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Classiques Garnier

Préface

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Préface

Anna Blum a été emportée, si jeune, alors ­quelle terminait ce livre si beau. Elle ­la ­composé à partir de sa thèse de doctorat que son jury avait tant admirée1. Elle donne, dans cet ouvrage, une belle leçon ­dhistoire et elle prouve que, dans sa carrière trop brève, elle fut une brillante et remarquable historienne. Elle a participé aussi à la vie de la recherche historique avec une intelligence aiguë, une vigueur tonique et une générosité inventive. Elle savait également ­concilier les enquêtes sur le passé avec ses engagements dans la cité.

Anna Blum nous entraîne en Italie du nord, dans les principautés ­construites autour du Pô. Comme le musicien Robert Schumann a ­composé une symphonie rhénane, elle nous offre une symphonie padane. Elle citait Stendhal : « … quand, après le Tessin ­jusquà Milan, la fréquence des arbres et la force de la végétation, et même les tiges du maïs, ce me semble, empêchaient de voir à cent pas à droite et à gauche, je trouvais que ­cétait là le beau. »

Aux yeux de Richelieu, ­lItalie reste le cœur même du monde. Anna Blum néanmoins ne se limite jamais à cet espace, tant les événements se répondent dans toute ­lEurope en guerre. Elle choisit en effet un moment exceptionnel pour ­lEurope, la guerre dite de Trente ans. La France ­sengage peu à peu dans ce ­conflit dans les années 1630 mais elle doit attendre 1659 pour que la paix des Pyrénées apporte enfin une paix générale.

Anna Blum montre sa volonté ­délucider ­lengrenage des événements, de fixer la chronologie et de décrire la logique de ­lévolution historique. Elle veut ­comprendre et expliquer. Son texte est marqué par une rigueur savante et une force ­convaincante qui lui permettent ­davancer dans une forêt dense en débroussaillant et en dessinant de grandes allées que

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le lecteur suit avec plaisir. ­Cest un regard curieux porté sur ­laction politique, les ressorts ­dune décision dans le champ diplomatique, les forces ­complexes qui entraînent les États, les résistances aussi dans le temps et dans ­lespace. Anna Blum cherche à montrer ce ­quest la politique extérieure ­dun grand État, le royaume de France, dans un ­contexte de guerre totale à ­léchelle de ­lEurope. Elle décrypte ainsi la politique française telle que les deux cardinaux-ministres, Richelieu, puis Mazarin, ont tenté, non sans mal, de la définir.

Ce livre ­sinsère à merveille dans le renouveau des études sur les relations internationales, avec de nouvelles méthodes et de nouvelles approches, présentes à chaque pas de cette démonstration pour donner de la profondeur à ces analyses. Anna Blum nourrit son propos de ses immenses enquêtes dans les archives, celles de France mais aussi celles de Turin, de Parme, de Mantoue ou de Monaco. En virtuose, elle démontre aussi sa maîtrise ­dune bibliographie dans plusieurs langues européennes. Ce travail se caractérise enfin par une écriture historique talentueuse et inspirée au service de cette approche plurielle : simplicité, vivacité et clarté du propos donnent une force entraînante à ce livre qui se dévore.

Anna Blum aborde le retour de la France en Italie après une guerre couverte, une guerre froide, marquée par les tensions autour de la Valteline et de la Succession de Mantoue. Elle révèle ­limplication progressive de la France : ­lentrée dans le ­conflit en Italie, la guerre civile en Piémont autour de Madame Royale, la sœur de Louis XIII, duchesse de Savoie, et bien ­dautres affrontements, en particulier autour de Castro. Comme souvent, les guerres picrocholines de la péninsule reflètent et résument en même temps toutes les tensions européennes. Ce récit impeccable révèle surtout les hésitations, les querelles et les atermoiements dans le cercle des princes, des ministres et des généraux. Tout en tenant ­compte des travaux existants, ­lauteur raconte un moment de ­lhistoire européenne en se fondant avant tout sur les documents ­quelle a trouvés : ils viennent rafraîchir les visions anciennes, redonner de la vie aux événements et de la chair à ­lévocation des hommes et des femmes, elles-mêmes très présentes dans ces temps de régences.

Au temps de Mazarin, la politique italienne de la France prend une ampleur nouvelle le long des côtés de Toscane et dans le royaume de Naples. Anna Blum sait reconstituer le tissu des événements à travers la ligne directrice que propose le discours du gouvernement français. Ce

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point de vue donne sa cohérence à la vision ­dune Italie saisie globalement dans ses diverses ­composantes. ­Lauteur domine ­dun vol puissant ce champ de guerres et, en considérant les choses de haut, elle les voit ­comme un ensemble. Son propos sait néanmoins toujours distinguer les différents niveaux en cause : la réflexion des princes et des ministres quand ils en ont une et ­quils savent ­lexprimer, les négociations diplomatiques avec les voyages des négociateurs, les opérations militaires enfin.

Anna Blum examine avec talent la dimension italienne des ­congrès de Westphalie et ­cest une page peu ­connue de ce temps de pacification. La question de Pignerol réapparaît et cet aspect était passé inaperçu. Ensuite, elle ­considère le regain de la guerre après la Fronde, avec, là encore, une analyse globale de la marche longue vers la paix des Pyrénées. ­Lauteur fait découvrir les pressions des diplomates italiens autour de la discussion franco-espagnole.

Dans un second temps, Anna Blum propose une approche anthropologique des pratiques diplomatiques. Elle porte son attention sur les ­conditions matérielles de ce travail autour du document même (­linstruction et la dépêche diplomatique), sur ­lécriture politique et ­lélaboration ­dun discours sur les relations internationales. Elle suit la circulation de ­linformation et la négociation à distance, dévoile les réseaux diplomatiques souvent englués dans un univers du soupçon et du doute. Elle étudie les agents français en Italie en suivant leurs carrières et leurs appuis personnels et familiaux : elle sait présenter avec clarté ces liens qui révèlent bien les structures des sociétés anciennes, ici à cheval sur deux univers finalement différents, en-deçà et au-delà des monts.

­Lévocation de la société des diplomates italiens et des négociations entre Italiens est passionnante. Enfin, Anna Blum présente les princes : la lecture de ces démêlés, de ces intrigues et de ces mariages réjouit le lecteur. Les princes et princesses italiens en France occupent le devant de la scène tout au long de ces années et Anna Blum a eu raison de les regarder vivre. ­Sappuyant sur une noblesse qui les sert et discutant avec des négociateurs qui les observent, ils ­constituent un tout petit monde très singulier.

Ce livre marque une étape dans ­lhistoire nouvelle des relations internationales car Anna Blum réussit à maintenir un équilibre subtil : elle offre une vision cohérente, rationnelle et intelligente du passé et elle permet aussi de ­comprendre les intérêts qui ­saffrontent, les réseaux

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qui se tissent, les discours qui ­sélaborent. Historienne de grand talent, elle nous laisse ce livre important : la ­communauté des savants et des curieux ­dhistoire ne peut que lui rendre un hommage très fervent et reconnaissant.

Lucien Bély

Université Paris-Sorbonne

1 Voici la ­composition de ce jury : Yves-Marie Bercé, de ­lInstitut, Stefano Andretta, Giuliano Ferretti, Géraud Poumarède, Alain Tallon et Lucien Bély, directeur de la thèse.