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Classiques Garnier

[Introduction de la première partie]

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Que la politique implique un rapport à lespace, prenant la forme de la lutte entre territoires ou de lorganisation dun pays, est une évidence. En témoigne la longue prédominance de lordre westphalien comme modèle des relations entre États souverains, conçus comme des unités géographiques et nationales, donc avant tout spatiales, dont les intérêts doivent être équilibrés. Que le politique fasse intervenir nécessairement la dimension temporelle, en particulier à lépoque moderne, ne peut revendiquer la même évidence ou sappuyer sur des exemples aussi manifestes, si ce nest lomniprésence dénoncés sur le sens de lhistoire. La politique du temps nest donc pas immédiatement donnée, elle est au contraire elle-même le produit dun processus historique qui doit être retracé, afin de comprendre doù vient cette normativité politique de lhistoire et de discerner les problèmes quelle pose. Le caractère dynamique de la politique du temps peut être rapporté à un double processus de politisation du temps et de temporalisation du politique. La politisation du temps désigne lapplication dun sens politique au temps : le déroulement des événements, leur situation « avant » ou « après », voire le moment présent, prennent en tant que tels une valeur politique. Cest par exemple le cas lorsquun modèle politique est considéré comme le produit nécessaire dun développement dans le temps : le futur devient promesse dachèvement, tandis que le présent est évalué en fonction de sa position dans lévolution présupposée. Le deuxième volet, la temporalisation du politique, désigne quant à lui un processus complémentaire par lequel la conception du politique est subordonnée au temps. Le politique nest pas rapporté à un modèle intemporel du bon ordre, mais vu comme devant sadapter à la situation, à un « ordre du temps » sur lequel il na pas prise. Par rapport à la politisation du temps, le rapport entre temps et politique est ici inversé : cest le temps qui détermine le politique. Cette facette est particulièrement manifeste dans certaines critiques actuelles de la démocratie parlementaire, qui serait incapable de sadapter à l« accélération » ou à la « crise » traversant les sociétés contemporaines.

Nous aborderons tout dabord la politisation du temps, ce pour deux raisons. Tout dabord, dun point de vue conceptuel, car la temporalisation 54du politique présuppose la politisation du temps : que le politique puisse être subordonné au temps présuppose que ce dernier a une signification politique, quil peut y avoir quelque chose comme un « temps politique », sans quoi il ny aurait pas de raison que le temps puisse prendre une valeur normative. Dautre part, le développement historique de ce processus confirme la primauté logique de la politisation du temps, qui précède dans le temps la temporalisation du politique. Outre lobjectif conceptuel, qui est de reconstruire comment concevoir la politisation du temps, il faut donc également éclairer la dimension historique de ce processus, dans la mesure où la politisation du temps forme, dans son déroulement historique, un prélude aux époques où apparaissent, pour Voegelin et Löwith, les questions et problèmes qui peuvent être lus dans le cadre de la politique du temps – les Temps modernes et, en particulier, le xxe siècle. En reconstruisant non seulement la politisation du temps en tant que telle, mais aussi sa genèse historique, on verra donc pourquoi il est possible de lire le xxe siècle et, plus généralement, les problèmes « modernes », sous langle de la relation entre temps et politique.