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Classiques Garnier

Avertissement

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AVERTISSEMENT

AN Essay on Epick Poetry

Concrétisant une réflexion commencée quelques années plus tôt, notamment dans ses conversations avec Lord Bolingborke à La Source en 1722, Voltaire a rédigé lEssay upon epick poetry of the European nations, from Homer down to Milton au cours de son séjour à Londres doctobre 1726 à novembre 1728. LEssay paraît en 1727 chez léditeur Samuel Jallasson, à la suite de lEssay upon the civil wars of France, et présenté « as a kind of Preface or Introduction to the Henriade1 ». Une deuxième édition « corrected and revised by the author » paraît en 1728 toujours chez Jallasson, mais il nest pas du tout certain que Voltaire soit intervenu dans cette nouvelle publication, ni dans celles qui suivirent : en 1728, celle préparée par N. Prevost, sans autorisation de lauteur, et celle de Dublin, avec un « short account of the Author », où Jonathan Swift, en gardant lanonymat, présente brièvement lessai comme celui dun jeune homme français préparant la publication dun poème héroïque. LEssay a été publié deux fois dans des éditions séparées en 1731 et en 1760, et repris dans les œuvres de Voltaire traduites en anglais et éditées par Smollet et Francklin entre 1761 et 1765. La version anglaise na pas été reprise dans l« encadrée », ni dans les autres recueils dœuvres de Voltaire où elle a été remplacée par ladaptation française.

Écrit dans un anglais remarquable2, malgré quelques gallicismes, le texte de lEssay est nourri des lectures et des rencontres que Voltaire a pu faire à Londres, et des débats quont suscités notamment Homère et Milton dans The Spectator de Joseph Addison ou dans les essais dAlexander Pope. Certains chapitres, en particulier ceux portant 392justement sur Homère et Milton, diffèrent grandement de la version française3. Il connut un certain écho, et fut attaqué par Paolo Rolli dans ses Remarks upon M. Voltaires Essay on the Epick poetry of European nations (London, 1728), diffusé en français la même année dans une traduction dAnnibale Antonini, sous le titre dExamen de lessai de M. de Voltaire sur la poésie épique4. LEssay de Voltaire offre un témoignage de la conception quil se fait de la poésie épique et de la manière dont il en lit les étapes canoniques (dHomère et Virgile jusquau Tasse et à Milton) dans ses années londoniennes. Vu son importance et les notables différences avec la version française, nous lavons donné en annexe, même sil ne figure pas dans le premier tome de lédition encadrée.

Nous avons respecté le texte original de lédition de 1727, y compris les graphies (« epick », p. ex.) et certaines variations (« Aladino » et « Aladin », par exemple), ainsi que la ponctuation, sauf dans quelques rares cas. Ainsi, nous avons reporté les corrections données dans l« Errata » établi par Voltaire en tête de son édition, et adopté les corrections derreurs typographiques évidentes proposées par D. Williams, que nous signalons en note. Pour la clarté du texte, nous avons choisi de placer des doubles guillemets en ouverture et en fermeture de citation de façon systématique. Enfin, nous avons gardé les italiques, sauf pour les noms propres.

La traduction de Desfontaines

Dès mai 1728, Pierre-François Guyot Desfontaines (1685-1745) publie à Paris une traduction, anonyme et sans le consentement de Voltaire : Essay sur la poésie épique, traduit de langlois de M. de Voltaire, Paris, chez Chaubert, 17285. Celui-ci manifeste son mécontentement et relève un certain nombre derreurs de traduction dans une lettre à 393Thieriot (D336) Elle a été reprise en 1732, avec lautorisation et quelques mineures corrections de Voltaire, dans lédition Ledet/Desbordes de La Henriade, ainsi que dans les éditions des œuvres de Voltaire en 1736, 1737 et 1739. Voltaire sest servi de certains passage de la traduction de Desfontaines pour son Essai sur la poésie épique, par exemple pour des sections des chapitres sur Le Tasse ou sur Alonso de Ercilla y Zúñiga. Vu son intérêt secondaire, nous navons pas donné le texte de cette édition.

LEssai sur la poésie épique,
version de Voltaire

Insatisfait de la traduction de Desfontaines et fâché avec lui (voir D1150), Voltaire a finalement adapté lui-même son Essay en français, révisant profondément certaines sections pour le publier dans lédition de 1733 de La Henriade où il est annoncé ainsi : « cest louvrage de M. de Voltaire lui-même, fort différent de cette esquisse quil donne en langue anglaise en 1728 (sic). Cet Essai tel quil est, na jamais été imprimé que dans cette édition, dailleurs plus ample et plus correcte que toutes celles qui ont paru jusquici en France, et dans les pays étrangers6. » Cest désormais cette adaptation en français qui sera publiée avec La Henriade ou dans les recueils dœuvres de Voltaire. À notre connaissance elle na pas fait lobjet déditions séparées au xviiie siècle. En revanche au fil des éditions, comme pour La Henriade, le texte na cessé dêtre revu et modifié, notamment à la lumière des publications récentes, comme la traduction des Lusiades par Duperron de Castera en 1735, qui amène Voltaire à revoir un certain nombre de ses jugements sur le poème portugais. Avec un nombre important déditions, le texte est mobile – certaines éditions reprenant le texte dune édition antérieure, etc. – et les variantes assez nombreuses. Nous avons donc donné un choix de variantes, significatives soit par limportance de la révision, soit parce quelles se retrouvent dans un grand nombre déditions. Ainsi, de lEssay de 1727 à la dernière version revue par Voltaire pour lédition 394dite encadrée de ses Œuvres, on pourra suivre lévolution de sa vision de lépopée et de la poétique.

Nous avons adopté pour ce texte les mêmes principes que pour La Henriade : lorthographe a été modernisée, y compris pour les noms propres pour lesquels nous avons signalé en note les graphies adoptées par Voltaire ou en usage dans lédition au xviiie siècle ; nous avons respecté la ponctuation, mais supprimé les capitales en tête des mots ou les italiques, lorsque celles-ci ne correspondent pas aux usages modernes.

1 « Advertisement to the reader », p. 474.

2 Aux dires même des critiques anglais comme David Williams, OCV, t. 3b, p. 141-155.

3 Comme la montré David Wiliams dans « The Essay on epic poetry and the Essai sur la poésie épique : a comparison », OCV, t. 3b, p. 182-211 et « Voltaires “True Essay” on epic Poetry », 1993, p. 46-57. Et plus récemment, Christophe Martin « Voltaire et la Querelle dHomère (1714-1733) », 2016, p. 97-113.

4 Voir Simona Carpentari-Messina, « Voltaire et Paolo Rolli… », 1978, p. 81-110.

5 Sur cette traduction, voir David Williams, « The Desfontaines translation of Voltaires Essay upon the Epick Poetry », 1993, p. 37-47.

6 La Henriade, 1733, p. 3.