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Classiques Garnier

Avant-propos

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : La France et les lettres
  • Auteur : Carmona (Yves)
  • Pages : 11 à 23
  • Collection : Rencontres, n° 35
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812444869
  • ISBN : 978-2-8124-4486-9
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4486-9.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/10/2012
  • Langue : Français
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Avant-propos

C’est un grand honneur pour moi de m’exprimer devant vous et je salue tout particulièrement M. François Cheng dont j’ai lu et aimé plusieurs ouvrages. Un redoutable honneur de représenter ici le ministère des Affaires étrangères et européennes et en premier lieu le ministre d’État Alain Juppé, agrégé de lettres avant d’embrasser la carrière que l’on sait.

l’Histoire

Faut-il le rappeler ? La France, et donc la diplomatie française entretiennent de longue date un rapport particulier avec les lettres. La diplomatie, c’est entendu, est un métier d’écriture même si un de nos anciens ministres, lui-même fin lettré, nous avait invités à troquer nos plumes contres des montres car, à ses yeux, l’urgence des crises n’autorisait plus la quiétude propre à l’écriture. Le temps n’est plus où il fallait des semaines pour un échange de dépêches entre un ambassadeur en Extrême-Orient et la centrale et on a vite fait de vouer aux gémonies le diplomate qui ne réagirait pas assez vite aux bouleversements qu’il est chargé de scruter pour l’information du gouvernement. Le téléphone et le courriel prennent le pas sur le télégramme diplomatique.

Pourtant, chassez le naturel, il revient au galop. Aux grands anciens écrivains-diplomates, les Chateaubriand et Stendhal quoique brièvement, Paul Claudel, Alexis Léger alias Saint John Perse, Roger Peyrefitte, Romain Gary bien plus durablement et plus récemment Pierre-Jean Rémy / Jean-Pierre Angrémy que je rencontrai en début de carrière sont venus s’ajouter dans notre récente actualité Jean-Christophe Rufin, ambassadeur pendant quelques années et Daniel Rondeau, ambassadeur aussi et qui va représenter la France auprès de l’UNESCO, chère à notre

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pays qui, selon un récent discours de M. Alain Juppé en présence de Mme Bokova, « symbolise aux yeux des Parisiens comme de l’ensemble des Français la détermination de la France à porter dans le monde son message humaniste. L’UNESCO est également le symbole des liens étroits entre diplomatie et culture, le symbole de la conviction profonde qui est la nôtre que notre politique culturelle extérieure est un atout majeur au service de nos objectifs et des valeurs que nous défendons sur la scène internationale : la paix, les droits de l’Homme, le développement, la solidarité entre les peuples. C’est cette conviction qui nous a guidés au sommet du G8, à Deauville, où la Présidence française a souhaité donner toute sa place aux enjeux liés à Internet ».

Le ministre aura l’occasion de la réaffirmer le 13 décembre prochain dans le cadre du colloque sur la diplomatie culturelle organisé à l’initiative de Xavier Darcos, lui aussi agrégé de lettres, membre de l’Académie des inscriptions et des belles lettres et président de l’Institut français. 

Ce lien intime avec l’écrit, il puise dans une fort ancienne histoire associant la France et la diplomatie culturelle. Sans remonter à nos monarques de la Renaissance, soucieux de faire briller la France de l’éclat de sa culture, notre temps est plus que jamais celui de l’influence culturelle comme complément ou substitut de la puissance militaire et économique, à telle enseigne que même les Américains, qui ne manquent pourtant ni de l’une ni de l’autre, l’ont compris et ont inventé le « soft power » et le « smart power ». Aujourd’hui, tous les pays d’importance comparable à la France ont un dispositif plus ou moins développé de mise en valeur de leur langue, de leurs idées et de leur création sour les formes les plus diverses.

La France, à l’évidence, reste une référence en la matière. Elle est la première dans le monde démocratique à développer des instruments de soutien à son influence, dont la manifestation la plus spectaculaire est la naissance de l’Alliance française en 1883, à l’heure où la reconquête du territoire perdu au profit de l’Allemagne passe par la reconquête des esprits et des sympathies.

Le MAÉ crée en son sein un « service des œuvres » peu avant la Première Guerre mondiale qui relaie l’action des Alliances françaises ainsi que d’autres acteurs comme l’alliance israélite universelle, créée en 1860, et la mission laïque française née en 1902.

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Aujourd’hui, in réseau de plusieurs centaines d’établissements culturels – Instituts français, alliances françaises, instituts de recherche, établissements d’enseignement français, etc. – constitue un maillage serré à travers toute la planète, y compris dans des pays avec lesquels nous n’avons pas de relations diplomatiques, et ainsi un instrument d’échange avec les peuples, les sociétés civiles, la jeunesse et les élites d’aujourd’hui et de demain.

Au cœur de la diplomatie culturelle française, la capacité à porter l’échange, le débat, la confrontation bienveillante, le multilinguisme, la conjugaison du spectacle et de la formation, en bref la promotion de cette diversité que nous soutenons sans désemparer à l’UNESCO et dans les autres instances multilatérales.

Mais nous avons des concurrents, d’abord sur le plan linguistique. À la domination de la langue anglaise, la seule autre langue que le français de présence mondiale viennent s’ajouter de très grandes langues à forte présence régionale : espagnol, chinois, japonais, arabe, etc. La langue arabe, appuyée sur de grands medias, Al Jazira et Al Arabeys, mérite un sort particulier car elle reflète – j’y reviens – l’Histoire en train de se faire.

Le printemps arabe, mais aussi les bouillonnements qui secouent un nombre grandissant de pays sortis du dénuement, les aspirations toujours plus véhémentes de la jeunesse à un monde plus libre et plus ouvert dont internet constitue le champ de référence, rendent plus nécessaire que jamais notre présence dans le champ du débat d’idées, de la pensée, de la réflexion critique. On a d’ailleurs vu à l’œuvre dans plusieurs de ces mouvements d’anciens élèves de nos établissements et entendu protester en français contre les régimes contestés. Les blogs ont également trouvé un public francophone, y compris dans des pays dont le français n’est pas la première langue étrangère.

Le réseau culturel français a ainsi été présent dans les mouvements engagés en Afrique du Nord, non pour imposer une quelconque vision française de la démocratie et des droits de l’homme mais comme lieu par excellence du débat, avec la contribution si elle était souhaitée d’intellectuels français mais en tous les cas dans le respect des approches locales.

La continuité dans notre action ne signifie en rien l’immobilisme, il faut donc dire un mot de la rénovation des instruments, notamment de la naissance de l’Institut Français.

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Le ministère des Affaires étrangères a longtemps juxtaposé, dans le domaine culturel, des politiques sectorielles qu’il mettait en œuvre lui-même. Le bureau du livre faisait la promotion du livre, le bureau du cinéma celle de la coopération cinématographique, la sous-direction du français celle de la langue française et ainsi de suite.

De par la loi du 27 juillet 2010, le choix a été fait de confier à un même opérateur la promotion des objets culturels et de la langue française. C’est désormais la mission de l’Institut français. Il n’est pas indifférent à cet égard que le choix du Président de la République pour conduire l’Institut français se soit porté sur M. Xavier Darcos, agrégé de lettres, Académicien et ancien ministre notamment de l’éducation nationale. N’est-ce pas le gage d’une vision intégrée, d’une meilleure synergie entre les différentes politiques qui concourent de manière globale à la promotion de nos lettres, de la langue française et des objets culturels qui en sont le fruit, notamment notre riche patrimoine cinématographique ?

le soutien à la littérature
d’expression française

Dans cette diplomatie culturelle bien vivante et contemporaine, le soutien à la littérature d’expression française constitue une des clés. Il repose sur une gamme d’instruments

Le MAÉE s’appuie sur un dispositif d’actions et de programmes géré à Paris par l’IF et sur 32 bureaux du livre dans le monde qui mettent en œuvre localement une politique de soutien à l’édition française et de coopération avec les structures locales. Le budget consacré à la promotion du livre français par le MAÉE est de 6,2 millions d’euros, répartis entre l’Institut français (3,7 millions) et les postes (2,5 millions).

Cet effort vise à encourager et promouvoir les idées, œuvres, auteurs, éditeurs français et francophones afin de maintenir dans un contexte de forte concurrence culturelle le dynamisme de l’édition française à l’export (à travers sa dimension « exportation des œuvres françaises » et à travers sa dimension « cession de droit »).

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Le Département Livre et Promotion des savoirs de l’Institut français a pour mission de promouvoir et diffuser la création intellectuelle française à l’étranger auprès de publics sensibles et concernés par les échanges intellectuels (notamment professionnels du livre, universitaires, réseaux d’intellectuels et relais culturels).

Le livre via la traduction : les aides à la traduction et à la diffusion des productions éditoriales françaises ; la formation de nouvelles générations de traducteurs du français vers des langues prescriptrices (anglais, arabe, chinois, espagnol, portugais, russe) ; la mise en place d’un centre de ressources en ligne concernant les ouvrages traduits vers les langues étrangères.

La valorisation du débat d’idées : l’élaboration d’une nouvelle diplomatie d’influence ; la mise en place, via le Réseau diplomatique, de débats d’idées suivant des thématiques liées aux questions de gouvernance et aux enjeux mondiaux ; la diffusion et la circulation des nouvelles scènes intellectuelles françaises (notamment dans le domaine des sciences humaines et sociales) auprès de réseaux universitaires à l’étranger.

La promotion de la culture scientifique : la mise en place d’expositions itinérantes prestigieuses pour promouvoir la culture scientifique française (archéologie et sciences dures) ; la création d’un centre d’expertise et de ressources en ligne ; l’accompagnement d’opérations réalisées par les Postes s’inscrivant dans des thématiques à fort enjeu politique et économique.

La reconstitution des circuits éditoriaux au Sud francophone : la mise en place de programmes d’aide à l’édition au Sud (à la cession et à la distribution) ; la constitution et la valorisation de fonds d’ouvrages édités au Sud sur les marchés du Nord et du Sud ; la refonte du centre de ressources « CulturesSud.com » concernant auteurs, éditeurs et grandes manifestations intellectuelles du Sud francophone.

L’accompagnement du Réseau, des médiathèques et la formation des agents : notamment en direction des postes à compétence géolinguistique, avec la création de véritables bureaux du Livre et des Échanges intellectuels et un effort particulier en faveur des responsables des médiathèques.

Il est orienté vers de grands axes stratégiques.

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Soutien à la présence éditoriale française
lors des principales foires du livre dans le monde

Le MAÉE, dans le cadre de son partenariat avec le Bureau international du livre français, accompagne la présence éditoriale française dans les foires et salons du livre à l’étranger. Il définit avec les professionnels les foires du livre les plus prescriptrices pour les éditeurs afin d’y assurer une présence solide et durable : Pékin, Séoul, Guadalajara, Buenos Aires, Taipei, Varsovie, Moscou, Istanbul, Abu Dhabi, Budapest… Les bureaux du livre dans ces pays assurent de même une présence institutionnelle afin de présenter les actions menées dans le cadre de notre coopération dans le domaine du livre auprès des éditeurs locaux. Dans ce cadre, ils organisent de nombreux évènements tels invitations d’auteurs, débats, signatures, rencontres professionnels. Le MAÉE est par ailleurs le partenaire privilégié pour relayer les sollicitations étrangères d’invitations d’honneur.

Nous intervenons par ailleurs lors du salon du livre de Paris, dans le cadre des invités d’honneur. L’IF participe au choix des auteurs invités dans ce cadre et finance pour moitié les invitations. Un moment fort dans ce cadre fut la venue des 30 auteurs étrangers lors de l’édition 2010 du salon du livre de Paris : les auteurs furent choisis et les voyages pris en charge par 30 de nos ambassades à l’étranger. Après les littératures nordiques, ce sera le tour du Japon en 2012

Ces actions entretiennent le tissu étroit qui existe entre professionnels du livre français et professionnels du livre étranger. Elles véhiculent l’image positive du modèle français d’un soutien public à la promotion du livre français à l’étranger tout comme celui de la promotion des littératures étrangères en France.

Soutien aux auteurs

À travers les missions Stendhal, l’Institut français permet chaque année à une vingtaine d’auteurs de bénéficier d’une bourse d’écriture à l’étranger. Retenus sur dossier de candidature incluant notamment le projet éditorial et les publications effectuées, les auteurs bénéficient d’une bourse allant de 4 000 à 6 000 € en fonction de la durée du séjour. Le réseau culturel peut organiser une série de rencontres et de conférences avec les auteurs en mission. Depuis 1990, plus de six cents

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auteurs ont bénéficié de ces bourses parmi lesquels des auteurs confirmés ou à forte notoriété (Charles Dantzig, Jean Rolin, Marie Darrieussecq, Marie Ndiaye lors de son prix Goncourt 2009), de jeunes auteurs pour un encouragement sur un deuxième ou troisième roman, des bédéistes, romanciers, auteurs d’essais, d’ouvrages pour la jeunesse…

Politique de l’extraduction : environ 500 000 €

Le Programme d’aide à la publication permet chaque année de soutenir entre 6 et 8 % du nombre de cessions de droit de l’édition française. S’inscrivant dans un véritable partenariat avec les éditeurs étrangers, ces programmes permettent de concilier les impératifs de la politique éditoriale de chaque éditeur et la promotion des auteurs français. Depuis vingt ans, 18 000 titres français ont été édités à l’étranger avec l’aide des PAP. Tous les domaines éditoriaux sont concernés : roman, essai, jeunesse, BD…

Soutien à la pensée française

En partenariat avec CampusFrance, les grandes institutions de recherche (Ulm, EHESS, École pratique, universités, Collège de France) les IFRE, et en relation avec les éditeurs français, ce nouveau programme permettra d’identifier les auteurs de la nouvelle scène intellectuelle française dans les domaines des sciences humaines et sociales (histoire, économie, anthropologie, sociologie, sciences politiques…) en fonction de leurs publications ; de traduire leurs œuvres en lien avec le Réseau (Scac, Centres de recherche) ; de susciter, avec les Postes à compétence régionale (suivant la carte géolinguistique du Plan Traduire), des invitations d’auteurs dans les universités.

Développement des médiathèques et des outils numériques, Culturethèque : la convergence des différents supports au service des « lettres françaises »

La politique d’aide aux médiathèques à travers le plan d’aide aux médiathèques (570 000 €) s’adresse à toutes les médiathèques du dispositif culturel français à l’étranger (EAF mais aussi AF). Le développement du numérique dans les médiathèques à travers la plateforme Culturethèque permettra d’offrir à l’ensemble du réseau des médiathèques une offre de contenus numériques homogène et négociée pour l’ensemble du réseau (contenus audiovisuels, livres numériques, musique en ligne)

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Les programmes en faveur du Sud

Des programmes qui permettent de promouvoir les auteurs, éditeurs, diffuseurs et libraires des zones francophones.

L’aide à la cession et à la coédition Nord/Sud permet d’aider les éditeurs du Sud francophone (Afrique et Caraïbe) à acquérir les droits d’ouvrages d’auteurs originaires de leur pays et déjà édités en France afin de pouvoir les publier et les diffuser au prix du marché local. Ce programme dédié au Sud francophone est placé sous le patronage de JMG Le Clézio.

Objectifs : a/ Renforcer sensiblement notre dispositif d’aides à l’édition francophone au Sud ; b/ Maintenir et développer les lignes éditoriales et les catalogues des éditeurs du Sud avec l’édition d’auteurs de référence pour les pays concernés ; c/ Rendre accessibles les ouvrages au large public à des prix adaptés au marché local.

Une ligne spécifique « 100 titres pour Haïti » est créée pour soutenir la publication de fictions et non fictions haïtiennes.

La richesse des littératures francophones du Sud doit être tout à la fois préservée, entretenue, et sanctuarisée. C’est la mission de la revue Culturessud.com

Afin de conserver les textes des ouvrages édités dans les pays francophones du Sud, et pour améliorer les circuits de distribution une base de données sera créée (intégré à la base Électre ou établi sur son modèle) et accessible aux libraires et éditeurs francophones du Sud.

La mise en place chaque année au Salon du livre de Paris d’une librairie du Sud (Afrique et Caraïbes), avec la création d’un fonds de 2 500 titres édités au Sud, est la seule vitrine des littératures francophones lors de l’évènement.

la politique menée en faveur
de la diversité linguistique et de la langue française

Ces efforts prennent tout leur sens dans la politique que nous menons, avec l’ensemble du monde francophone, en faveur de la diversité linguistique et donc de la langue française.

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La récente organisation d’États généraux de la langue française dans le monde, les 19 et 20 octobre 2011, a permis au ministre d’État d’inviter les acteurs et partenaires de notre politique à dresser un état des lieux de nos actions en faveur de la langue française et à proposer des développements pour l’avenir. L’Organisation internationale de la Francophonie y était représentée en ouverture par son Secrétaire Général, M. Abdou Diouf.

Ces États généraux ont très largement mobilisé notre réseau culturel, mais aussi l’ensemble des partenaires, français et étrangers, qui travaillent avec nous à la promotion de la langue française dans le monde. Ils ont rassemblé plus de cinq cents personnes, venues de quantre-vingt quinze pays. Parmi les participants figuraient l’Institut français, nouvel opérateur du Département dans le domaine linguistique, mais également l’Alliance française, l’AEFE et la Mission laïque, l’Audiovisuel Extérieur de la France, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, le Centre international d’Études pédagogiques, la Délégation générale à la Langue française et aux Langues de France. Les parlementaires, les milieux de l’enseignement et de la recherche, celui des lettres et du journalisme, ainsi que les mondes de l’édition, du numérique et de l’économie étaient représentés. Enfin, outre l’OIF, la francophonie multilatérale était largement représentée à travers TV5Monde et l’AUF.

Une politique publique « structurée » et « cohérente », consacrée à la promotion du français dans le monde. Forte de sept cents agents expatriés, d’un budget de plus de 600 millions d’euros, d’un double réseau de lycées et de centres culturels, cette politique est mise au crédit de notre pays par nos partenaires étrangers, en particulier ceux de la francophonie. La plupart des participants ont salué la « professionnalisation » croissante de notre dispositif depuis trente ans, le fait que notre politique ait trouvé son « point d’équilibre » entre l’action sur la demande et l’amélioration de l’offre de langue française, qu’elle ait su « élargir ses partenariats » et s’appuyer sur la francophonie multilatérale. La réforme de notre dispositif culturel, qui nous permet de disposer d’instruments nouveaux et modernes en même temps qu’elle améliore le pilotage de notre action, est perçue à cet égard comme une étape décisive.

Cela ne va pas sans doutes et attentes. Nos partenaires, à l’image d’Abou Diouf, regrettent souvent que la société française ne soit pas assez consciente de l’atout que constitue la francophonie, ensemble dans

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lequel la France a cessé d’être majoritaire et qui constitue pour elle une source sous-estimée de dynamisme économique et culturel. À cet égard, nombre de participants ont voulu voir dans ces États généraux l’illustration d’une prise de conscience. On nous demande de préserver les moyens humains et financiers de notre politique, de poursuive l’effort de professionnalisation. On attend du Département qu’il joue pleinement son rôle dans le pilotage et la coordination de tous les acteurs travaillant en faveur de la langue française à l’étranger, qu’il utilise toujours mieux les instruments européens et multilatéraux. On demande aussi à notre pays d’avoir vis-à-vis de tous ceux qui font l’apprentissage de notre langue une vision moins académique, « plus tolérante et plus ouverte à la diversité des usages », afin de casser la fausse image d’une « langue difficile ».

Les États généraux se sont déroulés dans un climat d’optimisme quant à l’avenir de notre langue. Ils ont illustré ce qu’Amin Maalouf, de l’Académie française, a désigné dans son allocution d’ouverture « un changement d’époque ». La période dominée par l’inquiétude et la peur du déclin semble révolue. Première explication : les évolutions démographiques. La projection de l’OIF qui prévoit, en raison de la croissance de la population africaine, 750 millions de francophones dans le monde à l’horizon 2050, contre 220 millions aujourd’hui, a été abondamment commentée. Mais il a été souligné que cette évolution n’était pas « gravée dans le marbre » et dépendait de la capacité des pays africains, d’une part à réaliser l’objectif du Millénaire d’une scolarisation universelle, d’autre part à proposer dans leur système éducatif des programmes en français de qualité.

Autre évolution jugée favorable à la langue française, pour autant que nous sachions en tirer parti : la poursuite du mouvement de mondialisation. Si elle comporte des dérives qu’il convient de maîtriser, la mondialisation permet aux membres de communautés linguistiques comme la francophonie de tisser des liens, de prendre conscience de leur unité, d’affirmer leur identité commune. Le remarquable développement politique de l’OIF au cours des dernières années en témoigne. Nous devons encore convaincre nos compatriotes de l’importance de cette communauté.

L’affirmation des pays émergents et, par voie de conséquence, le développement de la multipolarité jouent également, ont souligné les participants aux États généraux, en faveur du français. Ils dessinent les contours d’un nouveau pluralisme culturel et linguistique à l’échelle

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de la planète dans lequel les grandes langues de communication internationales devraient avoir toute leur place. Il est donc important, si nous voulons que nos grands partenaires s’engagent à promouvoir notre langue, que nous puissions, dans une logique de réciprocité, faire toute leur place à la leur dans notre système éducatif.

La révolution Internet, sur laquelle les États généraux sont largement revenus, s’inscrit aussi dans ce contexte favorable. Elle offre aux langues, en particulier aux plus grandes d’entre elles, une plateforme mondiale de communication, de partage et de création. La toile, d’abord exclusivement anglophone, s’ouvre ainsi de façon continue à la diversité des langues, dont la langue française, a insisté l’expert Daniel Pimienta. Mais, là encore, nous devons prendre l’initiative à la fois pour accroître la quantité et la qualité des contenus en français sur Internet, et pour mieux utiliser les ressources du numérique dans l’apprentissage de notre langue.

Il a également été souligné que le réveil des peuples du monde arabe, parce que des pays francophones y jouent un rôle déterminant, contribue à remettre notre langue sur le devant de la scène internationale.

Toutes ces possibilités, ont cependant insisté les participants aux États généraux, ne produiront les effets attendus que si nous savons saisir les occasions qui s’offrent à nous dès maintenant.

Ces États généraux ont permis de réaffirmer que la promotion du français devait demeurer une composante majeure de la politique étrangère de la France et avait vocation, comme l’a rappelé le secrétaire général du Quai d’Orsay, à être articulée avec les grands objectifs diplomatiques de notre pays. Le ministre d’État a indiqué les principales directions dans lesquelles nous devions travailler :

Les institutions européennes et multilatérales, où le français est l’une des rares langues de travail universellement reconnues. Il nous faut veiller à y faire respecter le multilinguisme, à assurer la relève des traducteurs. Nous devons aussi imaginer de nouvelles initiatives comme celle qui nous a permis, depuis 2003, de former au français 60 000 fonctionnaires européens. Alain Juppé a également rappelé, comme l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin en clôture des États généraux, la nécessaire exemplarité des Français qui doivent s’exprimer dans notre langue quand le régime linguistique de l’institution et les facilités d’interprétation le permettent.

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La famille francophone. Nous avons la chance qu’existe autour de notre langue une aire géo-linguistique en plein développement. Il reste prioritaire de la consolider en aidant nos partenaires à développer la francophonie dans l’éducation, la culture, les médias, l’économie, l’espace Internet. Le ministre d’État a indiqué deux points d’application principaux : l’Afrique subsaharienne où il est impératif, pour l’avenir de notre langue, d’enrayer la dégradation de la maîtrise du français dans l’éducation ; le monde arabe où nous proposerons, a annoncé Alain Juppé, des programmes à destination des jeunes qui jouent un rôle clef dans l’actuelle transition démocratique.

Partout ailleurs, les systèmes éducatifs. La langue française partage avec l’anglais le privilège d’être enseignée dans presque tous les pays du monde. Il est capital de renforcer cette position. Nous devons accorder une attention particulière à l’Europe et aux pays du G20. C’est dans ces pays que nous développerons de façon prioritaire l’enseignement bilingue francophone sous le label FrancÉducation. Compte tenu du rôle d’Internet, y compris dans les processus d’apprentissage, nos efforts en direction des systèmes éducatifs étrangers seront complétés, comme nous avons commencé à le faire, par des initiatives dans l’espace numérique.

La vie des affaires. Du fait du poids de notre pays, cinquième puissance industrielle mondiale, et de l’existence d’une zone francophone en dehors de nos frontières, le français s’affirme comme langue stratégique dans la vie économique. C’est ce que montre l’intérêt grandissant pour le français des firmes chinoises désireuses de développer leurs relations avec l’Afrique. Même s’il existe des raisons pratiques d’utiliser l’anglais dans l’entreprise, le français constitue un véritable atout dans les affaires, atout que nous devons cultiver et qui pour l’instant est sous-estimé. Nous disposons de plusieurs leviers pour conforter notre position : la formation des cadres d’entreprise, les certifications de français des affaires, la défense du multilinguisme dans les firmes multinationales.

Internet. Internet constitue un instrument extraordinaire pour l’enseignement des langues. Nous devons soutenir le développement d’outils numériques permettant d’apprendre le français et de suivre des enseignements à distance dans notre langue, mais aussi les réseaux sociaux qui donnent aux professeurs de français la possibilité de se retrouver sur la toile pour partager leurs bonnes pratiques et leurs préoccupations.

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Conclusion

L’actualité politique donne plus que jamais son sens à notre politique. J’en veux pour preuve le témoignage récent de l’écrivain égyptien Alaa Al Aswany, éduqué au lycée français du Caire par un professeur de lettres « soixantehuitard » à la liberté du débat et de la réflexion critique, qui ont fleuri au cours du printemps égyptien ;

La pensée française est au service de l’intermédiation, ainsi de l’opération « dialogues asiatiques » menée du 4 au 11 novembre derniers à Pékin, Séoul, Taipeh et Tokyo, où deux intellectuels français, le philosophe Frédérice Gros et l’historien des idées François Cusset ont animé des débats avec des penseurs de ces divers lieux. Parmi les thèmes évoqués, souvent devant des salles combles : « la figure de l’intellectuel d’aujourd’hui » ou « des grands maîtres aux nouveaux intellectuels ». La dimension symbolique de l’opération est forte : créer, dans une région du monde où cela ne va pas de soi d’une rive à l’autre, des liens, une proximité, une pratique de réflexion en commun qui a vocation à être pérennisée autour de la pensée française.

Yves Carmona

Directeur-adjoint de la politique culturelle et du français,

ministère des Affaires étrangères