lesquels quelques rares catholiques anglais ; à partir de lanalyse détaillée de la liste de souscription, René Pomeau a conclu que lédition de Londres « est une manifestation politique de lEurope protestante et libérale, à direction anglaise, contre lEurope catholique et absolutiste20 ».

La publication de La Henriade se joue en deux actes. Dans le premier, Voltaire fait paraître en décembre 1727, en un seul volume, deux essais quil a rédigés en anglais : An Essay upon the Civil Wars of France extracted from Curious Manuscripts, and also upon the Epick Poetry of the European Nations, from Homer down to Milton21. Ces deux essais peuvent être lus 77comme des textes propédeutiques à lédition de LaHenriade, et devaient préparer les lecteurs anglais à situer laction et à se familiariser avec les réflexions de lauteur sur la poétique du genre : « As to his present Essay, it is intended as a kind of Preface or Introduction to the Henriade, which is almost entirely printed22 ». Le deuxième acte prévoit la publication de La Henriade, qui sort des presses début mars 1728, avec un décalage temporel dû au retard de limpression des estampes, les cahiers du texte étant prêts déjà au mois de décembre de lannée précédente (D323)23. Celle quon appellera « édition de Londres » ou « édition anglaise » est un magnifique in-quarto, impression très soignée sur du papier de qualité. Le texte, dépouillé de tout commentaire, est valorisé par une mise en page aérée et avec des grandes marges. Voltaire réussit enfin à réaliser une édition enrichie dillustrations raffinées, avec des dessins de J. de Troy, N. Vleughels et Le Moyne.

Lédition anglaise de 1728 est un hapax éditorial, lune des rares éditions de LaHenriade dépourvue de péritextes, si lon exclut les illustrations, la dédicace à la reine Caroline, la liste des souscripteurs, et quelques rares notes de bas de pages, identiques à celles de La Ligue24. Les deux essais anglais, parus au préalable et réédités en janvier 1728, proposent des initiations plus que suffisantes à lœuvre. Lédition de Londres est suivie de deux rééditions in-octavo, parues à quelques semaines décart (D330), prévues et autorisées par Voltaire, sans doute pour favoriser une diffusion plus large et moins élitiste de son livre25. Des traductions en anglais commencent à paraître assez rapidement26. Les 78éditions anglaises circulent dans différentes cours européennes : Voltaire offre quelques exemplaires (D330), par exemple à Sophie Dorothée, reine de Prusse (D335, D339). Les exemplaires de lédition de Londres seront saisis à Calais par la douane française (D396), ce qui obligera Voltaire à devoir rembourser les souscripteurs français (D2112, D396, D694, D1761, D3489). Mais pourquoi Voltaire envoie-t-il un exemplaire de lédition anglaise au lieutenant de police, René Hérault (D333, D341) ? Est-ce pour en espérer une permission clandestine – ou, peut-être, pour essayer de récupérer les exemplaires saisis à Calais ? Toujours est-il quil dénonce la publication et la diffusion déditions non autorisées, par exemple une édition du poème à laquelle ont été jointes les Pensées sur la Henriade de Faget27 (D341). La circulation française du poème ne doit échapper ni aux mailles de la police, ni à celles de lauteur.

1730-1737 : des éditions forteresses de La Henriade

Voltaire ne perd toutefois lespoir de faire paraître son grand œuvre à Paris, et ce à quelques mois décart de lédition anglaise, belle mais imparfaite (D339, D336, D341), étrangère et non française. Il pense de nouveau à une édition in-quarto, avec les estampes de Londres, qui sortirait simultanément avec une édition in-octavo pour cibler des lectorats distincts. Il tenait beaucoup à lédition anglaise, et sa correspondance témoigne des tentatives multiples de récupération des planches dans les années 1732-1736 en vue dune réédition parisienne illustrée de LaHenriade, quaurait dû procurer Thieriot (D478, D488, D492, D1040, D1202). Ce projet de publication est rejeté à nouveau par le garde des Sceaux en mai 1728 (D333), brisant lespoir de Voltaire : « no bookseller will attempt now to print any unlicensed book » (D336, 25 juin 1728).

La Henriade paraît enfin à Paris, en 1730, sans privilège mais avec un accord tacite de circulation (D399, D401). Ce modeste in-octavo, dépourvu dillustrations, ne se conforme guère aux ambitions de Voltaire et semblerait une nouvelle édition de repli. Elle marque toutefois une étape essentielle : elle est la première édition parisienne de La Henriade, peu importe si la page de titre affiche une fausse adresse, celle dun libraire londonien imaginaire (Londres, Hierome Bold Truth). Cette 79édition comprend une préface inédite sur la genèse du poème, donnant à Voltaire la possibilité de se mettre en scène comme un aède moderne28. Elle contient également deux textes inédits, qui remplacent les deux essais anglais et qui seront joints désormais – sauf exception – aux nombreuses rééditions du poème. Sans ces deux textes, il aurait été très difficile, voire impossible que La Henriade soit imprimée en France, et quelle circule librement. Le premier, l« Histoire abrégée des événements sur lesquels est fondée la fable de La Henriade », présente lintrigue du poème épique de manière beaucoup plus synthétique que lEssay upon the civil wars of France, et évite les allusions polémiques. Le deuxième, l« Idée de La Henriade », se penche sur certains choix poétologiques, par exemple lidée dune fictionnalité historique.En affirmant sans ambiguïté aucune que son « poème ne respire que lamour de la religion et des lois29 », Voltaire atténue la charge satirique contre léglise catholique en usant darguments stylistiques qui masquent à peine lopportunisme de lauteur. Lédition parisienne de 1730 assume une fonction tant pédagogique que militante pour séduire et gagner un lectorat français catholique. Ces concessions portent leurs fruits : plusieurs éditions paraissent ou circulent désormais en France. LaHenriade ne peut plus être ignorée.

Lédition parisienne de 1730 se caractérise également par une mise en livre inédite : des notes sont regroupées à la fin de chaque chant. La page de titre explicite cette nouveauté : La Henriade, nouvelle edition, revûë, corrigée ; & augmentée de beaucoup ; avec des Notes. Ces « notes de léditeur » sont de Voltaire. Il est « éditeur » dans le sens proposé par le dictionnaire de Trévoux (1732), à savoir un « auteur, homme détude qui a soin de lédition de louvrage dun autre », si ce nest que, dans le cas de La Henriade, cet autre est Voltaire lui-même. La longueur de ces notes est variable : certaines sétendent sur plusieurs pages, comme celles du deuxième chant, 9 pages de notes pour 25 pages de texte. Quarante-huit pages de notes en tout30, une augmentation considérable si on les compare aux quelques notes des éditions précédentes. Ce travail dannotation ne sera plus disjoint du texte du poème épique. Ces 80notes créent un deuxième niveau qui est certes subalterne au texte tout en contribuant à lennoblir car, par ce biais, le poème est rapproché de la tradition des grands poèmes épiques commentés. Daprès Owen R. Taylor, ces notes sont le résultat dune fusion entre les remarques de 1723 et lEssay upon civil wars, paru en anglais en 1727 et traduit en français dès 172931. En réalité, Voltaire ajoute de nouvelles notes, qui ne se trouvent ni dans les notes et remarques des éditions précédentes, ni dans lEssai sur les guerres civiles. Cest dans lédition de 1730 quon lit pour la première fois une note sur Philippe de Mornay, qui a désormais remplacé Sully32. Loin dêtre une simple refonte à partir de matériaux préexistants, ce travail dannotation permet à Voltaire dappuyer sa reconstruction de lhistoire sur des nouvelles sources, afficher ses lectures et corriger les historiens qui lont précédé. Voltaire accordait une importance considérable aux notes33, qui peuvent être « curieuses et instructives » (D13325), ou « insolentes » (D15387). Dans LaHenriade, leur fonction est explicative (préciser les faits historiques), philosophique et polémique (combat contre le fanatisme), intertextuelle et poétologique (identification des sources historiques, considérations littéraires), ou linguistique (observations étymologiques, stylistiques et orthographiques). Elles peuvent avoir également une fonction défensive afin déviter – en les anticipant – les jugements critiques34 tant à propos du style que de la mise en intrigue de lhistoire.

À part quelques exceptions, le texte des notes reste relativement stable. En revanche, l« espace visuel35 » des notes ou ce que Julie Lefebvre appelle la « matérialité de la note36 » est en constante mutation. Dans les éditions de LaHenriade qui paraissent en 1732, 1733 et 1737, les notes se trouvent en bas de page, et non à la fin de chaque chant. Ces hésitations 81entre « simultanéité graphique37 » de la note et sa délocalisation après le chant ou à la fin de lœuvre sont courantes jusquà lédition encadrée. Ce qui semble constant, en revanche, est lidée que LaHenriade na pas été conçue sans notes ni remarques. Dun point de vue typographique et éditorial, labondance des notes risque toutefois dalourdir la lisibilité de lœuvre. Les éditeurs essaieront de résoudre cette tension entre la prolifération de textes et une mise en livre intelligible.

De manière plus générale, toutes les éditions, à partir de 1730, présentent un apparat critique de plus en plus copieux. Dès 1732, lEssai sur la poésie épique accompagne enfin La Henriade, dabord dans la traduction française de Desfontaines, remplacée par celle de Voltaire à partir de lédition de 1733. En revanche, lEssay upon the Civil Wars ne sera pas traduit par Voltaire, et il faudra attendre lédition de Kehl pour que ce texte soit publié dans le même volume que La Henriade. Daprès Richard Waller, Voltaire sétait désintéressé à la version française traduite par labbé Granet38, qui atténuait les passages les plus satiriques, par exemple ceux sur les « fourberies des moines39 ». En réalité, les rares infléchissements apportés à la traduction devaient faciliter la circulation en France dun texte qui avait été conçu et publié pour un lectorat protestant et anglais. Lauteur dune version française parue dans le journal hollandais Bibliothèque française, ou histoire littéraire de la France, désapprouve les « quelques maximes hardies et dangereuses40 », que labus de liberté dont jouissait Voltaire en Angleterre rendait possible. Il est plus probable de supposer que l« Histoire abrégée » ainsi que les notes, ajoutées à partir de lédition de 1730, rendaient redondante linclusion de lEssai sur les guerres civiles.

À partir de lédition de 1737, des péritextes allographes entrent dans les seuils du livre : une lettre dithyrambique dAntoine Cocchi, qui avait déjà paru dans le Mercure de France en 1733, ainsi que la préface inédite de Linant. Lobjectif de toutes ces pièces descorte est de fortifier les seuils de lœuvre et de protéger un poème vulnérable face aux critiques, par exemple de Rousseau et Desfontaines (D1078, D1168).

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1741 : Lédition parisienne de Londres

Malgré toutes ces éditions qui circulent en France, Voltaire na toujours pas réussi à publier un volume aussi ambitieux que celui de Londres. Il appelait de ses vœux « the great edition of the Henriade which i design to print at Paris » (D478, 14 avril 1732), qui aurait dû paraître avec les mêmes planches que celles de lédition de Londres. Sa ténacité est récompensée en 1741, avec lédition in-quarto qui sort à Paris chez Gandouin. Voltaire envisageait depuis quelque temps de rendre La Henriade « digne [] de la posterité41 », et pour cela il ne fallait plus modifier le texte :

Lauteur enfin a promis aux libraires, auxquels il veut bien faire présent de cette édition, quil ne ferait plus désormais aucune correction à son poème. Il nous a déclaré quil fait céder lenvie extrême quil a de le retoucher toujours au ménagement quon doit avoir pour les lecteurs, qui ne doivent pas acheter tant déditions différentes, et à la nécessité de faire savoir au public à quoi il doit sen tenir42.

Le texte du poème simule un état définitif, mais en exhibant les fluctuations textuelles des éditions précédentes : de là surgit une tension antagoniste entre une vision de lépopée comme modèle achevé et inamovible, et celle qui met à nu sa genèse ; bref, entre le rêve classique dune œuvre parfaite (au sens étymologique), ne varietur, et la conception dune épopée comme résultant dun travail de composition continu. Lédition de 1741 contient en effet, pour la première fois, les variantes et les commentaires du polygraphe Lenglet43. Voltaire refusait de se présenter sans masque en tant quéditeur de LaHenriade, sauf à la troisième personne : il peut désormais tirer profit du travail de Lenglet, annotateur et commentateur à la fois.

Lautre objectif de Voltaire consiste à proposer une forme éditoriale similaire à celle de Londres. Geraldine Sheridan a montré que les cahiers comprenant le texte de lédition de 1741 ne sont pas une réimpression en fac-similé de lédition londonienne, ainsi que lavait soutenu O. R. Taylor44, 83mais la même édition que 1728 : sont récupérés les cahiers invendus de lédition de 1728 ou saisis par la police la même année, ainsi que les cahiers qui avaient été réimprimés, toujours à Londres, entre 1733-1736, pour les introduire dans le marché français, en ajoutant quelques cahiers inédits, à savoir les cahiers préliminaires et les cahiers avec les notes et les variantes45. Il est très probable que les cahiers de lédition de 1728 ont été rachetés par le libraire Gandouin ou que Voltaire lui-même les a transmis à son libraire en vue dune nouvelle édition de LaHenriade, qui était en préparation depuis au moins le mois doctobre 1738 (D1635). Si Voltaire na pas réussi à obtenir les planches de lédition anglaise, il a du moins récupéré les anciens cahiers de cette édition illustrée.

Ce qui mérite également dêtre retenu, du point de vue de la matérialité du livre, est que toutes ces remarques et notes ont été imprimées dans des cahiers séparés : « Enfin mes Additions sont disposées de maniere, que ceux qui voudront les faire relier, à la fin de chaque Chant, le pourront aisément, ayant toujours fait imprimer par Cahiers détachés les observations qui regardent chaque Chant en particulier46. » Lédition anglaise de 1728, celle sans notes ni remarques, reçoit enfin elle aussi un apparat critique. Dans ces cahiers détachés et détachables règne une véritable bigarrure : les variantes relevées par Lenglet côtoient les « Remarques » de lédition de 1723 et les « Notes » de Voltaire de 1730-1737. Le relevé des variantes est également très surprenant : le texte de lédition de 1741 correspond à celui de lédition anglaise de 1728, Lenglet se limitant par conséquent à signaler les variantes antérieures (version de 1723) et ultérieures (version de 1737) de La Henriade. La fixation du texte ne se fait pas à partir de la dernière version, mais à partir dune version intermédiaire. Voltaire signale dans un cahier à part (cahier « r ») les nouvelles variantes, suivies dobservations supplémentaires aux variantes et aux notes de Lenglet, réunies sous le titre « Additions aux remarques précédentes » : malgré lintention de fixer le texte, ces nouvelles variantes prouvent que le texte proposé dans cette édition est loin dêtre définitif. La promesse faite aux lecteurs de ne plus 84modifier son œuvre est dores et déjà caduque, en dépit des allégations de Lenglet47. On pourrait parler dironie éditoriale : on soumet au lecteur le monument éditorial ne varietur, mais avec de nouvelles variantes qui impliquent lidée dun texte altérable et donc provisoire et instable.

Le principe cumulatif de cette abondante annotation rend complexes la lecture et lidentification de ses auteurs. Il est difficile de distinguer ce qui sort de la plume de Voltaire de ce qui est de Lenglet. Certes, Lenglet essaie de lindiquer, mais parfois il oublie de référencer si ce quil reprend est tiré de lédition de 1723 ou de celle de 1737, tandis que dautres fois il développe les notes de Voltaire48. Ces fascicules supplémentaires sont le résultat dune collaboration confuse. Le lecteur est intégré volens nolens dans cette dynamique collaborative car cest lui in finis qui détermine la morphologie du livre. Voltaire reste le centre de ce travail déquipe, il en est auteur et éditeur officieux, mais il a besoin dun éditeur officiel qui saffiche comme tel. Les éditions suivantes essaieront de mettre de lordre dans cette cacophonie polyphonique et éditoriale.

1746-1775 : vers une édition définitive

Trois tendances peuvent être retenues parmi les rééditions de La Henriade : la distinction nette des trois niveaux textuels (texte, notes et variantes), la sélection des péritextes, et enfin lorganisation finale du poème avec ses textes descorte.

Une nouvelle édition paraît en 1746 : La Henriade avec les variantes (Paris, Prault). Annoncées pour la première fois sur la page de titre, les variantes sémancipent au niveau bibliographique et sont réunies de plus dans un livre à part. Il faut toutefois attendre lédition de 1756 (Genève, Cramer) pour que le corpus hétérogène des variantes, qui englobait également les observations de Lenglet et les remarques de Voltaire, soit mis dans un nouvel ordre. Cet in-octavo sépare et visualise pour la première 85fois, de manière explicite, les trois niveaux textuels du poème : le texte, les variantes et les notes. Cette lisibilité engage un dédoublement de lapparat critique entre un ensemble textuel infrapaginal et un ensemble textuel reproduit à la fin de lœuvre, où les observations de Lenglet sont suivies des remarques de Voltaire. Cette nouvelle complexité va à lencontre de lidée dune réorganisation plus rationnelle.

Plusieurs péritextes remarquables commencent à être reproduits dans les pages liminaires de La Henriade. La longue préface apologétique de Marmontel, ami fidèle de Voltaire (D3386), remplace à partir de 1746 celle de Linant ainsi que la lettre de Cocchi. Marmontel reprend les arguments des avant-textes précédents, quil adapte afin datténuer la flatterie de Cocchi et étaler la brièveté de Linant. Construit comme une véritable arme défensive, ce texte de Marmontel subit le même sort que les autres préfaces : à partir de lédition genevoise de Cramer de 1756, cette préface est déclassée à son tour par celle de Frédéric II, sans toutefois être supprimée. Lavant-propos du roi de Prusse, qui avait été rédigé initialement pour une édition allemande du poème, est le dernier péritexte ajouté au corpus de La Henriade, scellant ainsi les seuils dune œuvre-forteresse49.

Les illustrations comptent également parmi les éléments constitutifs de louvrage, et ce depuis le projet de la toute première édition. Voltaire choisit et contacte les dessinateurs et illustrateurs ; il leur fournit « les idées des desseins destampe » (D121, septembre 1722). Ces consignes sont en règle générale respectées, les libertés prises par les dessinateurs portant surtout sur le ton adopté50. Lincorporation dillustrations est exploitée comme un argument de vente dans les annonces de souscription ; leur objectif est d« embellir » les éditions51. Du vivant de Voltaire paraissent plusieurs éditions illustrées de La Henriade. Juliette Rigal a recensé quatre suites originales, à savoir des séries avec une illustration pour chaque chant, qui feront lobjet de plusieurs répliques52 :

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1. La Henriade, Londres, 1728 : dessins de Michu, J. de Troy fils, F. Le Moine, N. Vleughels [Bengesco 365].

2. Œuvres, Paris, Lambert, 1751 : première série de dessins de Charles Dominique Eisen, plusieurs graveurs (plusieurs répliques et contrefaçons)

3. La Henriade, nouvelle édition, Paris, Duchesne, Saillant, Desaint, Panckoucke, Nyon, s.d. [pour le t. I, 1767 daprès la date dune lettre de Voltaire adressée à Eisen] – 1770 (t. II) : nouvelle série de dessins de Eisen, gravés tous par Joseph De Longueil53[Bengesco 384].

4. Collection complette des œuvres, Genève, Cramer, 1768 [1768-1796, 45 vol], vol. I : dessins de Gravelot, plusieurs graveurs (plusieurs répliques dont lencadrée) [Bengesco 2137]

La sélection et lorganisation des textes descorte se stabilisent à partir de lédition de 1756. Quatre sections sont identifiables, et correspondent à celles de notre édition : une première section avec trois préfaces (Frédéric II, Linant, Marmontel), suivie du texte du poème épique (avec les variantes et les observations de Lenglet ainsi que les notes de Voltaire-éditeur), ensuite une troisième section avec des textes propédeutiques de Voltaire (« Histoire abrégée », « Idée de La Henriade », « Dissertation sur la mort de Henri IV », ce dernier texte rejoint La Henriade en 1748), et enfin une quatrième section avec lEssai sur la poésie épique. Si la sélection des paratextes est fixée dès lédition de 1756, leur distribution et organisation au sein du livre se décident dans lédition de 1768, que lédition encadrée de 1775 entérine définitivement, et qui constitue le véritable point daboutissement de cet itinéraire éditorial. Cet ordre, qui sest construit progressivement, est bouleversé radicalement par les éditeurs de lédition de Kehl54, qui nhésitent pas à intervenir sur lorthographe et sur la langue de Voltaire, à fusionner les notes de lauteur avec celles de Lenglet, redistribuer les péritextes, et ajouter in finis lEssai sur les guerres civiles de France.

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PRINCIPES DE CETTE ÉDITION

À léditeur du xxie siècle cette longue et active histoire dun texte que, tout au long de sa vie, Voltaire a continûment amendé et enrichi, pose trois questions majeures : quelle version du texte choisir ? comment constituer le volume, sachant que de 1723 à 1970, année de la dernière édition scientifique en date, celle procurée par Owen R. Taylor, le poème lui-même a été escorté de textes divers, dans des volumes aux contenus très variables ? comment présenter matériellement les commentaires et ajouts foisonnants et hétérogènes qui accompagnent le poème et qui, de 1723 à 1775, en sont devenus un des éléments constitutifs ?

Pour le choix de la version, conformément à la solution philologique classique, nous avons adopté pour texte de référence celui de la dernière édition revue par lauteur, à savoir celle des Œuvres complètes de 1775, parue en 40 volumes, dite « édition encadrée ». L« encadrée » est au reste celle qui est généralement retenue dans lédition des œuvres de Voltaire. Ce choix simposait pour donner à lire non seulement le poème du jeune Voltaire, mais la version aboutie, revue au fil des années, et qui senrichit de tous les débats poétiques, historiques ou philosophiques que La Henriade a suscités.

Lhistoire du texte a montré la diversité de la composition des volumes publiés sous le titre de La Henriade : du poème seul au volume comprenant les essais sur la poésie et la guerre civile, les préfaces, notes, variantes ou commentaires de Voltaire lui-même ou dautres personnalités. Chaque recueil répond au contexte de sa publication ; aucun ne simposait comme modèle, pas même le choix de l« encadrée » qui sous le titre général de La Henriade, divers autres poèmes et toutes les pièces relatives à lépopée adjoint à La Henriade, à lEssai sur la poésie épique et aux divers péritextes le Poème de Fontenoy, le Poème sur le désastre de Lisbonne et le Poème sur la loi naturelle. Ce tome ne comprend en revanche pas lEssai sur les guerres civiles de France qui a été rangé dans les Mélanges de littératures, dhistoire et de philosophie (t. 35, p. 181-205), où il précède le Traité sur la tolérance. Aussi, plutôt que de suivre la cohérence générique choisie par Voltaire pour cette édition, sommes-nous revenus à la logique génésique : nous 88navons pas retenu les trois « poèmes », mais avons gardé lEssai sur la poésie épique et avons ajouté lEssai sur les guerres civiles. Cet essai est en effet intimement lié à La Henriade : il a été composé dans les mêmes années, dans le même geste, pilotis documentaire, synthétisant les recherches de Voltaire sur les guerres de religion, et constituant le commentaire historique et historiographique du poème. La répartition retenue pour l« encadrée » séparait donc le travail poétique de la réflexion philosophique et historiographique, un peu artificiellement puisque des textes sur Henri IV (par exemple, la « Dissertation sur la mort de Henri IV ») figuraient au tome I. En retenant pour notre volume lEssai sur les guerres civiles, nous avons souhaité rétablir pleinement la continuité entre parole poétique et réflexion historique, entre réflexion sur les genres littéraires et pensée philosophique, bref entre le poème épique, lhistoire de France et la place du fanatisme religieux dans la société de son temps. Cette continuité a présidé à la composition de La Ligue, puis de La Henriade dans les années 1720 et a continué à guider les débats sur le poème qui ont suivi.

Enfin, nous avons également retenu deux autres textes qui ne figurent pas dans le volume de lencadrée, une lettre dAntoine Cocchi et la préface de 1730 de Voltaire. Cest donc une option différente de celle des OCV (voir tableau ci-dessous) : conformément à la logique chronologique adoptée, les éditeurs de cette entreprise de référence ont publié dans des volumes séparés le poème (t. 2) et les essais (t. 3b : « The English Essays of 1727 »). La composition de notre volume est en revanche proche de celle que Beaumarchais et son équipe ont adoptée pour le tome X (1785) dans lédition Kehl des Œuvres complètes : le tome X de ces deux ensembles réunissait La Henriade, diverses préfaces et lEssai sur la poésie épique ainsi que la « Traduction dune lettre de M. Antoine Cocchi » et lEssai sur les guerres civiles. En 1834,Adrien-Jean-Quentin Beuchot en fera de même pour le tome X de ses Œuvres complètes. En réunissant ces textes, qui ont été parfois édités séparément, notre édition renoue avec une tradition et offre lensemble des textes qui ont un lien profond avec La Henriade.

La troisième et dernière question soulève un problème qui nest pas des moindres : comment présenter la masse de matériaux – préfaces, notes, voire les notes aux notes, variantes, gloses successives – sans nuire à la lisibilité du texte et à la précision ? Tout dabord, les variantes. Elles sont nombreuses et, en outre, les modifications opérées ne sont pas toujours 89chronologiquement linéaires : du fait que les impressions sont loin davoir toujours été suivies par Voltaire, une édition postérieure à une autre revue par Voltaire peut conserver une leçon antérieure à la modification. De plus, le relevé des variantes a déjà en partie été effectué dans les éditions du xviiie siècle par Lenglet, avec des commentaires et, à de rares endroits, des réactions de Voltaire dans lédition suivante. O. R. Taylor a établi un relevé de toutes les variantes – éditées et manuscrites – des éditions quil a pu consulter, et indiqué les leçons singulières de telle ou telle édition. Sans chercher lexhaustivité – impossible à atteindre vu le foisonnement des versions –, nous avons retenu le travail effectué par Lenglet, avec ses commentaires, en complétant ou corrigeant le cas échéant. Et nous avons effectué une sélection des variantes qui nous ont paru les plus importantes, soit parce quelles revenaient dans plusieurs éditions successives (en indiquant dans ce cas lempan chronologique) ou apparaissent dans une édition marquante (voir supra, notre histoire éditoriale), soit parce quelles apportent une modification significative de contenu.

Saccumulant au fil des éditions, les notes posent également un redoutable problème de présentation. Celles de Voltaire ou dautres commentateurs au fil des éditions successives, outre leur intérêt intrinsèque, apportent non seulement des observations intéressantes, mais aussi, sur certains points, les clarifications historiques nécessaires. Elles ont été reprises dans leur intégralité. Dans nos notes, nous nous sommes limités à compléter ces informations lorsque cela savérait nécessaire. Pour ne pas les multiplier et clarifier autant que faire se peut ces notes parfois hétérogènes, nous les avons ordonnées en deux séries :

En bas de page, en chiffres arabes figurent les notes que Voltaire a retenues pour lédition encadrée et qui se trouvent à la fin de chaque chant ; elles sont regroupées avec celles, plus anciennes, de La Ligue, qui ont été intégrées dans la section « Autres notes tirées de lédition de M. labbé Lenglet » de lédition encadrée (p. 245-272). Nous les signalons respectivement par « [Notes de Voltaire] » et « [Rem. de Voltaire] ». Cest également à cet endroit que sont données nos propres notes. Ce dispositif qui regroupe lensemble des notes portant sur tel ou tel point, permet au lecteur davoir lintégralité des commentaires, tout en lui permettant de distinguer clairement la nature de ces notes.

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Dans une section à part, appelées par des lettres, on trouvera les variantes signalées par Lenglet (y compris ses commentaires), auxquelles sajoute une sélection des variantes significatives. Nous avons notamment mis laccent sur les deux éditions princeps, La Ligue de 1723 et La Henriade de 1728. Ont également été reportées ici quelques remarques de Voltaire pour La Ligue, quil na pas retenues dans ces remarques ultérieures et qui, partant, nont pas été intégrées dans les notes en bas de page de notre édition.

ÉDITION ENCADRÉE

ÉDITION MAIRA / ROULIN

Préfaces générales

1. « Préface des éditeurs »

2. « Préface des éditeurs, qui était au devant de la première édition de Genève »

3. « Lettre de M. de Voltaire aux Éditeurs de la première édition de Genève »

Ces trois préfaces expliquant les raisons dune nouvelle édition dœuvres complètes et ne portant pas sur La Henriade, ont été exclues de notre édition.

I. Préfaces à La Henriade

1. « Avant-propos sur le Poëme de la Henriade »

2. « Préface de lédition de 1737, par M. L. »

3. « Préface pour la Henriade, par M. Marmontel. »

Aux trois préfaces de lédition encadrée (Frédéric II de Prusse, Linant, Marmontel), nous avons ajouté celle dAntonio Cocchi, à laquelle Linant et Marmontel font allusion dans leurs préfaces.

II. La Henriade  : texte, notes et variantes

1. « La Henriade, avec les Variantes recueillies par M. lAbbé Lenglet, et les Notes de lÉditeur, mises à la fin de chaque Chant. »

Notre texte de La Henriade comporte deux catégories de renvois : en bas de page, toutes les notes de Voltaire (dites « Notes de lÉditeur »), plusieurs remarques de Voltaire qui figuraient dans La Ligue et qui ont été intégrées en partie dans les « Autres notes tirées de lédition de M. lAbbé Langlet », ainsi que les notes des éditeurs modernes. Dans une section à part, les variantes de Lenglet ainsi que celles relevées par les éditeurs modernes ; ici figurent aussi les remarques de Voltaire parues dans La Ligue, mais qui nont pas été reprises dans les « Autres notes tirées de lédition de M. lAbbé Langlet, etc. »

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2. « Autres notes tirées de lédition de M. lAbbé Langlet, et de quelques éditions précédentes. »

Lenglet intègre dans ses propres notes à la fois les remarques historiques de Voltaire, parues pour la première fois dans La Ligue (OCV, t. 2, p. 264-294), auxquelles il ajoute quelques considérations supplémentaires (OCV, t. 2, p. 621-625). Nous avons décidé de démembrer cette section hybride. Les « remarques » de 1723 figurent là où elles sont les plus pertinentes pour la compréhension du poème et pour la cohérence de la pensée historique de Voltaire : soit comme des notes de bas de page, soit dans les variantes, soit encore dans les notes à lEssai sur les guerres civiles ou aux textes descorte.

III. Textes d escorte de Voltaire

1. « Histoire abrégée des événements sur lesquels est fondée la fable du Poëme de La Henriade »

2. « Idée de La Henriade »

3. « Dissertation sur la mort de Henri IV »

Cet ensemble de trois textes de Voltaire est suivi, dans notre édition, de lEssai sur les guerres civiles, qui ne figure pas dans le t. I de lédition encadrée avec LaHenriade, mais dans le t. XXXV, p. 181-205. Nous ajoutons également la « Préface » rédigée par Voltaire pour lédition de 1730, et qui sera intégrée à La Henriade jusquà lédition de 1741.

IV. Texte sur la poétique du genre épique

1. Essai sur la poésie épique

En annexe à lEssai sur la poésie épique est proposée la version originale de cette œuvre, en anglais : Essay on epick poetry.

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Orthographe

Lorthographe a été modernisée. En cela, nous nous situons dans les pas de Voltaire qui a milité en faveur dune modernisation des graphies. Il a notamment proposé dabandonner les terminaisons verbales en « -ois » pour une graphie en « -ais », conforme à la prononciation. Marmontel a adopté cette graphie dans lédition de La Henriade quil a préfacée, parce quelle privilégie la rime « pour loreille », et non plus la rime pour lœil (« saccroître » – « paroître »)55. Nous avons introduit les guillemets partout, également dans les passages où la parole est introduite par « il dit » ou une incise. Nous avons en revanche respecté la ponctuation originale qui correspond à la diction de lalexandrin. Nous avons conservé les majuscules dans les invocations et les allégories clairement identifiables (la Discorde, le Fanatisme, par exemple) et pour certaines entités ou noms spécifiques (État, Héros, Ciel, etc.). Nous avons modernisé la graphie des noms propres, sauf dans les cas où la métrique en impose une spécifique (par exemple « Londre » – chant I, v. 311). Les noms dauteurs ou de personnages, en italiques dans lédition encadrée, sont donnés en caractères romains.

Notre annotation a pu bénéficier des commentaires de lédition de Louis Moland (Œuvres complètes, Garnier frères, 1877, t. 8), ainsi que de celle dOwen Reece Taylor (OCV, t. 2, 1970), qui, de leur côté, sétaient appuyés sur les éditions commentées de La Henriade parues à la fin du xviiie siècle et au xixe siècle. Pour lEssai sur la poésie épique, nous avons consulté avec profit les éditions procurées par David Williams (OCV, t. 3b, 1996) et par Pierino Gallo (Aracne, 2014) ; pour lEssai sur les guerres civiles de France, celle de Richard Waller (OCV, t. 3b, 1996). Nous signalons ici notre dette à légard du travail effectué par tous nos prédécesseurs.

1 Il sagit peut-être de l« Histoire abrégée des événements sur lesquels est fondée la fable du poème de La Henriade », un péritexte qui paraît en 1730, mais conçu probablement avant la parution de La Ligue (D144), en recyclant le plan que Voltaire aurait soumis à Rousseau (voir infra, p. 327).

2 Sur la polémique avec J.-B. Rousseau, voir P. Bonnefon, « Une inimitié littéraire au xviiie siècle daprès des documents inédits : Voltaire et J.-B. Rousseau », RHL, 9, 1902, p. 547-595 ; Henry A. Grubbs, J.-B. Rousseau, his life and works, Princeton, University Press, 1941, p. 149 et suiv. ; Alfonso Saura Sánchez, « Le jeune Voltaire entre Houdar de La Motte et J.-B. Rousseau : un combat pour lécriture », dans Ulla Kölving et Christiane Mervaud (dir.), Voltaire et ses combats, actes du congrès international Oxford-Paris 1994, Oxford, Voltaire Foundation, 1997, t. II, p. 875-888.

3 J.-B. Rousseau avait affirmé, le 20 septembre 1722 : « Notre nation avait besoin dun ouvrage comme celui là » (D123). Après la parution de La Ligue, il constate quil fallait encore « quatre ou cinq ans de travail pour mettre cet ouvrage à son point de perfection (lettre du 5 mars 1724 citée par P. Bonnefon, art. cité, p. 563). Son jugement est confirmé quelques années plus tard (D1078 ; texte paru dans la Bibliothèque française, Amsterdam, 1736, t. 23, p. 138-154 ; datée 22 mai 1736).

4 Voir Wallace Kirsop, « Les mécanismes éditoriaux », dans H.-J. Martin et R. Chartier (dir.), Histoire de lédition française, t. II : Le livre triomphant, 1660-1830, Paris, Promodis, 1984, p. 21-33 ; Id., « Pour une histoire bibliographique de la souscription en France au xviiie siècle », dans G. Crapulli (dir.), Trasmissione dei testi a stampa nel periodo moderno, Rome, Edizioni dellAteneo, 1987, p. 255-282.

5 Dans ce discours, imprimé pour la première fois en 1820, Henri IV est présenté comme un roi exemplaire duquel Louis XV suivra les pas ; voir OCV, t. 2, p. 255-260.

6 O. R. Taylor, dans OCV, t. 2, p. 46.

7 OCV, t. 78c, p. 18.

8 Reproduites dans OCV, t. 2, respectivement p. 263-264 et p. 264-294.

9 Christiane Mervaud, « Épopée et histoire : La Henriade », Revue Voltaire, 2, 2002, p. 139. J. H. Brumfitt avait également parlé de « first historical work », mais en réduit limportance (Voltaire historian, Oxford, Oxford University Press, 1958, p. 7).

10 Affirmation que confirme la lettre XXII de Mathieu Marais, datée du 27 mai 1725 : « Il nest plus question que de poèmes épiques » (Journal et Mémoires sur la Régence et le règne de Louis XV, Genève, Slatkine reprints, 1967 [1863-1868], t. III, p. 334).

11 La Ligue, ou Henry le Grand, poème épique, avec des additions et un recueil de Pièces diverses, Amsterdam [Évreux, Rouen et Troyes], J.-F. Bernard, 1724 [Bengesco I.363]. O. R. Taylor (OCV, t. 2, p. 235-236) attribue à Desfontaines les vers ajoutés (cf. les variantes aux chants VII, v. 382 et v. 425 ; IX, v. 239 et v. 280-281 dans lédition O. R. Taylor) ; Voltaire voudrait faire saisir cette édition (D200, D202).

12 La Ligue, ou Henri Le Grand. Poème épique, Amsterdam, H. Desbordes, 1724 ; édition avec des commentaires qui relèvent les faiblesses poétiques et stylistiques [Bengesco I.364].

13 Voir Bengesco I.361 et Bengesco I.362.

14 Poubeau de Bellechaume, Lettre critique, Paris, s.n., 1724, p. 14 ; une œuvre anonyme, attribuée à René de Bonneval, Réflexions critiques sur un poëme intitulé La Ligue imprimé à Genève, et attribué à M. de Voltaire, s. l., 1724.

15 Commentaire historique, dans OCV, t. 78c, p. 18.

16 Mercure de France, juillet 1724, p. 1521-1526 ; texte reproduit dans D189.

17 Camille de Rochemonteix, Le Collège Henri IV de La Flèche, Le Mans, Leguicheux, 1889, t. I, p. 143-152 ; voir aussi Jean-Pierre Babelon, « Henri IV à La Flèche, une affaire de cœur »,dans Henri IV et les Jésuites, Actes de la journée détudes universitaires de La Flèche, La Flèche, Prytanée national militaire, 2004, p. 13-23.

18 Wallace Kirsop, « Voltaire et les souscriptions », dans Voltaire et le livre, éd. François Bessire et Françoise Tilkin, Ferney, Centre international détude du xviiie siècle, 2009, p. 117-124.

19 Russell Goulbourne, « Voltaire, Pope et la souscription : lexemple de LaHenriade », Revue Voltaire, 4, 2004, p. 81-96.

20 René Pomeau, « Voltaire en Angleterre : les enseignements dune liste de souscription », Annales de la Faculté des Lettres de Toulouse, 1955, fasc. 1-2 (Littérature III), p. 67-76, ici p. 73.

21 London, S. Jallasson, 1727. Dans lavis au lecteur, Voltaire laisse entendre que les progrès linguistiques lui ont permis de rédiger ces deux essais en anglais (Essay on epick poetry, p. 473). Williams rejette avec raison lhypothèse émise par Desfontaines dans Voltairomanie (1738), pour qui les essais ont été rédigés en français et délégués à des tiers pour la traduction anglaise (OCV, t. 3b, p. 151-152).

22 Essay on epick poetry, p. 474. À lexception dune seule édition séparée, en 1745, lEssay upon the Civil Wars paraît toujours avec lEssay on epick poetry.

23 Voir aussi lavertissement au lecteur, Essay on epick poetry, p. 474.

24 Voltaire, La Henriade, Londres, s. n., 1728, p. 4, 81, 135, 137.

25 Sur la polémique concernant ces rééditions, voir O. R. Taylor, dans OCV, t. 2, p. 72-75.

26 Dabord uniquement le premier chant (par I. Ozell, en 1729), ensuite le poème entier (en 1732, par John Lockman) ; dautres traductions sont en chantier, comme celle de R. Towne, entreprise dès 1728 (D340, D342). Il en va de même des traductions en allemand : première traduction partielle en 1737, première traduction intégrale en 1751, voir Lisa Kemper et Daniel Maira, « Traductions allemandes et survivances germaniques de La Henriade », Revue Voltaire, 19, 2019, p. 61-76 ; Id., « Les traductions en allemand de LaHenriade aux xviiie et xixe siècles », dans Daniel Maira et Jean-Marie Roulin, La Henriade de Voltaire : poésie, histoire, mémoire, Paris, Champion, 2019, p. 265-286.

27 La Henriade de M. De Voltaire. Seconde édition revue, corrigée, et augmentée de Remarques critiques sur cet Ouvrage, Londres, Woodman et Lyon, 1728 [Bengesco I.367] ; réédité la même année chez Nicolas Prévost.

28 « Préface », voir infra, p. 387-388.

29 « Idée de La Henriade », voir infra, p. 344.

30 Respectivement 4 pages pour le chant I, 9 pages pour le chant II, 5 pages pour le chant III ; 5 pages pour le chant IV ; 4 pages pour le chant V, 1 page pour le chant VI ; 7 pages pour le chant VII ; 6 pages pour le chant VIII, 3 pages pour les chants IX et X.

31 À propos de lEssai sur les guerres civiles de France, voir p. 328.

32 Voltaire, La Henriade, 1730, p. 33 (note h du ch. I).

33 Voir Les Notes de Voltaire : une écriture polyphonique, éd. Nicholas Cronk et Christiane Mervaud, Oxford, Voltaire Foundation, 2003.

34 Cette prudence est manifeste dès les remarques de Voltaire dans La Ligue (IV, rem. A) : « On a mis exprès ce mot alors, afin de fermer la bouche aux mal intentionnés qui pourraient dire quon a manqué de respect à la cour de Rome. » (p. 536).

35 Roger Laufer, « Lespace visuel du livre ancien », dans H.-J. Martin et Roger Chartier (dir.), Histoire de lédition française. Le livre conquérant. Du Moyen Âge au milieu du xviie siècle, t. I, Paris, Promodis, 1982, p. 479-497.

36 Julie Lefebvre, « “Note” et “Note” : proposition de défrichage linguistique », La Licorne, 67 (numéro consacré à LEspace de la note), 2004, p. 27-50.

37 Formule reprise à larticle cité de J. Lefebvre.

38 Richard Waller, dans OCV, t. 3b, p. 23.

39 Voir infra, p. 358.

40 OCV, t. 3b, p. 116.

41 D1635 (lettre de Voltaire à Thieriot, le 24 octobre 1738).

42 « Additions aux remarques précédentes », dans La Henriade, 1741, p. cxv.

43 Sur labbé Lenglet, voir notre introduction, p. 16.

44 Daprès O. R. Taylor, lédition de 1741 se compose de trois parties : une 1re partie avec quelques péritextes, une 2e partie avec le poème épique, et une 3e partie avec les notes et les variantes. Taylor relève que « la seconde partie, imprimée sur un très beau papier, reproduit très exactement 28a, depuis la dédicace à la reine (en anglais) jusquà la mise en page du texte du poème » ; cette deuxième partie est un « facsimilé » de lédition anglaise de 1728, « imprimée à Londres et transportée ensuite à Paris » pour être vendue avec les deux autres parties (OCV, t. 2, p. 241-242).

45 Geraldine Sheridan, « Voltaires Henriade : a history of the “subscriber” edition, 1728-1741 », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 215, 1982, p. 77-89.

46 Voltaire, LaHenriade, 1741, p. vi.

47 « LIllustre Auteur de La Henriade ayant scû que javois fait imprimer les differences sur la belle Edition de Londres, ma communiqué genereusement les nouvelles corrections, quil a faites à son Poëme ; me laissant la liberté den faire lusage que je jugerois à propos. Jai cru quen les publiant je pouvois assurer le Public, quil promet de ne plus retoucher à son Ouvrage. » (La Henriade, 1741, p. cxv).

48 Lenglet développe certaines notes de Voltaire, ou les commente : « Telle est la Note de lEdition de 1737, mais celle de lannée 1723 est beaucoup plus entenduë, et contient même beaucoup de vérités et de curiosités historiques » (La Henriade, 1741, cahier a des notes, p. iii). Ces interpolations sont en règle générale supprimées à partir de lédition de 1746.

49 Toutes ces quatre préfaces se lisent dans la section I de cette édition, voir infra.

50 Voir Patricia Ménissier, « Les éditions illustrées de LaHenriade », dans Poésie et illustration, éd. Lise Sabourin, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2008, p. 165-176, notamment p. 173-174.

51 D259, décembre 1725 ; mais aussi D14362, 14 août 1767, lettre à Charles Eisen : « les estampes dont vous lembellissez ».

52 Juliette Rigal, « Liconographie de La Henriade au xviiie siècle ou la naissance du style troubadour », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 33, 1965, p. 23-71.

53 N. Cronk a étudié les innovations esthétique, thématique et politique des illustrations contenues dans cette édition : « Lillustration de La Henriade après laffaire Calas : une relecture par Eisen en 1767 », Revue Voltaire, 2, 2002, p. 65-79.

54 Ce travail éditorial a été étudié par Linda Gil, Lédition Kehl de Voltaire : une aventure éditoriale et littéraire au tournant des Lumières, Paris, Champion, 2018.

55 Voir les préfaces de Linant, p. 105-107, et de Marmontel, p. 109-119.