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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La France et les lettres
  • Auteur : Cheng (François)
  • Pages : 9 à 10
  • Collection : Rencontres, n° 35
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812444869
  • ISBN : 978-2-8124-4486-9
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4486-9.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/10/2012
  • Langue : Français
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Préface

C’est un honneur pour moi de prendre la parole au début de ce colloque exceptionnel. Outre le sentiment d’honneur, une singulère émotion s’empare de moi. Comme vous le savez, à un moment de ma vie, j’ai résolument embrassé la langue française pour en faire l’arme de ma création. Or, j’ai toujours regretté de n’avoir pas pu apprendre cette langue en suivant tout le cursus d’une formation littéraire classique. Je suis, pour tout dire, un autodidacte, un « barbare » ! Me trouver aujourd’hui devant vous, qui tous avez consacré votre vie à l’enseignement des lettres, suscite en moi une indicible gratitude. Tout se passe comme si, après avoir examiné mon cas, vous aviez accepté de me décerner enfin un diplôme qui m’a tant manqué.

Ici, je me permets une question un peu naïve. Cette langue que nous chérissons, si ancrée dans ses valeurs spécifiques, si consciente de ses exigences internes, si hantée par son souci de style, est-elle facilement accessible à un grand nombre, voire à tous ? Plus précisément, n’y aurait-il pas une contradiction entre la littérature issue d’elle et le désir de celle-ci de tendre vers l’universel ? La réponse, nous le savons, est non. Car nous savons que le vrai universel ne se limite pas à quelques principes généraux, ou généralités, que c’est par le particulier que l’on atteint le général. Et que, surtout, c’est en creusant vers la profondeur, jusqu’à fouiller les arcanes secrètes de l’âme humaine, à en révéler toute la complexité, qu’on accède à un universel qui éclaire et élève l’humanité. C’est ainsi que sont devenus universels – pour ne citer que des génies européens – Dante l’Italien, Shakespeare l’Anglais, Cervantès l’Espagnol, Goethe l’Allemand, Tolstoï le Russe, et des Français bien sûr, un Rabelais, un Molière, un Voltaire, un Hugo. La langue française, si déterminante dans la formation d’une nation unifiée, a procédé par l’intégration d’apports successifs. Spontanément, bien d’autres noms nous viennent à l’esprit : Montaigne, Pascal, Racine, Chateaubriand, Balzac, Flaubert, Zola, Proust…

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À partir du xxe siècle s’est développée une littérature dite de la francophonie qui n’est nullement périphérique ou secondaire. Car, tout ce qui se crée de valable dans le creuset de la langue française fait partie du patrimoine français et par là, du patrimoine mondial. La culture française est par la force des choses multiple, diverse, variée, mais tous ensemble, nous participons à une aventure commune et ouverte. Dans cette optique, l’idée sectaire de communautarisme ou de « multiculturalisme » en France est-elle justifiée ?

La journée sera chargée de conférences qui s’annoncent passionnantes. Il est grand temps qu’elle commence. Toute ma pensée chaleureuse l’accompagne.

François Cheng
de l’Académie française