Avant-propos
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : La Grande Guerre des écrivains : études
- Auteur : Vignest (Romain)
- Pages : 9 à 10
- Collection : Rencontres, n° 137
- Série : Littérature des xxe et xxie siècles, n° 21
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- EAN : 9782812447341
- ISBN : 978-2-8124-4734-1
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4734-1.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 18/02/2016
- Langue : Français
Avant-propos
Dans la conception française et républicaine de la nation, fondée, comme l’a théorisé Renan, sur l’adhésion civique, le citoyen n’hérite pas sans méditer, l’histoire ne saurait être transmise sans être pensée. C’est pourquoi l’école, plus que la famille, est en France le lieu où se forge la nation, le lieu de la mémoire certes, mais en même temps celui de la réflexion. L’école se définit comme (et se doit, ou se devrait, d’être) le lieu principal, fondamental et initiatique, hiératique et critique, de la transmission ; elle doit permettre, non l’atavisme, subi, mais l’adhésion, intelligente, à un passé collectivement assumé et dont chacun de nous, d’où qu’il vienne par ailleurs, est le dépositaire, continuateur d’une œuvre qu’eux-mêmes nos prédécesseurs avaient poursuivie. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas, surtout pas, d’un « devoir de mémoire », victimaire-compassionel, à la mode d’une époque veule qui, couchée devant une prétendue anankè économique, a renoncé à écrire l’histoire, mais d’écouter, de comprendre, d’expliquer pour que la vie, et la mort, des hommes ne sombre pas dans le non-sens, pour qu’elle s’inscrive et s’exhausse dans cette longue phrase qu’est l’histoire d’un peuple.
Ce « très long thème en cours », comme dirait Saint-John Perse, l’écrivain – romancier ou historien, poète ou essayiste : nous ne sommes pas de ceux qui réduisent la littérature à un pur reflet d’elle-même et ignorent que Tacite est un poète et que Corneille est un historien – en est le plumitif. Inventer l’expression qui dit, ou qui fait résonner, la réalité la plus inouïe, quand au contraire les mots de la tribu l’assourdissent, conjuguer l’empathie et la distance, mettre le détail en perspective, le génie nécessaire de l’écrivain permet seul que l’expérience particulière soit saisie à vif et portée à l’universel.
Il n’est pas d’histoire sans écriture de l’histoire car il n’est d’avenir qu’enté sur la compréhension du passé. Aussi n’est-il de vrai citoyen que lettré, car c’est par les textes qu’une nation se forge. Encore faut-il que l’enseignement abouche les élèves aux grands textes pour les grandir de
leur substance. Quand la littérature s’empare des événements pour en prononcer le sens intime, appert l’inanité des conceptions formalistes et l’évidence d’un enseignement humaniste, par nature centré sur l’explication de texte : elle est à elle seule une éducation à l’appropriation et à la méditation. Elle exige également que les professeurs sans cesse se retrempent dans l’exploration et l’exégèse de notre patrimoine, qu’ils connaissent la recherche et qu’ils y participent.
Le présent ouvrage est à cet égard exemplaire, qui associe spécialistes émérites, jeunes chercheurs, professeurs agrégés du secondaire ou des classes préparatoires. Ses trente-cinq articles composent la somme de la recherche universitaire sur l’impact (le mot, ici, convient) idéologique et esthétique de la Grande Guerre et sa représentation par la littérature : la première partie s’intéresse aux écrits datant des cinq années de guerre ou témoignant de l’expérience directe de la guerre par leur auteur (à l’exception de Genevoix étudié dans un article qui le confronte à Junger et Remarque), la deuxième rend compte du regard porté sur elle a posteriori. Si ce livre traite pour l’essentiel de la littérature française, toute une section l’ouvre sur celle d’autres belligérants de la première guerre mondiale : Maghreb français, Allemagne, Angleterre, États-Unis, Italie, Serbie. Les auteurs abordés sont pour certains l’objet de recherches assidues, encore que la première guerre mondiale ne soit pas toujours, comme pour Aragon, l’aspect le plus fréquenté de leur œuvre ; d’autres, tels que Roger Martin du Gard ou Georges Duhamel, sont depuis longtemps, et à tort, négligés. Nous avons voulu faire leur place aux écrivains dits « mineurs » et aux Poilus eux-mêmes, parce qu’ils témoignent du traumatisme immense que fut la Grande Guerre et de l’empressement scriptural à la sauver du non-sens. Empressement qui trouva très tôt son prolongement cinématographique, ici également abordé.
On nous reprochera certainement d’inévitables lacunes, ou un ordre discutable. Apollinaire et Thibaudet, Céline et Camus, Cendrars et Valéry : ces quelques noms suffisent à dire la diversité qu’il nous a fallu rassembler, sans exclusive – tant c’est merveille que l’horreur ait été transmutée.
Romain Vignest
Président de l’Association
des Professeurs de Lettres